Sho Kisetsu - Sunshine [Terminée]

— Sho ? C'est toi ? Il est tard, tu devrais dormir.
— Je sais grand-ma, mais je n'arrive pas à trouver le sommeil…
— Eh bah ça, c'est une première !

Installé sous le porche, je peux entendre le ricanement de ma grand-mère résonner dans l'obscurité de la nuit. Je crois que c'est ce qui va me manquer le plus, ça et grand-père qui râle tout le temps. Tout se bouscule en ce moment, alors que tout paraissait limpide pour moi il y a encore quelques semaines. Travailler dur, passer l'examen de Yuei et retrouver mon ami. Simple comme plan. Au lieu de ça ? Je pouvais très bien me retrouver à Shiketsu, tout ça à cause de mon père. Peut-être pas... impossible de le dire, sauf que j'ai l'étrange impression que ça me suivra où que j'aille.
Gentils ou méchants, voilà les deux catégories qui divisent le monde. Seulement, qui décide de ce qui est héroïque ou non ? Pour la plupart des gens ce sont nos actions, mais pour le reste c'est notre passé. Un vilain ne pourrait-il pas se repentir ? Choisir le bien plutôt que le mal ? Je me voile la face, je sais, jamais mon père ne regrettera ce qu'il a fait, ni à moi, ni à ma mère et je me demande s'il en a seulement conscience.
Devil Road, un nom évocateur qui faisait référence au redoutable Alter de mon père. Capable de se propulser à l'aide de flammes, il pouvait atteindre des vitesses qui égalaient les plus grands héros. Offrant ainsi une force dévastatrice à l'impact. Derrière lui il laissait un sillage de flammes, héritant ainsi du surnom de Devil Road. Mon grand-père m'a dit qu'il n'a pas toujours été ainsi, qu'il avait même été à Yuei. Sauf qu'il a préféré une voie bien différente quand on lui en a laissé le choix, tournant le dos à ses amis et la meilleure académie du Japon.
Finalement arrêté dans sa ruée destructrice et envoyé en prison, il aura eu le temps de faire beaucoup de dégâts sur son passage. C'est un vilain ça ne fait aucun doute et je ne pense pas qu'il pourrait un jour se repentir. Depuis que j'ai appris la vérité sur mon père je condamne fermement ses exactions… en vain, le nom des Itazaru sera à jamais associé au Devil Road. C'est pour cette raison que j'ai hérité du nom de ma mère, Kisetsu. Hélas probablement insuffisant pour m'ouvrir les portes de Yuei.
Seasons, le surnom de ma mère, faisait à la fois référence à l'illustre nom de sa famille, mais aussi à son Alter. Capable de changer la météo, elle pouvait faire tomber la neige comme faire briller le soleil. C'est certainement grâce à elle que j'ai hérité de cet Alter si particulier. Gentille, attentionnée et toujours forte malgré les circonstances, rien ni personne ne semblait pouvoir atteindre la joie de vivre de ma mère. Puis mon père s'est fait arrêter, il a d'ailleurs frôlé la mort en refusant de s'avouer vaincu. Un coup dur pour ma mère qui avait défendu son époux contre vents et marées. Une attitude qui a causé sa mort quand l'une des victimes du Devil Road a décidé de réclamer vengeance.
Âgé de sept ans au moment des faits, je n'ai même pas eu le temps de fêter mon anniversaire avec mes amis. Au lieu d'une fête, je me suis retrouvé dans un avion pour rejoindre la maison de mes grands-parents. Le positif dans tout ça, c'est que là où j'atterrissais tout le monde se fichait bien des Héros ou des Vilains. Un autre dommage collatéral des choix de mon père, mes grands-parents maternels avaient choisi de s'isoler et couper toutes relations. La dernière fois que je les avais vu je n'avais même pas deux ans, j'ai passé plusieurs heures en avion avec la boule au ventre.
La vie que j'avais, mes amis, mon école et même ma famille, tout avait soudainement volé en éclats sans que je ne puisse rien faire. Je n'avais que sept ans, qu'est-ce que j'aurais pu faire ? Et pourtant je m'en suis voulu et je m'en veux toujours. Tout est plus calme aujourd'hui, notamment grâce au soutien indéfectible de mes grands-parents. Heureux de me retrouver, mon arrivée sur Okinawa s'est vite transformée en déluge de larmes. Un mélange de joie et de tristesse pour moi, mais leur gentillesse m'a tout de suite mis à l'aise et j'ai vite trouvé ma place.
