Just in time ! - Léo Oxton

« Wow, en voilà un sacré alter, mon fils. »

Le père de Léo passait sa main dans une petite bulle translucide qui lévitait à côté de son enfant. En l'introduisant à l'intérieur, il sentait que sa main était ralentie.

« Difficile encore de savoir ce que c'est exactement mais... »

Il prit Léo dans ses bras et le plaça sur son épaule.

« ... je serais heureux de me battre à tes côtés quand tu seras plus grand, si tu suis la voie des héros. »


Léo aimait beaucoup son père. Il était héros, mais en-dehors de son travail, il se consacrait presque entièrement à son fils. Des trucs banaux au final : lui lire une histoire, jouer avec lui, regarder la télévision... Mais ce qui plaisait par-dessus tout, c'était lorsqu'il racontait ses exploits en tant que héros. Il rêvait de pouvoir le voir en action en vrai.

Passé ses 3 ans, les premiers signes de l'alter de Léo se manifestaient. Alors qu'il jouait dans son coin, une petite bulle se forma au-dessus du sol. Tout objet passant à l'intérieur se voyait ralentir. À ce stade, ses parents ne pouvaient pas encore savoir de quoi il s'agissait exactement, et vu la maîtrise qu'il avait de son alter, Léo avait du mal à faire des démonstrations bien contrôlées. Les jours suivant, il faisait apparaitre plus souvent des bulles, mais cette fois-ci, certaines semblaient aussi accélérer la vitesse des corps à l'intérieur.


« Time Room.
- Time Room ?
- Ces bulles n'augmentent ou ne diminuent pas la vitesse des corps qui y passent. Ou du moins, pas exactement. Elles ont un écoulement du temps qui diffère du notre. Si on se trouve à l'intérieur, le monde autour de nous peut donc nous paraitre ralenti ou accélérer. 2 secondes peuvent en valoir seulement 1 à l'intérieur, et inversement. »

Ainsi, un spécialiste des alters mit les choses au clair. Un contrôle du flux temporel, sur des zones ciblées. Un alter qui intéressait beaucoup le père de famille. À ce stade, Léo avait du mal à situer si c'était un bon alter ou non, il n’avait pas assez de recul pour ça. Et ce n'était pas un alter très parlant, comme s'il pouvait envoyer des décharges électriques ou donner de super coups de poing. Mais son père insistait sur le fait que les héros ont besoin de tels alliés.


« je serais heureux de me battre à tes côtés quand tu seras plus grand »

La phrase de son père raisonnait souvent dans sa tête, tant il avait hâte de ce moment. Le diplôme de héros... c'était encore très loin. Bien sûr, il voulait suivre les traces de son père. Mais il ne voulait pas y ramper, il voulait courir. Après tout... pourquoi attendre, alors qu'on a la chance de pouvoir accélérer ça ? Il entrainait régulièrement son alter dans sa chambre, et essayer de former des zones assez grandes pour l'envelopper entièrement... et ainsi accélérer sa propre croissance.

Il prit rapidement des centimètres, plus que ses camarades de classe. Il trouvait même que cela finissait par aller trop vite, dépassant les limites qu’il estimait de son propre alter. L'utilisation de ce pouvoir en continue avait tendance à l'épuiser, mais ça ne lui posait pas de problème. Il était aveuglé par cette volonté de grandir rapidement. Au début, ses parents insouciants pensaient juste qu'il avait une croissance rapide.


Autour de ses 10 ans, sa famille emménagea au Japon. All Might. En voilà une figure populaire. Pour atteindre les meilleurs, il faut être aux côtés des meilleurs. Ça valait autant pour le père que pour le fils. Pas seulement les héros en eux-mêmes, mais le Japon possédait des académies de super-héros des plus renommées. Peut-être le meilleur endroit pour le futur du jeune garçon.

Quelques mois plus tard, une incompréhension apparue. Il ne prenait plus un centimètre, pendant plusieurs mois consécutifs. Pourtant, il n'avait pas tant relâché l'utilisation fréquente de son alter sur lui-même. S'il n'avait officiellement que 10-11 ans, il en avait peut-être vécu 12, mais à cet âge le corps est censé toujours être en croissance. Léo réfléchissait à ce sujet. Comment est-ce possible, alors qu'il n'avait pas le sentiment d'avoir utilisé son alter différemment ? Est-ce que... ?

« Est-ce que je me suis bloqué tout seul ? »

Ne maitrisait-il pas son alter aussi bien qu'il le pensait ? En avait-il perdu le contrôle ? Est-ce que, à force d'exposer son corps à cette perturbation temporelle, il avait complètement altérer sa croissance ? Était-elle perdue dans l’écoulement du temps ? Il se mit à paniquer. Il voulait grandir si vite, et maintenant il allait être éternellement bloqué ici ? En voilà un comble. Ne plus grandir. Avoir 12 ans toute sa vie. Il essayait de se projeter dans l'avenir. Est-ce qu'on peut vivre comme ça ? Non il doit y avoir une solution. Ou... peut-être pas ? Est-ce que c'est ça, le danger des alters ? Se sentait-il obligé de ne pas grandir comme les autres ? Ne pouvait-il pas laisser ce pouvoir à la con de côté et être un enfant comme les autres ? Il admirait son père et voulait le suivre, et voilà que ça s’est retourné contre lui.
Et comment tu annonces ça à tes parents du coup ? Qu'après 12 ans d'existence tu as déjà fait la pire connerie de toute ta vie ? Hein ? Eh bien... eh bien tu ne l'expliques pas. Ça ne s'assume pas. On repousse, en espérant trouver une manière de venir sur le sujet un jour, de manière à ce que ça passe le mieux possible. Ou qu'ils le découvrent d'eux-mêmes, mais ce ne sera pas forcément mieux. Il fallait réussir à leur faire avaler qu'après une croissance aussi rapide, c'était peut-être normal que ça se calme un peu. D'ailleurs, c'est ce que lui-même espérait. Mais il était plutôt pessimiste sur la question.

