Un rayon de soleil me tira d’un sommeil dans lequel je n’avais pas souvenir d’avoir sombré. Mes yeux et lèvres étaient complètement desséchés, mon crâne était lourd et ma vessie prête à craquer. Un tour par la salle de bain s’imposait. Une fois soulagé et toiletté, je pris la direction de la cuisine afin de calmer les grondements de mon estomac, j’y trouvais mon frère arqué au-dessus de son clavier. Il avait pas ses lunettes et devait se coller à l’écran pour pouvoir y voir, cette vision me tira un petit rire qui attira son attention.
Ah! Toto, comment tu te sens?
Humpf, comment je me sens? Voilà une drôle de question venant de Shigeru. Il savait très bien comment je me sentais, mieux que je ne le susse moi-même probablement. Je l’ignorai donc pour aller me chercher une bouteille d’eau glacée au frigo.
Bien dormi?
Okay, il était bizarre le père Akameshi, là! Je lui jetai un regard en coin histoire de voir ce qu’il voulait insinuer, mais il était toujours arc-bouté sur son clavier.
Tu voudras peut-être vérifier tes mails, t’avais dit attendre une réponse de tes clients australiens pour ce matin.
Ce matin? C’était pas demain matin plutôt? … Ouais, j’avais déjà compris au fonds, mais je voulais juste pas accepter l’évidence. C’était pas d’une sieste que je venais d’émerger, mais plutôt d’une longue nuit de sommeil. Une sensation glacée parcourut mon échine, je la supprimais avant qu’elle n’imbibe mon cerveau.
Tss. Tu devrais pas utiliser ton alter chez toi Toto, économise le pour les moments où tu en as réellement besoin.
Empathie extrême, hein? A ce niveau, j’avais presque l’impression qu’il pouvait lire dans mes pensées. ça ne me gênait pas vraiment, c’est pas comme si j’avais des choses à lui cacher. Mon verre d’eau à la main, j’allai m'asseoir au côté de Shigeru, laissant les horribles sensations que je réprimais jusque-là, m’envahir.
Tu devrais avaler ça.
Mon frère poussa vers moi une boîte de médicaments anti-douleur, je n’avais pas encore entrepris de me rouvrir à la nociception, voilà un homme prévoyant, c’est le moins que l’on puisse dire.
J’ai dormi combien de temps?
J’espérais qu’il me dise que je m’étais endormi juste après m’être fait charcuter, mais…
Je dirais… 9h30, t’as fais le dîner puis on a regardé un film… On a pas mal discuté de mes projets d’emménager à Tokyo. Tu te souviens?
Merde.
Non.
J’avais aucun souvenir de ça et j’étais même très surpris de découvrir qu’il prétendait venir vivre à Tokyo. Cette surprise, c’était pour lui la confirmation de mon amnésie.
Satoru, tu peux pas courir un marathon tous les jours, il faut que tu fasses une pause. On a aucune idée des conséquences de ton alter sur le long terme, cette histoire va mal se finir si tu continues comme ça.
C’est marrant ça. Shigeru savait tout aussi bien que moi que j’allais probablement pas passer la barre des trente ans, je lui avais déjà passé mon testament et on s’était mis d’accord des procédures à suivre pour essayer de cacher mon statut de hors-là-loi à nos parents. Ma mort prématurée était si bien planifiée que l’idée que je devienne un légume pour sur-usage de mon alter en devenait absolument terrifiante.
Tout était familier autour de moi, cet appartement, c’était mon cocon protecteur. Je pouvais probablement me laisser tourmenter un peu par mes petits démons, j’avais quelqu’un avec moi pour m’aider à traverser ces plaines glacées qui entouraient mon esprit.
Shigeru était de nouveau concentré sur son ordi. Il avait changé. Je savais que mon angoisse lui tordait les tripes comme si c’était la sienne, mais il restait stoïque. C’est sûrement la vie de médecin qui l’a rendu comme ça. S’il était capable de supporter les sauts d’humeur du monde entier, je pourrais peut-être faire un effort pour supporter les miens au moins.
On va pas se voiler la face, cette histoire va mal se finir quoi que je fasse.
Pas un regard.
Mais je peux faire ça si ça te fait plaisir.
Je me demande bien ce qui lui traversait la tête à ce moment-là. Déchiffrer les émotions n'avait jamais été mon fort. Son silence devait vouloir dire quelque chose... Oh et puis merde! C'est pas comme si c'était lui qui allait y passer, pas de quoi tirer la gueule comme ça.