Sauvetage cliché. [PV Wendy]

"Allez, t’es pas encore trop mal, pour un mort."

Le téléphone low cost avait un son passable, mais suffisant pour laisser pleinement passer le ton sarcastique d’Utsuki.

- La ferme.

"Détends-toi un peu, c’est un job à la cool cette-fois. Tu vas pas transpirer."

Kyumin se déplia du fauteuil dans lequel il s’était enfoncé avec de grandes difficultés, grognant en se redressant.
Le bras coincé dans une attelle, une genouillère serrée et les multiples lésions gravées dans sa chair n’aidaient pas à oublier son état.

- Suis boiteux avec une patte folle, vais pas aller bien loin de toutes façons... Je passe voir ton gus, je lui file son pognon, sa clé et je rentre, faut pas avoir fait Yuei non plus.

"Tu serais étonné de la quantité de mecs incapables de comprendre des ordres aussi simples."

Hamlin pensa que non, il n’était pas étonné, et que pas mal de ses premiers boulots étaient de faire comprendre aux mous du bulbe qu’il suffisait de faire ce que le client disait en fermant sa gueule. En général après une bonne rossée, les gens imprimaient le concept assez vite.

"Tonton a mis un petit bonus, histoire que tu puisses faire 2/3 courses sur le chemin du retour. Amuses-toi bien... Ah! Et prends des bonbons qui piquent." *clac*

Le coréen resta un instant avec son téléphone en main, interdit, avant de le fourrer de nouveau dans sa poche. Des bonbons? Elle était sensée accompagner Tonton à Nagoya cette semaine.

Hum, soit c’était une énième plaisanterie cruelle de la blonde, soit la perspective d’une soirée avec un peu de compagnie.
Kyumin eut un espoir vicieux en se souvenant des courbes de son ancienne camarade d’infortune aux cheveux d’or, après tout, un peu d’exercice contribuerait surement à sa réeducation...

Il se secoua légèrement pour reconnecter ses neurones, allez, avant le réconfort, l’effort.
Il fallait bien faire les tâches ingrates pour payer ses dettes.

***

Ok, c’est là? Il est sérieux?

En face du coréen se présentait la devanture fatiguée, nimbée de néons rouges, d’un peep-show.
Les murs avaient dû être repeinds à la dernière guerre. Le crépi sale et noirci par une épaisse couche de pollution laissait apparaître ça et là quelques lumières sur sa couleur d’origine, un jaune rappelant la bière à très bas prix qu’on trouve dans les boutiques de destockage.
Cela dit, la porte était proprement peinte, tout l’avant de l’établissement avait été soigneusement balayé et les fissures de la dalle de béton servant de pas montraient une tentative de rebouchage à l’aide d’un ciment bien plus clair.
Si l’endroit était vieux et peu engageant, le propriétaire avait au moins la vertu d’essayer de l’entretenir un minimum.

Hamlin poussa la porte sous le regard interloqué d’une fille enroulée dans une doudoune, fumant une cigarette appuyée contre le mur.

Un comptoir, et un homme aux tempes poivre et sel, doté d’une forte calvitie maladroitement camouflée par un long rabat de cheveux.
La phrase-clé était assez simple.

- Bonjour, c’est mon oncle qui m’envoie, il voulait savoir si vous étiez toujours disponible pour la partie de shogi aux hirondelles.

Le type le regarda avec la vigeur d’un lapin pris dans les phares.

Ok, il était tombé sur un rapide.

- J’vois pas de quoi tu parles mon gars, et pis j’vais te demander de quitter les lieux, t’as pas l’air d’etre majeur, j’peux voir ta carte? *Kyu fit signe que non* Alors j’veux pas d’emmerdes avec les flics tu vois p’tit? Alors tu sors vite, genre maintenant.

Kyumin fit un pas en arrière. Merde.

- Oui, pardon M’sieur, je m’en vais, bonne soirée M’sieur.

Merde, qu’est-ce qui c’était passé? Il sortit son téléphone, puis réfléchit un instant.
La fille à la cigarette était toujours posée devant l’entrée.

Un moment de silence, et l’air abattu, le coréen tourna lentement la tête en direction de la quadragénaire engoncée dans sa doudoune.

La femme fit battre ses cils bien trop longs et tira sur son mégot.

Il fouilla son téléphone et montra le message d’Utsuki avec l’adresse.

- Pardon Madame, ma pote devait me retrouver à ce numéro-là, je comprend pas, c’est pas la bonne rue?

La femme observa le message, regarda le rat et éclata de rire. Elle manqua de s’étrangler, n’ayant pas fini sa bouffée de tabac.
Prise d’un fou rire, elle peina à retrouver son calme.

