Le soleil était sur le point de disparaitre dans le ciel et pourtant, les volets étaient fermés dans une chambre désormais sombre, filtrant à peine les fins rayons de soleil. Un téléphone vibrait depuis bien dix minutes avant qu’un homme ne grogne et semble s’extirper avec difficulté des draps légers qui cachait sa silhouette musclée. Il décrocha enfin, parlant d’un ton endormit, graveleux.
« Ouai… ? Non … Non, pourquoi ? … T’es sérieux ? Biensur que non, j’étais en train de pioncer. Hey, c’était pas à moi d’aller voir ces clowns… … … Putain. Tu m’en dois une. Tu m’en dois deux même, et j’oublierais pas. Ouai ouai, 20 minutes, okay ? … Ouai, c’est ça. »
Un bâillement tout en raccrochant… Alors qu’il y avait encore du mouvement dans le lit. La silouhette d’une femme aux yeux cheveux blanc se redressa petit à petit, au moins toute aussi crevée que l’homme… Puis une deuxième. Et une troisième. Toutes les trois tirant les draps de façon à cacher leur nudité. Oui, ce n’était personne d’autre que Dai et ses clones qui semblaient avoir passé une journée un peu mouvementée, surtout concidéré qu’il devait être … Six heures du soir ?
Ses heures de sommeilles ont toujours valsé d’un bout à l’autre du spectrum mais pour en venir à devoir dormir toute la nuit, elle a du passer une paire de nuits de folie pendant une bonne semaine. Elle pouvait se l’autoriser. Elle était une star après tout. Elle venait de sortir son premier vrai album et les ventes indiquaient fortement qu’elle allait pouvoir en préparer un deuxième bientôt. Mais pour l’instant … Boite de nuit. Alcool. Les fêtes et les excès. Le genre de « grande vie » à laquelle elle aspirait clairement. Et il semble qu’elle s’était trouvée un bel âtre pour la nuit. Ou, plutôt, la journée.
« Hmm… Laisse-moi deviner… Ils viennent de te chier gratuitement dans les bottes ? » Demanda la Dai originale en ébouriffant ses cheveux pour leur redonner cet aspect sauvage habituel, le sourire en coin, amusée de voir que ce pauvre Kentaro était encore le dindon de la farce.
L’homme se hâta, au moins un peu, à remettre ses vêtements et boucler sa ceinture. Il semblerait qu’elle appréciait voir la chanteuse visiblement de bonne humeur. Une rareté qui lui disait qu’il avait… Bien fait les choses. « Ouai… Un de nos gars devait aller négocier de la marchandise avec un fournisseur. Ce con a fait une overdose… Alors il est à l’hosto comme maintenant. Et comme je suis au courant du dossier, ils m’envoient à sa place. »
Petit à petit, la vrai Dai sortit elle aussi du lit pour enfiler quelque chose sur le dos alors que ses copies se prélassaient dans le lit, bien plus relaxe cependant. Elle aurait bien trainé dans l’appart de son amant d’un soir un peu plus longtemps mais même dans cet état de réveil difficile, la bagarreuse avait le nez pour les plans foireux et elle en avait un en tête à entendre qu’il avait tout d’un coup un rendez-vous. Si elle avait apprit quelque chose durant ses années à Tokyo, c’est que parfois, ce n’était pas une question de talent, mais une question de qui tu connais. Un fournisseur, hein ? Qu’est-ce qu’ils pourraient fournir ? Cela pourrait l’intéresser.
« Heh. On dirait que t’as besoin de back-up. T’arrive encore à marcher droit, Casanova ? En plus, si tu négocie aussi bien que tu baise ~ » Elle se moqua gentiment alors qu’elle remit ses lunettes orange, mais le Kentaro en question abandonna petit à petit son air guilleret pour reprendre un ton un peu plus sérieux alors qu’il enfilait un grand trench coat bleu.
« Hey, c’est pas moi qui a hurlé à en alerté tout le batiment. Mais je te vois venir. T’as rien à faire dans ce genre de deal. »
Elle soupira en sortant une cigarette d’un paquet qui trainait à terre. « Aw, come on, Roméo. J’ai plus d’expérience que toi là dedans, je te signale. »
« Mais c’est étrange, c’est moi qui suit dans le business, pas ton p’tit cul d’artiste à la noix. »
Elle alluma la cigarette avec un briquet, aspirant la douce nicotine dans ses poumons avant de paraitre offensée et un peu plus agressive. « Pff… Bah tu peux faire une croix sur mon p’tit cul d’artiste, si t’es pas capable de desserrer la ceinture une fois de temps en temps. Putain Kentaro, j’pensais que je pouvais compter sur toi. Fils de chien, va … »
Maintenant, le gars semblait désemparé et confus qu’elle se retourne ainsi contre lui pour visiblement très peu de raisons. « Compter sur moi ? Tu sais même pas de quoi on parle là, qu’est-ce qui te prend ? »
Et tout aussi vite, elle reprit des couleurs plus taquines en venant poser fermement ses mains sur ses épaules, par derrière, le poussant un peu vers la sortie. « Tu sais que j’aime me faire de nouveaux amis ! Aller, j’vais les détendre, les mettre dans le bain, une couche de sucre et de miel et ils vont te fondre dans les mains avec moi. T’as oublié qui j’suis ou bien ? »
« La drama queen qui vend son cul au plus offrant ? »
« Tss … Va te faire foutre. Aller, avance, Don Juan. T’as un rendez-vous. »
« Tu fais chier… Et tes clones ? »
« Mes clones vont se liquéfier dans ta baignoire. Fonce. »
… Quelques minutes plus tard, les deux acolytes se retrouvèrent en bas de la rue, dans un des bars de Yokohama. Enfin, un bar tellement flashy avec ambiance néon et une piste de dance qu’on devrait remplace le mot « bar » sur l’enseigne par « boite de nuit » ou similaire. Cet endroit avait sans doute été choisi à cause des booth VIP pour ceux qui voulaient faire la fête loin de la plèbe. En bonne party-girl, elle connaissait bien cet endroit. Probablement un de ses préféré en Yokohama. Avec sa petite notoriété, elle était devenue pote avec les serveuses, le barman, même le proprio et faisait le show lorsqu’elle passait ses soirées là.
