Faim de lion partagée avec un tigre [PV Zamian Magenta]

À quelques exceptions près, les jours se suivaient et se ressemblaient pour les étudiants. Les cours, quelques peu ardus mais toujours intéressants à suivre, les pauses entre les cours, rentrer chez soi ou demeurer à l’internat, faire ses devoirs, et recommencer cette routine le jour suivant. Ryuji était clairement habitué au programme quotidien de Yuei, et n’en démordait pas. Malgré son air très détaché et quelques peu monolithique, il ne s’ennuyait jamais… Ou tout du moins, jamais assez pour que la sieste tant affectionnée par les panthérinés ne vienne s’imposer à lui en pleine salle de classe !

Comme tous les jours, la cafétéria attendait les étudiants à midi. C’était comme une grande savane, avec plein d’êtres se rassemblant dans le plus grand des brouhahas. Et parmi ces troupeaux, le grand fauve essaye de trouver un coin d’ombre pour dévorer tranquillement sa pitance.

Ce midi, Ryuji avait eu droit à un plat à base de porc, du Tokachi Butadon. Cependant, la portion qu’il avait réussi à obtenir était remarquablement plus importante que dans un Tokachi Butadon classique : cela venait de son anatomie et de ses besoins nutritionnels. En effet, comme les grands félins actuels et très probablement les machairodontinés, Ryuji doit consommer des quantités importantes de nourriture pour entretenir son organisme musclé et puissant. D’importantes parts de viande sont nécessaire à son bien-être.

L’homme-fauve s’était assis seul, à une table qui n’avait pas encore été prise d’assaut. Il espérait pouvoir manger tranquillement, comme il avait réussi à le faire depuis sa rentrée. Même si il devait se faire à l’idée qu’il attirait plus d’attention qu’il ne le voulait sur lui, il n’avait pas vraiment envie de se mêler à une foule pour autant.

Toutefois, quelques amis de bon aloi ne seraient certainement pas de trop pour notre chat à dents de sabres… Yuki Fujiwara semble bien partie pour en être une, mais une seule amie ne suffira pas pour que Ryuji cesse d’être renfermé sur lui-même, pour ainsi dire.

Tant que c’est à l’écart d’un groupe bruyant et nombreux, Ryuji pouvait bien laisser un camarade s’asseoir à sa table sans y voir le moindre problème. Et même si gagner son amitié n’était jamais gagné d’avance…

Faire connaissance autour d’un bon repas était un bon début pour apprivoiser notre tigre !

Le brouhaha incessant de la cafétéria me mettait de bonne humeur. Là où beaucoup étaient révulsés par les cris, l'ambiance folle et les quelques batailles de nourriture qui pouvaient émerger de temps à autre, ça avait l'effet contraire sur moi, me donnant une pêche folle. La vie, l'agitation, le bonheur d'être ensemble. Autant de choses qui m'inspirait confiance, même si ça m'avait légèrement perturbé les premiers jours. Pour un petit campagnard comme moi, habitué aux établissements scolaire tout juste remplis, Yuei évoquait la démesure et le luxe à l'état brut. Mais, rapidement, je m'étais laissé porter par le mouvement, m'habituant bien plus vite que prévu à cette ambiance. Aujourd'hui, pleinement immergé, j'étais parfaitement à mon aise au milieu de ces lycéens aux hormones bouillantes qui profitaient du repas du midi pour entretenir leurs relations sociales.

Sac-à-dos bien fourni sur l'épaule, les lanières tombant nonchalamment à l'arrière de mon dos, je passais par le buffet pour me servir une portion de tokachi butadon. Pas spécialement ma tasse de thé, bien plus accoutumé avec les plats à base de légumes qu'on servait dans ma région natale, mais je devais m'en contenter et espérer que le repas du soir conviendrait mieux à mon palais délicat. Mon plateau entre les mains, il ne me restait qu'à trouver une place de choix au milieu de ce petit chaos ambulant. Çà et là, des groupes d'élèves devenus ami s'étaient formés rapidement. Je n'avais pas encore eu l'occasion de faire connaissance avec mes camarades, hormis quelques brimades entre deux interclasses. C'était sûrement le moment de me lancer à l'aventure des rencontres fortuites, puisque j'allais devoir passer trois ans avec la même promotion.

Assis dans un coin excentré de l'agitation, j'apercevais un garçon que je reconnus immédiatement comme étant Ryuji, un mec de ma classe. Il mangeait seul, une assiette anormalement garnie devant lui. On partageait pas mal de temps ensemble lors des cours, mais je ne le connaissais finalement pas outre mesure. J'avais juste conscience que son alter, lui donnant une apparence hybride de félin, n'était pas des plus faciles à porter. Aussi, mû par l'envie d'en apprendre plus sur lui, je m'approchais de sa table, un sourire franc sur mes lèvres fines.

La place est libre ?

Je jette mon sac sur le sol, déposant par la même mon plateau juste devant celui de Ryuji. Je n'ai pas attendu sa réponse, imposant clairement ma présence. De toute façon, il ne reste pas spécialement d'autres tables de libre dans la cafétéria.

