Petit Théodore deviendra grand [une aventure solo]

"Hors de question."

Théo ne put s'empêcher d'écarquiller les yeux devant la réponse du Vampire. Ce dernier, toujours torse nu depuis le combat dans l'immeuble, s'était accoudé sur le mur de la chambre pour fumer sa cigarette. Il avait finit par réapparaître dans la pièce ou il avait abandonné le garçon, avec Monroe Sniket pour seul compagnie. Twice s'était chargé de saucissonner la progéniture de Ludwig, et il ressemblait plus à un gigantesque jambon qu'au fils d'un mafieux influent. Son bâillon n'arrivait pas à cacher la marque que la semelle du bourreau avait laissé sur sa bouche, et Théo ne pouvait que le plaindre vu la raclée que Venom Strike lui avait foutu "pour lui apprendre ce qu'il se passait lorsque l'on menaçait un des homme de la Ligue". Le Vampire était très fort, et il était allié avec des criminels qui l'étaient aussi. Côtoyer des gens aussi dangereux était le rêve de Théo, et lorsque le bourreau avait envoyé sa demande d'intégration aux oubliettes quelque chose s'était brisé en lui. Il avait besoin de ce boulot...

"Mais j’croyais que…"

"Mon garçon, qu'est ce qui te pousses à rentrer dans notre Ligue ?"

Théo se stoppa net. Quelque chose venait de se répandre dans l'air. Le Vampire avait beau le regarder en souriant il n'avait pas confiance. Il avait frappé Monroe en souriant, il avait serré les mains de ses collègues en souriant, il lui avait demandé de rentrer dans cette chambre en souriant, et il avait placé cette chose abject en tenue combinaison noire devant la porte en souriant. Cet homme faisait tout en souriant, et il pouvait très bien décider de le tuer sans que son visage ne bouge d'un pouce.

"J’veux devenir plus fort M'sieur. J’veux pas continuer comme ça, j’aurais une vie trop merdique sinon…"

Alucard continuait de dévisager l'enfant avec un calme apparent, mais la situation le laissait pensif. Il avait un potentiel, c'était plus que certain, mais pour l'instant il était faible et stupide. Au moins il savait ce qu'il voulait, ou alors il pensait le savoir. Il pouvait aussi lui mentir pour échapper à une exécution, mais le professionnel qu'il était n'y croyait pas vraiment. Ils avaient besoin de recruter des hommes de mains, une organisation ne devenait majeur que lorsqu'elle était capable de perdurer dans le temps, mais il n'était pas certain que le blondinet soit le candidat le plus approprié.

"J’vois pas l’intérêt de vivre si c’est pour rester tout en bas."

Le regard du Vampire tiqua. Il se détacha sans grand empressement de son emplacement avant de lancer son pied à la vitesse de l'éclair, fracassant le corps du garçon au passage. Il entendit très distinctement l'épaule de l’adolescent se démettre sous l'impulsion de sa chaussure avant de le voir décoller à travers la fenêtre du troisième étage. N'importe quel civil serait mort en quelques secondes après une projection aussi violente, mais Théo n'était pas quelqu'un de normal. Théo était un voleur avec de bon réflexes et son Alter était fait pour la situation. Reste qu'il ne s'attendait pas à passer à travers une vitre aussi rapidement. Il activa son pouvoir et se rattrapa comme il le put mais ce ne fut pas suffisant pour éviter l'impact avec la ruelle. La chute fut rude, trop rude. L'adolescent essaya de se relever mais la tache lui semblait gargantuesque. Il avait l'impression d'avoir été agressé par une montagne. Il sentait qu'il était en état de choc, mais que son corps n'était pas en danger. Il devait se relever avant que l'autre ne lui tombe dessus.

"Alucard…"

Le Vampire, qui observait Théo se remettre sur ses jambes, se retourna vers la porte de la chambre. Un Mustard en tenue de ménage (ce qui impliquait visiblement de porter un masque à gaz) lui faisait sentir tout le poids de son exaspération. Il n'avait suffit que de quelques heures au bourreau pour casser quelque chose dans l'endroit que lui, Magne et Black Mist essayaient de maintenir à flot, et la moutarde commençait à lui monter au nez. Le bourreau lui jeta un regard d'apaisement. Il aimait bien Mustard. Il était très jeune, mais il avait preuve de sa capacité à tuer. Et puis, il fallait mieux éviter d’embêter les disciples des autres.

"Pas d’inquiétude, je te repayerai le coup de la fenêtre. Moonfish, va chercher."

