Débris dans la nuit - PV : Meng Zhihao

« Alcool, Ados, Alters : les trois A qui tuent », comme on disait dans le métier… bon, peut-être pas tout à fait dans ce cas précis, les imbéciles à l’origine du dernier fiasco en date étant un peu trop âgés pour être qualifiés d’ados, mais Zhihao n’était pas non plus disposée à leur accorder le titre d’adultes. Pas après qu’ils lui aient fourni une preuve supplémentaire que, si l’architecture nippone était à l’épreuve des tremblements de terre, elle n’était en revanche pas conçue pour résister à la stupidité humaine – en supposant qu’un tel exploit soit possible. Ces lauréats du Darwin Award en puissance avaient même filmé et diffusé leurs idioties en direct sur les réseaux sociaux, jusqu’à l’instant fatidique où deux fêtards avinés avaient fini par se battre à l’aide de leurs Alters, ce qui avait provoqué l’effondrement de la bâtisse !

Enfin, il fallait voir le côté positif : grâce à cette vidéo, les résultats de la reconnaissance faciale avaient pu être croisés avec les données du registre national des Alters pour fournir de précieuses informations sur le type de dégâts qui avaient dû être infligés aux fondations de l’édifice – ce qui simplifierait également l’enquête de police à venir. De plus, en comparant les images de la fête avec les plans de la maison, la militaire avait déjà une idée approximative des endroits où elle devrait chercher pour retrouver des victimes prisonnières des décombres.

Les autochtones lui en voudraient-ils si elle se portait au secours des deux ahuris en dernier, se demanda-t-elle en se repassant une fois de plus la vidéo sur son HUD…

« On y est ! Terminus, tout le monde descend ! » avertit le conducteur du camion de pompiers sur le toit duquel elle avait fait route. La chinoise interrompit son visionnage et débarqua dès l’immobilisation du véhicule, ce dernier venant compléter le cordon de voitures de police et d’ambulances entourant les ruines. Excellent, il ne lui restait plus qu’à trouver le héros qu’elle était chargée d’épauler ; ses supérieurs s’étaient contentés de dire qu’elle le reconnaîtrait quand elle le verrait…

Ah. À tous les coups c’était le grand gaillard en costume là-bas. Il était vrai qu’on pouvait difficilement le louper, vu la façon dont son imposante stature surplombait tous les autres présents. De quel genre d’hétéromorphe s’agissait-il, s’interrogea-t-elle tout en se dirigeant vers lui, une sorte de lézard ? Possiblement venimeux, à en juger par la couleur ? Non, c’était sans importance.

« Lodestone au rapport, monsieur. » fit-elle en arrivant au niveau du colosse, qui achevait justement de s’entretenir avec l’un des policiers. « On m’a dit que vous aviez besoin de quelqu’un pour localiser des gens piégés là-dessous. Pouvons-nous commencer les recherches ? »

Un peu abrupt certes, mais ils n’avaient pas de temps à perdre : chaque seconde comptait dans une situation comme celle-là.

« Je n’étais pas loin et j’ai pu me placer sur le chemin des pompiers. » expliqua-t-elle en réponse à la première remarque du colosse. Celui-ci se lança ensuite dans un topo rapide, confirmant que la situation n’avait pas changé depuis l’alerte initiale et clarifiant leurs rôles respectifs. Elle en tant que détecteur, lui en tant que déblayeur, simple et efficace. Avec des muscles pareils, son interlocuteur ne devrait avoir aucun mal à s’acquitter de sa tâche ; autre avantage physique, sa cuirasse naturelle le protégerait même des risques encourus en manipulant les débris, là où Zhihao devrait compter sur son armure.

« Compris. Ne vous en faites pas, ce n’est pas la première fois que je fais ça. Si vous voulez bien me suivre ? »

Sur ces entrefaites, elle se dirigea vers les ruines et se mit à émettre un faible champ électrique tout en élevant ses capacités d’électroperception à leur niveau maximum. Un observateur extérieur ne remarquerait rien de particulier à moins d’être doté de sens similaires ou d’un équipement spécialisé, mais cela permit d’ores et déjà à la chinoise de se faire une assez bonne idée de la façon dont les gravats s’étaient empilés les uns sur les autres, et cette image mentale ne ferait que s’améliorer à mesure de ses déplacements. Elle put donc progresser avec sûreté là où elle ne risquait pas de déstabiliser encore davantage le sol, même si la chose était légèrement compliquée par le fait qu’elle devait également tenir compte du poids plus important du second héros en cherchant un chemin praticable. Heureusement, les restes de la maison contenaient suffisamment de ferraille pour lui permettre de consolider les décombres ici et là.

« Bon, si je me fie à la vidéo, la victime la plus proche était dans cette direction juste avant que le plafond ne lui tombe sur la tête... »

Le plafond et tout ce qu’il y avait au-dessus, ce qui avait abouti à un entassement si impressionnant qu’il lui faudrait passer relativement près d’une personne enfouie pour arriver à la localiser sous une telle épaisseur de débris, en plus de l’obliger à se déplacer le plus au ras du sol possible pour obtenir de meilleurs résultats. Il fallait juste espérer que son homologue ne trouverait pas la chose trop bizarre.

