Japanese, do you speak it ? [PV Cho]

Iku se laissa porter par la foule qui sortait du wagon, entraînée jusqu'aux portiques et vers la sortie de la gare. Elle n'était pas souvent venue dans le coin, à tel point qu'elle aurait eu du mal à dire précisément dans quel coin elle était. En fait elle se souvenait de l'adresse et de l'itinéraire, n'ayant pas trop cherché le reste. Ce n'était pourtant pas loin de l'école, donc pas d'excuse. Elle nota mentalement de visiter la ville plus en détail, un jour. En attendant, son bras se referma sur son sac, comme pour s'assurer qu'on ne le lui volerait pas – ça n'était arrivé qu'une fois, et elle l'avait récupéré aussi vite, donc ce n'était pas le vrai problème. D'autant que le quartier ne s'y prêtait pas et qu'elle avait encore son uniforme de Shiketsu pour signaler au monde qu'elle savait se défendre. C'était plutôt une appréhension générale en naviguant dans un endroit inconnu.

Cela ne l'empêcha pas de fendre d'un pas assuré la masse des passants, travailleurs avides de retourner chez eux et de se reposer. Pas de repos pour elle, la nuit ne faisait que commencer. Elle navigua à travers les rues, s'arrêtant à l'occasion sous un lampadaire pour vérifier le plan sur son portable, et s'immobilisa une fois à destination. Ce n'était pas ce à quoi elle s'attendait. Certes, tout le quartier était cossu, et ce n'était pas la première maison du genre. Mais quand même, c'était une belle maison. Belle, grande, toute illuminée, avec un jardin, un très gros garage… Elle avait elle-même vécu quelques mois dans une maison du genre, avant de fuguer. Si elle avait eu besoin d'un tuteur à l'époque, ses « parents » lui en auraient payé un, et un professionnel. Alors qu'est-ce qu'elle faisait ici ? Une bonne question, qu'elle poserait peut-être. En attendant, elle n'était pas là pour assouvir sa curiosité. Elle sonna donc à la porte, attendant une réaction.

Elle attendit quelques instants à l'extérieur avant que la porte s'ouvre sur le même visage, à la coiffure près, qu'elle avait vu sur le site. Elle ne pensait pas s'être trompée avant ça, maintenant elle était certaine d'être à la bonne adresse. Elle commença les présentations par un salut, les bras raides le long du corps pendant qu'elle se pliait en deux.

"C'est bien moi, et vous devez être Hyun-Su-sama."

Elle ne précisa pas que c'était une joie de le rencontrer, quoi que ce soit du genre, comme l'aurait fait n'importe qui après un salut si pompeux. Si elle respectait les bonnes manières, elle ne connaissait pas suffisamment le jeune homme pour être ravie de faire sa connaissance. Elle nota aussi la tournure de phrase étrange, si on pouvait encore qualifier ça de tournure de phrase, et l'accent sud-coréen assez prononcé. Effectivement, il avait encore quelques lacunes, Iku comprenait pourquoi il voulait prendre des cours.

Elle entra donc, laissant ses chaussures dans l'entrée avant de suivre son hôte à l'intérieur. Le hall était aussi spacieux que la façade le laissait imaginer, aménagé à l'occidental avec des arches ouvertes entre les différentes salles – notamment une ligne droite directe vers la cuisine et la salle à manger, où des assiettes garnies de quelque chose lui rappelèrent qu'elle n'avait pas mangé depuis sa pause de midi. Elle aurait bien grignoté quelque chose, oui… mais elle n'était pas certaine d'avoir compris ce que Cho avait dit, et préférait ne pas insister. S'il abordait encore le sujet, peut-être. Elle préféra se planter face au maître des lieux, attendant de voir où il allait.

"Vous voulez sans doute vous poser quelque part de plus confortable, on ne va pas rester plantés là alors – elle fit un petit signe du bras vers l'intérieur de la bâtisse – Je vous suis"

"Oh."

Petite exclamation, marquée par juste un soupçon de surprise. Elle avait donc bien compris. Mieux, son élève – elle était là pour lui donner des cours de japonais, après tout – avait pensé à lui garder une portion. C'était prévoyant. Peut-être gentil aussi, mais ça pouvait bien être beaucoup de choses. Elle hocha tout de même la tête et s'avança vers la cuisine. Il avait proposé, après tout.