Cependant, à… quoi ? Dix-neuf heure ? Il n’y avait pas encore foule et les quelques paumés qui étaient au bar étaient sans doute là juste pour l’alcool et pas encore pour l’énorme fiesta qui se planifiait après. Kentaro oubliait un peu son air charmeur et nonchalant pour se focaliser sur la tâche à venir alors que El Famoso A(r)my, son nom de scène, faisait sa tournée des checks ici et là, prenant les filles sous ses ailes d’un sourire gaillard et assuré, venant se servir elle-même sous le bar, venant même passer au dessus de celui-ci pour se mettre derrière. Elle était ici comme chez elle et parfois, on passait même sa musique.
« Alors les gars… J’ai entendu qu’il y avait un deal ce soir ? »
« Bah vas-y, gueule le encore plus fort pendant que t’y es… »
« Hey, on est où ici, Botan ? Tout le monde sait que c’est un nid à bonne affaire ici. Même les héros le savent. T’es pas assez con pour l’ignorer, si ? »
« Ecoute, moi j’suis là pour servir des verres et faire la causette. Je ne tiens pas l’agenda de nos clients. »
« Bullshit … C’est bien connu, y a personne qui sait mieux ce qui se passe que les barmans. Mais si tu veux rien dire, c’est rien… J’verrais bien par moi-même. Et s’ils me remballent… » Elle leva alors un doigt d’honneur vers ce Botan. « C’est eux qui perdent au change. Moi, si j’étais eux, je sauterais sur l’opportunité de deal avec une reine. »
« Toujours aussi modeste, hein ? »
« Mon chemin est pavé d’or et derrière moi, les cadavres fumant de mes ennemis jonchent le sol. Ouai, je sors le putain de vocabulaire. Ils jonchent le sol. »
Après un certain temps à supporter les lubies de la « reine », qui ne se privait pas pour déjà essayer de se rendre pompette au réveil alors que Kentaro attendait religieusement au bar, des personnes entrèrent dans le bar… Dai se pencha sur le comptoir pour les observer. Vu leur dégaine, elle jeta un petit coup d’œil au barman.
« Botan, c’est eux ? »
« … Fort probable. »
« Ah. Ils ont l’air d’avoir un balais coincé dans le cul. Comme prévus … »
Alicia transpirait à grosses gouttes. Cela faisait désormais plus d’une heure qu’elle massacrait un pauvre sac de frappe dans le petit club de boxe/musculation qu’elle avait trouvé non loin de chez elle. L’endroit était à l’image de son quartier. Terne, vétuste, à la limite de l’insalubrité, mais, au moins, elle était tranquille. Se vider la tête était devenu essentiel depuis le début de son infiltration. Elle devait néanmoins avouer… apprécier Lexie. Sans doute bien plus qu’elle ne voudrait. Mais ce n’était pas l’héritière qui décidait de sa condition, et Niel Thompson, son père, semblait avoir prit Alicia en grippe. Toutes les tâches ingrates semblaient être pour elle lorsqu’elle n’était pas à sa garde, et la pseudo-israélienne devait l’accepter sans broncher. Un faux pas, et elle risquait de trahir sa couverture ou de la compromettre au mieux, et elle ne pouvait se le permettre.
A cette heure, donc, Alicia ne frappait pas un sac de frappe. Dans sa tête, le visage de Niel Thompson y était irrémédiable accroché, et il fallait avouer qu’il était la raison de ce déchainement de violence. Heureusement pour l’équipement, l’agente du Mossad ne frappait qu’avec des gants de boxe et des chaussures classiques, lui évitant ainsi d’être partiellement détruit par des coups amplifiés par Polaris. Mais, au-delà de ce défouloir, Alicia trouvait en cet entrainement l’occasion de se vider la tête pour mieux réfléchir à la suite des évènements. Elle le savait, son infiltration risquait de durer longtemps, mais il était hors de question pour elle de stagner. Il lui fallait donc trouver un moyen d’accéder rapidement à des données en glanant la confiance de quelqu’un tout en restant discrète. Et si l’homme qui payait n’était pas à même de le faire… la patronne de la boite de sécurité le serait peut-être un peu plus.
La sonnerie de téléphone du portable d’Alicia tira cette dernière de sa rêverie. Elle interrompit ses coups, stabilisant le punching-ball, avant de se tourner vers son sac posé non loin. Elle récupéra son smartphone, se permettant un sourire avant de décrocher. Quand on parlait du loup…
« Alicia ? Tu es où là ? » La patronne de la garde du corps ne s’embarrassait généralement pas de formules de politesse.
« Euh… Chez moi ? » Mentit-elle pour écourter la conversation.
« Alors bouge-toi et prépare-toi. John a un empêchement et il était de mission ce soir. Shun et Alexander ont un truc à faire dans une boite de nuit à Yokohama pour Mr. Thompson, tu vas les accompagner. » Lança la voix impérieuse de la responsable de la sécurité.
« Ce soir ? Mais je suis de repos et je dois accompagner Madame Thompson tôt demain matin à… -» Tenta-t-elle de se justifier
« Ecoute Alicia. Jusqu’à preuve du contraire, c’est moi qui décide. Donc tu te prépares, et tu descends. Ils passent de chercher dans un quart d’heure. » Trancha la voix, avant de raccrocher.
« שובר כדור גדול. » Jura Alicia pour elle-même en levant les yeux au ciel.
Néanmoins, elle savait qu’elle n’avait pas vraiment le choix. Toujours transpirante, elle attrapa ses affaires et se rua hors de la salle pour retourner à son appartement. Deux minutes de douche et cinq minutes d’habillage plus tard, la jeune femme était tout aussi prête qu’elle pouvait l’être. Elle revêtait sa tenue traditionnelle : un débardeur blanc laissant apparaitre son nombril, une jupe-short noire lui arrivant à mi-cuisse, une lourde ceinture soutenue par une paire de bretelles foncées, et une paire de chaussures à mi-chemin entre les baskets et les chaussures militaires. La tenue était complétée par un blaser noir strict censée la rapprocher du look « professionnel » de ses confrères, et qui cachait le holster contenant son arme de poing au niveau de sa hanche gauche.
Son portable bipa un instant, témoignant de l’arrivée de ses estimés confrères, et la jeune femme descendit pour prendre place dans le range rover noir qui l’attendant dans la rue. Seule sur la banquette arrière, Alicia soupira. Les deux hommes parlaient entre euix, l’ignorant complètement, et même si Alicia tendait l’oreille pour obtenir la moindre information intéressante, force était de constater que les deux balourds n’étaient rien de plus que deux armoires à glace aux conversations dérisoires. Filles, sport, voiture, et rien.
