Banquet royal [PV Satoru]

Banquet royal

Ft : Tadao Kobayashi

Mon travail m’absorbait tellement ces derniers temps que j’en oubliais parfois que ma vie n’était pas censée se résumer à gagner des sous et envoyer quelques criminels chez le dentiste. Il devait être 18 heures quand Nakajima, un vieux pote de lycée, m’invita à le rejoindre pour un apéro chez lui avec vue sur la baie.

C’était sympa, rien d’incroyable non plus, mais ce fut l’occasion de revoir plusieurs vielles connaissances. Les discussions tournaient autour de  famille, de carrière et de mariage… j'écoutais sagement. J’esquivais les questions indiscrètes à base de traits d’humour et terminais la soirée en jouant avec la guitare de Nakajima qui fut très aimable et me laissa à ma cacophonie.

C’est comme ça que je me retrouvais à parcourir les rues de Hosu à 22h47, l’air frais de la nuit m’aida à me détendre et à rouvrir mes portes, j’avais bien faillit crever d’ennuis! Motivé par l’idée d’admirer la baie de Tokyo, je m’engageai dans quelques ruelles, la rive se trouvait à un peu plus de deux kilomètres, parfait pour se détendre les pattes.

Bien que je ne sois pas sorti pour jouer les vigilants, je portais néanmoins tout mon équipement, à l'exception de mon foulard. La présence des gants en kevlar était facilement expliquée par celle de mon casque de moto, accroché sur le dessus de mon sac à dos et mon pull avait le bénéfice de n’avoir l’air de rien d’autre que d’un vulgaire pull.

Chaque pas me rapprochait de plus en plus de la forte odeur de viande roussi qui flottait dans la brise. Ce n’était certainement pas du bœuf ou du poulet, on aurait presque dit du rat… peut être du chien? Le fumé se révéla provenir d’une ruelle perpendiculaire à celle que j’avais emprunté, le spectacle qui se révéla devant mes yeux était assez… surprenant? Au-delà du corps sans vie qui gisait parmi les détritus, un homme sorti tout droit d’une pièce de théâtre se faisait cuire des brochettes sur un baril.

Passer mon chemin eu sans doute été une décision plus raisonnable, c’est pourquoi je m’engageai dans la ruelle mal éclairée, tout mes sens tendu vers l’étrange personnage. Il sentait le sang, le souffre et ce que qualifierait comme une odeur de nuage d’orage. Il paraissait calme, fait confirmé par sa respiration posée et par les battements réguliers de son cœur. J’en déduis que l’odeur métallique provenait du gars derrière lui qui n’avait de son côté ni pouls ni souffle.


J’étais encore suffisamment loin pour ne pas représenter une menace et tâchait de m’approcher avec la démarche la plus sympathique possible, pointant le cadavre du bout de mon index droit.

   

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Ft : Tadao Kobayashi

Le dîner du cadavre? Voilà une situation quelque peu morbide…  L’étrange personnage ne semblait guère dérangé par ma présence, je continuai donc de m'approcher jusqu’à ce que mon visage soit baigné par la faible lueur des flammes. Le pauvre mort avait vraisemblablement été victime d’un crime aléatoirement commis par un homme un peu dérangé. Est-ce-que c’était grave? Eh, cela devait l’être pour quelqu’un.

La ruelle grouillait de vie. Attirés par la promesse d’un bon repas, des dizaines de petits yeux dilatés attendaient patiemment que nous nous en aillions, emportant les flammes loins du tas de chair et d’os.


J’avais beau être en présence d’un homme qui venait d’avouer un crime de sang froid, je m’étais vite mis à divaguer, si bien qu’il me fallut une petite seconde pour comprendre que l’on m’offrait de partager le contenu de la bouteille douteuse. Je la saisit machinalement et tendis mon odorat par réflexe histoire d’en découvrir le contenu… du gin… ouais pourquoi pas.


L’homme connaissait déjà mon visage, à ce niveau je pouvais tout aussi bien lui donner mon prénom. Il s'alluma une clope du bout de l’index, tandis que j’essuyai le goulot à l’aide de mon t-shirt. La couleur de la flamme et le puissant parfum qui en aimana ne laissa aucun doute quant à l’origine de l’excessive présence de soufre sur le dit Tadao.