« je serais heureux de me battre à tes côtés quand tu seras plus grand »

Quelle connerie. Au final son alter était nul, et a même eu raison de lui. Son père en disait du bon juste pour lui donner de l’espoir, mais il savait sûrement que ce n’était pas si bien. Pourquoi ne pas lui avoir avoué ? Pourquoi lui avoir laissé espérer ? Qui c’est qu’il va sauver avec un alter pareil, s’il n’est pas capable de sauver lui-même ?


Il avait 12 ans alors qu’il fit la rencontre de cette fille, qui était dans sa classe. Star Novel, qu’elle s’appelait. À la fin d’un cours, tandis que tous les autres élèves étaient sortis, Léo franchissait le pas de la porte pour rejoindre le couloir, lorsqu’il entendit le bruit d’une fenêtre qui s’ouvrait derrière lui. Il se retourna, et la voyait, en train de clairement tenter de sauter. Sans réflexion préalable, il l’entoura d’une Time Zone et accourut vers elle, puis lui prit la main pour la tirer hors de là. Après qu’elle ait exprimé son mécontentement, elle regardait le jeune garçon bizarrement, intriguée par son alter. Intriguée n’était peut-être même pas le mot, ça allait plus loin. Elle voyait le monde au ralenti de manière permanente, et elle en souffrait. Elle était du genre silencieuse, Léo avait du mal à en apprendre sur elle, mais en tout cas la Slow Room semblait lui procurer un réel soulagement. À l’intérieur de celle-ci, elle percevait le temps aux alentours se dérouler plus rapidement, compensant un peu les inconvénients dus à son alter.

Au départ, Léo imaginait son alter comme une manière de ralentir les criminels, ou de permettre à ses alliés d’être plus rapides. Mais il semblerait qu’il pouvait s’en servir de multiples manières. Empêcher le suicide de cette fille, et lui permettre de soulager ses souffrances. Au final, n’est-ce pas déjà un peu de l’héroïsme ?
Qu’est-ce qui est bien et mal ? Qu’est-ce qu’un alter ? Qu’est-ce qu’un héros ? Au fur et à mesure qu’il avançait, il avait le sentiment de mieux comprendre ce que tout cela impliquait. Encore récemment, il s’était demandé s’il voulait vraiment devenir un héros, mais au final il décida de s’accrocher à ce rêve initial. Il deviendra un héros, peu importe son apparence. Star comptait suivre une voie identique. Elle était au Japon pour seulement un an, mais elle comptait revenir plus tard, pour rejoindre Yuei. Comme quoi.

« Moi aussi je vise le haut, alors... faisons en sorte de nous retrouver dans quelques années ? »


L’heure de passer dans l’école supérieure arrivait à grand pas. Bien sûr, il avait mis une préférence pour l’école Yuei, parmi celles de super-héros qui étaient dans les alentours. Mais il ne pouvait pas atteindre ses 15 ans sans passer par cette case qui lui faisait tant peur, et par laquelle il devait inévitablement passer. Une étape qu’il devait assumer, maintenant qu’il allait intégrer le monde des héros. Celle où il fallait parler avec ses parents. Du problème. Alors qu'il était le plus grand de sa classe quelques années plus tôt, à présent il était le plus petit, presque tout le monde l'avait à nouveau dépassé. Mais ce n'était pas juste une question de taille, même les traits de son visage ne changeait pas. Ses parents commençaient à évoquer que c'était très étrange. Il fallait qu'il l'avoue lui-même avant que ce soit un spécialiste qui le fasse, ça passera mieux. Ainsi, après un repas…

« J'ai fait... une bêtise... »

Il expliquait alors l'utilisation qu'il avait faite de son alter au préalable. Puis sa panique quand il pensait avoir compris l'origine du problème, la manière dont il voyait son alter à cet instant, comment il le voyait aujourd'hui, et ce qu'il avait appris de cette erreur. Tout un développement. Forcément, lorsqu’il l’annonçait, ça commençait par un choc, surtout de la part de sa mère. Ton fils ne va jamais grandir et sera toujours un enfant, il finira par mourir de vieillesse… à 12 ans. Quelle vie. Mais cela se calmait au fur et à mesure qu’il racontait son ressenti. Après le discours de son fils, le père prit la parole.

« Certaines personnes dans la société, même parmi les héros, ne ressemblent pas à des humains adultes. Certains alters modifient complètement leur apparence, de manière irréversible. Certaines ressemblent même à des monstres. Pourtant, par leurs actes, les citoyens leur font confiance. Je suis content que tu ais tiré quelque chose de cette erreur, et que tu as maintenant tourné la page. Même si tu es petit en taille, tu as été grand face au problème. »

Il se leva et se plaça derrière Léo, sur qui il posa une main sur chacune des épaules.

« Peu importe à quoi tu ressembles, que ce soit accidentel ou non. Sois heureux, et suis ta voie. Enfant héros, Léo Oxton. »