Eh ben dis-donc, c'est une assiette bien pleine que t'as là, mec. Si tu veux du rab, j'peux te filer ma portion. J'suis pas spécialement fan de viande.

Je souris, toujours. C'est la meilleure des entrées en matière : proposer à un carnivore un surplus de nourriture. J'imagine qu'il doit s'approvisionner régulièrement, comme le prétateur dont il semble être le descendant. Enfin, ça, c'est simplement une supposition puisque malgré le fait que l'on soit dans la même classe, je ne me suis jamais renseigné outre mesure sur son alter ou sur ses spécificités, me contentant d'observer de loin ce qu'il était capable de faire. Il faut dire que son apparence m'a légèrement rebutée au début, mais j'ai fini par m'y habituer au fil de nos cours en commun.

De nos jours, toutes les familles avaient dans leur linéage un membre possédant un alter de mutation. Dans la mienne, c'était une tante maternelle, qui avait l'apparence d'une araignée. Autant vous dire que, vu mon aversion pour cette espèce du règne animal, je n'ai jamais cherché à côtoyer plus que ça cette personne, malgré le fait qu'elle soit la sœur de ma mère.

Assis nonchalamment sur le banc inconfortable, je regardais Ryuji droit dans les yeux, attendant sa réponse. J'avais hâte de faire connaissance avec cet élève, ce qui était finalement valable pour chacune des personnes présentes dans la cafétéria. Après une période d'acclimatation, j'étais enfin prêt à nouer des relations, nouer des liens, devenir quelqu'un. Moi, pleinement éveillé au lycée.

On pouvait croire, au vu de ses griffes, que Ryuji allait entailler la viande avec celles-ci et s’en servir comme « fourchettes », qu’il allait manger à mains nues comme l’enfant sauvage qu’il fut autrefois. Ça serait oublier l’éducation humaine qu’il a reçu pendant les dix dernières années ! Ainsi, l’étudiant imposant se nourrit grâce à ses baguettes. Toutefois, il ne lésinait pas sur l’usage de ses crocs : il déchiquetait la viande avec, tout en réfrénant le coté « sauvage » de la procédure.

Il s’agissait du seul type de situations, du moins pour le moment, où Ryuji s’autorisait à utiliser ses redoutables dents de sabre.

Alors qu’il se délectait de ce bol de viande caramélisée, sans le montrer à son expression, il fut quelques peu interrompu par l’arrivée d’un garçon aux cheveux roses : Zamian Magenta. Il le reconnut vite fait, ayant retenu son nom lors du premier jour. Celui-ci lui demanda alors si la place était libre mais ne prit même pas le temps d’attendre que Ryuji aie ne serait-ce qu’acquiescé avant de prendre place. L’homme-fauve était dépité par cette incruste soudaine, mais tant pis. Ce qui est fait est fait : le voilà installé et pas spécialement prêt à repartir. Au moins, il n’avait pas rameuté un groupe de personnes avec lui ; le contraire aurait mit Ryuji mal à l’aise.

Mais ne prenons pas les choses sous un angle intégralement pessimiste… Même si il paraissait quelques peu excentrique, Zamian avait surtout l’air d’être quelqu’un de sympathique et d’amical. Pour preuve… Il proposa même à Ryuji ses propres morceaux de tokachi butadon, déclarant qu’il n’était pas forcément porté sur la viande. Proposer sa viande à un fauve autour d’un bon repas, voilà une idée bien trouvée pour le dresser !

Toutefois, en regardant la portion très garnie de son propre bol de grande taille… Ryuji n’était pas vraiment enclin à accepter. Il avait certes besoin d’une dose conséquente de viande… Mais pas trop non plus, car sinon il se sentirait trop lourd et ferait comme les lions après un bon repas : dormir. Autant il pouvait se le permettre chez lui… Autant il n’était pas question de piquer un somme en plein milieu d’un cours.

« Merci pour ta proposition, mais je pense que ma dose devrait suffire. Se contenta de dire le concerné avec calme et politesse. »

Ceux qui ne se fient qu’à son attitude solitaire auraient pu s’attendre à une réponse sèche et énervée qui traduirait une envie de ne pas être approché. Ou encore pire, une absence totale de réponse, un vent monumental. Mais il n’en fut rien, au final. Comme quoi, traîner seul était peut-être plus une habitude qu’une réelle volonté d’éviter les autres. Si il éprouvait réellement cette volonté, il se serait éloigné de Zamian, soit en changeant de table, soit en lui demandant calmement de trouver une autre place.

Mais Ryuji restait malgré tout fidèle à lui-même : peu loquace, plus silencieux que rugissant. Ainsi, il continua de se délecter des morceaux de porc sous les yeux de son camarade de classe. Si une conversation devait advenir, ce n’était certainement pas Ryuji qui allait la lancer. Dans des situations aussi calmes et qui n’exigeaient pas son héroïsme, il n’était pas vraiment enclin à déblatérer et amorcer une discussion. Ryuji n’avait, de toutes manières, jamais été à l’aise pour amorcer une conversation.