Au bout d’un trajet qui lui parut une éternité, le SUV se gara finalement devant une boite de nuit à peine ouverte, dont les néons aguichaient l’œil même à cette heure précoce. Alexander, finalement, se retourna vers Alicia, la toisant de haut avant de daigner lui adresser la parole.
« Bon, petite. Tu te tais, tu nous suis et tu nous laisse faire. T’as pas besoin de savoir ce dont il s’agit, et vu que ton seul rôle c’est de nous couvrir, je doute que tu nous sois de toute façon d’une quelconque utilité. Tu entres, tu te places vers l’entrée, et t’attends. Compris ? » Lança-t-il.
Alicia hocha simplement la tête, préférant ne pas parler au risque de l’insulter. Souriant de toutes ses dents, le colosse lui tapota l’épaule.
« Bien, brave fille. »
En son fort intérieur, Alicia bouillonnait. Mais elle savait aussi qu’il s’agissait d’une magnifique occasion de gagner un peu plus la confiance de sa patronne, ce qui ne pouvait que lui servir. En comparaison, subir cette petite humiliation était bien peu de choses.
Alors, Alicia pénétra dans la boite de nuit quasi-vide, emboitant le pas de ses « collègues », et laissant ces derniers se diriger vers le carré VIP plus loin. Elle, elle resta de l’autre côté de la piste de danse, s’adossant au mur derrière elle, un pied en appui sur ce dernier et les bras croisés. Qui avait idée de faire affaire dans ce genre de lieu à cette heure-ci, sérieusement ?
Deux baraques et une femme étaient entrées. La femme resta à l’autre bout de la salle alors que les deux gars se dirigeaient vers le bar et comme elle y était à moitié affalée, Dai fut celle interpelée. Et pourquoi ne pas le faire ? Elle avait l’air cool, certains diraient mignonnes, d’autre encore sexy, avec son air sauvage et son sourire clairement taquin et plein de sens.
« Hey, beauté … On a réservé la 5eme VIP Room. Tu sais si quelqu’un d’autre est déjà venu pour ça ? »
Son sourire de sale gosse s’étira d’autant plus alors qu’elle baissa ses lunettes pour les regarder par-dessus, un fin gloussement s’échappant de ses lèvres. Ils la prenaient pour une serveuse ? C’était peut-être quelque chose dont elle pourrait tirer partit. D’habitude, elle monterait sur ses grands chevaux pour clamer qu’elle est bien plus qu’une employée d’un bar miteux mais lorsque c’était à son avantage, elle voulait bien changer sa casquette, de chanteuse à actrice.
« Ouai… J’ai cru entendre qu’il y avait du « serious business » dans la 5eme aujourd’hui. »
Mais à sa réponse, l’un d’eux fronça des sourcils. « Serious business, hein ? Qu’est-ce que vous avez entendu ? »
Dai haussa les épaules en se redressant, venant chercher quelques bouteilles derrière le comptoir pour les déposer devant eux, quelques verres qu'elle mettait sur un plateau, leur répondant finalement en haussant un peu les épaules.
« Aucune idée, beau gosse. C’est juste … Une tradition, presque, que la 5eme soit réservée au busyness. Enfin, vot’ gars est … » Mais en regardant dans la direction où devait se trouver Kentaro, elle découvrit qu’il avait disparut. Depuis quand ? Aucune idée, elle était trop occupée à parler avec le barman pour fliquer le bellâtre. Dai ne perdit cependant pas la face. « … Pas loin d’arriver. Je le connais, il est jamais en retard d’habitude, hehe… J’prévoyais de vous ramener ça dans le booth mais du coup, je vous sers quoi ? »
Au final, sans doute avec la promesse d’un verre offert par la maison (qu’elle payera elle-même plus tard), les deux lourdauds semblèrent d’accord pour attendre un peu. Cependant, en plus de sa curiosité, la chanteuse flairait la bonne affaire avec ces idiots alors … Même si ultimement, ce n’était pas ses affaires et que c’est Kentaro qui se prendrait la foudre s’il ratait son opportunité, cela la décevrait immensément, s’il lui faisait rater une opportunité. Après les avoir servit, Dai se glissa d’avantage vers Botan qui était occupé ailleurs pour lui chuchoter … Non sans une certaine frustration dans la voix.
« Il est partit où, l’autre con ?! »
« A l’étage. Il m’a dit qu’il avait oublié le payement. »
« Putain, t’es sérieux ? … Je serais ces mecs, je le buterais si j’apprenais ça … Envois Konoe le chercher ! »
« Konoe sert les clients. Tu connais le bâtiment, toi va le chercher… »
« … J’ai mieux à faire comme maintenant. » Elle changea de ton à sa dernière phrase, reprenant le sourire malicieux de d’habitude alors que ses yeux fixaient une brebis égarée.
Bon, en vrai, la femme avait l’air badass et capable, mais qu’est-ce qu’elle foutait à l’autre bout de la pièce ? La célébrité se doutait que le truc qui allait se produire ici était sérieux donc on pouvait imaginer que qu’elle scrutait l’endroit pour une histoire de sécurité … Mais elle serait à leur place, elle enverrait la femme au meeting, surtout avec un dragueur comme Kentaro. Il serait capable de vendre sa baraque pour une nana pareille. Mais elle supposait que seule elle savait ça … Dans tout les cas, dans l’obscurité uniquement contrée par les néons de ce bar, la rebelle apparu non loin de la lady, deux verres en mains, lui adressant un sourire en coin charmeur.
« Hey babe … J’me suis dit que tes deux potes ont reçu de quoi se rincer la gorge, alors pourquoi pas toi ? » Elle fit ensuite un petit signe de l’épaule, les mains trop occupées pour faire quoi que se soit, et recula de quelques pas pour déposer les verres sur une table juste à coté de l’entré, le genre de petite table haute qui a été faite pour se tenir debout autour et non s’asseoir. « C’est sans alcool, promis … Presque, sans alcool. Offert par la maison. ~ »
Déposant les verres sur la table, Dai s’y appuya tout en enlevant ses lunettes teinté orange, seulement pour pouvoir mordiller une des branches d’un sourire invitant. « T’as été mise au coin, ou quoi ? J’ai plus l’habitude de voir les mafieux se serrer les coudes que de laisser leur plus bel élément lentement se décomposer dans un coin de la pièce… Tu peux m’appeller A(r)my. Et toi ? c’est quoi, ton petit nom ?~ »
Un nom pas très japonais, considérant que le R était silencieux. Mais ceux qui s’intéressent un minimum à la musique doivent subitement avoir la puce à l’oreille en entendant son nom de scène.
