Sur la piste d'une odeur de cigarette

Une sensation d’angoisse m’envahissait actuellement pendant que je vérifiais, pour la troisième fois en l’espace d’une minute, l’adresse sur mon téléphone. Pourtant, impossible de se tromper, c’était bien ici. Le Sleeping Lion, un bar à Yokohama. C’était un peu bizarre tout de même, je n’avais pas l’habitude de m’aventurer ainsi à l’improviste dans une autre ville. J’avais déjà prit le train et compagnie toute seule, ce n’était pas ça le problème, mais j’avais un peu cette impression de ne pas être au bon endroit, comme si… Eh bien, j’étais exposée en dehors de mon terrier.

Superbe comparaison tout de même…

Mais je n’avais pas d’autres choix. Ce matin, le réveil fut accompagné de coups sur la porte. Un policier venait m’informer que Riku aurait été aperçue dans le bar que j’avais face à moi. J’eu le droit aux mêmes questions, savoir si j’avais eu des contacts ou une conversation avec elle, mais rien de plus, donc autant dire le point mort complet. Cependant, il avait tout de même admit que la piste risquait d’être bien morne, notamment car la police sur place était débordée. Autrement dit, si je voulais en apprendre plus, cela serait par mes propres moyens !

Donc c’était ainsi que je me retrouvais face à cet endroit. J’avais sauté dans le premier train, et il devait être un peu plus tard que midi. Treize heures trente en fait, à en juger par l’heure de mon téléphone. Et évidemment, c’était l’estomac vide. Comment dire. Je m’étais juste tellement emballée à l’idée de potentiellement pouvoir revoir Riku que j’avais oublié les précautions les plus évidentes quand on part en voyage. Au moins ma vessie n’était pas sur le point d’exploser et j’avais de quoi payer. Bon, restait à en apprendre plus.

Ce fut mes dernières pensées avant d’entrer dans le bâtiment. Et directement, j’eu presque la nausée en étant confrontée à beaucoup trop de fumée ! Bon, peut-être que j’exagérais, mais j’étais sensible aux odeurs, donc forcément, la moindre cigarette était particulièrement décuplée. Et là… Eh bien, il n’y en avait pas qu’une seule. Une demie douzaine en tout cas, dans une ambiance où quelques discussions privées avaient lieu.

Clairement, je ne me sentais pas à ma place. J’avais vraiment l’impression d’être tombée dans un repère malfamé, là où la moindre personne était peut-être un criminel sous son manteau. Et si ça avait un côté particulièrement effrayant, mes mains moites et ma gorge sèche convenant bien à cette idée, de l’autre… Eh bien, il y avait ce curieux sentiment de braver les interdits. Je n’étais jamais entrée dans un bar, alors de là à le faire seule, dans une autre ville et complètement à l’improviste…

Mais du calme Kaza, tu es là pour trouver des informations sur Riku ! Je balayais rapidement la salle du regard, et je fus forcément un peu déçue de ne pas croiser son visage ou ses oreilles. Cela aurait été trop beau, voir miraculeux, que de la retrouver ici. Mais… Je crois que je n’aurais pas vraiment sû quoi dire, et donc que j’aurais juste bafouillé quelques suppliques maladroites. Tant pis, si elle était venue, peut-être que les gens d’ici en sauraient plus. Et quitte à poser la question, autant aller voir le barman ! Cependant, alors que j’avançais d’un pas, quelqu’un vint à tendre son bras dans ma direction, m’attrapant le poignet pour m’empêcher de partir :

‘’Hey petite, tu sais que ça se fait pas de dévisager les gens comme ça ? C’est plutôt malpoli en plus…’’

