God Hand - Tour 2 - Arnold Mac Gyver VS Kelly

La voix rauque de l’homme-chien se fit solennelle alors qu’il quittait l’estrade.

"Nous pouvons donc passer à l’ordre du jour. Inspecteur Kyanseru, sous-lieutenant Nejizo, c’est à vous."

Noah se leva de sa chaise, l’air ô combien satisfait, et alla se placer à côté de l’écran qui affichait désormais en grosses lettres rouges GOD HAND : RAPPORT DE MISSION. Il fut rapidement rejoint par Haruka, qui arborait la même expression neutre que d’habitude.

"Merci monsieur Tsuragamae. Comme certains d’entre vous le savent déjà, le tournoi illégal God Hand s’est tenu récemment. J’ai eu le privilège d’être sélectionné personnellement par monsieur Tsuragamae pour enquêter directement sur les lieux, accompagné du sous-lieutenant afin de me prêter main-forte."

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"S’il vous plaîîîît, cheeeeeeeeeeef, je jure de faire tout ce que vous voulez, donnez-moi cette affaiiiiiiiire..."

"Un peu de dignité, Kyanseru. Et je vous assure qu’il est tout à fait inapproprié de venir vers moi pour ce genre d’affaire. Le sergent…"

"Le sergent ne m’en a pas parlé, je ne suis pas supposé être au courant, j’ai juste vu les papiers traîner, je suis sûr qu’il va appeler des héros pour interrompre le tournoiiiiiiii… Ou donner l’affaire à Naomasaaaaaa… Mais je veux participeeeeeeeeeeer…"

Dans un coin de la pièce, Haruka fulminait, interdite. Elle avait été appelée par Noah il y a une vingtaine de minutes de cela. "Il faut que tu me conduises en vitesse au bureau du big boss, je dois m’entretenir d’urgence avec lui, l’avenir du pays est en jeu et tu es la meilleure conductrice de tout le district", lui avait-il dit. Et la voilà, observant son collègue au bord des larmes, à deux doigts de s’incliner à même le sol devant le chef de la police, parce qu’il souhaitait participer à un tournoi illégal. Voilà qui lui apprendrait à rendre service.

"Bon. Je suppose que vous ne quitterez pas mon bureau avant d’avoir obtenu gain de cause. Et en dépit de votre manque de tenue, je sais de source sûre que vous êtes un enquêteur et un combattant de talent. J’accepte donc de vous assigner l’affaire…"

Le visage de Noah s’illumina comme celui d’un gosse le soir de Noël.

"… à condition que vous soyez accompagné par le sous-lieutenant Nejizo, ici présente."

Les sourcils blancs d’Haruka se froncèrent en entendant cela.

"Monsieur, si je peux me permettre, mon bureau..."

"Je sais, je sais, ce n’est pas exactement votre domaine. Mais je sais aussi que vous et l’inspecteur Kyanseru avez déjà travaillé ensemble par le passé et que vous savez le canaliser. De plus, votre alter, que je vous donne exceptionnellement l’autorisation d’utiliser, sera fort utile pour passer inaperçue sur les lieux."

"T’entends ça ? On va bosser ensemble ! C’est comme quand on était en formation !"

Elle avait beau conserver sa façade imperturbable, intérieurement, le sous-lieutenant Haruka Nejizo était mortifiée.

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"Le sous-lieutenant et moi-même avons donc adopté des déguisements afin de nous mêler incognito à ce ramassis de malfrats."

Il pressa un bouton et la diapositive suivante s’afficha. Il s’agissait d’un selfie de sa personne, portant son accoutrement de tournoi, casque inclus, prenant la pose tandis qu’une brune aux longs cheveux, affublée d’une épaisse paire de lunettes, tentait tant bien que mal de placer sa main entre l’objectif et son visage. La qualité de l’image était bien piètre et les visages étaient entièrement ou partiellement dissimulés mais l’attitude des individus présents sur la photo ne laissait aucunement planer le doute quand à leurs identités respectives. Un léger rire échappa à quelques membres de l’assemblée. Haruka siffla entre ses dents :

"Était-ce vraiment nécessaire de leur montrer ça ?"

Ignorant superbement sa partenaire, Noah poursuivit.

"Nous nous sommes rendus sur les lieux avant de nous mêler à la foule. Aucun incident ne compromit nos alias."

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"Hé ! T… Toi ! T’es… T’es ce flic !"

Le duo interrompit son avancée avant de se retourner vivement. Un homme, mal rasé, visiblement en état d’ébriété avancée, assis à même le sol, pointait Noah du bout de sa bière vide. Alors qu’Haruka s’avançait vers l’homme, la voix de l’inspecteur, modifiée par le dispositif dans son casque, s’éleva.

"Tu fais erreur, je ne suis pas un policier, je suis..."