Malgré sa connotation comme “odeur d'œuf pourri”, j’aime bien cette odeur! Elle me rappelle les sources d’eau chaude que nous visitions en famille quand j’étais gamin.


J’avais fini par répondre posément avant de prendre une gorgée du liquide et rendre le contenant à son nouveau propriétaire.

Je bois plus pour l’aspect social que par plaisir, l’alcool ne m’apporte rien que je ne puisse obtenir avec mon alter, je dirais même qu’il me vole un peu de ce précieux contrôle que je chéris tant.

Au-dessus des braises, les morceaux de viande ne ressemblaient à rien d’autres qu'à des morceaux…. de viande. Bobochti devait être un excellent boucher de son vivant, régulateur de la vermine des bas fonds de Hosu. Il ne sera pas oublié.


Un dernier regard vers le corps et j’étais à nouveau plongé dans mes pensées. Il n’avait vraisemblablement pas lavé ses vêtements depuis plus d’une lune, le rictus qui déformait son visage permettait de voir l’état déplorable des quelques dents qui lui restaient, le cartilage déformé de son nez suggérait qu’il avait éventuellement survécu à de multiples assauts avant d’en arriver là. Il avait tout d’un être abandonné par la société, pourtant… Les clochards vivaient généralement en groupe et je doutais que celui-ci fasse exception à la règle. Y-avait-il quelqu’un d’autre dans le coin? J’avais beau écouter et humer l’air, nul humain ne semblait occuper la ruelle.


Ajoutais-je à tout hasard.
 

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Ft : Tadao Kobayashi

Laisser les chats festoyer sur le meurtrier de leur congénère, l’idée était marrante. Etait-ce pour cela que nous ne mangions que des herbivores? Histoire de ne pas finir dans le ventre des descendants de notre propre dîner? Finir en bouffe pour poisson ne me dérangerait pas particulièrement, peut-être devrais-je dès lors me trimballer un petit papier indiquant “en cas de décès, veuillez jeter ce qu’il reste à la flotte”.


Tadao avait prononcé ces mots avec une telle sagesse qu’ils ne pouvaient être que pleins de vérité, pourtant, le geste qui accompagna ces paroles semblaient plus suggérer un conflit qu’un cycle, deux éléments ayant la même origine mais dont les objectifs seraient opposés.

La fin de Bobochti au milieu des ordures étant une fatalité, notre rencontre avec un groupe de clochards était-elle aussi une fatalité?

Je ne rabattis pas ma capuche sur mon visage mais restai aux aguets, le cuisinier improvisé n’allait vraisemblablement pas crier “à l'assassin, au meurtrier” (pour des raisons plutôt évidentes), mais avec ma gueule recousue, il suffirait d’un rapide coup d’oeil pour qu’un clodo se précipite jusqu’aux autorités, me foutre sur le dos un crime dont j’étais certes le témoin mais guère l'auteur.


Je ne sais pas si mon délire de clodo avait à voir avec un quelconque destin… En revanche, cette offre, je l’avais vue venir de loin. J’avais donc déjà accepté que j’allais finir cette soirée avec trois paquets de biscuits apéro et un steak de chat dans l'estomac.



Sur le gril improvisé, la viande commençait à tourner au noir. Franchement, entre cancer et verres je choisissais le cancer sans hésitation. C’est pas comme si je m’attendais à vivre suffisamment vieux pour en mourir de toute façon.


Même si la balafre qui me décorait la face était la trace la plus visible de mes “expériences à deux doigts de la mort”, elle n’était nullement la seule. Au fil des années, mon épiderme était devenu une vraie carte en relief, décrivant non pas des lieux dans l’espace mais des événements dans le temps. Tant de crevasses et de vallons, me rappelant chaque jour que mon passé n’était pas juste un mauvais rêve.


Puis ce que nous allions passer à table, j’avais entrepris de retirer mes gants. J’en profitais donc pour joindre les gestes à la parole et tapotais clairement mon sourcil gauche du flanc de mon index droit.