Super… Progresser dans ce bar allait être une autre paire de manche en fait…

Ma première expédition dans un bar n’était pas vraiment une très bonne réussite jusqu’à maintenant. Ni même ma première sortie à Yokohama par mes propres moyens. Que quelqu’un vienne à m’agripper alors que je n’avais pas encore fait deux mètres témoignaient déjà que cela n’allait pas être une simple sortie ciné ou de tous les jours. Pourquoi fallait-il que j’attire l’attention, alors que tout ce que je voulais, c’était poser quelques questions sans amener le moindre problème. Dans tous les cas, c’était raté…

Mes dents se serrèrent un peu face à ce qu’il disait. Nan mais, de quoi se mêlait-il ? Sa journée n’allait pas être changée en profondeur car une personne ne lui avait pas dit bonjour. A moins qu’il ne fasse partie de ceux qui imposent leurs lois sur les autres pour se sentir exister. Je veux dire, lorsque je vais au supermarché, je ne passe pas une heure à saluer n’importe quelle personne du magasin, chacun fait sa vie, même si en effet c’était un peu maladroit de ma part que d’avoir « osée » croiser son regard.

Cependant, si j’avais envie de simplement l’envoyer paître dans un « lâchez-moi. » aussi froid qu’expéditif, mon état ne le permettait pas vraiment. Ma gorge s’était curieusement asséchée et je risquais d’être, comme souvent, obligée de courber l’échine. Bon… S’excuser ne tuerait personne, je pourrais bien vivre avec, et lui profiterait de cette victoire.

‘’Je…’’

Mais les choses vinrent à changer drastiquement ! Le barman, qui s’était levé à mon arrivée, venait de se faufiler derrière lui avant de glisser dans son col un verre d’eau visiblement glacé ! Les bruits de confusion et maladroits qu’il fit furent surprenant et… Autant l’avouer, particulièrement satisfaisant à entendre. Un retour de karma beaucoup trop plaisant pour ne pas me sentir quelque peu coupable ! Et pendant ce temps, la serveuse vint à me prendre la main, m’amenant plus loin, à proximité du bar pendant que le client subissait bien des remontrances.

Un souffle soulagé me quitta alors qu’il revenait. Au moins, les choses s’étaient arrangées, mais je sentais bien quelques regards furieux dans ma direction. A leurs yeux, j’étais sans aucun doute coupable de ce qu’il venait d’arriver, comme le chat noir de leur mauvais sort qu’eux-même avait provoqué. Mais bon, j’en sortais au moins libérée, et le barman, un grand homme aux cheveux particulièrement vif, vint à s’excuser de ce qu’il venait de se dérouler, tout en me demandant ma carte ! Ah oui, évidemment !

‘’Ah euh, la voici !’’ Fis-je en cherchant dans mon sac à main, présentant ma carte. Bon, il allait bien voir que j’étais mineure, et donc que je n’étais pas vraiment sensée être ici, mais je n’étais pas ici pour ça. ‘’Mais je ne comptais pas prendre d’alcool. A vrai dire, je ne suis pas vraiment venue ici pour commander en réalité… Sauf si vous avez quelque chose de soft !’’

Je crois que j’en avais bien besoin maintenant. Il fallait que je me calme, que je me remette de mes émotions. Je devais être si nerveuse que c’en était ridicule. Un souffle, une main pour me gratter au niveau de ma tête, avant d’espérer que les battements de mon cœur ne ralentissent. Quel spectacle j’étais… Une véritable foire.

‘’Mais, merci de ce que vous avez fait. C’est la première fois que je viens dans un bar et… Je craignais que l’expérience soit difficile, et elle a un peu commencé comme ça, et…’’ Je cherchais mes mots. Peut-être devais-je aller droit au but, être un peu plus directe dans mes intentions. ‘’En fait, j’aurais quelques questions à vous poser.’’

Note HRP :

‘’Des questions ?’’ Fit-il en soupirant d’une manière qui, à vrai dire, m’intimida un peu. Peut-être était-il habitué à recevoir de telles réflexions. Si c’était le cas, alors j’avais bel et bien raison de me dire que l’endroit n’était pas forcément bien fréquenté, en plus d’avoir eu la preuve en rentrant. Et s’il avait été plutôt prévenant jusqu’à maintenant, son intonation vint à être nettement plus agacée. ‘’Vu votre âge, vous êtes trop jeune pour être policière. Laissez-moi deviner. Yuei ou Shiketsu ?’’