- Dis gamin, t’as un accent, t’es étranger, pas vrai? Tu viens d’où?

Pourquoi cette question? Un tuyau percé? Un nouveau piège? Il jeta un regard anxieux autour de lui, tentant de percer dans l’obscurité un mouvement suspect. Il fut interrompu par un nouveau rire de la femme aux yeux peints.

- Détends-toi mon titou, j’te taquine, panique pas. J’te montre.
Elle approcha du téléphone et montra le message.
- Ca gosse, c’est pas un 2, c’est un 6, c’est pas des kanjis, il est en hiragana ton numéro, t’es pas du tout au bon endroit.

Kyumin se déconfit sur place.

- Tu vas par là, et tout droit jusqu’à trouver un petit square, y a un konbini à côté, avec une hirondelle sur l’enseigne, tu y seras.
Et franchement, si tu dois retrouver une amie, tu penses vraiment qu’elle t’aurais donné rencard devant un strip-club?

Il continua de se défaire sous les rires de la fumeuse, s’inclina poliment et s’éloigna au plus vite, accablé par la honte.

***

Le square, l’Hirondelle, ok.

Un très vieil homme assis derrière le comptoir le salua chaleureusement.
Le coréen s’inclina et redit sa phrase-clé.

- Oh oui mon garçon, toujours, et tu lui diras bien que cette fois, son général ne le sauvera pas.

L’ancien arborait un grand sourire apaisant.
Il avait donné la réponse correcte, et Hamlin se tourna brièvement vers les rayonnages, qu’il pointa du pouce par-dessus son épaule.

- Tant qu’à être là, je vais en profiter pour faire mes courses alors.

Le propriétaire l’y invita d’un geste accueillant.

Kyumin déplia son cabas et fit quelques provisions, des nouilles, du riz, des sachets de soupe instantanées, quelques conserves d’ananas en tranches, des bonbons qui piquent et un pack de biè... Sa main s’arrêta au-dessus des boites en aluminium argentées.

Nope, interdit ici.Le vieux étant en affaires avec Tonton, il laisserait surement passer par obligation, mais autant garder profil bas et lui faciliter la tâche en restant dans les clous cette fois-ci.

Il se rabattit sur une plaquette de six sodas goût gingembre, parés de bronze.
- ‘chier...

Il posa le cabas rempli sur le comptoir, que le vendeur vida en scannant chaque article.

Kyumin tendit le bras derrière le comptoir et laissa tomber de sa manche une clé métallique.

- Je vais vous prendre aussi un carnet de timbres s’il vous plait..

Le propriétaire jeta un oeil furtif à la clé qu’il fit disparaître aussitôt en ouvrant un tiroir d’où il sortit ledit carnet.

- Ca sera tout?

Le rat opina du chef et sortit une enveloppe de la poche ventrale de son sweat à capuche. Il se décala d’un pas, mettant le sac de courses posé sur le comptoir entre ses mains et la caméra.
Il extirpa une belle épaisseur de billets de leur contenant et le donna à l’ancêtre avec un sourire.
- Y a pas grand-chose, vous pouvez garder la monnaie grand-père, pour la bonne fortune.
Le vieil homme s’inclina en remerciement.

Hamlin mit une petite tape dans la patte du mannekineko et quitta les lieux.

***

Bon, le chemin pour rentrer était assez complexe, mais pas difficile, pas d’escaliers ni passages trop raides pour son genou boiteux.
Le sac commençait à peser lourd sur son seul bras gauche, mais le droit était en écharpe et ne pouvait encore presque rien soulever sans déclancher des douleurs atroces ou pire, se bloquer. Il fallait se résigner à tirer sur un seul tout le long de la route.

Passant dans une ruelle, Kyumin entendit des voix étouffées. Une discussion, le ton était visiblement haut.

Il continua son chemin, poussa la grille qui le séparait de la rue qu’il devait prendre pour rentrer, fit une courte pause pour mettre sa capuche et s’engagea dans le passage.
Faiblement éclairé, le coin n’était pas des plus sécurisants pour le citoyen moyen, mais ce genre de milieu avait le mérite d’apporter tout son contraire à la meute humaine. L’ombre et la faible population était devenu un refuge quand la lumière devenait difficile à supporter.

Les paroles perdirent en intensité alors qu’elles étaient plus proches.

Le coréen continua son chemin et s’engagea dans une coursive, elle longeait la rue dont étaient venus les bruits mais n’était pas très découverte.
Sauf que ladite coursive était bloquée à mi-chemin par une montagne de sacs poubelles. Désormais, des rires venaient de la rue parallèle.

Des amis en train de plaisanter?