Le fou ne se le fit pas dire deux fois. Il grommela quelque chose d'incohérent avec un avant de se jeter par la fenêtre les dents en avant. Son corps se cabra dans une position complètement absurde alors que ses lames en émail dentaire fondaient sur le pauvre Feather Fall. Théo essaya de résister, mais il n'était pas assez vif. Les dents du cannibale l’entourèrent rapidement, et ses jambes du se lièrent autour de son pauvre petit cou. La scène aurait faites une superbe sculpture mais elle laissait Alucard froid. La situation ressemblait beaucoup à ce que son propre professeur lui avait fait subir à l'époque. Alors comme ça Théo voulait devenir quelqu'un ? Aucun problème de son coté, mais il allait falloir qu'il crache ses tripes !

"Regarde moi ça. Tu n'es même pas capable de résister à une créature comme lui et tu oses me demander si tu peux servir à nos cotés ? Moonfish, lâche."

Moonfish avait cessé d'être raisonnable depuis longtemps, mais il n'en restait pas moins obéissant. Alucard avait tendance à le comparer à un petit enfant. Il était capable d'avoir de l'affection pour les personnes qu'il reconnaissait comme sa meute et obéissait à leur consigne la plupart du temps. Il faut dire que la Ligue ne lui demandait que d'être impitoyable, ce qui allait parfaitement dans son sens. Et dire qu'il était sain d'esprit à une époque... Si les Japonais ne l'avaient pas gardé dans un couloir de la mort aussi longtemps, les liguards auraient récupérés quelque chose qui était encore soignable. La camisole de force avait beau retenir ses bras, Moonfish n'en restait pas moins suffisamment doué pour attraper n'importe qui. Le fou savait instinctivement jusqu’où il pouvait se permettre de pousser son corps sans danger, et remonter jusqu'à la fenêtre ne lui prit que quelques secondes. Alucard en profita pour se laisser glisser jusqu'à sa victime, curieux de voir si l'adolescent tenait le coup. Si il ne le tenait pas la procédure n’était pas bien compliquée : le bourreau ferait en sorte d’enterrer son cadavre dignement.

"Ton état physique est médiocre, ta maîtrise de ton Alter est déplorable et ton mental est insuffisant. Tu ne peux même pas rêver de rentrer dans un gang de rue. Alors dis moi mon garçon, pourquoi est-ce que je devrais te laisser en vie alors que tu as vu ou se trouve notre base ? Pourquoi je devrais te laisser partir alors que tu n'es pas capable d'esquiver Moonfish ?"

"Je… J’sais comment obéir."

La réponse, expulsé entre deux glaires par un garçon au sol, ne manqua pas d'arracher un sourire à l'homme de la Ligue. Théo avait mal, terriblement mal, mais il avait dit au bourreau qu'il préférait mourir que de vivre comme une victime toute sa vie. Il n'aurait pas dû. Il avait peur maintenant, terriblement peur, parce qu'il savait que la créature d'All For One n'aimait pas les mensonges. Il voulait vivre, et il pensait assez innocemment que le meilleur moyen d'être épargné était de rester cohérent. Il se devait rentre dans cette Ligue, même si ça faisait mal, même si c'était difficile. Il fallait qu'il devienne puissant.

"Alors comme ça tu sais obéir ?"

"J’sais obéir."

Le garçon avait recraché sa réponse comme si son honneur en dépendait. Son expiration avait été tellement violente que son bras avait finit par le lâcher. Il se rétama sur le béton avec un petit cri outragé. Alucard éclata de rire. Le gamin était faible, mais il avait un je-ne-sais-quoi d'attachant. Il posa donc un vieux cellulaire devant l'adolescent avant de reculer de quelques pas. On pouvait sans doute tirer quelque chose de cet original au regard si particulier.

"Prend ça avec toi. Tu attends mon appel, et tu ne remet pas les pieds dans notre bar sans y avoir été invité. Si tu es encore sur le trottoir dans dix minutes je relâche Moonfish. Je ne le pense pas capable te laisser en vie."

"J'vgrumpf..."

Théo finit par se relever après une bonne dizaine de tentative. Il n'avait aucune notion du temps, huit minutes comme dix secondes auraient pu passer qu'il n'aurait pas été capable de dire la différence. Tout ce qu'il savait c'est qu'il était seul dans une ruelle de merde avec un cellulaire et que, si il ne dégageait pas vite fait bien fait, il pourrait croiser un cannibale fou assez peu accommodant. Il attrapa le portable avec précaution et boita hors de la zone sans demander son reste.