En revanche… Il n’aura sans doute pas de mal être répondeur, même en se contentant de réponses courtes et concises. C’était après tout une bonne occasion à saisir pour affiner ses contacts, et pour établir un premier lien de confiance avec cet adolescent dont la personnalité semblait parfaitement complémenter la sienne. Si jamais Ryuji venait à réellement considérer Zamian comme son ami, sa personnalité énergique et enjouée pourrait avoir une bonne influence sur Ryuji, tout comme Yuki pourrait bien déteindre sur notre tigre à force de le côtoyer.

Cela restait toutefois à déterminer avec le temps… Même si pour partir du mauvais pied avec Ryuji, il faut vraiment avoir envie de l’énerver.

Le doux fléau de la solitude, c'est de n'être qu'un grain de poussière dans l'infini de l'océan. Sûrement était-ce ce que ressentait Ryuji peu avant que j'arrive ? Peu loquace, mon camarade de classe daigna tout juste me répondre, me laissant à la contemplation de lui-même en train de dévorer sa viande. J'avais l'impression d'être en face d'une bête sauvage, que je venais déranger en plein repas. Si tant est qu'il soit légèrement moins agressif, j'espérerai ne pas finir dans son estomac en le brusquant un peu trop.

Mais même si Ryuji ne semblait avoir aucune envie d'entamer la discussion, c'était pas ça qui allait m'abattre pour autant. J'étais capable de parler à un mur sans soucis, alors c'était pas un homme-félin en pleine dégustation qui allait se refuser à me causer. Adolescent, j'ai réussi à faire parler Tanaka Miyomoko. Vous vous imaginez ? Bon, j'me doute que non, hormis si vous avez fréquenté le collège de Matsuyama, ce dont je doute fort. Bref, pour vous la faire courte, Tanaka, c'est un gamin de mon âge, rejeté par tout le monde à cause de son alter qui lui fait pousser d'affreux pustules sur le corps. J'ai jamais cherché à comprendre l'utilité de cette mutation. Quoiqu'il en soit, il avait donc pris l'habitude de se renfermer totalement sur lui-même, n'octroyant même plus un regard à ses camarades. Et moi, par amour du défi social que représentait le fait de devenir son ami, j'avais réussi à entrer en relation avec lui. Après Tanaka, autant dire que Ryuji n'était rien de plus qu'un petit chaton apeuré qu'il me tardait d'apprivoiser.

T'es pas un bavard toi, c'est ça ?

Annoncer des évidences, voilà ma principale qualité. Là où certains sont capables de jongler avec trente balles à la fois ou encore de composer des poèmes arrachant les larmes aux cœurs les plus froids, moi, je suis capable d'énoncer haut et fort des faits évidents. Soyez pas jaloux, c'est ce qui fait mon charme à ce qu'on dit. Quoiqu'il en soit, le problème était toujours le même et j'étais face à un véritable mur froid et apparemment peu désireux de ma présence. Je devais donc jouer sur les incertitudes pour réussir à l'amadouer. Qu'est-ce que j'ai comme infos sur lui ? En fait, hormis le fait qu'il est dans la même classe que moi et qu'il possède un alter de mutation bizarre, je sais pas grand chose de plus. Bon, j'peux déjà quasiment affirmer qu'il a des gênes d'un quelconque félin. C'est déjà pas mal. Et ça aime quoi, les félins ? Hormis la bouffe, la chasse et le lait, j'vois pas trop, pour dire vrai. Avalant difficilement un morceau de viande, malgré ma légère aversion pour celle-ci, j'essayai de fixer Ryuji dans les yeux.

J'avais toujours eu du mal avec cet exercice. Autant, engager une conversation et être hyper avenant ne me dérangeait aucunement, bien au contraire. Autant, lorsqu'il s'agit de fixer mon regard dans celui de quelqu'un d'autre, je me sentais mal à l'aise. Sûrement la peur d'y voir des ressentiments qui risquaient de me déplaire ? Ou simplement l'effroi de me retrouver face à ce qu'on appelait le «miroir de l'âme», et soudain perdre la confiance en moi que j'avais mis des années à acquérir ? Peur qu'on perce à jour la coquille que je m'étais forgé, envers et contre tous, pour réussir à vivre une sereine et loin de toute incertitude.

J't'ai jamais posé la question, mais t'es censé être le descendant de quel animal ? Enfin, pas vraiment le descendant mais tu m'as compris.

Peut-être que le questionner sur des choses le concernant suffirai à lui délier la langue ? De toute manière, peu de nouvelles options s'offraient à moi, si ce n'était l'impatience de pouvoir engager une discussion correcte avec quelqu'un de cette école. Les quelques échanges que j'avais pu avoir depuis le début de l'année n'avaient pas réussi à satisfaire mon besoin d'interaction sociale, et je commençais cruellement à être en manque. En manque de vie, en manque de rire, en manque de joie.