Ne voulant décemment pas faire demi-tour et faire un détour inutile dans le seul but d’éviter une rue pour quelques gus qui rigolent ensemble, le rat sortit de sa coursive par un étroit passage pour continuer son chemin par la voie plus large.
Il passera en silence, peut-être un bonsoir aux joyeux drilles si besoin, et basta.

Et merde...

Kyumin apparu dans la ruelle, devant le spectacle de jeunes hommes, surement lycéens au vu de leurs uniformes. Trois debouts, en train de rire, et un quatrième au sol, le visage tuméfié, visiblement passé à tabac par ses camarades.
Le plus large des trois fit signe à l’un d’eux qu’un intrus était apparu.

Le coréen fit signe de n’avoir rien vu en mettant brièvement sa main en oeillère et continua le long du mur en pressant le pas. Il vit rapidement le troisième larron lui barrer le chemin.

Le ‘’chef'’ s’approcha.

- Tu comptais aller où comme ça?

Merde, avec sa patte folle et son bras droit inutilisable, impossible de les distancer. Et en 1v3, même bien entraîné, employer la violence serait contre-productif. Autant jouer au con, ça marche souvent bien avec ces derniers.
Il prit un air effrayé.
- Je... Heu... Rentrer... Chez moi. Oui, oui... Là. Tout seul. Personne vu, oui.

En laissant pleinement libre cours à son accent coréen et en conjugant mal, il passerait pour un étranger peu éduqué, peut-être clandestin. Le type de personne qui n’irait jamais voir les flics.

- Ferme ta gueule. Tu sais pas qui je suis, tu m’as jamais vu, t’as rien entendu, t’étais même pas là, ok?

- Oui, personne vu... Oui. Je partir vite vite, oui.

Le type regarda ses deux copains avec un sourire carnassier. Et fit craquer ses doigts. Kyumin jeta un oeil à l’adolescent tabassé qui profita de l’accalmie pour se relever et tenter de fuir.
Le boss rappela le plus grand d’un claquement, lui faisant signe de le laisser partir.

- Il a compris, laisse-le. Mais toi, gaijin, toi. Je suis pas sur que tu aies bien compris par contre.

Il poussa le coréen d’un coup sec, qui recula sur sa jambe faible, ce qui le fit grimacer, et perdit sa capuche au passage.
Les autres se mirent à ricaner.

- Tu parler pas bien notre langue. Moi pas sur que toi compris. Alors nous vouloir t’aider à biiiiiiiiiiiien comprendre, tu vois?

Merde, la technique de l’étranger un peu débile, echec. Plan B.

Il allait se faire passer à tabac de toutes façons s’il restait sur sa position. Plus le choix.
Trois types en pleine santé contre un boiteux, meilleur équilibrage du monde putain!

Kyumin plissa les yeux, le temps d’une intense concentration lui semblait légèrement ralentir.

Trois racailles de seconde zone d’un lycée merdique.
Forces: Le nombre, donc plusieurs angles d’attaque, et en pleine possession de leurs moyens.
Faiblesses: Surement peu entraînés, ou à un niveau scolaire. Surs de leur supériorité, ils n’ont pas idée que leur proie se défende, encore moins de manière ciblée, effet de surprise.

Lui était très diminué depuis le combat contre le monstre et son pote le tireur. Sa jambe blessée avait un genou raide, les pas seront douloureux et impossible de frapper avec, l’autre jambe en pâtira avec une nette perte de puissance.
Son bras immobilisé par l’attelle ne pourra pas être libéré en combat, trop long, de plus l’épaule lésée sera douloureuse et constituera une zone vulnérable.
Et pour finir, ses semaines d’inconscience et convalescence avaient entâmé une partie de son endurance et puissance musculaire, il frapperait moins fort et moins longtemps.

MAIS, il était un combattant aguerri, d’un tout autre niveau, disposant d’une solide connaissance technique. Le mur à coté de lui lui faisait gagner quelques angles morts pour les attaques adverses. L’effet de surprise lui permettrait de placer deux ou trois coups avant une éventuelle riposte. Avec l’espoir qu’une mise hors combat rapide d’un des trois dissuade les autres.

Et il restait la division en cas d’extrême urgence. Tonton avait fait courir le bruit qu’Hamlin était mort de ses blessures suite au combat contre le duo de mercenaires de Yokohama.
Du moins le temps que son poulain reprenne des forces, plus d’assassinats, de gros coups ou autre contrat compliqué, il ne fallait plus trouver de pattes de rats sur des scènes de crime avant quelques temps...

Un mur à gauche, Racaille en face, Chef sur le coté, Grand à quelques mètres s’approchant.