"P'tain de merde..."

Plus Théo se regardait dans la glace, moins il arrivait à y croire.

Le garçon rapprocha son corps nu du miroir de la salle de bain avec une infini précaution. Il était rentré dans la Ligue depuis deux mois et son visage avait complètement changé. Son horrible tignasse blonde n'était plus qu'un mauvais souvenir, et son regard était plus vif que jamais. Il n'avait plus cet air de perpétuel endormi que sa faible vie familiale lui avait donné. Il faut dire que le chirurgien payé par son maître avait fait un travail remarquable. Ses dents étaient impeccables : fini l'horrible trou laissé par un coup de poing du paternel. Son nez était plus harmonieux, et ses oreilles laissaient une impression de symétrie, et il y avait les muscles... Ce n'était pas énorme et sec, mais c'était bien mieux que ce qu'il avait eu jusqu'à maintenant. Il ne ressemblait plus à cet original qu'il avait été pendant des années, mais à quelque chose d'autre : quelque chose de plus beau, de plus puissant. Le Vampire avait raison : même si la plupart de ses traits étaient encore en place, peu de flic serait capable de le reconnaître. Il avait changé. Feather Fall commençait à prendre le pas sur le garçon qu'il avait été. Cette pensée le perturba profondément et il commença à se gratter les cheveux de plus en plus fort. Il était beau, il était beau, il devenait fort, sa vie était géniale ! Le garçon aurait sans doute continuer de céder à ses tocs si la sonnerie de son portable ne l'avait pas rappelé à l'ordre. Il était sept heure du matin. Bosser, il fallait qu'il aille bosser et vite ! Il allait se faire gronder si il arrivait en retard. Il sortit de la salle de bain en quatrième vitesse et manqua de se péter la gueule devant sa penderie. Il enfila rapidement un tenue de sport toute simple, fit coucou à son chat qui mangeait tranquillement dans un coin, enfila ses chaussures aussi vite que possible et bondit en dehors de son appartement avec l’énergie d'un chien enragé. Il fit tourner le verrou en une demi-seconde et se dirigea vers la rue en courant. Il avait du travail aujourd'hui, comme tout les jours en fait. Le programme que son maître lui avait conçu était plus que chargé, mais le jeune homme avait l'impression que ça valait le coup.

Pour la première fois dans sa vie, il avait l'impression de vraiment s'éclater.

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Les porcs ce succédaient les un après les autres devant la découpeuse de Théo, qui s'attaquait à leurs carcasses pour en arracher la peau. L'objectif était simple : laisser voir la viande dans toute sa splendeur, et se faire éclabousser de sang chaud au passage. L'odeur était sans doute le plus horrible. Cette senteur de viande crue s'infiltrait partout, en particulier sur les cheveux, et il était très difficile de l'enlever complètement. C'était la dure vie des ouvriers en abattoirs, qui se retrouvait à gérer les fluides corporels les plus répugnants dans une chaleur écrasante. Il n'y avait pas de place pour le dégoût.

Pour Théo, les premiers jours avaient été très difficiles. Ils se demandait en permanence pourquoi son maître l'avait collé dans un endroit pareil pour toutes ses mâtinées, à faire en boucle des taches aussi dégradantes. Mais au bout d'un moment, il avait fini par comprendre. C'était un métier de merde, un vrai, une occupation qui vous rendait insensible à la vue du sang, des entrailles et de la chair. Beaucoup de gens finissaient par le quitter par peur de devenir insensible, et encore plus parmi les jeunes gens qui, comme lui, passait de chaînes en chaînes. Abattre un porc en le regardant droit dans les yeux, lui retirer la peau, le vider de ses entrailles, le hacher en plus de 230 morceaux... Il n'y avait rien de plus formateur que ça, et le garçon en prenait lentement conscience. Lors du God Hand, son maître lui avait demandé de vider un cadavre de tout sang pour le mettre dans des bouteilles. Il l'avait fait, sans vomir. C'était difficile, mais c'était faisable. Avant l'abattoir, il se serait juste enfuit en courant ! Et puis, il y avait le bruit... Entre les porcs, les machines et l'épuisement perpétuel il était très difficile de bavasser avec votre voisin. Lorsqu'on voulait absolument parler à quelqu'un, on lui tapait doucement sur l'épaule et on le prenait en privé. Ça arrivait rarement à Théo. Il faut dire qu'il n'utilisait même pas son vrai nom ici, donc il y avait peu de chances de sa faire des copains. Il fut donc plus que surpris lorsque le contremaître de sa chaîne vint lui tapoter l'épaule. Le jeune homme jeta ses gants couverts de sang dans une poubelle en plastique, retira son tablier et son casque, et se dirigea vers un endroit plus calme.

