Un phare dans la nuit [PV Ayako]

Quand les gens sont arrivés dans les bureaux, je donnais sans doute l'impression de glander sur mon ordinateur. J'avais vite prouvé mon efficacité et mon dévouement au reste de l'équipe, je ne pense pas qu'ils m'en ont voulu le moins du monde. Et surtout, j'étais en réalité occupée à lire des articles et à hésiter. Une vraie hésitation, capable de me paralyser assez longtemps pour que ce soit visible de l'extérieur, ce n'est pas commun. Je réfléchis vite, et je me décide vite. Mais là, le sujet était d'importance et le risque grand. Je ne pouvais pas me tromper. Le sujet de mes doutes ? Eh bien, maintenant que ma campagne était officiellement lancée, je découvrais les joies et devoirs de toute femme politique avant moi. Assurer sa promotion, faire passer son message au public, convaincre les votants que mes préoccupations étaient les plus importantes, et mes solutions les meilleurs. Et bien sûr, chercher du soutient.

Il était très important que je me fasse des alliés, et qu'on me voit en leur compagnie. Cela me donnerait de la visibilité. Cela m'accorderait automatiquement le soutient de tous ceux qui les soutenait eux. Et bien sûr, il y avait l'argent ou l'aide en nature. Mes vues étaient proches de celles d'un socialisme populaire, pour simplifier, et ça ne plaisait pas vraiment aux figures bien installées, conservateurs et capitalistes. Les figures vraiment influentes susceptibles d'accepter de se montrer en ma présence, et surtout avec lesquelles je voulais bien me montrer, n'étaient pas si nombreuses, donc je ne pouvais pas me permettre de cracher dans la soupe. Et parmi ces philanthropes réputés proches de la rue, et donc sensibles à mes propositions de réformes, il y avait…

Le Guide.

Le Guide était un héros, désormais. Un symbole puissant et positif, la preuve que même les défenseurs de l'ordre et des citoyens étaient derrière moi. Elle n'était pas exactement la plus célèbre d'entre eux, ce n'était pas Endeavor ou Wash, mais elle n'était pas inconnue non plus. Déjà à l'époque où elle était une vigilante, elle avait sa petite notoriété. Comme ses prédécesseurs avant elle, elle apportait son secours aux individus dans le besoin. Elle empêchait les désespérés de virer dans le crime. Elle sauvait des vies, de bien des façons. Elle était connue, et appréciée.

Et elle avait plusieurs grandes entreprises derrière elle, même si je ne comprenais pas bien pourquoi. Était-ce par pur philanthropie que tous ces grands patrons pleins de frics qui payaient mal leurs employés se décidaient soudainement à investir dans la lutte contre le crime ? Par hypocrisie ? Par conviction ? En tout cas, ils le faisaient, et avoir l'approbation du Guide c'était avoir leur approbation. Un coup de boost fantastique pour ma campagne, et une opportunité à ne pas manquer.

Mais, c'était Le Guide.

Quelqu'un habitué à frayer avec des individus peu recommandables, une habituée des déguisements et des fausses identités, quelqu'un doté d'assez de jugeote pour échapper aux autres héros et à la justice en général pendant des années. Je n'aurais normalement pas eu peur qu'elle décèle la Lady Moriarty en moi, mais elle l'avait croisée. Elles avaient croisé le fer et échangé des idées politiques. Des idées auxquelles je croyais sincèrement, qui plus est. Si quelqu'un pouvait me reconnaître, c'était elle. Et Rabbit avait prouvé que me reconnaître était parfaitement possible, aussi déplaisante que soit l'idée. Prendre contact avec Le Guide de moi-même, c'était jouer avec le feu. Un risque immense que je devais prendre, mais auquel je ne pouvais me résoudre.

Finalement, l'appât du gain fut le plus fort. Je pouvais me faire confiance, j'étais en contrôle, voilà à peu près ce que j'ai dû me dire pour enfin vaincre l'indécision. Mes doigts ont commencé à voler sur le clavier alors que je préparais le premier contact. Un simple mail, très officiel et dirigé à leur service de communication, dans lequel je me présentais – expliquant bien sûr que j'étais une femme d'affaire qui avait réussi ET une candidate à la gouvernance, donc quelqu'un qui méritait l'attention – avant de poliment exprimer mon respect et mon admiration pour Le Guide, sa lutte, ses valeurs. Et enfin, je suis arrivée au plus important, à savoir demander s'ils seraient prêts à me soutenir, et à quel prix. Tout a toujours un prix, même si ce n'est pas forcément de l'argent. Cela peut être des promesses. Des conditions. Ou une simple dette informelle qui reviendrait me hanter un jour. Cela serait à négocier.