3 coups, peut-être 4.

- Non, pitié, pas taper, vous... *ses yeux noirs passèrent instantanément du regard angoissé à la colère* Allez morfler enculés!

Kyumin jeta son sac aux pieds du chef, qui fit un petit bon en arrière par réflèxe pour éviter le projectile improvisé.
Il prit appui sur sa jambe faible et élança, appuyé par les hanches, un violent coup de coude à revers en pleine tempe de Racaille qui n’eut pas le temps d’esquisser un geste défensif.

Sa tête, emportée par l’impact, heurta le mur dans un bruit sec. 1.

Le coréen se jeta contre Chef, qui tenta d’opposer une poussée avec les mains, le bras valide du rat passa dans son intérieur droit en bouclier, l’autre par contre n’avait pas de résistance à rencontrer, et l’adversaire pu appuyer fortement contre l’épaule blessée du vilain qui perdit une partie de son élan initial.
Mais la percée à gauche lui avait offert une ouverture.

*Slam!* Le sommet du crâne d’Hamlin percuta l’arète nasale de son opposant, qui recula brutalement sous le choc.
Pas de craquement, le coup avait éte correctement placé mais peu puissant, de quoi être bien sonné quelques instants mais pas de casse. 2

Chef trébucha et tomba à la renverse. Kyumin tourna la tête et vit Racaille relever la sienne, encore sous le choc de son embrassade éclair avec le parpaing. Il ne lui laissa pas le temps de reconnecter, lui assènant un coup de talon dans les gencives. 3.

Le rat s’élança pour remettre une deuxième dose à Chef en profitant de son hébètement, histoire de finir le travail commencé sur son profil.

Mais la jambe droite ne répondit pas comme convenu, et Kyu fit un mouvement maladroit l’empêchant de prendre appui correctement, le pied lancé eut un petit temps de latence.
Chef eut la bonne idée d’en profiter.
Le bras en travers fit barrage, et le voyou put repousser l’assaut, se servant de sa deuxième main comme appui supplémentaire. Le coréen déséquilibré percuta le mur derrière lui.

'chier.

Chef se relève doucement, et Grand se met à charger.

Attaque éclair, un neutralisé et un temporisé sur trois.
Bon, éviter la charge du grand. Profiter du mur. Appui à gauche. utiliser l’élan pour frapper le rein, puis genou, puis cervicales.

Le poing du plus grand s'abattit vers le coréen qui s’élança sur sa droite pour l’esquiver...
Mais fut retenu par la main du premier adversaire, pourtant frappé deux fois de suite à la tête, qui avait réussi, toujours au sol, à empoigner la jambe de son pantalon, brisant son mouvement.

NANI!?

*PUNCH*

Le poing du boxeur vint s’écraser contre la joue de Kyumin, qui bascula violemment sur son coté blessé.
L’épaule maintenue par l’attelle percuta le trottoir à pleine vitesse, sans aucun moyen de se retenir. Le coréen eut le souffle coupé par la douleur qui venait de traverser son torse.
Il pu in extremis dégager sa jambe de la prise de l’adversaire au sol pour se protéger d’un coup de pied donné par le plus grand.

Focus, frappe ciblée.

Le coup donné était puissant mais lent et mal positionné, de son bras valide Hamlin empoigna le canon du pantalon du frappeur et élança son pied en plein dans les parties génitales de son adversaire.
Celui-ci fut comme projeté par la douleur et fit quelques pas en arrière avant de tomber à genoux les mains crispées sur son anatomie.

Kyu n’eut pas le temps de profiter de cette opportunité pour tenter de se relever, déjà leur chef lui assénait un coup de pied dans les côtes.

Putain!

- Sale enfoiré, on va t’crever, fils de...

Les coups pleuvaient, le coréen au sol se roula en boule pour tenter de protéger tant bien que mal ses parties vulnérables, cherchant une éventuelle ouverture. Le plus grand des voyou se relevait difficilement, la bave aux lèvres, les yeux inondés de larmes de rage.

On ne pouvait pas trouver plus mauvaise configuration...

Plan C.

La Horde.
Hamlin devait griller sa précieuse carte.

Se diviser et attaquer en meute, briser ces fils de chien, leur crever les yeux, déchirer leurs gorges, les saigner comme des porcs par le croc et par la griffe.
Ils étaient seuls dans cette ruelle oubliée de tous.
Aucun témoin, aucun survivant.

Toujours sous la pluie de coups qui le martelait sans cesse, redoublant de violence avec l’ajout du second adversaire, Hamlin était submergé de douleur et de colère, mélées de visions du camp, des tortures, de l’odeur du sang. Ses pupilles s’élargirent jusqu’à emplir entièrement son oeil, il sentait ses cheveux se dresser, ses dents sérrées commencèrent à laisser échapper un sifflement aigu.