"M… Menteur ! Tu m’as mis au placard parce que j’utilisais mon alter pour me faire du blé et maintenant… Les buralistes… Y VEULENT PLUS M’VOIR !"

Et d’un coup ça lui revenait. Quand il lui avait passé les menottes au poignet il était glabre. Mais il s’agissait de Shisuru Matta, réputé pour être "L’homme le plus chanceux du monde", ayant gagné plus d’une dizaine de milliers de yen grâce à des jeux d’argents à gratter. Noah avait tiqué en voyant son interview dans les journaux, avait mené son enquête et démasqué l’imposture : il était secrètement doté d’un alter de vision à travers la matière, lui permettant de repérer les tickets gagnants et les zones-clé. L’inspecteur en déduisit qu’intrigué par son extravagant costume, il avait utilisé son alter pour voir à travers le casque et…

"S… SALAUD D’FLIC ! QU’EST-CE QUE TU FOUS DÉGUISÉ EN SENTAI, HEIN ? TU… TU VAS ARRÊTER DES HONNÊTES GENS ET…"

Il n’eut pas l’occasion de finir sa tirade, Haruka Nejizo venait de lui administrer un direct du droit de tous les diables, l’envoyant instantanément au pays des rêves. Elle avait beau ne pas être bien musclée, ce genre de coup par surprise faisait toujours son effet.

"On enchaîne."

"Quelle violence."

"On est trop proches des lieux indiqués pour se permettre d’être découverts par ce genre de poivrots."

Ils reprirent la route.

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"Arrivés sur les lieux, j’ai effectué mon inscription. J’ai pu identifier le nom d’une bonne partie des participants et des spectateurs."

Nouvelle pression sur la télécommande, nouvelle diapositive. Il s’agissait de photos prises grâce au micro-appareil intégré aux lunettes d’Haruka. Bien que la plupart étaient floues et représentaient un bon nombre de sujets, trahissant l’effervescence qui régnait dans les lieux, certaines silhouettes étaient facilement reconnaissables. Un murmure s’éleva parmi les policiers. Les plus hauts gradés de l’assemblée s’avancèrent sur leurs chaises, comme happés par le tour que venait de prendre le récit.

"Le Guide, Hamlin le mercenaire, Lady Moriarty, Cool Gorilla, la Confrérie, l’Alliance des Supers-vilains…"

"Quels membres de l’Alliance précisément ? Développez, inspecteur !"

Habituellement impassible, le chef de la police semblait animé d’une flamme intense à la mention de l’Alliance. Il avait encore en travers de la gorge les évènements de Ketsubutsu, et cela se ressentait.

"J’y viens, j’ai pu obtenir un bon nombre d’informations importantes en les espionnant."

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Assis dans les gradins, Noah faisait de son mieux pour se rapprocher de plus en plus des super-criminels les plus en vogue du pays. Tomura Shigaraki, immobile, entouré de certains de ses lieutenants… Une vision des plus impressionnante. Il entendait des bribes de conversation. Quel genre de plan mettaient-ils au point en ce moment même ? Enfin, il arriva à une distance raisonnable, lui permettant d’entendre clairement les criminels échanger entre eux.

"C’est foutu, on a aucune chance ! La victoire est entre nos mains avec ces trois-là ! T’en penses quoi Shigaraki ? J’en ai rien à carrer de ton avis !"

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"Et vous êtes certains qu’il s’agissait de Jin Bubaigawara ?"

"Nous en sommes sûrs et certains."

"Nous n’avons pas vu son visage, mais il correspondait au profil psychiatrique à la perfection."

"Kyanseru, vous avez parlé d’informations importantes, qu’avez-vous pu apprendre d’autre en les écoutant ?"

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"J’ai vraiment la dalle bordel ! J’ai bien fait de manger avant de venir ! Avec le masque c’est pas pratique. Si on pousse bien ça va en vrai, surtout pour la soupe ! T’en dis quoi, Shigaraki ? Hé, Shigaraki ? Shigaraki ? Shigaraki ?"

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"… J’en parlerais plus tard. Donc, sous couverture, j’ai gagné mon premier combat sans trop de difficultés. Le tout sans attirer l’attention sur moi."

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"WATAAAAAAAA !"

Le nunchaku s’abattit avec fracas sur le crâne de "Killer Kusanagi", une petite frappe dont l’alter lui permettait de cracher des lames acérées. Il tomba au sol, raide KO. Au cours du bref affrontement, Noah n’avait pas eu à utiliser son alter une seule fois.

"La victoire revient à Arnold Mac Gyver !"

"YEAAAAAAAAH !"

"Arnold Mac Gyver" se lança dans une danse de la victoire des plus extravagante et ridicule alors que Healing Touch descendait des gradins pour soigner les concurrents. Noah ne le remarqua nullement, trop occupé qu’il était à parader devant la foule sous les beuglements enjoués qui devenaient progressivement un flot d’insultes alors qu’il occupait l’arène pendant bien trop longtemps.

