Si vous allez à la rencontre du rare entourage de Daisuke pour en apprendre plus sur lui, il y a ceux qui le connaissaient de l’enfance et ceux qui ne l'ont rencontré que récemment. Les premiers ne reconnaissent plus leur camarade malgré la confiance qu’ils portent toujours en lui, les seconds ne le voient que comme un personnage en retrait et calme, secondaire.
Sa mère se souvient du garçon un peu chahuteur, mais toujours dans le vrai, dans l’expression de ses sentiments avec cette pointe de candeur et d’innocence si caractéristique du jeune âge. Un garçon intelligent, qui s’est beaucoup reposé sur ces capacités pour réussir en assurant le service minimum, mais qui pouvait tout donner par passion. Un garçon plein de vie, ouvert aux autres et qui avait à cœur de défendre les plus faibles notamment à l’aide de son Alter en étant à l’époque plus un défenseur intimidant qu’un cogneur. Un garçon plus petit que les autres, mais que tout le monde voulait comme ami, par l’atmosphère de bien-être et d’apaisement qui se dégageait de lui.
Depuis deux ans les changements physiques avec sa poussée de croissance et les événements qui ont eu lieu ont également changé sa psyché. C’est un autre visage que livre Daisuke au monde. Plus distant, plus dans la réflexion, le garçon semble peser chaque mot, chaque action avant d’agir. Dai a beaucoup plus de mal à faire confiance aux autres et notamment les figures d’autorités, les héros auxquels il veut ressembler.
En souvenir de son père, le garçon continue à suivre leur passion commune en supportant l'équipe de baseball locale. Essayant d'aller aux matchs quand ils jouent à Fukuoka, l'enfant était déjà la coqueluche de l'équipe quand son père, impliqué, était dans le staff. Il continue donc à avoir des accès privilégié et à pouvoir voir les matchs depuis l'espace réservé aux joueurs. Si avant il courait partout, allant chercher les battes et les gants des joueurs, il est aujourd'hui plus calme, souvent adossé à un mur dans son coin. Le garçon analyse la situation, évalue, calcule avant d'essayer d'imiter les gestes du pitcher dans la solitude de sa chambre. Celle-ci est toujours décorée d'un ensemble de poster mêlant héros professionnels et sportifs célèbres comme pour beaucoup d'enfants. Dai a souhaité les réinstaller après le déménagement car ça lui permettait de trouver de la normalité dans son monde. On retrouvait aussi dans un coin un tas de livres d'occasions prêtés par le libraire. Daisuke se plaisait à lire, les sujets allant aussi bien de manuels sur la physique, sur l'astronomie que des magazines de sport ou encore des vieux shōnen. C'était un moment de calme où il pouvait être dans sa bulle, il oubliait alors ce qui l'entourait, ses yeux parcourant les pages, ses lèvres bougeant légèrement au rythme de sa lecture.
Il préfère rester en retrait, ne pas être dans la lumière, un coup discret mais précis sera plus efficace qu’une avalanche de coups visibles. Il ira jusqu’à se saborder lui-même pour ne pas atteindre la première marche du podium, celle-ci ne l’intéresse pas, elle l’expose plus qu’autre chose avec les attentes liées à cette place et la visibilité qu’elle attire. Il supporte mal cette pression, comme une peur de la réussite.
Prêt à prendre tous les risques pour être le héros qu’attendent les civils, il n’hésitera pas à sortir de son cocon et à passer en première ligne, à prendre des coups pour les autres si ce sacrifice sauve le plus grand nombre.
"Excusez-moi d'interrompre le cours, Daisuke peut-il m'accompagner ?"Il s’en souvenait clairement un an après. Le cours de Dai avait été interrompu par un policier qui lui avait demandé de le suivre. C’était seulement quelques jours après la rentrée. Il se rappellerait toujours des regards de ses camarades qui l’avaient suivi jusqu’à la sortie de la classe. Le policier lui avait demandé de le suivre. Le garçon n’avait pas prévu de faire d’histoire. Il avait été escorté jusqu’à une voiture de police et amené au poste.
Face à lui s’était alors dressé l’inspecteur qui avait toujours accompagné son père.