Le choc résonna dans l’air.
La silhouette du plus massif des opposants se vit privé des bienfaits de la pesanteur sous l’impulsion de cette ombre plongeante.

Kyumin avait du mal à discerner l’action, ses sens étant complètement perturbés par cette interruption soudaine de division.
Son corps nullement habitué à effectuer ce type d’action n’arrivait plus à réagir, son cerveau et ses organes internes coupés dans leur séparation devaient refusionner brutalement, provoquant de terribles douleurs.
L’esprit de l’Alpha était né mais n’avait pas été créé physiquement, bloquant la vision du coréen dans sa forme vermine, floue et monochrome, avec cette impression de morcellement persistante.

Le chef des racailles eut droit à sa propre distribution de violence dûment méritée, l’envoyant voltiger plus loin dans la ruelle.

Un ennemi de l’ennemi? Un chasseur de prime ne voulant pas partager? Un héros l’ayant reconnu?

Hamlin était dans une situation catastrophique, blessé et en difficulté pour se rassembler, il ne pourrait pas se diviser immédiatement, le laissant à la merci du nouvel arrivant.
Ses yeux reformés retrouvèrent la perception des couleurs, mais la mise au point n’arrivera qu’au bout de plusieurs secondes.

Quand il vit, encore incapable de bouger, une main s’approcher de lui.
Son corps ne répondit pas assez vite pour se mettre en garde, impossible d’esquiver le...

Kyumin repris le contrôle de son corps mais n’arriva pas à bouger immédiatement, surpris par le spectacle qui lui était donné de voir.

Un visage jeune, féminin, doté de longues oreilles pointues encadré de cheveux verts, derrière la grande main griffue menaçante au premier abord. Un regard bienveillant, d’un violet profond.

- Je...

Il n’eut pas le temps de répondre, que sa main valide avait déjà attrappé celle tendue vers lui, un toucher rêche, écailleux, comme celui d’un oiseau. La jeune fille avait de la force pour sa taille car elle n’eut pas de grandes difficultés pour le remettre sur pied.

Tres endolori et encore secoué psychiquement par cette division avortée, le coréen n’arrivait pas à bien se représenter la scène. Qui était-ce? Une envoyée de Tonton?
Ses sens revenaient doucement.
Il était hébété, n’arrivant pas encore à se synchroniser pour articuler. Avant de voir derrière la jeune femme une forme bouger. Le colosse pourtant bien secoué se relevait.

Il poussa légèrement son sauveur par réflèxe.
La brute s’élança sur eux, et Kyu leva son bras en bouclier.

- Attention!

Soutenu par la mystérieuse fille-oiseau, Kyumin fit quelques pas à ses cotés. Il regarda interloqué le visage particulier de son sauveur, ses longues oreilles fines et les traits légers qui encadraient un sourire grâcieux.

Elle avait des épaules solides, à la musculature gainée, semblable à celle d’une nageuse. Un petit gabarit nerveux, très entraîné.
Il regarda les reflets irisés des longues plumes qui ornaient les longues ailes griffues de la jeune femme. Il avait toujours eu un certain attrait pour l’ingénieuse machinerie biologique, voyant ici la somptueuse complèxité de cette écaille améliorée, qui permettait au vivant de coloniser les cieux.

Avec de si imposants membres, et la force qu’il devait falloir pour s’appuyer sur l’air de cette façon, pas étonnant que cette fille soit si athlétique.
Comment était-ce? Comme nager dans l’air ou était-ce totalement différent?

Il n’oserait pas lui demander comme ça, tout de go, alors qu’ils ne se connaissent même pas. Peut-être était-ce même impoli.

Il se demandait comment était la vie dans ce corps si particulier. Si lui avait pu composer avec deux corps distincts, malgré cette terrible sensation de morcellement lors de la division, il était né simple homme, il disposait de la posibilité de se fondre dans la masse humaine comme animale, en restant soit l’un soit l’autre.
Mais comment  était-ce d’être dans cette zone d’entre-deux? De qui se sent-on le plus proche?

Puis il fut extirpé de ses pensées par son instinct, qui lui rappella un détail.

Lui dans un hôpital. C’était des questions, des demandes de papiers qu’il n’avait pas, la police, l’impossibilité de se défendre, au mieux la fuite, la confirmation qu’Hamlin a bien survécu, qu’il est salement amoché donc vulnérable, réveiller de vieux ennemis opportunistes, alerter de nouveaux, attirer l’attention du tueur de Yokohama qui l’avait envoyé dans le coma, le genre d’adversaire qui ne craint pas d’ouvrir le feu en plein jour dans une foule, l’envoi d’un autre monstre comme le gorille carnivore, la peur permanente, rester de nouveau caché dans un trou ...