"Je viens d'avoir le patron à l'interphone. Il veut te parler dans son bureau. Bouge toi, il dit que c'est important. Je vais pas te mentir petit, soit t'as une promotion, soit t'es viré."

Bizarre. Théo se grattait la tête : le poids des questions commençait à lui peser. Son maître lui avait dis que le patron était un allié, et qu'il ne s'interposerait pas dans son entraînement. Peut être que la Ligue voulait le voir ailleurs aujourd'hui ? Il n'était que 10h30, il faisait leur coup plus tard d'habitude parce qu'ils se couchaient à pas d'heures ! Plus il s'approchait du bureau, éloigné des chaînes de découpages par un petit couloir, plus la situation lui semblait bizarre. Il avait un mauvais pressentiment. Reste qu'il n'avait pas le choix. Il poussa la porte du petit bureau du chef, et tomba nez à nez avec deux drôles d'énergumènes. Un homme rhinocéros en tenue de sport se tenait contre la porte. Derrière lui se trouvait un petit mec avec un visage fin et des lunettes de soleil vintage. Il avait aussi un pistolet silencieux dans la main, et la cadavre du patron se tenait juste derrière lui. Le magnat du porc en boite de trente gramme n'avait pas l'air très frais. L'impact de balle qui bouffait la moitié de son front n'était pas présent la dernière fois que le garçon l'avait croisé.

"Monroe Snicket à deux mots à te..."

Feather Fall ne demanda pas son reste. Il était plutôt bon à la course. Il faut dire que lorsque votre daron vous poursuit la ceinture dans une main et une bière dans l'autre durant toute votre enfance, vous développez des capacités assez exceptionnel en la matière. Ce n'était visiblement pas le cas de l'homme aux lunettes, qui sortit du bureau avec un air scandalisé. Il fit feu, deux fois, mais le garçon se baissa juste à temps. Une balle lui érafla le cuir chevelu, et l'autre vint s’encastrer dans le mur du fond. Il poussa un cri strident avant de défoncer la porte de la chaîne de découpage. Le contremaître tourna la tête vers le son employé, il remarqua le sang, il remarqua sa tête, et il compris que quelque chose ne se passait pas du tout comme le code du travail l'avait prévu.

"Hiro, qu'est ce que..."

L'homme n'eut pas le temps de d'ajouter grande chose. Un énorme rhinocéros mutant transperça la porte avec sa corne, emportant tout dans sa charge de bourrin sous hormones La tête de l'homme, qui ne connaissait Théo que sous le nom de "Hiro", s'envola avec la porte et un horrible bruit de machine cassé suivi en quelques secondes seulement. Le mastodonte avait trouvé plus fort que lui. Le corps décapité du contremaître n'avait pas encore chuté que le garçon prenait la poudre d'escampette. Il n'allait pas crever ici, merde !

"P'tain de merde !"

"Rattrape moi ce petit connard !"

"P'tain p'tain p'tain..."

