Eizo- Heir of Amon [finie]

Je suis un enfant pur. J'ai grandi avec cette unique certitude, que l'on m'a inculquée dans l'esprit depuis que je suis en âge de comprendre les mots. Et, aussi étrange que cela puisse paraître de prime abord, j'ai fini par me convaincre que ce phantasme était réel, quitte à devenir une prompte enflure imbue de sa propre personne. Mais peut-être faut-il que je vous contextualise un peu tout cela ? Ça sera plus simple pour votre compréhension, j'imagine.

Pour tout vous dire, je suis né aux abords du village de Nagiso, dans la préfecture de Nagano. Le village en lui-même n'a que peu d'importance, puisque je ne me souviens même pas d'y avoir mis les pieds une seule fois. En effet, je suis venu au monde dans une vaste villa luxuriante, au style profondément victorien. Étrangeté hors-du-temps dans un pays comme le Japon, la grande bâtisse avait été fondé à l'époque par un riche industriel venu s'installer dans la région. À sa mort, sans héritier, il a laissé sa demeure en héritage au groupuscule auquel il appartenait, Amon. C'est au sein de cette maison, mais également de ce groupe, que mes parents m'ont mis au monde.

Expliquer les fondements du groupe Amon est particulièrement difficile, puisque même les membres n'en connaissent pas l'origine. Aux yeux des autorités, Amon est une secte. Et pour y avoir passé une majeure partie de mon enfance, je peux vous confirmer que c'est le cas. Les dérives y sont nombreuses aux yeux de leur idéologie progressiste. Mais peut-être, là encore, faut-il que je me penche en détails sur les idées que véhicule Amon pour que vous compreniez bien l'environnement dans lequel j'ai grandi.

Selon le groupuscule sectaire, l'apparition des Alters dans notre société est profondément liée à une épreuve divine que tente de nous faire passer Satan, le roi des démons, prince de l'Enfer. L'émergence du bébé lumineux, premier humain à être né doté d'un alter, est une preuve de l'affront même qu'à voulu faire Satan à Dieu. Ainsi, et toujours selon l'idéologie d'Amon, les Alter ne sont que la marque du Malin, et il faut faire son possible pour s'en tenir éloigné. Les dirigeants d'Amon ont donc fondé, un peu partout sur la planète, des lieux appelés Sanctuaires, dans lesquelles se regroupent des Sans-alter adhérents à leur idéologie, dans le but de vivre en autarcie, loin de la société actuelle qui vénère la marque démoniaque. Toute trace d'une quelconque mutation, ou d'une capacité sortant de l'ordinaire, est profondément proscrite et entraîne un exil immédiat et irrévocable. Considéré par les adhérents comme les derniers bastions de l'humanité, la vie dans les Sanctuaires se veut pieuse, sans contact aucun avec l'extérieur.

C'est donc dans le sanctuaire bordant Nagiso que je suis né, comme vous l'aurez compris. Mes parents, des Sans-alter amoureux de l'idéologie d'Amon, se sont rencontrés là-bas, et je suis venu au monde après l'amour consommé. Le génome des alter étant dominant, il est rare d'y voir des naissances au sein de la communauté, par peur de n'avoir affaire à un bébé marqué par Satan à la naissance. J'ai eu de la chance, puisque je ne suis né avec aucune mutation physique. J'ai donc eu le droit de grandir au sein de cette communauté, et le privilège à ce qu'on m'inculque les valeurs profondes de la secte.

En temps normal, un alter commence à émerger avant les quatre ans de la personne. On considère que passer six ans sans développer de capacités hors-du-commun, cela signifie que la personne n'en développera jamais. Comme vous l'avez peut-être compris, je possède effectivement un alter. Pour autant, la pression sociale que je subissais à l'époque m'a poussé à le contenir, à ne pas montrer de signe particulier de l'apparition de celui-ci. J'ai réussi à garder le secret quant à mes facultés afin de rester proche de mes parents. Et surtout, à l'époque, j'étais persuadé que, si j'en possédais effectivement un, c'était uniquement parce que le diable avait choisi de se poser sur mon épaule, et que j'étais loin d'être l'enfant pur que l'on me disait être.