- Non, pas l’hôpital!

Il dégagea son bras de la jeune femme, avec un air affolé.

- S’il te plait, je peux pas y aller...

Vite, trouver quelque chose, «je suis un criminel recherché passible de la peine maximale» n’étant pas du tout approprié, il devait trouver un moyen d’éviter les ennuis. La fille en face de lui était un chevalier du bien, elle trouvera immédiatement suspect le fait qu’un type refuse absolument d’aller se faire soigner alors qu’il est visiblement blessé.

- S’il te plait, je... Je...

Allez, grouille, trouve vite ton échappatoire.

*tilt*

- ...Je n’ai pas de papiers. Mes parents étaient des clandestins, on est arrivés ici cachés. S’il te plait. Si tu m’emmènes à l’hopital, ils appelleront la police. On m’enverra en prison, ou dans mon pays. C’est la dictature là-bas, on tue ceux qui essaient de partir.

Ok, c’était risqué, mais entre l’assasin fiché dans 3 pays différents et l’immigré clandestin qui veut se cacher dans un pays moins violent que le sien, la lourdeur de leurs crimes respectifs n’avaient absolument rien à voir.

Kyu s’inclina, regard vers le sol, et mis sa main valide en signe de prière.

- Pitié, yeong-ung, merci de m’avoir sauvé, mille fois, mais ne m’emmènes pas là-bas.

La seule bouche d’égout utilisable était à bien 50m, inutile de griller une division maintenant, si ça ne marchait pas, il faudra jouer la coopéreration et fuir au bon moment.
Les yeux fermés dans une supplication, le coréen tentait de mesurer ses chances avec la jeune femme-oiseau.
Véritable archonte de la loi ou coeur sensible pétri de bonnes intentions?

Pfiou...

Kyumin ne put réprimer une expression de soulagement devant les paroles de l’héroïne, et se laissa empoigner sans résistance.
Coopérer pour l’instant semblait être la solution la plus raisonnable.

Et puis son corps humain ne disposait pas de la résiliance de la horde, ses jambes n’arriveraient pas à le porter bien loin sans appui tierce, autant profiter de cette assistance improbable.

"On va aller là tu penses que c'est le plus sûr pour toi mais à une condition... Comment tu t'appelles ?"

Le rat fit une pause et tourna son regard vers la jeune femme-oiseau.
Evidemment qu’elle allait lui poser ce genre de questions, elle était en train de le porter grâcieusement en plus de lui avoir sauvé les miches.

Les yeux plissés, un grand sourire chaleureux illuminant un visage tuméfié, Hamlin mit son masque d’innocence devant les interrogations de son sauveteur.

-Kyo... Kyosuke. Mais on m'appelle Kyo.

La fille ne serait pas dupe, un coréen avec un nom japonais... Mais un refugié qui se cache à tout intérêt à prendre un autre nom d'usage pour rester discret. Elle avait l'air d'être intélligente, le rat ne lui fit pas l'affront de lui expliquer avec un nom coréen bidon, pensant qu'elle le devinerait d'elle-même.
Et puis Kyo, ça passait plutôt bien.

Bon, hôpital évité mais autant traiter les blessures rapidement, et si possible sortir de ce guêpier pendant que ses membres le soutiennent encore.
La planque n’était pas très loin, mais Kyumin préfèrait à la fois éloigner la jeune femme de ces ruelles insalubres, et rejoindre un endroit plus neutre où elle pourrait le laisser.

Il pointa la direction du parc de l’Hirondelle de la tête.

- Le parc pas très loin, il y a un petit konbini. Le gérant est un vieil homme d’une grande gentillesse, il aura peut-être une trousse de soins.

Le duo ramassa le petit sac de courses et prit le chemin de la supérette, au bout de quelques minutes ils arrivèrent vers l’entrée où l’ancien, reconnaissant Hamlin, offrit grâcieusement sa trousse de premiers secours à l’équipée, ainsi qu’un lieu tranquille dans l’arrière-boutique.
Une petite salle de repos avec une table pliante en bois et deux chaises de camping.

Kyu s’installa sur une des chaises, commençant à déballer, en compagnie de la harpie, les différents sets à pansements de la petite trousse.
Il resta un instant perdu dans la vision des mains griffues de celle-ci, qui malgré les imposants rasoirs qui terminaient ses membres, ouvrait les petits sachets de papier avec une grande dextérité.
C’était comme voir quelqun sculpter un dragon écaille par écaille dans la glace avec une tronçonneuse, un parfait équilibre entre la puissance et la grâce.