Alicia observa en silence ses deux collègues aller au bar en levant les yeux au ciel. Décidément, les deux mastodontes cultivaient clichés sur clichés. Outre leur propension à boire au travail et surtout dans un moment pareil – ce qui en disait déjà loin – ils mataient la serveuse comme s’il ne s’agissait que d’un beau morceau de chair fraiche. Shun et Alexander avaient décidément tout pour se frotter à la vie de gangster, et cela tombait sans doute à pic. Car Alicia n’était pas dupe. Elle en savait trop sur la famille Thompson pour oublier qu’il y avait plus que de fortes chances pour que ce qui se passe ici n’ait rien de très légal. En soit, Alicia avait l’habitude de se retrouver dans ce genre de situations. C’était même son quotidien. Mais là, le poisson était trop gros pour que le contexte actuel ne présente aucun risque. Aussi, et même si elle ne les aimait pas vraiment, la belle brune veillait discrètement sur l’entrée, estimant leurs moyens de fuir ou riposter en cas de problème. Et elle espérait sincèrement, très sincèrement que ça ne soit pas le cas. Après tout, elle ne possédait pas d’alter officiellement, et se refusait à brûler si vite l’un de ses meilleurs atouts.
Néanmoins, une voix la tira rapidement de sa rêverie. Alicia releva les yeux pour se trouver face à une jeune femme au look plutôt grunge et provoquant qui la dévisageait avec un léger sourire. L’agente du Mossad infiltrée ne mit pas longtemps à reconnaitre la serveuse qui venait vers elle avec une boisson après avoir laissé les deux mastodontes au comptoir. S’ensuit ensuite un évènement assez inattendu pour la jeune femme qui perdit un instant ses moyens devant… l’attitude de l’inconnue ? Alicia avait l’habitude de subir des avances, mais il n’était pas dans sa culture de subir les avances d’une de ses consœurs. Aussi, l’attitude directe et incisive de l’inconnue la déstabilisa un instant, mais elle se reprit bien vite.
« Ecoutez. » Commença-t-elle, tâchant de paraitre aussi neutre et peu agressive que possible. « Je vous remercie, vraiment, mais je ne suis pas vraiment ici pour me détendre et me divertir, je vous laisse donc mon verre avec plaisir. »
Pour atténuer son refus, Alicia plongea son regard châtain aux reflets pourpres dans celui de l’inconnue en lui offrant un petit sourire.
« Pour ce qui est de se serrer les coudes, je crois que le côté « femme » et « petite nouvelle » ne m’aide pas vraiment à intégrer leur grande famille. » Lança-t-elle avec un soupçon de malice.
Elle donnait ainsi suffisamment d’informations sans toutefois trop en dire. La dénommée Amy n’était pas vraiment inamicale, bien qu’elle non plus ne paraisse pas vraiment japonaise. Alicia se força à se dire que son attitude entreprenante n’était pas différente de celle que certains hommes pouvaient avoir à son égard, et elle ne souhaitait surtout pas faire de vague en créant la moindre scène. Plus vite ils auraient fini, mieux ce serait.
« Emma. » Mentit-elle sans l’ombre d’une hésitation. « Vous savez s’ils en ont pour longtemps ? »
Mais avant que son interlocutrice ne puisse répondre. Un violent fracas se fit entendre, recadrant l’attention d’Alicia vers le bar. Elle écarquilla les yeux en voyant le colosse qu’était Alexander soulever de terre un inconnu dans le moindre ménagement, l’empoignant par le col. Sa réaction fut alors celle d’une agente trop habituée au contexte pour le prendre à la légère. Elle s’approcha doucement de la scène, tâchant de détecter qui seraient les alliés et qui seraient les ennemis à venir. Une chose était sûre, cependant, pour la jeune femme : son groupe était irrémédiablement en infériorité numérique. Même si elle n’avançait pas, il ne lui était pas difficile d’entendre les amabilités que son « collègue » échangeait avec l’inconnu.
« Petite merde, comment ça tu n’as pas l’argent ? Tu nous fais déplacer pour rien ? »
Hey, au moins, Dai avait reçu une réponse. En vérité, c’était préférable comme ça pour la dame en noir. La reine auto-proclamée aurait sans doute beuglé de ne pas l’ignorer. Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, tant qu’on ne l’ignore pas. Good buzz, bad buzz, tant qu’on en parle, un artiste est en vie. Donc au final, elle haussa les épaules avec un petit sourire. « A ton bon vouloir ~ »
Et sans grande hésitation, elle but cul-sec le premier verre … Suivit du deuxième, expirant avec satisfaction alors que sa gorge brulait d’une manière si unique et agréable sous l’effet de l’alcool. Après ce petit coup de jus, l’intrépide chanteuse la fixa également longuement dans les yeux. Elle mentirait sans doute si elle disait que cette dame n’était pas à son gout. Ouep. Dai était des deux bords. Il fallait croquer les plaisirs de la vie à pleine dents : pas le temps de faire la difficile lorsqu’on a 28 ans et pourtant, avoir l’impression d’avoir vécu que 5 ans. Mais plus qu’un simple « cette nana est jolie », cette Emma lui rappelait quelque chose. Quelque chose d’étrangement apaisant. Est-ce qu’elles s’étaient déjà rencontré ? Était-ce en bien ou en mal ? Quand elle était devenue une citoyenne « intègre » ou lors de ses nombreux petits crimes ? Bah. Peu d’importance au final.
« Peu importe comment tu tournes la question, ce n’est pas une bonne chose … Si tu dois bosser avec ces guignols plus d’un soir, tu devrais te faire accepter … Ou les obliger à t’accepter. » Elle ricana un peu en lui faisant un clin d’œil. « Frappe sur la table, ou dans leur dents … C’est les femmes qui ont le dernier mot, d’habitude. Les femmes fortes en tout cas. » Et son petit air taquin semblait indiquer qu’elle croyait en cette Emma pour en être une. Mais elle haussa les épaules à la dernière question. « Heh. Le types est un beau parleur, alors… »
Mais elle n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’elle du tourner la tête de manière presque désintéressé en entendant le fracas. Elle n’était pas aussi alerte qu’Emma puisque … Elle se doutait que ça allait finir comme ça. Alors elle se contenta de regarder de loin, en restant appuyée contre sa table, relaxe.