Le pistolet cracha son venin. Une carcasse de porc toute fraîche servit de bouclier. Il fallait que Théo trouve un moyen de se débarrasser des ses deux cauchemars ambulants ou il finirait sur un crochet avant la fin de la matinée. Il attrapa un hachoir qui se dressait sur son passage alors que ses collègues, tous plus âgés, se tournaient vers la source du bruit. La plupart s'écartaient avant l'arrivé du rhinocéros, mais les autres se retrouvaient sur le sol avant d'avoir le temps de dire ouf. L'un d'entre eux, beaucoup plus conscient de son environnement que les autres, tourna son découpeur automatique au bon moment et le sang de l’intrus se répandit sur son tablier. Le mercenaire le dépassa sans rien dire, et son pote maigrichon se chargea de coller trois cartouches de neuf millimètre dans son visage du récalcitrant. Le message était clair, Théo suait à grosses gouttes. Il ne voulait pas mourir ! Pas ici, pas dans cet endroit de merde, et puis il était jeune, et il voulait au moins sortir avec une fille une fois dans sa vie ! Il avait les jetons, ses dents claquaient comme jamais. Ses yeux avaient rarement été aussi précis, et sa respiration... Disons qu'elle ne ressemblait plus à grand chose. Il se retourna et pointa son hachoir en direction du bordel derrière lui. Il le lança avec une force dont il se croyait incapable et un hurlement presque animal raisonna dans l'abattoir. Le jeune homme recommença à courir en quatrième vitesse et un rhinocéros des plus énervé défonça littéralement une machine sur sa droite. Le hachoir était planté dans son épaule gauche. Le garçon devait trouver une idée, et vite. C'est à ce moment précis que son regard croisa celui du déchiqueteur à os. Les formateurs lui avait montré l'intérieur lord de leur visite. Il était assez large pour laisser rentrer des vaches, des cochons, ou des humains... et il était long, très long, pour que les os se fracassent jusqu'au vide ordure. Le garçon eu un déclic soudain et plongea la tête la première dans l'énorme machine devant un collègue plus que médusé. Il activa presque immédiatement sa zone d’atterrissage sur l'un des bords de la machine, ralenti considérablement sa chute, et s’accrocha à une trappe de ventilation. Il était suspendu dans les airs, juste au dessus d'énormes lames broyeuses. Le rhinocéros se stoppa net, plus qu'interloqué par ce qui venait de se passer. Sa cible était morte selon toute vraisemblance, et il cria à son collègue de se ramener au plus vite. Théo, quand à lui, n'avait pas de temps à perdre. Il devait se sortir de cette merde et fuir, loin de préférence. Il commença à dévisser les larges boulons, lentement, et se glissa dans une conduite d'aération beaucoup trop chaude pour son propre bien. Ramper était difficile, mais il fallait avancer. L'abattoir s'était transformé en cauchemar plus vite que ce qu'il aurait cru possible. Les deux tueurs allaient ils lui lâcher la grappe ? Le mutant n'avait pas l'air très fin, mais son camarade se douterait de quelque chose. Ils ne pouvaient pas être assez stupide pour le croire mort sur le coup non ?

Plus le garçon avançait, plus le conduit se faisait serré. Il se demanda un instant si il avait bien fait de contourner la menace d'une manière aussi grotesque avant de se ressaisir. Il ne pouvait pas rester ici, et il finirait bien par tomber sur une nouvelle ouverture. Un appel d'air lui indiqua que ses espoirs ne resteraient pas vains éternellement et, après quelques minutes de tortillage dans une chaleur étouffante, le garçon trouva ce qu'il cherchait : une grille menant à la remise. Il respira un coup et commença à faire pression sur le métal avec ses deux pieds. La plaque étant faites pour retenir de l'oxygène et non pas des êtres humains, elle fini par chuter vers le sol dans un horrible tintamarre. Le jeune homme utilisa son Alter pour marquer le sol, et son atterrissage se fit en douceur. Il s'affala sur le sol en grognant des insanités : il avait chaud, trop chaud, et son crâne lui faisait un mal de chien. La plaie semblait s'être coagulé mais rien la douleur était encore très vive. Les leçons du Vampire lui revinrent soudainement à l'esprit : il ne fallait pas perdre l'adrénaline, pas maintenant. Les deux connards de Monroe étaient encore sur ses basques. Son ancien patron n'était pas très content de son changement de camp, mais il s'était avéré être aussi faible que lui. La Ligue l'avait battu, et ils lui avaient fait manger la chaussure du bourreau pour le punir, mais il revenait quand même à la charge. Terrible. Quand comprendrait-il qu'il n'était pas puissant ? Théo se releva comme il le pouvait. Une belle collection de couteau de boucher se tenait devant lui, mais il n'y avait pas d'eau ou de désinfectant. C'était nul, mais il allait devoir s'y faire. Il attrapa celui qui lui semblait le plus acéré et sorti de la pièce avec précaution. Il était dans la section de stockage des animaux. L'endroit grouillait de porcs parqués dans divers enclos, et ils ne se gênaient pas pour faire un bordel monstre. Si il avait de la chance, personne ne l'avait entendu. Reste que l'endroit n'était pas dépourvu d'activités humaines. Il n'y avait plus un seul employé, et les machines semblaient s'être mise en pause. La voix de son poursuivant maigrichon raisonnait faiblement à l'autre bout de la chaîne. Théo s'approcha discrètement de la discussion en se faufilant entre les carcasses de porc et se cacha derrière un générateur électrique. Il avait besoin de voir dans quel direction les deux mercenaires allaient partir, juste pour être certain de ne pas les recroiser sur le chemin. Il avait eu assez de problème pour aujourd'hui. Monroe allait lui payer ça. Le garçon colla son oreille contre le métal avant de pivoter, lentement, sa tête vers l'action. Ce qu'il vit manqua de lui arracher un cri de surprise.