Le rat se ressaisit au bout d’un court instant et détourna le regard avec un air gêné.
Il était beau, le criminel endurci, ici, à esquiver comme un lycéen un peu timoré, essayant de ne pas paraître impoli envers la jeune femme.
Il ne savait pas trop comment se positionner envers la dénommée Wendy.

Il était fasciné. Sans pensée malsaine aucune, juste de l’admiration. Admiratif devant cette remarquable machinerie aviaire parfaitement fusionnée avec ce que l’humain pouvait offrir.
Glitch appelait ça la «beauté fonctionnelle», lorsque que les fonctions trouvent un  point d’optimisation où l’ensemble devient si efficace globalement qu’il en devient harmonieux de lui-même. La beauté n’est jamais ce que la nature cherche, mais l’éfficacité finit par y tendre.
Bon, c’était une tordue, dangereusement tordue, mais parfois ses raisonnements avaient une certaine vérité.

Kyumin tenta de nouer le dialogue avec la jeune femme-oiseau. Essayant d’équilibrer entre regard fuyant pour ne pas l’offenser et instants d’échange, croisant son regard par instants.

- Et, euh. Sinon. Wendy. Tu as un accent étranger toi aussi, tu viens d'où?

Le rat fit un rapide geste de barrage, un air anxieux sur le visage.

- Tu es pas obligée de me répondre si tu ne veux pas, hein? Mais bon, tu m'as sauvé la vie ce soir, alors je suis un peu curieux, toutes mes excuses...

S’ils devaient rester seuls dans cette petite pièce le temps que le charmant volatile rafistole le rongeur cabossé, autant s’occuper un peu en faisant la causette, et si possible que ce soit elle qui monopolise la parole.
Puis, en y repensant, hormis Utsuki, cela faisait des lustres que le coréen n’avait plus eu à soutenir de conversation normale avec un vrai être humain.

Wendy avait finalement amener Kyosuke ; c'est le nom qu'il lui avait été donné par son rescapé même si c'était un nom japonais, au petit kombini qui était sur la place, celui-là même où elle l'avait croisé un peu plus tôt. La situation était on ne peut plus ironique, voilà nos deux personnages de retour à la case départ. Ils avaient fait tout ce chemin pour finir là d'où ils venait.

Wendy aurait préféré déposer Kyu directement chez lui mais elle ne pouvait s'empêcher de se dire que son protégé devait être dans une situation précaire et qu'il n'avait pas forcément envie de le montrer et elle savait qu'elle ne pouvait rien n'y faire aussi elle n'avait pas insisté sur le sujet pour se concentrer sur ce qui était à sa portée.

Après avoir remercier le gérant du magasin qui acceptait d’accueillir les deux jeunots de bon coeur, là voilà en train de soigner Kyo. Ce n'était pas grand chose puisqu'elle ne savait appliquer que les premiers soins mais au moins il ne risquerait plus la septicémie et diverses autres infections. Elle déballait les sachets aseptisé de compresses en passant une serre dessus avant de les imbiber de désinfectant et essuyer délicatement les plaies du jeune homme avant de s'arrêter quelques secondes en voyant les nombreuses cicatrices sur les bras de Kyo.

Le désinfectant qui aurait du le faire un peu mal ne le fit même pas broncher et maintenant elle savait pourquoi, la scène à laquelle Wendy l'avait sauvé ne devait pas être quelque chose de rare, une larme coulait sur la joue de Wendy qui était resté silencieuse tandis qu'elle continuait ses soins en attachant des compresses propres à chaque plaies qu'elle désinfectait.

Kyosuke qui devait sentir ce silence pesant décida de le briser en entamant la discussion

"Et, euh. Sinon. Wendy. Tu as un accent étranger toi aussi, tu viens d'où?"

Wendy qui était alors concentré sur sa tâche et aussi par les innombrables cicatrices du jeune, releva la tête qui était alors sillonnée par les pleurs de notre étudiante. Kyo fit un geste devant lui pour accompagner ses paroles :

"Tu es pas obligée de me répondre si tu ne veux pas, hein? Mais bon, tu m'as sauvé la vie ce soir, alors je suis un peu curieux, toutes mes excuses..."

Wendy essuya son visage sans vraiment réussir à contenir la peine qu'elle éprouvait pour lui avant de s'excuser à son tour.

"Non, c'est ma faute, je m'excuse. Je sais qu'il faut pas grand chose pour que je me mette à pleurer... Elle s'essuya encore une fois. Pour répondre à ta question, je ne suis qu'à moitié japonaise, mon papa vient d'Angleterre, c'est de lui que je tiens mon nom et on habite dans une ville pas loin du Mont Fuji et du coup à la maison on parle souvent anglais."