Car c'était surtout à travers les autres que je parvenais à m'épanouir, puisant la force d'être qui j'étais au contact prolongé d'une âme humaine. Totalement à contre-sens de la société individualiste actuelle, j'avais besoin plus que tout de ces autres, pour être pleinement entier, au risque de perdre l'essence même de qui j'étais. Vivre seulement à travers ceux que je cotoyais risquait de me faire perdre pied un jour, mais je n'étais pas encore conscient du mal que je me faisais à cette époque.

En général, lorsque Ryuji s'exprime, il utilise des phrases et des réponses très brèves, concises... Et surtout fermées. Le genre de répliques qui ne vous incite pas vraiment à poursuivre la conversation avec lui. C'était comme si chaque phrase pouvait se résumer à : « Voilà la réponse que tu veux. Merci, au revoir. »

Mais apparemment, il en fallait bien plus pour décourager Zamian. C'était le genre de gars prêt à sociabiliser même avec le plus mutique et monolithique des étudiants, et il le montrait bien. Ryuji s'attendait déjà à ce qu'il soit plus insistant, car l'attitude qu'il avait pu observer de Zamian en cours était démonstrative de sa personnalité très sociable. On croirait voir la rencontre entre un Tarzan fraichement rapatrié en Angleterre et un citoyen anglais extraverti.

Par simple politesse, Ryuji se contenta de répondre d'un bref « Non » de la tête à son camarade, lorsqu'il lui demanda, à juste titre, si il n'était pas un bavard. En effet, il ouvrait plus souvent sa bouche pour intimider un ennemi avec des rugissements que pour discuter. « A man of few words », comme le diraient les anglais.

Mais Ryuji avait face à lui l'occasion d'aller lui-même de l'avant pour briser la glace et faciliter la naissance d'un lien entre les deux jeunes hommes. En effet, Ryuji n'avait pas manqué de remarquer que Zamian avait quelques difficultés à manger de la viande, lorsque celui-ci tentait de soutenir son regard de tigre. Aversion ? Possible allergie ? Il n'en savait rien... Mais il ne pouvait pas rester indifférent et laisser son camarade se forcer jusqu'à tout vomir après. Et puis... Quelques bouchées de plus le tentaient bien, quitte à mettre son organisme à l'épreuve pour l'après-midi. Après tout, quelle était le devise de Yuei ? « Plus Ultra », pardi ! Surpasser ses limites ! Pour Ryuji, repousser son temps d'éveil après avoir englouti des quantités plus conséquentes de viande pourrait être un bon premier pas.

Bon, d'accord, c'est quelques peu ridicule dit comme ça... Mais il y a un début pour tout.

«  ... Ne te force pas à manger quelque chose qui te fais du mal. Si tu n'arrives vraiment pas à manger ta viande, je veux bien reconsidérer ton offre. Dit l'homme fauve. »

Sans attendre sa réponse, il continua à manger ses propres morceaux. Il avait bientôt fini et allait pouvoir s'attaquer au riz. Alors qu'il continuait à se délecter, profitant de l'usage de ses dents de sabre... Son camarade extraverti lui posa une question en rapport avec son Alter : à quel animal était-il associé ?

Ryuji avala la portion qu'il avait en bouche avant de répondre.

«  Le megantereon... Un fauve à dents de sabre qui chassait les premiers hommes. Répondit-il avec sa concision caractéristique. »

À la place de Ryuji, certains auraient peut-être mal pris la question de descendance. Mais dans son cas, il n'y fit pas plus attention que ça. Il y avait même de quoi être assez vaniteux et fier, en se prétendant descendant de l'un des prédateurs les plus redoutables du cénozoïque. Et même avec son passif, il n'éprouva même pas un début de susceptibilité, car Zamian ne connaissait rien de son histoire. Non pas qu'il aie, du moins actuellement, la moindre intention de raconter l'aube de sa vie à qui que ce soit. Même Yuki n'y avait pas eu droit.

Malgré le vacarme incessant des élèves, bienheureux de partager une pause déjeuner avec les quelques connaissances qu'ils avaient pu faire depuis la rentrée, résonnait comme un bourdonnement inconfortable à mes oreilles. J'avais du mal à me concentrer sur les paroles de Ryuji, surtout que ce dernier ne semblait pas généreux en mots et me laissait donc le privilège d'entamer cette discussion stérile.

Il me semblait bien que je le dérangeais – ou tout du moins qu'il n'appréciait pas ma présence outre mesure – mais, maintenant que je m'étais assis, je n'allais pas changer de place en plein milieu de mon repas. Repas qui, soit dit en passant, n'était vraiment pas à mon goût. Je croquais avec un certain dégoût dans la viande de tokachi butadon, la moue sur mon visage trahissant ce que je pensais intérieurement. Je n'ai jamais raffolé de viande, encore moins quand elle est préparée par des cuisines industrielles. Afin de faire passer le goût de fer dans mon palais, j'attrapais à pleines mains ma petite bouteille d'eau et en bue quelques gorgée bienvenues.