UN PHARE DANS LA NUIT

En lisant mon courrier, je n'aurais su dire si la réponse du Guide était une bonne ou une mauvaise nouvelle. Que ce soit le Guide qui me réponde, et non l'entreprise Bishamon, en était certainement une, car j'avais désormais affaire au héros et non à l'industriel. Ce qui changeait peu de choses, mais j'espérais gagner le soutient des alliés du Guide à travers lui, des entreprises qui s'étaient rangées derrière lui pendant des années et le supportaient encore à ce jour ; des entreprises liées au Guide par principe, mais à Bishamon par contrat, ce qui est moins grandiloquent mais beaucoup plus fiable.

Ce qui était fait était fait, cependant, j'avais pris l'initiative d'aller vers le Guide et je ne pouvais plus reculer, restait à organiser un tête à tête pour définir, concrétiser – et peut-être, si nous étions particulièrement efficaces, finaliser – notre alliance. Ayant déjà rencontré le Guide en face, et échangé quelques mots avec elle – en tant que Lady Moriarty, elle ne devait donc surtout pas me reconnaître, mais moi je la connaissais – je ne doutais pas que nous trouverions à nous entendre, ce n'était qu'une formalité, mais une formalité essentielle.

Quelques allez et retours plus tard, principalement entre son secrétariat et le mien, un rendez-vous avait été posé. Il fut convenu qu'elle viendrait au QG, je jouerais donc à domicile et devait m'assurer que tout ce qu'elle verrait serait à son goût. Par chance, c'est précisément à ça que sert le QG de campagne, et tout était déjà parfaitement aménagé. Enfin, disons que nous avons des salles de réunion dédiées, proprettes et élégantes, avec un écran à la pointe de la technologie sur un mur, des chaises confortables et tout juste assez informelles pour être décontractées tout en donnant un accès facile à la table centrale. Sans compter un poster de campagne ou deux, pas plus pour ne pas rendre l'endroit oppressant, et une unique banderole rouge et or – les couleurs que j'avais choisies pour me représenter après avoir mis de côté tout ce que mes désormais concurrents avaient déjà choisi pour leurs partis. Sans compte que les couleurs m'allaient physiquement bien, reprenant mes yeux et mes cheveux.

Mais avant de s'y installer, il faudrait passer par l'espace central du QG, une vaste pièce où se retrouvaient les bénévoles pour discuter, entreposer et se répartir le matériel – les tables étaient constamment encombrées de gobelets de café, de piles de prospectus et d'affiches, de tablettes allumées ou non, de feuilles de brouillon pour préparer les plannings et les plans d'action, sans compter une quantité impressionnante de bordel plus ou moins variable et aléatoire – Ici, le bon goût n'était pas la priorité, et si une vaste baie vitrée qui donnait directement sur la rue rendait l'endroit très lumineux, les banderoles et posters à l'honneur du parti foisonnaient dans le moindre espace disponible. "Renouveau Solidaire", un nom très bidon mais qui correspondait à mes idées, et suffisamment classique pour ne pas effrayer les votants trop conservateurs ou les soutiens trop indécis. Je ne cherchais pas à faire la révolution, juste à pousser la société dans le bon sens, et le nom portait bien cette intention.

C'est là que j'attendais, vers onze heures du matin, que j'attendais l'arrivée du Guide. Je dirais bien que je m'étais mise sur mon trente-et-un pour l'occasion, mais ce serait mentir. D'une parce que je suis toujours bien habillée, avec un tailleur rouge et noir sobre et élégant, et de deux parce qu'en faire trop n'aurait servi à rien. Cela aurait fait faux, prétentieux, et ça n'aurait pas été moi. Car malgré les mensonges et les crimes que j'avais pu utiliser pour en arriver où j'étais, c'était mes véritables convictions que j'allais promouvoir aujourd'hui. C'était la véritable moi qui devait convaincre le Guide. Jamais je n'avais été aussi honnête que depuis le début de cette campagne, et c'était chaque jour un peu plus terrifiant.