Elle avait fit par sortir de la trousse un pince ainsi qu'un morceau de coton qui eu droit à sa rasade de désinfectant pour nettoyer le visage de Kyo qui avait reçu quelques coups. Alors qu'elle tamponnait doucement le visage de Kyo elle ne put s’empêcher de lui poser des questions par rapports à ce qui lui causait tant de peine.

"La scène de tout à l'heure n'était pas un cas isolé, n'est-ce pas ? Tu as des cicatrices partout et certaines sont particulièrement grandes, je sais que je ne peux pas réparer le passé et qu'au final on ne se connait pas mais j'aimerais faire en sorte que tu n'as plus à te blesser à l'avenir..."

Elle venait d'attacher le dernier pansement sur le nez de Kyo, ce n'était clairement pas du travail de pro mais au moins ça lui permettrait de se soigner un peu contrairement à si il l'avait laissé à l'air libre.

"Voilà, c'est fini. Maintenant, ce qu'il te faut c'est du repos. Tu connais quelqu'un qui pourrait venir te chercher ? Ça m’ennuierais de te laisser sans te savoir en de bonne mains."

Quelqu’un? Le chercher?
De toutes les personnes présentes sur cette terre, le coréen n’avait que deux êtres capables d’avoir le moindre geste envers sa personne.
L’un était un maître chanteur, escroc, proxénète, qui ne tenait à l’intégrité de son chien d’attaque que pour sa capacité à sortir les crocs contre ses ennemis et garder ses propriétés contre gîte et couvert.
L’autre était une fille instable, toujours sur le fil entre la soumission et le respect des règles établies par son maître; et l’envie toujours dormante de briser son collier, ce qui compliquait toujours ses relations avec le rat.

Utsuki en ce moment était dans la bonne phase, où elle cherchait sans cesse les rapports physiques et des moments de complicité. Son étincelle d’humanité.
Mais un seul sifflement de Tonton, et elle redevenait sa favorite, obéissante à ses moindres désirs.

Si un jour le choix devait se présenter, il n’y avait aucune garantie...

Non, en vérité il n’y en avait pas. Personne en qui Kyumin pouvait accorder sa confiance. La seule qui n’aie jamais existé ayant disparu à jamais il y a longtemps.
Il baissa les yeux, l’air grave. Pas triste, ni abattu. Le regard de celui qui a tenu bon, et sait qu’il tiendra encore.

- Pour être honnête, non. Je n’ai personne. Les cicatrices viennent d’un camp de prisonniers politiques, comme il y en a des centaines en Corée du Nord. Mes parents ont disparu depuis quelques années, et je vis seul depuis.

Le rat ne voulait pas verser dans le mélodramatique. Loin de l’air victimaire qu’il aie pu prendre pour s’éviter le trajet pour l’hopital, le coréen fixait Wendy dans les yeux, avec un visage sérieux.

- Tu sais, dans la situation des gens d’ici, faire confiance c’est un luxe. Le spectacle que tu as vu ce soir, c’est bien plus fréquent que tu l’imagines. Ici c’est une petite jungle, avec ses grands prédateurs et les petits animaux qui vivent planqués, ou qui se rangent sous leurs ordres...

Puis Kyumin repris un air souriant, un peu taquin, et se pencha pour sortir deux canettes de soda coréen au gingembre de son sac cabas de toile brune, flanqué du logo d’une célèbre chaîne de boulangerie bon marché.

- En vrai, je suis plutôt fort en taekwondo, en général contre les petites frappes je m’en sors bien... Du moins quand j’ai tous mes membres, haha.

Le coréen avait le coeur à détendre l’atmosphère, quitte à jouer un peu les amuseurs, pour tenter d’arracher un sourire à la jeune femme qui lui tenait compagnie.

Mais ce soir apparemment, c’est moi la demoiselle en détresse et toi le chevalier tombé du ciel...
De sa main valide, il fit une arabesque ampoulée, un peu grotesque, avec un sourire complice.

- Alors si Milady voulait m’accorder l’immense privilège de partager cette humble preuve de gratitude en ma compagnie, elle ferait de moi un homme comblé au plus haut point.

N’était-ce pas dangereux d’user de tout son vocabulaire en une seule phrase?

En vérité, le rat commençait à se prendre au jeu, reste à savoir si la jeune harpie souhaitait perdre son temps avec un clandestin sur une table de camping ou si elle préfèrait partir vers d’autres cieux.

Dans tous les cas, il en sortait gagnant.