"Bonjour Dai, je… Je suis vraiment désolé …"^^^
Daisuke est le fils de Red Ace, un héros local de Fukuoka. Il a vécu toute son enfance dans la ville portuaire, bercé par les exploits de son père et protégé par sa mère. À l’éveil de son Alter, les parents comprirent que leur fils avait développé une variation de celui de son père. Si Red Ace peut annuler toutes les forces le touchant, semblant arrêter tous les éléments et projectiles qui s’approchent de lui, son fils est lui capable de modifier la force exercée et le mouvement des objets qu’il lance. Au moins, les parents savaient à quoi s’attendre et pouvaient être vigilant quand certains éléments fusaient autour d’eux… Son père en rigolait, esquivant les jouets en mousse que son fils envoyait voler dans la pièce.
Son enfance, elle avait été assez proche des lumières, son père étant un vrai héros du coin. Il arrivait régulièrement à l’enfant de voir des caméras des télés locales devant chez lui. Loin d’être effrayé, il désirait plus que tout faire comme son père, devenir un héros aimé de tous et qui devait protéger sa ville. Le garçon avait déjà embrassé cette volonté au jardin d’enfants, toujours avec la volonté de protéger les plus faibles qui n’avaient pas encore d’Alter ou que des petites frappes plus âgées essayaient de chahuter.
L'inspecteur sourit, certainement se remémorait-il le moment où il avait croisé Daisuke pour la première fois. Il n'était alors que policier et il accompagnait Red Ace jusqu'à son bureau. L'enfant avait accouru vers son père en le voyant passer près de son école. Il se jeta dans ses bras, couvert de terre parce qu'il avait:
"défendu Kenta parce que les autres se moquaient de sa mutation." Son père l'avait alors félicité et l'enfant riait, alors que son géniteur le lançait en l'air et le suspendait quelques secondes dans le vide.
Oui, Dai avait pu grandir dans ce cadre aimant, attirant les autres autour de lui, il avait souvent un cercle d’amis autour de lui et parvenait à se faire remarquer en classe avec ses résultats.
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"Tu sais ce qu’y est arrivé ton père hein ?
- Oui. J’ai eu le temps de voir les informations sur la route…"Le garçon serra le poing, une larme coula sur sa joue. Dans cette ère où la technologie et les moyens de communication sont toujours plus développés, Daisuke avait eu le temps en effet. Le temps de savoir que son père avait péri dans une intervention où il n’était pas censé être. Il avait été la seule victime, d’autres s’en étaient sortis indemnes ou avec seulement des blessures sans gravité. Il était mort sous les gravats, en ne pouvant résister à l’appel de détresse qu’on adresse aux héros.
Il avait eu le temps d’apprendre la nouvelle, mais il n’avait pas encore eu le temps de l’encaisser. Peut-être qu’il n’aurait jamais vraiment le temps.
Daisuke n’ouvrit pas la bouche des minutes qui suivirent alors, sauf pour demander plus de détails sur le déroulé des événements. Pas par curiosité morbide, mais seulement parce qu’il avait besoin de comprendre.
C’était donc arrivé ce matin, son père était sur le chemin du travail à en croire sa tenue. Un incendie d’origine inconnu, la police penchant pour l’accident, s’était déclaré sur la route. Il se rapprochait des docks, des quartiers sensibles et pauvres. En arrivant à la hauteur de l’immeuble, le père de Dai avait eu un haut-le-cœur. Les flammes dévoraient la structure depuis les étages inférieurs, des habitants criaient et pleuraient, appelant à l’aide. Et le père savait, il savait qu’aucun héros ne serait là à temps. Il savait qu’il n’y avait que lui.
Il avait demandé aux badauds de l’aider, d’aller lui chercher de l’eau. Il enfila ses gants, seul vestige de son époque héroïque lui permettant d’avoir un contrôle plus précis des éléments qu’il figeait. Il se fit asperger d’eau et avança dans le bâtiment dangereux.
Les détails suivants proviennent surtout des victimes et des constatations des légistes. Red Ace s’était servi de son Alter afin de progresser dans le bâtiment, essayant de solidifier les murs en les figeant et de libérer le passage quand il le pouvait.