Ne te force pas à manger quelque chose qui te fais du mal. Si tu n'arrives vraiment pas à manger ta viande, je veux bien reconsidérer ton offre.

Bien étonné que la langue de mon jeune camarade se délie, j'ai failli en avaler de travers mon eau. Toussotant pour reprendre mon souffle, je lançais un regard gêné à Ryuji avant de finir par lui tendre mon assiette. De toute façon, je n'avais pas spécialement faim. Et puis, d'après le menu, le soir, c'était végé donc j'allais bien plus y trouver mon compte.

Finalement, le garçon-félin fini par répondre à ma question sur l'animal avec lequel il partageait ses gênes. Enfin, c'était plus complexe que ça dans le cadre d'une mutation, mais vous avez saisi le principe.

Le megantereon... Un fauve à dents de sabre qui chassait les premiers hommes.

Ah, deux phrases à la suite. Presqu'une aubaine pour moi, et il ne fallait pas que laisse tomber cette occasion pour tenter d'amorcer la discussion. Comme une bête sauvage, il se détendait petit à petit, mais pouvait tout aussi rapidement se remettre sur ses gardes et se renfermer sur lui-même.

Connais pas, mais ça à l'air d'être un animal hyper cool ! Du coup, t'as des griffes, la totale et tout ?

J'effectuais tout de même une rapide recherche sur mon téléphone, avant d'oublier le nom qu'il m'avait donné. Megantereon... megantereon... Ça ne me disait absolument rien, mais l'image que je trouvais sur mon téléphone me fit penser à un smilodon, ces bêtes qu'on pouvait voir dans certains films sur la préhistoire. En gros, son alter lui permettait d'avoir les gênes d'une bête éteinte dans la nature depuis des milliers d'années. J'espérais simplement qu'à l'avenir, il n'allait pas être sujet à quelques expérimentations par des savants fous prêts à faire renaître l'espèce à laquelle il était apparenté. C'était déjà arrivé par le passé, alors j'espérais juste qu'il serai assez fort à l'avenir pour éviter de tomber dans de telles machinations.

Deux phrases. Il n’en fallut pas plus pour désarçonner Zamian, qui s’attendait sans doute à un mutisme presque total de Ryuji. Après avoir failli avaler l’eau de travers sous le coup de la surprise, il toussa et reprit ses esprits avant de céder son plat à Ryuji. Ça n’allait pas lui manquer : le tigre avait bien remarqué que la viande le dégoûtait. Sans se faire prier, il se mit à dévorer les tranches de porc qui lui avaient été ainsi offertes, non sans avoir adressé à son interlocuteur un simple « merci » avant de manger.

Lorsqu’il eut répondu à la seconde question, Ryuji laissa un instant de silence s’écouler, instant de silence pendant lequel il mangeait encore et pendant lequel Zamian faisait ses recherches sur son téléphone afin de se renseigner sur la bête. Le megantereon n’était pas le plus connu des smilodontinés, étant supplanté par… Eh bien, les smilodons, ses descendants. Le megantereon n’était certes pas tout à fait à leur mesure, il restait un tueur redoutable et efficace.

Zamian lui posa alors une question plutôt ouverte, demandant en fait les spécificités de son Alter.

En guise de réponse, Ryuji, après avoir posé le bol sur la table, sortit (ou plutôt allongea) d’un seul coup les griffes de sa main gauche, maintenant plus effrayantes qu’avant.

« Griffes, crocs, muscles, cris, vue, odorat, ouïe… Oui, j’ai tout ce dont un fauve a besoin. Se contenta-t-il de répondre. »

Bien que Ryuji ne demanda rien en retour sur l'Alter de Zamian, cela ne voulait pas dire qu'il se fichait fondamentalement de la question. Si celui-ci venait à rediriger la conversation dessus, Ryuji se révelera peut-être un peu plus curieux.

Après cela, il rétracta ses griffes et reprit tranquillement son repas, dégustant la viande qu’il tranchait et découpait aisément avec ses dents de sabre.

Il avait non seulement les outils du parfait félin, mais savait aussi très bien s’en servir, grâce à son expérience d’enfant sauvage. Pour autant, cela ne voulait en rien dire que Yuei et les héros professionnels n’avaient rien à lui apporter : en effet, il avait de nombreuses choses à travailler pour perfectionner son Alter.

Repousser sa puissance musculaire toujours plus loin, développer son endurance, affiner ses sens, augmenter le tranchant de ses griffes et de ses crocs, ainsi que leur durabilité… Ryuji était certes proche du tigre ordinaire en termes de force et de performances générales, il avait moyen d’être encore plus puissant. Qui sait, peut-être que grâce aux enseignements de Yuei, Ryuji sera un jour capable de supporter des courses-poursuites conséquentes, de surpasser la morsure d’un tyrannosaure et de soumettre des éléphants à la force de ses coups !

Mais ça, seules les épreuves qu’il traversera le confirmeront ou l’infirmeront.