Le fait d’avoir fait ses devoirs à l’avance s’avéra vite payant : au bout d’un peu moins d’une minute à avancer en faisant attention à ne pas se tordre la cheville, elle repéra l’activité d’un système nerveux humain, ce dont elle informa immédiatement son partenaire.

« Une personne vivante, à peu près deux mètres devant nous et autant sous la surface. Je ne sais pas encore si elle est consciente. Je vais voir si je peux stabiliser un peu les gravats environnants pour vous simplifier la tâche. »

À en juger par la silhouette la victime devait toujours avoir ses quatre membres, c’était déjà ça. Avec un peu de chance, elle n’aurait pas à souffrir de séquelles trop importantes de la bêtise de ses congénères. La question de savoir si elle avait ou non perdu connaissance trouva également une rapide réponse lorsqu’ils se mirent en position pour commencer l’excavation et qu’une voix apeurée s’éleva sous leurs pieds.

« Il… il y a quelqu’un ? »

Le colosse avait le pas sûr en dépit de sa grande taille et avait suivi le mouvement sans se laisser distancer par sa collègue, aussi purent-ils se mettre rapidement à l’œuvre. Après avoir évalué la scène d’un œil expert et pris le temps de rassurer la victime, le héros déblaya les premières couches de débris avec autant de vitesse que de précision, tandis que Zhihao se servait de son magnétisme pour affecter le métal qui formait il y a une heure encore l’armature des murs, rééquilibrant ainsi les gravats situés plus en profondeur. À mesure que le colosse – il faudrait qu’elle pense à lui demander son nom, ses supérieurs n’avaient pas jugé utile de lui communiquer cette information – élargissait le trou, l’image renvoyée par son sixième sens s’éclaircit peu à peu et elle put se faire une meilleure idée de l’état dans lequel ils allaient retrouver la personne enfouie.

« Je crois que ses jambes sont cassées, il y a une… discontinuité au niveau de ses os. Il est probablement en état de choc. » avertit-elle lorsque le géant s’interrompit, juste avant de se mettre à déblayer ce qu’il restait du sous-sol. Elle vérifia une dernière fois l’empilement des décombres sous leurs pieds, puis reprit la parole une fois satisfaite qu’ils ne risqueraient pas de provoquer un effondrement supplémentaire : « C’est bon, vous pouvez y aller. »

Le colosse se remit à creuser, plus précautionneusement cette fois, et elle fit ce qu’elle put pour l’assister. Leurs efforts combinés eurent vite raison du dernier obstacle, sans mauvaise surprise, et furent récompensés lorsque le visage hagard et contusionné, puis le torse d’un jeune homme mal en point retrouvèrent l’air libre.

« Sortez... moi de là... »

« Pas d’inquiétude, vous y êtes presque. J’appelle les secouristes, je reviens de suite. »

Joignant le geste à la parole, elle grimpa pour ressortir du trou et faire signe à une paire d’ambulanciers munis d’un brancard qui attendaient à la limite des ruines. Ceux-ci se mirent immédiatement en marche, empruntant le même itinéraire que les deux héros, et Zhihao redescendit aussitôt pour continuer d’aider le géant. Avec sa force, celui-ci n’aurait aucun mal à amener lui-même le blessé à l’ambulance, mais ils perdraient du temps s’ils devaient enchaîner les allers-retours.

« Alors, pas d’hémorragie interne à première vue, les nerfs n’ont pas non plus l’air d’avoir été affectés. » dit-elle en passant une main au-dessus de leur patient sans pour autant le toucher, se servant de son électroperception pour un examen médical basique – s’assurant qu’il n’y avait pas une quantité anormale de liquide là où il ne devrait pas y en avoir, que les nerfs conduisaient bien un très faible signal électrique de bout en bout, ce genre de choses. Pendant ce temps, son autre main le libérait progressivement des décombres emprisonnant ses jambes, en faisant très attention à ce qu’une décompression subite ne provoque pas un afflux sanguin trop brusque en direction des organes.

« Merci... »

Finalement, la victime fut entièrement dégagée de sa gangue de débris, juste à temps pour l’arrivée du duo d’ambulanciers. Le jeune homme souffrait de multiples lacérations, ecchymoses et d’une paire de fractures, et le peu de lucidité qu’il était parvenu à maintenir jusqu’ici était en train de l’abandonner, ses propos devenant de plus en plus incohérents, mais les secouristes n’avaient pas l’air trop inquiets.

« Au moins le choc l’a empêché de trop ressentir la douleur, ç’aurait été pire s’il avait paniqué et s’était mis à bouger dans tous les sens. » observa l’un d’eux, ce à quoi elle ne put réagir que d’un hochement de tête. Un de sauvé, ou qui n’était en tout cas plus de leur responsabilité. Il en restait encore quatre.