En y repensant, cette question n’était pas forcément très maligne. Il se pouvait que le pauvre bougre ait simplement perdu l’usage de son œil gauche à la naissance. Une possible conséquence de la toxoplasmose par exemple, maladie que sa mère aurait peut-être contractée en … je sais pas … mangeant du chat un peu cru alors qu’elle se trouvait enceinte du petit Tadao?
 

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Ft : Tadao Kobayashi

Cet instant philosophique avec un chat grillé, un cadavre et un assassin avait quelque chose de reposant. J’avais beau avoir pris des vacances de vigilantisme, la vie m’était retombée dessus dès que j’avais remis mon masque, peut-être le destin qui souhaitait rattraper le temps perdu?


Sous le bandeau de Tadao se cachait un œil mort, ni plus ni rien. J’avais déjà croisé une fille par le passé qui souffrait d’un handicap similaire mais elle n’utilisait pas de bandeau. Elle portait simplement une lentille de contact coloré si bien qu’il était impossible de discerner le mal fonctionnement de son globe oculaire. Paradoxalement, en cachant son œil,  l’excentrique ne faisait que rendre son absence plus visible encore et je dois dire que ce choix me plaisait. Commettre un crime à visage découvert en exposant des traits si caractéristiques était certainement osé, cela me donnait une petite idée quant au niveau de sanité du personnage.


Je n’avais pas faim et la carcasse n’était pas des plus appétissantes… Mais c’est pas bien grave, un petit coup d’alter et hop! J’avais la dalle et cette brochette bien cuite me semblait être le met le plus délicieux de tout le Japon.


Des murmures me parvinrent du fond de la ruelle, derrière Tadao. Une voix féminine chuchotait haut, plus qu’elle ne parlait bas. Le mot “Kintaro” surgit à de multiples reprises, j’en déduisis que c’était le prénom de Bobochti. Tout en croquant dans mon morceau de chat, je gardai un œil fixe dans la direction d’où provenaient les exclamations. Mon second dîner était déjà bien entamé lorsque j'ai repris la parole.


J’avais rabattu ma capuche sur mon front et continuai d’observer la ruelle, pourtant mon attention était désormais totalement tournée vers Tadao. J’étais pas encore là lorsqu’il avait tué le pauvre Kintaro, c’était donc pas vraiment ma faute. En revanche, si l’on se faisait attaquer il faudrait que je veille à ce que tout le monde s’en sorte. Une tuerie, ça attire les flics et je n’avais nullement besoin de ça pour le moment, j’avais d’autres affaires à régler avant de me retrouver en taule.
 

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Ft : Tadao Kobayashi

J’avais tout juste terminé mon morceau de chat lorsque, de derrière la pile d'ordures, avait surgi le groupe de clochards que j’avais repéré depuis plusieurs minutes déjà. La femme était en tête et s’approchait timidement alors que les deux hommes semblaient avoir plus de réticence à réduire la distance nous séparaient.


J'étais sûr qu’ils étaient sympa, certainement d’excellentes fréquentations … en temps normal. Le problème était plus l’odeur de peur qu’ils émanaient. Les bêtes effrayées peuvent se montrer extrêmement agressives et imprédictibles, aussi, je resserrai les bretelles de mon sac à dos au cas où il aurait fallu s’enfuir… ou se battre.

Tadao ne semblait pas aussi préoccupé et je dois admettre avoir eu quelques difficultés à comprendre la raison de la révérence qu’il exécuta, le nez touchant presque le sol.


Le théâtre de mon hôte du soir avait eu pour conséquence non seulement de rendre les nouveaux arrivants au moins aussi confus que je ne l’étais, mais surtout de les faire survoler du regard le cadavre qui se trouvait presque à leurs pieds.

A la vue du corps, le visage de la femme se déforma tellement qu’il me fallut me mordre les lèvres pour ne pas exploser de rire. Un Shigeru imaginaire me rebuffa instantanément: “Ri pas du malheur des autres, blah, blah, blah”

Un changement dans la luminosité ambiante attira mon attention vers le sol, une brume semblait s’élever du bitume défoncé, sa concentration plus dense au niveau des pieds de Tadao ne me laissa aucun doute quant à son origine.