Ryuji ne paraissait pas plus que cela embarrassé ou dérangé par ma présence, même si ses réponses courtes et l'absence de questions de son côté pouvait montrer le contraire. Ce tempérament taciturne que je ne comprenais que trop, même si diamétralement opposé au mien, lui allait à ravir. Il se contentait de manger, me lançant de temps à autre des regards interrogateurs. Sûrement devait-il s'attendre à ce que je prenne la fuite devant son manque de conversation, mais c'était alors bien mal me connaître.

Le jeune homme fini cependant par m'expliquer les particularités de son alter. Enfin, il n'entra pas dans les détails, se contentant d'une flopée de mots pour éviter de trop s'épandre. Mais bon, il confirma cependant avoir les aptitudes de l'animal auquel il était assimilé, et pas uniquement l'apparence comme cela pouvait être le cas de temps à autre. Les mutations physiques n'accordaient pas toujours de capacités. Après tout, mes propres cheveux roses provenaient de l'alter d'un de mes ancêtres, et j'en avais pour autant gardé aucun pouvoir particulier associés à cette couleur.

Les quelques centaines de questionnements que j'avais en tête allaient sûrement devoir passer au second plan, puisque mon jeune camarade ne semblait pas vouloir en dire plus, ou même s'épandre sur le sujet. Curieux de nature que j'étais, j'allais me renseigner de mon côté une fois au calme, pour en apprendre plus sur les particularités de l'animal avec lequel il partageait ses gênes. J'avais pour bon exemple ma tante qui, à moitié araignée, en possédait toutes les aptitudes. Du simple tissage de toile aux yeux kaléidoscopiques, elle pouvait grossièrement faire tout ce qu'avait en sa possession l'arachnide sans trop de difficulté. En allait-il de même pour Ryuji ? Ou bien alors était-il limité aux simples attributs physiques des megantereons ?

Ah c'est top comme alter ! Le mien me permet d'inverser ma position dans l'espace avec un objet que je peux voir. En gros, c'est de la téléportation, avec quelques restrictions cependant. Ce qui le rend plus difficilement maniable en plein combat, même si ça m'apporte quelques avantages au final. Mais bien moins que tes crocs et tes griffes, j'imagine. Enfin, du moins pour la force de frappe.

Expliquer mon alter me donnait tout le temps l'impression d'exposer une partie de moi à l'inconnu. Comme si je me retrouvais soudainement nu mon interlocuteur – je n'ai aucun problème avec mon corps, mais l'exhibitionnisme a ses limites tout de même – et que ce-dernier pouvait alors entendre la moindre de mes pensées impures. Peut-être que ça faisait le même effet à tout le monde ? J'avais jamais eu l'occasion d'en parler à d'autres personnes, ce sentiment bien trop intime pour être partagé avec quelqu'un en qui je n'avais pas une entière confiance.

Il fallait bien le reconnaître, Wormhole n'avait de toute façon rien d'impressionnant ou sortant de l'ordinaire. Une banale téléportation, bien loin des impressionnants gigantismes ou autres mutations élémentaires fascinantes. Par ses limites et ses contraintes, il m'empêchait en plus de l'utiliser à son plein potentiel, rendant caduque une échappatoire rapide en pleine action ou un sauvetage d'envergure. Autant dire qu'il me servait uniquement dans des situations bien précises, là où des héros aux pouvoirs dantesques auraient été bien plus précieux. Ryuji, avec son physique et ses capacités, risquait de devenir l'un de ces héros, apprécié du public pour son apparence et craint des vilains pour sa force et son ardeur. C'était tout ce que je lui souhaitais, même si une pointe malsaine de jalousie s'immisçait dans mes pensées aussitôt que cette idée effleurait mon esprit.

Les mots échangés, dans leur longueur, na faisaient que renforcer la différence de caractère des deux interlocuteurs. Zamian ne semblait clairement pas en démordre pour faire parler Ryuji, et il dirigea la conversation de manière à la continuer.

L’étudiant aux cheveux roses semblait admiratif envers l’Alter de Ryuji. Cela se comprenait : il disposait de la panoplie d’une bête tueuse de la préhistoire, qui était plus effrayante que n’importe quel tigre ou lion moderne. Force était de constater qu’en des millions d’années d’évolution, la nature concevait des animaux certes toujours efficaces, mais beaucoup moins terrifiants et dévastateurs qu’autrefois. Comparés aux dinosaures carnivores et aux mammifères de la préhistoire, nos carnivores modernes semblent bien gentillets. En effet, nul crocodile moderne ne saurait soutenir la comparaison face à un deinosuchus ou un spinosaure ; les ours bruns modernes semblent quelques peu dépassés par les ours à face courte ; nos lions actuels palissent en comparaison de leurs cousins américains disparus Et que dire du grand requin blanc, terreur de l’océan qui devient insignifiant une fois mis à côté d’un mégalodon !