« Écoutez … Il y a eu une merde de notre côté, j’essaie juste … » Kentaro semblait essayer de garder la face en se tenant au bras musclé du type qui le soulevait mais il fut vite coupé par la grosse brute.
« C’est pas notre problème ! Si t’as rien pour nous, alors on se casse … »
Elle savait Kentaro plein de ressource, en plus d’avoir un alter qui lui permettra vite de s’échapper de ce genre de situation… Alors Dai voyait ça comme un café spectacle, attendant que l’acte se finisse et voir la conclusion. Mais l’amusement se changea petit à petit en intrigue puis, clairement, quelque chose attira le regard de l’artiste qui alla même jusqu’à saisir une branche de ses lunettes pour les baisser et regarder par-dessus.
Un petit quelque chose l’avait fait tiquer quand cette Emma passa devant elle, puis en observant mieux… Elle vit effectivement une broche attaché en guise de bouton de manchette sur leur costar cravate. Et cette broche … C’était la même … La même que les agents qui glandaient autour des affaires des Thompson. Elle avait mis leur recherche entre parenthèse pendant un petit temps pour faire son premier gros album mais… Combien d’années n’a-t-elle pas passé à regarder de loin, à fouiner, à essayer de retrouver … Les salopards qui l’ont kidnappé, l’ont arraché à une vie plus ou moins correcte. Les sans cœurs qui l’ont revendu, l’ont fait passer de mains en mains, de propriétaires à client pour que l’on profite de son corps d’une façon ou d’une autre. Elle n’avait jamais réussis à faire quoi que ce soit des quelques infos qu’elle avait glané à regarder de loin, sachant que trop bien qu’elle risquait de replonger dans cet enfer si elle agissait sans plan, sans planification, etc.
Mais eux … Ils bossaient pour les Thompson ? Peut-être était-ce une coïncidence, peut-être n’étaient-ils pas Thompson à la base mais elle devait tenter sa chance. Elle savait désormais quoi faire. Après tout …
« Putain… Dai ! Je sais que t’es pétée de thune, dépanne moi ! »
… Kentaro avait dépassé son utilité. « … Hein ? C’est à moi que tu parles ? » Elle répondit à l’autre bout de la salle, lui offrant un regard froid et sans pitié. « J’suis Amy… On s’connait pas… » En plus, il avait utilisé son vrai nom. Elle n’aurait vraiment pas dû se la jouer sentimentale avec ce loser mais au moins, elle était consciente que ça tomberait dans l’oreille d’un sourd … N’est-ce pas ?
« Merde, sale pute … »
« J’vais pas devoir te faire un cours, quand même ?! Tu peux courir pour qu’on collabore encore avec vous … Putain d’amateurs ! »
Etonnamment, la grosse brute le lâcha, presque à la déception de la cloneuse. Cela l’aurait arrangé s’il était mort désormais, le Kentaro, mais elle imaginait que c’était normal. Ils n’allaient pas faire un meurtre dans un endroit public comme ça. Pas eux, en tout cas ... Mais d’autres ? Il semblait VRAIMENT tenir à cet accord, peu importe ce que les gros bras avaient apporté en échange, alors une fois qu’on l’avait claqué sur sa chaise, au bar, et que les hommes en noir s’éloignaient… Il donna un coup de poing dans le vide mais malgré ça, l’impact se fit quand même derrière la tête du baraqué. Dai soupira et se redressa. Et voilà. Ça allait se battre. La peau de Kentaro peut faire vibrer l’air à un tel point qu’il frapper à distance rien qu’avec la force de l’air. Il peut aussi rendre l’air tranchant ou se ruer avec tout son corps pour créer pas juste un impact mais l’effet d’un boulet de canon qui ferait un trou de la taille d’un camion dans les murs.
« Vous me donnerez cette clé, que vous le voulez ou non ! »
Dai se fichait bien de ce qu’il voulait. Un clé ? USB ? Qu’importe. Elle s’approchait sans doute pour lui en coller une ou… Aucune idée, un truc qui ferait bonne impression fasse aux autres. Mais suivant le premier coup, un deuxième sortit d’un autre coup, la main ouverte vers le tranchant cette fois, sauf que sa cible avait été déstabilisée par le premier derrière sa tête, l’obligeant à se baisser pour encaisser le coup. A genoux, le tranchant d’air l’effleura à peine … Seulement pour propulser en arrière Dai qui étaient sur sa trajectoire. Fallait pas croire que le mafieux serait désolé cependant… La chanteuse finit par atterrir sur une table, la renversant, la brisant même dans un grognement de douleur alors que son sang éclaboussa contre un mur, sa veste en cuir ayant encaissé pas mal mais pas assez pour ne pas avoir une longue plaie à travers l’épaule.
« Les laissez pas sortir d’ici vivant ! »
Si les serveuses commençaient à courir vers l’arrière-boutique en hurlant, tout comme Botan, le barman, qui se planquerait bientôt sous le comptoir, un péquenaud qui buvait à une autre table et qui n’avait pas trop réagit à cette animosité ambiante se leva en sortant un couteau de sa poche … Tout comme un… Ou deux … Qui se redressaient à l’étage du dessus, l’un d’eux sautant par-dessus la rambarde qui empêche les gens de sauter du premier au zéro.
Mais alors que les termes de la baston de bar s’établissaient, On ne voyait que de Dai sa pair de jambe dépassant de la table renversée … Alors que le sang qui avait été versé commençait à se … Soulever … Prendre une forme de plus en plus humanoïde. Elle n’allait pas laisser passer l’humiliation …
Les choses s’accéléraient vite. Bien trop vite. Alicia n’avait pas eu le temps de s’approcher de ses deux camarades qu’Alexander avait lâché l’homme sur le sol. Une erreur grossière. Le gorille utilisait de vieilles méthodes de manipulation et de pression. Ces dernières avaient un siècle de retard. Si au début du XXIe siècle la stature et l’attitude de la brute auraient pu suffire à impressionner le malfrat, il n’en était plus rien dans un monde ou même un enfant de cinq ans pouvait posséder une arme aussi létale et discrète que pouvaient l’être les alters. Ainsi, cette pression s’était visiblement transformée en humiliation pour l’inconnu. L’humiliation d’avoir commis une erreur, l’humiliation d’être traité comme un être inférieur que l’on pouvait jeter sans plus de cérémonie, et qui ne valait même pas la peine d’être considéré comme une menace.
