Kae n’aimait pas perdre. C’était un fait. Elle n’en avait pas honte parce que c’était un trait qu’elle partageait avec la majorité de l’humanité ; qui aimait perdre, franchement ? A part des masochites ou autres déviants, s’entend. Par contre, elle n’était pas une mauvaise perdante. Bien sûr, elle râlait toujours un peu, mais elle n’était pas faussement jalouse ou cherchait des prétextes pour justifier la victoire de l’autre (un favoritisme de quelque sort ou une tricherie, comme d’autres pourraient le suggérer d’un ton plus ou moins mielleux et/ou sournois), ou pire, expliquer sa propre défaillance. Elle avait perdu parce que l’autre avait été meilleure… et surtout parce qu’elle n’avait pas été assez bonne.
La jeune fille ne croyait pas au concept de limite infranchissable. Tout était une question de travail et de détermination. C’était pour ça qu’elle avait osé, elle la starlette, s’engager sur la voie de l’héroïsme. Si elle s’en donnait les moyens, elle y arriverait ! La difficulté étant de trouver la motivation pour continuer jour après jour à s’entraîner. C’était une des choses qui avait motivé son changement de carrière : elle n’avait pas forcément envie de répéter. Déjà parce que ça lui venait assez naturellement, que ce soit le mannequinat ou le jeu d’acteur. Elle avait ça dans le sang. Elle avait grandi dans le monde du show-biz, en voyant ses parents passer d’un contrat à un rôle. Elle avait joué celui de la petite fille parfaite pendant des années, à son avantage.
Et Yuei répondait parfaitement à ce désir de défi et de dépassement. Très, très rapidement, Kae avait compris à quel point elle était en retard sur le plan physique du parcours héroïque. Pas tant dans la manipulation experte de son alter, bien qu’elle eût une sacrée marge de progression en soi, mais surtout dans le fondamental musculaire. Kae était taillée pour l’agilité et la vitesse. Elle n’avait aucune endurance. Elle n’avait pas la force nécessaire pour tenir tout un combat, ne serait-ce qu’en position de soutien. Elle s’en était doutée, forcément, mais les premiers entraînements avaient été un de ces chocs dont on ne s’en remettait que si on s’accrochait avec les onglets et les dents ! Opiniâtre, oui ! Jusqu’à la dernière goutte de sueur.
Voilà pourquoi la jeune lycéenne, au lieu de rentrer chez elle après les cours – elle n’était pas au dortoir, ses parents ayant refusé cette séparation avec le mode de vie qu’ils souhaitaient la voir rejoindre telle l’enfant prodigue – donc au lieu de rentrer, elle restait à Yuei pour s’entraîner. Des tours de piste, pour le cardio et l’endurance, et bientôt, la salle de gym, pour le renforcement musculaire. Mais les bases avant tout.
En solo, en silence, elle avalait les mètres et les kilomètres autour des bâtiments.