Était-ce pour autant synonyme de « médiocrité » ? Aucunement. Certains de ces caïds de la préhistoire ont disparu de la scène justement car ils étaient beaucoup trop grands et imposants pour leur propre bien. Les dinosaures géants tels que les sauropodes ou les grands théropodes… Ils ont disparus car leur trop grande taille leur a été fatale suite à l’extinction du Crétacé supérieur, et ce au profit de petits mammifères beaucoup moins impactés. Il en fut de même au Permien supérieur, qui vit l’extinction de masse la plus meurtrière de l’histoire de la Terre décimer les gorgonopsiens, reptiles mammaliens à dents de sabre, et de très nombreuses autres familles d’animaux pour céder la place à de minuscules survivants. Enfin, la taille immense du mégalodon scella son destin, car il fut privé de ses proies ; tout ça au profit de prédateurs plus petits et adaptés.

Réflexions sur la faune préhistorique à part, Ryuji écouta Zamian présenter son Alter. Ryuji avait présenté le sien, son camarade en faisait de même ; c’était de bonne guerre.

L’étudiant aux cheveux roses dit alors quelque chose qui interpela Ryuji :



Le jeune tigre, après avoir fini ses morceaux de viande, répondit.

« J’ai peut-être ces armes… Mais toi, tu as un effet de surprise qui compense largement la force de frappe. Fit-il. »

Pour être plus juste, Ryuji est capable, lui aussi, de jouer sur l’effet de surprise. Toutefois, il y a de nombreux paramètres qui doivent être respectés pour cela. Position, bruit, sens du vent… Ryuji devait tout planifier et se préparer à l’avance pour surprendre son ennemi, ou tout du moins improviser mais en se basant sur son environnement. Quant à Zamian, il pouvait bénéficier d’un effet de surprise… Quasiment à volonté. Même en pleine nature : des pierres pouvaient largement faire l’affaire.

Après avoir ingurgité quelques portions de riz, il clarifia également autre chose avant de reprendre son repas.

« Et crois le ou non… Mais je ne me sers de mes crocs que pour manger. Avoua-t-il le plus franchement du monde. »

Qui l’eut cru ? Qui croirait qu’un individu disposant d’un Alter de tigre à dents de sabre s’interdirait justement… Ces dents de sabre ? Il fallait dire que Ryuji ne se faisait lui-même pas confiance, de ce point de vue là. Pas si longtemps après sa réintégration au monde des humains, Ryuji s’était défendu face à un enfant qui l’embêtait… Et il avait fait usage de ses crocs, ce qui avait eu des conséquences fâcheuses. Heureusement, le garçon s’en était sorti, mais Ryuji fut marqué par la dangerosité de ses propres armes. Ainsi, il s’était interdit l’usage de ses dents de sabre autrement que pour se nourrir.

Mais sur le chemin du perfectionnement de l’Alter, il y a des paroles sur lesquelles on se doit de revenir, en fonction des gens. Et dans le cas de Ryuji, il allait devoir briser ce credo, pour des raisons évidentes.

Qu’est-ce que sa mère tigresse penserait de cette décision ?

Regardant derrière l'épaule de Ryuji, j'avais vue sur une fenêtre qui donnait sur la cours extérieure de l'école. Quelques élèves s'y étaient agglutinés pendant la pause déjeuner, ignorant les plats souvent peu ragoûtants qu'on pouvait nous servir en cantine. Vu les frais de scolarité et les diverses infrastructures de l'école, ma mère trouvait ça un peu osé que l'on puisse nous servir une nourriture d'une qualité si moyenne. Elle avait sûrement raison, mais je m'étais finalement habitué au goût. Et puis Lunch Rush, le héros cuisinier qui officiait au restaurant de l'école était capable de rendre comestible même les pires aliments qu'on lui livrait. Et lorsque le menu ne me convenait vraiment pas, je pouvais toujours aller piocher dans les réserves que je cachais sous mon lit, des sucreries bien à l'abri des mains indiscrètes de mes camarades de dortoir.

Mes digressions sur la nourriture faites, je revenais calmement à la contemplation de l'adolescent-fauve, qui s'acharnait à déchiqueter la viande que je lui avais offert bien généreusement. Un garçon bien singulier, ce Ryuji, un doux mélange entre l'intriguant et le menaçant. Je ne savais pas trop sur quel pied danser avec lui, ayant peur d'une morsure mal placée à tout moment. Mais, au final, il ne me semblait pas être particulièrement agressif, même si je n'avais aucune envie de devoir lui faire face sur un quelconque terrain d'entraînement. Sûrement, aurais-je fini avec un trou dans le bide ou le visage lacéré par ses griffes aiguisées.

J’ai peut-être ces armes… Mais toi, tu as un effet de surprise qui compense largement la force de frappe.

Un effet de surprise dont j'avais du mal à tirer avantage. À partir du moment où mon adversaire commençait à comprendre les tenants et aboutissants de mon alter, il était alors facile d'anticiper mes déplacements. Lors des tests à l'école, je m'étais ridiculisé face à un élève qui avait réussi à détruire tous les objets dépassant les deux kilogrammes, rendant totalement impossibles mes téléportations. Je m'étais donc retrouvé démuni et sans moyen de me défendre. C'est d'ailleurs suite à ça que j'avais demandé à un élève de la filière assistance de me créer des tonfas de deux kilos chacune, qui depuis m'accompagnaient à chacun de mes déplacements.