Mais pour l’heure, juste avant que la bagarre n’éclate, un autre détail avait profondément perturbé la jeune femme. Un détail qui, elle ne savait pas pourquoi, instaurait un doute dans son esprit. Le malfrat semblait… proche de celle qui l’avait interpellée. Bien sûr, voir un criminel proche d’une serveuse de discothèque n’était pas nécessairement rare, mais il semblait croire qu’elle pouvait, malgré son modeste métier, pouvoir le dépanner particulièrement facile. Dai. Ce nom faisait écho dans l’esprit de la jeune femme, mais elle ne savait pas pourquoi. Comme elle, ladite « Amy » cachait quelque chose. Mais il lui était encore trop difficile de savoir de quel côté elle se trouvait en cet instant présent.
Qu’importait, puisque tout s’enchaina rapidement. Un coup invisible confirma la théorie d’Alicia. Leur contact – et maintenant leur adversaire – était nettement moins sans défense qu’il ne semblait le suggérer. Comptant bien faire payer à Alexander sa condescendance, il avait frappé instantanément une deuxième fois. Il était suffisamment malin pour ne pas commettre l’erreur de sous-estimer le mastodonte, mais pas assez pour estimer correctement la trajectoire de son nouvel assaut. Ainsi, ce dernier, au lieu d’envoyer le garde au tapis, atteignit une cible bien involontaire. La dénommée Amy, ou Dai, fut projetée en arrière et parti s’empêtrer dans une table un peu plus loin. Alicia grimaça, mais l’heure n’était pas à la sympathie.
L’altéré qui avait été leur contact avait de la suite dans les idées. Il appela ses renforts, et, bientôt, en plus de lui, le petit groupe de gardes se retrouva encerclé par une demi-douzaine de criminels. Armés uniquement de lames courtes et de battes de baseball, ces derniers resserraient peu à peu leur rang, coupant leur retraite. Ils tenaient visiblement beaucoup à la clé promise, trop pour être raisonnés. Aussi, devant cet amer constat, et malgré la rancœur qu’elle nourrissait envers ses « confrères », Alicia se rangea à leur côté. Elle ôta d’un geste son blaser et monta sa garde. Presque ridiculement petite par rapport aux deux autres, elle fût l’espace d’un instant raillée par quelques sourires moqueurs. Ni Shun ni Alexander ne dénièrent réellement se concerner de son sort, et les deux se ruèrent à l’attaque de l’altéré et de ses deux acolytes les plus proches, laissant Alicia avec les quatre autres.
« Super. » Murmura-t-elle, ne lâchant pas ses adversaires des yeux.
Ils semblaient être des petites frappes, mais ils étaient nombreux. Et un mauvais coup était vite arrivé, d’autant que la jeune femme ne pouvait se permettre de renoncer à sa couverture de non altérée maintenant. Aussi, impossible d’utiliser son alter au maximum. Elle devait doser, rendre ça le plus discret possible sans trop se fatiguer. Elle n’était cependant pas que désavantagée. L’effet de surprise dont elle bénéficierait serait sans doute renforcé par le fait que ses ennemis la sous-estimaient visiblement grandement. Frapper fort, neutraliser vite. Il n’y avait pas de place pour les combats à rallonge ici. Testant son alter, elle fit quelques petits sauts pour rééprouver le poids de ses bottes en métal, et décontracta ses bras. Elle le sentait. Le métal familier qu’elle portait et qui l’accompagnait partout. Elle n’avait plus qu’à légèrement augmenter sa cinétique pour amplifier ses coups et sa vitesse.
Le premier se jeta sur elle, pointe du couteau en avant. Utilisant une technique de Krav Maga, Alicia ne le contra qu’au dernier moment en avançant brutalement vers lui. Le couteau longea sa hanche alors que la jeune agente armait un coup de poing qu’elle envoya directement au visage de son ennemi. Ce dernier, emporté par son élan, ne put même pas ne serait qu’essayer d’esquiver la frappe. Le poing métallique de la jeune femme le percuta de plein fouet, brisant son nez, quelques dents et sa mâchoire au passage. Alicia grimaça elle aussi, ressentant douloureusement l’impact amplifié dans son bras et son poignet. Elle avait l’habitude, mais devait bien avouer qu’utiliser ses jambes pour ce genre de combat était bien plus pratique.
Cependant, vu l’état de leur compère, les autres agresseurs semblaient s’être arrêtés. Alicia ne fut soulagée qu’une seconde. Si elle avait crû pendant ce très court laps de temps que sa prestation à elle seule avait dissuadé ses ennemis de continuer – ils n’étaient après tout que de petites frappes -, elle comprit bien vite qu’elle n’était pas vraiment à l’origine de cet arrêt soudain. Suivant leur regard, elle repéra alors le point de chute du malheureux qui l’avait attaqué et qui avait atterrit non loin de la « serveuse », première à avoir été éjectée du combat. Mais c’était plus la position de cette dernière qui intéressait Alicia que le sort de celui qu’elle avait mit hors d’état de nuire.
Tous les altérés ne possédaient pas d’alters susceptibles d’inverser le cours d’un combat. Les petites frappes étaient souvent démunies de ce genre d’alter, surtout lorsqu’ils devaient se servir d’arme blanche pour attaquer. Ainsi, ils ne présentaient pas nécessairement un grand danger s’ils étaient pris au sérieux. Mais ce qui se déroulait sous les yeux d’Alicia… était différent. Une forme rougeâtre, presque humanoïde, semblait s’être créée à côté de celle qui l’avait précédemment abordée. Cette dernière se mouvait ressemblant de plus en plus à une créature humaine, et il n’en fallait pas plus pour faire réagir la jeune agente.