Le problème avec les secrets, c'est qu'ils vous rongent. Et l'inexploitation de ce potentiel latent a commencé à me détruire de l'intérieur, à la fois psychologiquement et physiquement. Maladie sur maladie, déprime sur déprime. Je n'avais qu'une dizaine d'années, mais j'avais l'impression d'avoir vécu déjà cinquante années harassantes. Un jour, lors d'un banquet louant la pureté d'Amon, mon corps a cédé sous la pression. On venait de me « purifier », un geste effectué par la personne la plus estimé de notre sanctuaire afin de laver les péchés de l'être. J'ai explosé, et j'ai laissé libre-court à mes capacités. Sans en être pleinement conscient, j'ai révélé à la face de ceux avec qui j'avais grandi cette « marque » du démon, ce pouvoir que je gardais pour moi depuis des années.

Si j'avais pu espérer un minimum de clémence de la part de mes semblables, ce ne fut pas le cas. On m'amena le soir même aux portes du commissariat le plus proche, où je fus laissé à l'abandon sans plus de considération. Pas un au revoir à mes parents. Pas un adieu à ce monde que j'avais toujours connu. Et moi, bercé par des croyances affabulatrices, je me suis retrouvé à porter le lourd poids de n'être qu'un enfant du démon, bien loin de l'image qu'on me donnait depuis ma naissance.

J'ai été retrouvé sur le pas de la porte de ce même commissariat, quelques heures plus tard. Roulé en boule, mon manteau comme unique couverture de survie, j'attendais patiemment que le temps passe, espérant que mes parents reviennent pour me récupérer. Un agent des forces de police m'invita à entrer à l'intérieur, et il me donna un chocolat tout en me questionnant. Je lui parlais d'Amon, de l'abandon de la part de mes parents et de ma famille. Je finis par passer la nuit au poste, dans une chambre trop étroite pour être confortable. Le lendemain matin, le même officier revient vers moi, pour me signifier qu'ils avaient été rendre visite à la maison dans laquelle j'avais grandi. Selon eux, les habitants avaient niés avoir un quelconque lien avec moi, ni même n'avoir jamais eu d'enfants dans les murs de leur petite communauté de fermiers.

La suite est plutôt floue. Il faut dire que tout est allé très vite, et j'ai eu l'impression que le monde s'arrêtait de tourner autour de moi. J'ai rencontré beaucoup de personnes qui travaillaient pour l'administration d'Etat, jusqu'à finir par comprendre qu'on allait me confier à une famille d'accueil. Pour eux, je n'étais qu'un enfant des rues, qui avait cherché à trouver du réconfort aux portes d'un commissariat.

J'ai été envoyé chez Mme Lisbeth. Premier contact humain chaleureux. Première immersion dans cette vie qui m'était totalement inconnue. Elle a écouté mon histoire, elle m'a accueillie à bras ouverts. J'ignore si elle croit à ce que je lui ai raconté ce jour-là, ou si elle émet des doutes sur ma version. Il n'empêche qu'elle ne m'a jamais jugé, et qu'elle a toujours fait en sorte d'avoir une oreille attentive lorsque j'avais besoin de me confier. Chez elle, j'ai trouvé le réconfort dont j'avais besoin, et j'ai pu commencer doucement à m'acclimater à ce monde nouveau.

Aujourd'hui, je suis un jeune adolescent qui commence à être familier avec le monde moderne. Je n'ai jamais cherché à reprendre contact avec mes parents, ni à me renseigner plus en détails sur les agissements d'Amon. Je ne sais pas si j'en aurai le courage un jour, et je préfère pour l'instant laissé de côté ce pan-là de ma vie pour me concentrer sur mon avenir. Suivant les conseils de Mme Lisbeth, et mon besoin profond d'aider ceux dans le besoin contrairement à ce qu'on a pu faire pour moi, j'ai choisi de m'inscrire à l'examen d'entrée de Yuei et de Shiketsu, dans l'espoir d'intégrer l'une des prestigieuses écoles. J'ignore encore si cette voie me conviendra sur le long terme, mais je sais que je ne pourrai jamais me départir de ce besoin d'être un repère pour les âmes perdues, pour ceux qui se sont perdues dans la lumière d'idées vacillantes.