"J'étais pas certaine d'avoir compris mais c'est vrai que je meurt de faim, merci. Puis tu pourras me parler pendant qu'on mange, que j'évalue ton niveau et que je voies ce dont tu as besoin."

Avec le recul, commencer par estimer l'ampleur des travaux semblait une évidence, mais il avait fallu qu'elle aille regarder des conseils en ligne pour avoir l'idée. Ça et quelques autres, de quoi occuper une première soirée et trouver quoi lui faire travailler par la suite. L'enseignement était tout sauf une vocation, mais elle avait répondu à l'annonce donc pas de demi-tour.

Elle rejoignit la table, réalisant qu'un troisième hôte avait déjà commencé à manger sans eux. Une petite boule de fourrure sombre qui lui tournait le dos et piochait allègrement dans le plat. Profitant que le chat était concentré sur la viande – car c'était du bœuf mariné, Hyun-Su sama avait bon goût – pour faire attention à elle, Iku le saisit par le cou et le leva à hauteur de son visage.

"Salut, toi."

La petite bouille noire et blanche lui tira un sourire. Elle aimait bien les chats, elle les trouvait mignons. Et leur tempérament dédaigneux lui plaisait plus que l'affection baveuse et excessive des chiens. Elle lui grattouilla le menton avant de le tourner vers Hyun-Su sama.

"Il est admis à table, lui aussi ?"

"Oh non, il ne l'est pas. Tu sais où tu vas finir mon grand si tu continu comme ça, dans la baignoire." Je craque et lâche un léger rire en ajoutant. "Allez vient par là malédiction ambulante, si le manger pas assez je vais te le servir."

"Je suis désolé, je vais le manger du côté de celui que Tenpon a touché,
c'est pas le plus hygiénique mais je vous assure que c'est un chaton propre, aucune maladie ni microbe, il rentre de chez le..." J'ai une hésitation sur le mot a utilisé, je choisis la facilité. "Le docteur pour les animaux."

Comme elle le soupçonnait, le chat n'avait rien à faire sur la table, et n'avait certainement pas le droit de se servir dans le plat. Avec le nombre de choses mauvaises pour eux, c'était effectivement une mauvaise idée de laisser les animaux piquer la nourriture prévue pour des humains. Elle tendit doucement la boule de poils à Hyun-Su sama, qui le ramena auprès de sa gamelle en écorchant encore un peu la langue japonaise. Les mots semblaient bons, mais l'ordre non. Et peut-être les conjugaisons, mais difficile de juger avec les verbes autant en bordel.

Il confirma ce qu'Iku commençait à deviner, revenant après avoir nourri le fauve et proposant de façon maladroite – dans un japonais maladroit, pour être exact – de manger la partie touchée par le chat. Il hésita aussi, incapable de retrouver le mot "vétérinaire". Iku haussa les épaules. Elle avait été malade quelque fois, assez pour se faire un système immunitaire, et était assez solide. Autant dire qu'elle ne craignait pas grand-chose d'un chat. C'était la première fois que Hyun-Su sama peinait à trouver un mot.

"Ouais, je devrais y arriver."

Ne prêtant pas trop attention aux gestes de son élève, plus intéressée par ce qu'il disait, elle se dirigea d'un pas lent vers le dit réfrigérateur. Le plus curieux était qu'il ne se trompait pas tout le temps dans sa syntaxe. La plupart du temps, ses phrases étaient tout à fait correctes. Est-ce qu'il avait du mal avec certaines tournures précises ? Ou est-ce qu'il s'embrouillait avec son autre langue quand il ne faisait pas attention ?

Elle sautilla une fois ou deux pour bien repérer la plancha avant de se mettre sur la pointe des pieds, envoyant sa main en expédition aveugle au-dessus du réfrigérateur. Il parlait sans doute coréen. Iku ne connaissait pas un mot de coréen, et encore moins la syntaxe ou l'orthographe. Elle serait bien incapable de dire si les tournures déformées de Hyun-Su sama venaient de là. Ses doigts touchèrent la plancha, la tirant peu à peu vers le bord, jusqu'à ce qu'elle puisse s'en saisir.

"Et voilà !"

Elle rejoignit Hyun-Su sama et lui tendit la plancha.

"Et c'est vétérinaire."

Elle recula d'un pas, en attendant de voir si elle pouvait encore aider. En attendant, il fallait le faire parler.

"Ça fait longtemps que tu es au Japon ?"