Lors de ses entrainements, elle avait été formatée pour réagir le plus vite possible aux situations qui survenaient au cours de ses missions. Mais il y avait une chose, qui, ce jour, s’ajouta à cette réalité. L’instinct. L’instinct de voir une altérée dont elle ignorait le pouvoir se relever d’un coup qui aurait laissé beaucoup d’autres K.O. L’instinct de voir sous ses yeux se développer une créature qui ressemblait trait pour trait à la serveuse. L’instinct de savoir que, plus elle réagirait vite, moins cette création difforme lui résisterait. L’instinct de savoir que, passé ce créneau, elle n’était pas sûre de ce qui pourrait survenir.
Alicia bondit alors, devançant ses assaillants, en direction de la créature, amplifiant son saut grâce au métal contenu dans ses chaussures. Un saut qui ne pouvait réellement correspondre à celui d’un simple humain, sans toutefois trop la trahir. Alors, elle se réceptionna à portée de sa cible, tourna sur elle-même et envoya un violent coup de pied retourné amplifié par son alter à la chose, la frappant directement et sans détour. Le métal de sa botte vint atteindre la créature à tempe, brisant sur le coup sa boite crânienne. Le coup aurait laissé K.O la plupart de ses adversaires – puisque la chose n’avait pas vraiment ni pu réagir, ni esquiver -, aussi Alicia ne s’attarda pas. Elle bondit avec agilité en direction de la fameuse « Dai » qui se trouvait toujours à terre, la planquant sur le sol avec sa main gauche au niveau du cou, et sa main droite levée de manière menaçante.
« Ne t’en mêle pas. » La menaça-t-elle yeux dans les yeux.
Les bruits de baston commencèrent à fuser ici et là alors que Dai avait encore la tête à l'envers, à moitiés couchée sur une table renversée et le sol. Elle n'avait pas perdu conscience, heureusement, mais elle devait quand même se remettre de ce choc. Elle avait déja survécu à pire... Elle était qu'une humaine lambda mais la nature de son alter fait que, techniquement, si ses clones en meurent, elle a survécu à bien pire douleur. Vous n'avez pas idée ce que ça fait de se faire tirer dessus des dizaines de fois et survivre. Ou de se faire bruler plein de fois mais survivre pour raconté cet exploit morbide.
Dans tout les cas, son premier clone se formait, par réflexe, mais l'intention suivait : Elle allait leur casser la gueule, à Kentaro et sa bande. Le connaissant, il allait la supplier de l'épargner si elle l'attrape et essayera de faire passer la pilule avec des histoires du bon vieux temps. Cependant, on peut pas changer l'histoire. Et dans sa tête ? Ce pauv' type était déja mort ! Avant, c'était pour se faire bien voir et se rapprocher de la nana et des deux gorilles mais maintenant ? Oh non, c'était personnel.
Et pourtant ... Elle n'eut même pas le temps de se relever qu'elle se claqua la tête sur le sol elle-même en sentant son clone se faire toucher. Ce n'était encore qu'un blob de sang formant de la vrai chair mais c'était assez pour commencer à former les nerfs du corps... Et donc, le clone le sentit passé, le gros coup dans la tronche. Assez pour que son sang gicle sur les murs. Oui. Encore. Et qu'il finisse sans tête avant de se dissoudre au sol. Et comme elle ressentait tout, Dai se tint le crâne en grognant, se retenant de gueuler mais tout de même. Elle avait l'habitude de souffrir. Parfois, elle devait bien passer au dessus de la douleur pour continuer de se battre, ne pas perdre sa concentration, éviter les jambes faibles et juste se dire que cette douleur n'était pas mortelle ... Mais merde, elle était à moitié dans les vapes, elle était pas préparée à se prendre une telle patate !
Et comme si ça suffisait pas, l'instant d'après, cette chère Emma s'assura qu'elle ne décolle plus du sol en la saisissant à la gorge, se mettant au dessus d'elle. Bien qu'elle avait encore un mal de crâne monstre, elle comprit vite que c'était elle qui venait de faire ça... Et d'un air furax, elle commença à lui beugler dessus.
"Espèce de teubée ! Ghnr ! J'allais vous aider, bordel ! C'est l'autre con qui m'a dégommé, pas toi !"
Bon, c'est quand elle atteignait la dizaine de clone qu'elle commençait à être essoufflée. Cela en faisait déjà un de claqué et d'habitude, c'était sans se ramasser une lame d'air également. Cela promettait d'être une belle chiasse pour s'en remettre, comme d'hab. Mais avec la quantité de sang qui a giclé de sa blessure à l'épaule, il y avait assez de sang autour d'elle pour en former encore deux. Et alors que les deux autres atteignaient maturité pendant qu'Emma la menaçait, elle était tentée de les faire prendre la brunette par les bras pour l'expulser de sa tronche mais ... Elle devait se maitriser si elle voulait vraiment faire bonne impression. Bon, d'accord, elle venait de la traiter, certaines choses pouvaient pas être changées.
"Si tu veux qu'on s'tape après, vas-y ! J'te prend ! Mais là on a pas que ça à faire, tu crois pas ?! Tant que je saigne, j'vais continuer à créer des clones de toute façon !" Bon, petit mensonge ... Après tout, elle pouvait tout à fait contrôler quelle giclée de sang deviendra un clone ou non.
Du coup, à la place, elle laissa faire Emma. Si elle voulait encore rester en tête à tête, alors c'est à son bon vouloir ! Mais en attendant, ses deux clones, copies conformes de Dai jusqu'à ses vêtements, allèrent tacler deux des sous-fifre de Kentaro qui avaient cru pouvoir tirer avantage de la distraction d'Emma... Avant d'être confus à nouveau par les tas de sang devenu femmes. L'avantage très certain de Dai était que ses deux clones (et elle même) partageaient le même esprit. Leur corps, bien que divisé, n'étaient qu'un seul instrument. C'est pourquoi cette machine bien huilée vint enchainer à deux contre un les coups de poings et de pieds, les deux clones dansant autour de l'une l'autre pour submerger l'un des gars qui, sans doute pas vraiment formé aux arts martiaux, n'a pu au final que se prendre les coups et se faire finalement dégagé par un clone qui, avec la colère caractéristique de Dai, s'était lancé de tout son corps pour un double pied sauté dans les dents, rattrapée par son autre clone pour que le premier ne tombe pas lourdement au sol, pas complétement en tout cas.
"Tu fou toujours ton nez dans les affaires des autres, hein ? TU PEUX PAS T'EN EMPÊCHER !"