‘’N-Non !’’ Répondis-je, un peu par réflexe, en ayant un peu trop levé la voix. Bon sang, j’étais sous pression, j’étais beaucoup trop nerveuse actuellement. Il fallait que je souffle un grand coup. Si j’étais trop tendue, cela n’allait pas forcément m’aider, ni le convaincre de m’aider. ‘’Je n’en fais pas partie.’’

‘’Vraiment ?’’

‘’Je vous l’assure. Tenez, voici ma carte d’étudiante.’’ Certes, elle n’était plus d’actualité, vu que j’avais arrêté ma scolarité, mais au moins c’était la preuve que cette année, j’avais été scolarisé dans un lycée lambda, bien loin des grandes écoles héroïques. Certes, c’était mon objectif que d’y arriver, mais j’avais comme l’impression que d’annoncer ça n’allait pas être à mon avantage.

‘’Hum, je vois.’’ Fit-il, en tournant un peu la tête, reprenant le nettoyage de ses verres, avant de glisser quelques critiques évidentes. ‘’Donc vous n’êtes pas de ceux qui arrivent en se pensant tout permit et exigeant d’avoir toutes les réponses qu’ils souhaitent, non ?’’

‘Je ne souhaite pas m’imposer, mais…’’ Je ravalais ma salive. Je savais que c’était embarrassant, mais il fallait que j’aborde le sujet : ‘’Ma sœur a disparu, et on m’a dit qu’elle était ici hier soir. Ça fait plusieurs mois maintenant que je n’ai pas de nouvelles d’elle. Je sais que je suis peut-être un peu envahissante, à venir et à vous poser des questions, mais vous êtes l’une des premières pistes que j’ai pu avoir depuis tout ce temps.’’

Il répondit par un long soupir, me mettant une nouvelle fois mal à l’aise.

‘’Je n’aime pas me faire interroger, mais si c’est pour la bonne cause… Votre sœur donc ?’’

‘’Oui, elle a les mêmes oreilles que moi si ça peut vous aider. Peut-être le teint un peu plus sombre.’’

‘’Je me rappelle d’elle oui. Elle était là hier soir, au coin du bar. Elle n’a pas causé d’agitation de toute la soirée’’ Répondit la serveuse.

‘’Hum…’’

‘’Cependant, le moment où elle est partie fut un peu louche. Il y avait un groupe, qui se revendiquait être des yakuzas. La famille Nagase il me semble. Ils étaient bien torchés, impossible de les rater. Elle les a épié tout du long, et elle est partie dans la minute où eux se sont levés.’’

‘’Vous vous souvenez de ça ?’’

‘’Elle a donné un bon pourboire, il semblait bien qu’elle était pressé.’’

‘’Je vois…’’

‘’Concernant cette famille, je n’ai pas grand-chose à dire. Ils passent occasionnellement. C’est juste une bande, pas foncièrement important. Je crois qu’ils cherchaient un contrat, et peut-être qu’ils étaient là pour fêter d’avoir eu le gros lot.’’

‘’Des mercenaires ?’’

‘’Un peu. Mais je ne pense pas avoir plus à vous dire.’’

‘’Je vois… C’est déjà beaucoup, et rien que le fait de savoir qu’elle va bien est déjà un énorme soulagement ! Je… Je vous remercie pour vos réponses monsieur.’’

Bref, une petite consommation plus tard, légère, avant de repartir. Certes, j’avais des réponses, Riku était bien passée par ce bar, mais… j’avais encore plus de questions, d’autant que maintenant, j’avais une famille de Yakuza à suivre… C’était dangereux assurément, mais… Riku courrait peut-être un encore plus grand danger !