Son maitre, les mains dans les poches, discutait tranquillement avec les deux hommes qui avait tenté de le tuer.

"Il est dans tombé dans le broyeur ton petit, on a même pas eu besoin de lui mettre une balle dans la tête. Mais, vu qu'on a bossé plus que ce qui était prévu, on attend quand même un payement régulier si tu vois ce que je..."

"Vous n'êtes pas très observateurs pour des tueurs à gage."

"FILS DE..."

Le rhinocéros se retourna brusquement vers Théo. Sa rage débordait par tout ses pores, et il leva le poing aussi vite que l'éclair. Il n'eut pas le temps de faire grand chose cependant : le stylo laser du Vampire se planta soudainement dans son cerveau et il s'effondra sans un mort. Le jeune homme balaya les environs et ses yeux tombèrent sur l'homme au lunette de soleil. Il tentait de tirer son arme hors de son étui mais quelque chose l'empêchait de la dé-clipser. Le temps se ralenti soudainement pour Feather Fall, qui se demanda ce qu'il devait faire. Ses yeux bougèrent très furtivement vers son maitre qui le regardait sans rien dire. Ses pensées se vidèrent d'un coup, et le couteau de boucher vola vers lecorps de l'imbécile aux lunettes.

L'homme hurla. Théo retira le couteau de son ventre et lui replanta dans la gorge. Le mercenaire s'effondra au sol sans un bruit. Ses bras et ses jambes eurent quelques spasmes et il cessa de bouger.  

"Comment est ce que tu le ressens ?"

"Quoi ?"

"Le fait de tuer."

Le garçon leva lentement ses yeux du cadavre. Le sang du tueur à gage se répandait sur le sol. Le liquide s'insinuait partout, sur les machines comme dans les moindre failles du sol. C'était très différent des porcs, on était un cran au dessus. Un profond sentiment de malaise s'empara du garçon, et il dût se retenir pour ne pas s'enfuir en courant. Mais il y avait autre chose : ses muscles tremblaient, littéralement, et son corps tout entier partait lentement en sucette. Sa vision se brouillait, et sa respiration était beaucoup trop lente. Il se sentait mal, et pourtant... Ce type était venu ici pour le tuer, et c'est lui qui l'avait massacré. C'était... Il se sentait fort. Fort, mais mal à l'aise.

"C'pas mal. Enfin, j'sais pas trop. C'est..."

Un petit silence se créa dans l'abattoir. Théo aurait aimé continuer à répondre, mais il ne pouvait juste pas... Il n'arrivait pas à décrire ce qui lui passait par la tête. Il venait de tuer un type pour la première fois de sa vie, et il arrivait à peine à y penser. Quelque chose lui hurlait de se gratter la tête mais sa main était couverte de sang, et son maitre le regardait de haut en bas. Il avait complétement oublié sa blessure à la tête, mais elle prenait tellement de place sur sa tignasse blonde que le Vampire se demanda si il n'était pas sur le point de s'évanouir. Le garçon finit par tourner sa tête vers son maitre : son regard était bloqué dans un tel vide, une telle boucle infini, que son état psychique semblait bien pire que la plaie sur son crâne.

"Ne te retourne pas trop la cervelle, tout le monde n'y réagit pas de la même manière. Je me suis remis à faire dans mon lit après ma première fois. Reste que tu es grillé dans cet endroit. Il va falloir que je trouve une nouvelle occupation matinale."

"J'préférerais ouaip... Vous allez m'en faire souvent des coups comme ça ?"

"Tu as choisi de supporter cette menace lorsque tu m'as demandé de te rendre puissant. Des gens essayeront de te tuer toute ta vie, et que ce soit Monroe Snicket, le gouvernement ou moi qui tente le coup n'aura aucune importance. C'est le prix à payer pour la vie que nous menons. Tu ne peux pas changer ça."

"J'crois que... j'crois que je saigne ?"

La main du garçon retomba lentement de son crâne. Son toc avait fini par prendre le dessus sur la nécessité de ne pas rouvrir sa blessure. Le Vampire dût réfréner un fou rire devant l'état de son protégé. Il semblait tellement innocent, il lui rappelait à quel point l'enfant qu'il avait été avait planté devant son premier meurtre. La sensation lui passera. Elle leur passe toujours.

"Viens avec moi. Allons régler ça dans un coin."