Et avec ça, Kentaro donna un autre coup dans le vide pour souffler les deux clones. Mais alors qu'elles allaient à nouveau danser autour du deuxième gars qui n'a pas su s'imposer dans la rafale de coup, elles s'en saisirent à la place, l'une lui faisant une clé de bras alors que les deux se planquaient derrière la crapule. Au final, le bouclier humain n'a que modérément marché puisque les trois se firent propulser sur quelques mètres et finirent au sol... Aux moins, les deux, sous l'un des acolytes, enlacèrent ses épaules et bras pour l'empécher de se débattre trop et de les planter une à une avec son couteau. Cela empécha pas les deux clones de répondre.
"Parle comme si tu me connaissais !" "T'as pas intérêt à me louper, la prochaine fois !" "Enflure !" "CREVARD !"
Alicia avait sans doute fait une petite erreur de jugement, mais elle n’allait pas s’en morfondre. La femme qui était venue l’accoster pouvait tout aussi bien mentir que dire la vérité, et la belle brunette n’avait pas le temps de s’attarder à démêler le vrai du faux. Elle hésita alors un instant à neutraliser – et assommer – définitivement la menace, mais sa vision périphérique détecta bien vite un élément qui l’incita à ne pas le faire. Ainsi positionnée, elle avait forcément laissé dans son dos ses ennemis restants. Certes, ces derniers avaient perdu en courage après son premier assaut, mais, désormais, confortés par la position actuelle de l’agente, les deux loubards avaient parfaitement compris qu’ils pouvaient tirer parti de la situation.
Heureusement – ou étonnamment – deux jeunes femmes ressemblant trait pour trait à celle sur laquelle Alicia était accroupie vinrent à la rescousse. Parfaitement synchronisées – et l’œil d’Alicia était un œil expert – elles firent pleuvoir une volée de coup sur leur opposant alors même que la Amy originelle ne bougeait pas d’un pouce. Il ne fallut pas plus longtemps à la belle brune pour comprendre que l’alter de celle qu’elle avait attaqué était à l’œuvre sous ses yeux, et que si la forme humanoïde avait eu l’occasion de finir de se former, elle aurait sans aucun doute fini par ressembler aux deux furies qui faisaient passer un mauvais quart d’heure au malfrat qu’elles affrontaient.
Néanmoins, si Amy se révélait pour l’heure être une alliée, tout n’allait pas bien dans le meilleur des mondes. L’altéré qui faisait face à Shun et Alexander était tout sauf commode et même si les deux gorilles lui rendaient plusieurs têtes, ils ne parvenaient pas à l’approcher, et encore moins à le blesser. Pire, ils subissaient désormais de nombreuses blessures qui furent rapidement trop dures à supporter. Profitant alors du détournement d’attention de Kentaro – visiblement très en verve et bien plus proche de la serveuse que cette dernière ne voulait le faire croire – les deux gardes du corps, possédant toujours la clef, se ruèrent vers la sortie au même moment ou la lame d’air frappait les deux clones et le loubard qui les protégeaient. Alicia écarquilla les yeux en voyant ses risibles partenaires la planter là, en milieu hostile, aux prises avec potentiellement deux altérés aux capacités combattives qui n’étaient plus à démontrer. A ce moment plus encore, elle ne devait pas tergiverser. Si cette Amy n’était même que temporairement son alliée… ça pouvait suffire. Elle se releva alors, puis tendit sa main pour l’aider à se relever.
« Je ne sais pas si je peux vous faire confiance, mais ce n’est pas comme si j’avais le choix. Je n’ai pas vos capacités ni celles de votre ami, mais je vais vous filer un coup de main. C’est dans notre intérêt à toutes les deux, non ? » Lança-t-elle, réajustant ses mitaines secrètement rembourrées de métal. « Si vous pouvez simplement le déstabiliser en passant derrière lui… je vais le distraire en l’attaquant de front le temps que vous interveniez ! »
Sans attendre plus de réponses, Alicia se rua à l’attaque. Elle avait déjà fait planer le doute quant à ses capacités et elle voulait rester aussi discrète que possible. Ainsi, elle ne pouvait qu’amplifier de peu ses capacités pour ne pas risquer d’éveiller trop de soupçons. Ses deux idiots de confrères étaient certes partis, elle n’en était pas toute seule dans la pièce. Aussi, elle évita une nouvelle lame d’air en bondissant naturellement au-dessus, se réceptionnant souplement avec une roulade. Aller en ligne droit était du suicide, aussi, la jeune femme zigzaguait, s’approchant peu à peu de lui pour rejoindre son corps à corps. Elle savait toutefois que, même ainsi, l’affrontement n’était pas gagné. S’il pouvait faire ainsi réagir l’air, rien ne disait que ce dernier ne puisse pas lui permettre d’amplifier ses mouvements comme l’alter permettait à Alicia de le faire. L’homme, lui, semblait plutôt confiant. Il avait repris le contrôle de la situation – du moins partiellement – et n’avait plus que deux adversaires face à lui. Voyant l’une d’entre elle peiner à l’esquiver, il ne put résister à l’envie de s’amuser un peu.
« Inutile de te fatiguer pour rien, ma jolie. Garde un peu d’énergie pour notre rencard ! »
Le côté macho de son adversaire ne fit qu’accentuer la concentration d’Alicia. Il devenait confiant, arrogant même, et ce n’était que des atouts dans la poche de la jeune femme. Lorsqu’elle fut suffisamment proche, elle bondit à nouveau au corps à corps, amplifiant cette fois légèrement son saut pour surprendre son adversaire. Elle ne réussit qu’à moitié car, alors qu’elle balançait un solide coup de pieds retourné pour le percuter de son talon, ce dernier l’esquiva habilement. Une lame d’air vint alors faucher son pied d’appui, et la belle brune ne put empêcher sa chute, brutalement entrainée au sol par son ennemi qui la maintenait désormais comme elle avait maintenu Amy quelques secondes avant. Le sourire triomphant, l’homme ne put s’empêcher une nouvelle raillerie.
« Déjà allongée ? »
Alors, le regard sombre de la jeune femme se teinta naturellement d’un pourpre colérique qui sembla ravir son opposant. Ce qu’il ne voyait pas, en revanche, étaient les lames qui se formaient peu à peu dans son dos alors qu'Alicia se servait de son alter en utilisant le métal contenu dans ses mitaines de combat.
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