Épuisé, soufflant, la vue brouillée par la chaleur, il était quasiment à la sortie avec les derniers rescapés devant lui quand ça arriva. Manquant d’attention et de force, il vacilla sur un mur qui s’écroula sur lui. Comme ça, en un claquement de doigts. Confus, ses derniers mots furent pour les habitants de l’immeuble qui s’étaient retournés pour l’aider.
Sortez. Il tomba dans l'abîme alors que l’immeuble s’écroulait comme un château de carte, le délai d’activation de son Alter écoulé.
"Je suis désolé mon garçon… On va te raccompagner chez toi. Ta mère t’attend."^^^
Il ouvrit la portière et quitta l’habitacle. En refermant celle-ci, la voiture démarra et le laissa là, devant la porte de l’immeuble dans lequel il vivait.
Son père était mort en héros. Bien qu’il avait fait le choix de prendre sa retraite, de raccrocher sa cape, pour sortir du tourbillon médiatique.
L’agence dans laquelle il travaillait fit faillite dans l’année qui suivit, réduisant à néant la maigre pension que l’ancien héros touchait. Il dut trouver un autre travail dans le civil, il rejoignit donc les docks afin d’assurer les réparations des bateaux d’un armateur grâce à sa capacité à maintenir des pièces en place le temps de les fixer sur la coque. Petit à petit, il s’était remis à vivre sans cette double identité. Okumura Jinpei était rentré à la maison en laissant Red Ace sur le pas de la porte. Il ne l’avait retrouvé qu’aux derniers instants.
Sa mère l’attendait sur ce pas de porte, les yeux gonflés.
Cet événement avait profondément changé Daisuke et le regard des autres sur lui. Il s’enferma dans une forme de solitude et de mutisme pour qu’on arrête de lui parler de l’homme qu’il aimait le plus. Pour qu’on arrête de lui dire que c’était un héros, pour qu’on arrête de parler de lui au passé.
Après la mort de son père, la vie devait continuer, elle frappa durement la mère et le fils en plein visage après les premières échéances. L’appartement était trop grand à entretenir pour eux deux, ils durent déménager. Afin de soutenir sa mère, Dai avait commencé avec un emploi à mi-temps chez un bouquiniste qui était entre leur nouvel appartement et son école. Au fil des mois, son temps chez le libraire était devenu plus important que son temps à l’école. Il était en décrochage par nécessité financière. Essayant de continuer à étudier le soir grâce à un professeur conciliant qui lui envoyait les cours, il arrivait à s’en sortir grâce à ces capacités. La fatigue se faisait sentir alors qu’il changeait physiquement, la coquille se formait, s’épaississant par couche.
Sa mère voyait son fils sombrer, mais ne pouvait pas y faire grand-chose, elle aussi submergée et abattue. Néanmoins, elle se rappelait une discussion qu’elle avait eue avec Jinpei. Sans prévenir son fils, elle avait envoyé son dossier aux principales écoles héroïques, Daisuke devait changer d’air. Il devait être un héros, c’était ce que l’enfant voulait il y a cinq ans, c’était ce qu’il voulait encore il y a deux ans et ça devrait continuer à être son chemin.
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"Dai, il y a du courrier pour toi !"Il avait l’enveloppe dans la main, il la tournait et la retournait, assis sur le bord de son lit. C’était assez surprenant d’imaginer ça après l’année qu’il venait de passer, tous ces changements. D'abord un peu poussé par sa mère, il avait fait son choix.
Il avait décidé de suivre les traces de son père, il ne savait pas si c’était la meilleure chose à faire. Cependant, l’appel qui avait résonné pour son père, deux ans après avoir raccroché, raisonné aussi en son fils. Avant de partir, il l’avait encouragé à aller vers cette direction, malgré les tensions, malgré la colère. Il avait donc passé les évaluations et épreuves pratiques, se préparant autant que possible pour celles-ci malgré le laps de temps qui lui était compté.
Cette ombre pouvait être effrayante, devoir suivre la destinée de quelqu’un d’autre se diront certains, les responsabilités et la pression étaient fortes. À l’inverse, Dai en fit sa cape ayant l’impression non pas de suivre les pas de Red Ace, mais d’avancer sur le chemin avec Jinpei, le fantôme de son père le soutenant plutôt que l’accablant. Il souffla, sentant son coeur battre fort. Il commença à ouvrir l’enveloppe.
J’espère qu’il sera fier.