Face à nous, le petit groupe était en effervescence. Des exclamations mêlées à des cris aigus venaient me casser les oreilles sans que je puisse en comprendre le sens.


Je n’avais pas de doute quant à l'issue du combat. Les deux gaillards ne semblaient pas vraiment représenter une menace quelconque et la demoiselle n’avait d’yeux que pour le beau regard vitreux du déchet qui avait récemment rejoint la décharge. En revanche, l’un deux venait de se saisir d’une arme qu’il avait déjà amenée à la hauteur de son oreille. Aussi petit qu’il soit, le téléphone qu’il tenait pouvait néanmoins ramener tout un tas de héros en moins de cinq minutes et la petite voix qui s’en échappa m'indiquait qu’il était déjà en ligne avec qui que ce soit qu’il ait décidé de joindre.


Ajoutais-je tout en reculant de plusieurs pas, prêts à faire volte-face et à prendre mes jambes à mon cou.
 

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Ft : Tadao Kobayashi

Aux premiers signes que Tadao suivait, je fis volte-face et entrepris de courir. Le fourbe ne semblait pas nourrir tant de préoccupations à mon égard car il se contenta de me dépasser ne me laissant d’autres choix que de le suivre. Nous serpentons ainsi au travers des ruelles lorsqu’un son que je ne souhaitais pas entendre me parvint de la prochaine perpendiculaire sur notre gauche. J’essayais de rattraper le borgne en trois élancés mais s’était trop tard, il s’était déjà engagé dans la rue et, le cul par terre faisait face à Crust, le héros boucliers. Contre un alter de défense, mes chances de victoire dépendent généralement de ma capacité à surprendre mon ennemi et des armes improvisées que j’arrive à mettre à ma disposition.

Aussi on peut dire que j’étais dans la merde vu que je n’avais nul effet de surprise, nulle arme, et que tout ce qui protégeait mon identité était l’ombre projetée par ma capuche sur mon visage. De toute façon, je ne sais même pas pourquoi je raconte tout ça, c’est pas comme si j’allais, un jour, m’en prendre à un héros!


Tadao s’était remis sur ses pieds et je me demandais s'il était capable de produire un rideau de fumée, comme celui qui nous avait permis de fuir… juste pour finir dans ce pétrin.

Je pouvais aussi simplement abandonner Tadao à son sort, Crust ne pouvait s’occuper que de l’un de nous à la fois et j’étais suffisamment éloigné pour pouvoir disparaître dans le dédale de rues. C’est pas comme si je connaissais vraiment le lunatique et puis il avait certainement tué Bobochti… enfin… Kintaro. Mais les choses n’étaient pas si simples. Je repensais à ceux avec qui j’avais passé la soirée et que je considérais comme mes amis. A ce moment, je les auraient tous échangés contre Tadao sans aucune hésitation. Je préférais avoir une courte vie à manger du chat et fuir les autorités que de devoir me taper ne serait-ce qu’une autre soirée à bouffer des biscuits apéro en discutant  de  famille, de carrière et de mariage.

J’allais donc tenter une petite diversion, histoire que le borgne ait peut-être le temps de penser à quelque chose de mieux.


Je suis certainement le meilleur acteur de tous les temps. J’avais ouvert toutes les portes de mon alter et avais entrepris de nourrir les émotions négatives qui entreprenaient de m’inonder. La manche gauche de mon pull relevée au-dessus de mon coude, je présentai mon avant-bras à la hauteur de mon visage. Loin d’avoir eu le temps de guérir après ma rencontre avec l’homme reptile, les marques avaient bleui voir noircis en certains points et le spectacle était certainement convaincant. Le choc émotionnel par lequel je me faisais passer était tel que mon corps fut pris de tremblement, je retenais les sanglots de mon mieux mais mes larmes rivalisaient sans difficulté avec celle du héros, s’écrasant sur le goudron sale de la rue mal éclairée.