Et crois le ou non… Mais je ne me sers de mes crocs que pour manger.

Une bien dommageable condition, puisqu'elle le privait clairement d'une partie importante de ses pouvoirs. Une mâchoire comme la sienne pouvait clairement s'attaquer à la chair humaine, voir peut-être broyer des os. Avec la pression, Ryuji pouvait certainement croquer un vilain et l'empêcher de bouger, tout en lui provoquant une douleur atroce. Mais peut-être était-ce justement là le problème ? Sûrement que blesser dangereusement une autre personne le mettait face à un conflit moral. Heureusement, je n'avais pas les mêmes préoccupations, puisque je n'exécrais pas particulièrement la violence ni même n'était dérangé par le fait de blesser un vilain si jamais il le méritait.

C'est dommage ! Tu gâches un potentiel énorme de ton alter en te servant pas de ta mâchoire !

Juste exposer le fond de ma pensée sans filtre, comme j'avais l'habitude de le faire. Un franc-parlé qu'on me targuait d'avoir bien trop dévellopé au fil des ans. Et la vie dans la grande ville n'allait sûrement rien arranger !

Et sinon, j'ai peut-être l'effet de surprise de mon côté, mais mon alter est facilement gérable quand on le comprend. Et surtout, il n'augmente en rien mes capacités offensives, ce qui fait que pour appréhender des vilains, ça peut être compliqué ! Mais bon, on en est pas encore là hein.

Ryuji ne manqua pas, lui aussi, de voir qu’une masse d’élèves était agglutinée devant le réfectoire, comme tous les jours. Pour autant, le bruit ambiant lui était toujours difficilement supportable. Ainsi, il avait les oreilles baissées et rabattues, ce qui ne l’empêchait pas d’écouter Zamian. On pourrait croire, au vu de la position de ses oreilles, qu’il était triste, apeuré ou timide ; mais en réalité, il ne faisait qu’atténuer le bruit qui lui parvenait. Et ce, en continuant de manger.

Quand notre tigre parla de la seule situation où il se servait de sa morsure, Zamian répondit quelque chose que beaucoup de gens diraient également : c’est dommage. Et dans les faits, même si Ryuji voulait devenir plus réputé pour l’acuité de ses sens que pour le tranchant de ses crocs, oui, c’était un véritable gâchis de potentiel, même si Ryuji semblait s’être fait à l’idée qu’il allait devoir utiliser la totalité de son Alter, y compris ses armes les plus meurtrières. Et même si il ne les utilisait que pour manger, il essayait d’adapter ses repas afin de toujours entretenir la puissance de ses mâchoires.

En effet, la viande à point ou saignante valait davantage pour les parents Ichihyo que pour Ryuji, qui, lui, mangeait plus souvent de la viande bleue ; il arrivait même parfois qu’il mangeait la viande crue, telle qu’achetée au supermarché. Cela peut paraître écœurant, mais il devait se livrer à cet exercice afin de ne pas « ramollir » ses muscles maxillaires. De plus, son système digestif tolère très bien cet état de viande, et la nostalgie l’envahissait à ce moment là. Ça lui rappelait les fois où il apprenait à chasser avec la tigresse qui l’avait élevé en Inde.

Toujours était-il que ça ne changeait rien au fait que Ryuji n’avait pas encore l’intention de mordre un autre être humain.

« … Un jour, j’ai sérieusement blessé quelqu’un avec mes crocs, sans le vouloir… J’ai bien failli le tuer. Répliqua simplement Ryuji. »

C’était sans doute un peu bête de sa part de totalement mettre sous clé son meilleur atout avec ce contexte ; il n’était qu’un enfant, il ne savait pas ce qu’il faisait, il n’avait aucune idée de sa force… Mais à un âge pareil, il était bien aisé d’être traumatisé par un évènement violent qui nous dépasse. Même si Ryuji avait fini par rationaliser avec le temps, la sensation extrêmement négative et pleine de crainte qu’il avait éprouvé s’était ancrée en lui.

Quant à Zamian, il ressassa le manque de force de son Alter, et évoqua le fait qu’il pouvait être prévisible à la longue. C’était bien vrai… Ainsi, Ryuji n’eut pas grand-chose à redire dessus. Si ce n’était une réplique qui valait tout aussi bien pour lui.

« … Avec l’entraînement des profs… Tu trouveras certainement beaucoup d’autres avantages à ton Alter. Dit-il dans une maigre tentative de relativiser.»

Au fond, Ryuji savait pertinemment que Shota Aizawa ou n’importe quel autre professeur le forcerait, à un moment ou à un autre, à mordre à pleines dents. Une chose était sûre : il allait devoir énormément s’entraîner à contrôler la force de sa morsure. Car même si il avait stabilisé la puissance de ses muscles cervicaux et maxillaires… Il n’avait toujours pas appris à la dompter.