Kumejima était une petite île au large d'Okinawa, un endroit calme et idyllique, parfait pour se ressourcer et se retrouver. Je ne pensais pas en avoir autant besoin, cependant ce fut une véritable renaissance pour moi. Bien sûr je garde encore les stigmates des exactions de mon père, le souvenir de ma mère où la promesse que j'ai fait à mon meilleur ami. La vie paisible sur Kumejima m'a permis de relativiser, tirer le positif même dans le négatif. Un gros travail sur moi-même qui a pris du temps et qui m'a demandé de nombreux efforts.
Tout comme ma mère, grand-ma avait un Alter lié à la météo : elle était capable de créer de petits nuages qui partageaient les mêmes caractéristiques que les vrais. Pluie, éclairs et j'en passe et même si ce n'était que de petits nuages, ça lui était très utile dans la vie de tous les jours. Grand-pa lui n'avait pas non plus un puissant Alter, il pouvait néanmoins accélérer la pousse des plantes. Là aussi très utile dans la vie de tous les jours. C'était d'ailleurs là l'essentiel pour eux qui avaient choisi de vivre dans une petite communauté.
Évoluer en autarcie demande des sacrifices, comme se passer de technologies récentes ou les grands magasins pleins à ras bord de denrées alimentaires. Nul besoin de tout ça quand mon grand-père faisait pousser les graines, alors que ma grand-mère s'occupait de la météo. Le reste de la communauté aussi avait son utilité, chacun avait un rôle à jouer… sauf moi. Tout ce que je pouvais faire c'est apprendre de cette grande expérience, mais là aussi tout était plus compliqué.
Au total nous étions trois enfants parmi lesquels j'étais le plus jeune. Les cours étaient donc difficiles pour moi, mais après un temps d'adaptation et un peu d'aide je me suis mis au niveau. Le cursus n'était pas très orthodoxe, cependant il avait une valeur tout à fait légitime. C'est d'ailleurs dans un collège tout ce qu'il y a de plus normal, sur Okinawa, que je passais mes examens. Tout avait été prévu pour que je m'adapte facilement et en même temps, ça ne changeait rien aux habitudes de mes grands-parents et de la communauté.
La vie sur Kumejima était… indescriptible. Peu importe ce que vous faites, rien ne ressemble à une corvée et tout se déroule dans la bonne humeur. C'est peut-être la météo, les habitants ou le cadre paradisiaque, mais je me sentais à ma place dans cet endroit. Tout n'était pas toujours rose bien sûr et il y avait des jours sans, sauf que la plupart du temps on trouvait toujours le moyen de finir sur une note positive. Le problème c'est que j'avais pris goût à ce rythme si particulier, si je ne dormais pas, je mangeais et sinon je lézardais au soleil. Les cours, les corvées, pour moi rien n'y changeait, la vie c'était comme des éternelles vacances.
Faut-il être fou pour renoncer à cette vie ? Peut-être… mais j'avais fait une promesse à mon meilleur ami ! Le jour de mon départ on s'est promis qu'un jour on se re et ce jour-là ce sera à l'Académie Yuei. En cours de route j'avais eu quelques couacs, mais Shiketsu ça ne serait pas si terrible. Rappelons que c'est quand même la seconde meilleure académie de héros, rien que ça. Grands rivaux de Yuei, j'aurais donc tout le loisir de croiser mon meilleur ami… lequel allait peut-être m'en vouloir, cause de mes récentes insomnies.
Plus la date de mon départ approchait et moins je trouvais le sommeil – fait assez rare pour être signalé. Grand-pa me répétait toujours "Pfeuh ! Si tu es un vrai héros, alors peu importe là où tu vas, ce qui compte c'est ce que tu as là-dedans et là-dedans" en désignant le cœur et la tête. Il avait raison et je le savais, cependant je ne pouvais m'empêcher de douter. Tout le monde dans la communauté était impressionné par mon Alter qu'ils décrivaient comme puissant. Seulement moi je n'avais jamais combattu et un héros qui ne combat pas… on en n'a encore jamais vu. Pourtant je tenais à devenir un héros, ironique ? Mais pas impossible !
Tous les jours de nouveaux héros apparaissent et ils sont tous différents. Pourquoi pas moi ? Entre deux siestes et après un bon encas je suis plutôt efficace ! Bon je ne maîtrise pas ma force et c'est vrai que je balance des rafales solaires n'importe comment… mais je vais à l'académie pour apprendre tout ça et bien plus encore. Yuei, Shiketsu, tout ce qui compte c'est ce qu'on fait du savoir que l'on nous prodigue. Peu importe que je ne devienne pas le plus grand héros de tous les temps, tant que je peux être un héros avec mon meilleur ami et ce jour, je pourrais faire la paix avec mon passé et tracer ma propre route.

PS : Au fait, moi c'est Shoda Kisetsu ! Enfin appelez moi Sho, c'est comme ça que tous mes amis m'appellent.