"EST-CE QUE VOUS AVEZ VU ÇA ? NON MAIS SÉRIEUX VOUS AVEZ VU ÇA ?"

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"Après ça le prochain combat était celui opposant un certain Kelly à… À..."

Noah chercha sa partenaire du regard, légèrement paniqué. Cette dernière, sans lever les yeux de l’écran, qui affichait désormais une photo de "Kelly", lui vint en aide

"Mikael "Big Dog" Russonov."

"Exactement, content de te savoir impliquée, Haruka."

"Inspecteur ! Passons outre les familiarités déplacées, mais vous n’allez quand même pas nous faire croire que vous avez oublié le nom d’un des participants ?"

"C’est-à-dire que je n’ai pas assisté à ce combat, monsieur."

Le chef de la police croisa les bras et s’enfonça sur son dossier, l’air interloqué.

"Ah ? Et en quel honneur ?"

L’inspecteur Kyanseru répondit du tac au tac, comme si cette réponse avait été préparée longtemps à l'avance.

"Investigation avancée."

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"Bon sang où sont les toilettes dans ce putain de..."

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"Votre récit se fait décousu, inspecteur. Vous avez vraiment passé trois minutes à prendre en filature cet "individu suspect" sans jamais parvenir à l’atteindre ?"

"Vous pensez bien que si ça n’avait pas été le cas, j’aurais obtenu des informations utiles au cours de la première moitié de cette investigation avancée."

Au fond de la salle, un officier dissimulait à grand-peine ses larmes de rire derrière son carnet de notes. Le sergent Tetsuo avait le visage enfoui dans ses mains tandis que Naomasa Tsukauchi restait absolument impassible, attendant la suite du récit.

"La première moitié, hein ?"

"Tout juste. La seconde moitié commence maintenant. J’étais en train de chercher ce mystérieux bonhomme quand mon instinct m’a hurlé d’aller vers les toilettes."

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"Les toilettes, enfin !"

Une femme tatouée qui sortait des commodités adressa à l’énergumène déguisé un regard de surprise mêlé de mépris alors qu’il s’extasiait à voix haute.

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"Après tout, quel est l’endroit où tout le monde finit par aller dans un évènement pareil ? Un endroit où chacun expose ses faiblesses et se laisse aller ? Je vous le donne entre mille : les toilettes."

Si Haruka avait pu disparaître six pieds sous terre, il était clair qu’elle l’aurait fait.

"Argumentaire douteux, mais je vous en prie, poursuivez."

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Depuis 2 bonnes minutes, l’inspecteur bataillait face à son propre habit. Face à l’urinoir, il cherchait désespérément à baisser sa combinaison de sorte à rendre possible son affaire. Souci : l’ensemble était uni, et il était donc impossible d’abaisser le bas sans devoir au préalable faire de même pour le haut. Le plus pratique aurait encore été de tout retirer, mais Noah refusait de se dénuder entièrement dans un lieu qui semblait transgresser la moitié des normes sanitaires du Japon. Alors qu’il était à moitié torse nu, un bras s’étant extirpé de sa manche déchirée alors que l’autre luttait encore contre le lycra, une voix s’éleva derrière lui. Trop occupé qu’il était à affronter un justaucorps moulant, il avait complètement relâché sa garde.

"Besoin d’aide mon mignon ?"

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"Mon intuition se vérifia alors que je passais la porte : Kelly se trouvait aux toilettes."

Naomasa leva la main, comme pour poser une question.

"Pas le temps pour ça, Naomasa."

"Je voulais juste savoir comment il a pu arriver avant toi alors qu’il était en train de se…"

"Pas le temps pour ça, Naomasa."

Haruka devait prendre sur elle. Pour des raisons évidentes, elle n’avait pas assisté à cette scène et ne pouvait donc en aucun cas démentir ou compléter les propos de son collègue. Autant se battre pour sa crédibilité, quel qu’en soit le coup, à ce stade.

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"Je saurais me débrouiller, ça ira."

Béret, lunettes de soleil, bandeau aux couleurs de l’Amérique porté à la "desperado"… Cheveux… Cheveux… Foncés ? Bon sang, avec cette visière noire il distinguait terriblement mal les couleurs. Il discernait clairement deux éléments, en tout cas : en premier lieu, le couteau imposant que l’individu portait à la ceinture. Ensuite, les traces de sang sur ses habits. Au vu du sens des éclaboussures… Ce n’était pas le sien. D’ailleurs, si ses habits étaient salis par le sang, cela ne pouvait vouloir dire qu’une seule chose : il s’était battu et n’avait pas été "remis à zéro" par l’alter d’Healing Touch. Une victoire sans prendre de coups. Soit ça, soit il avait égorgé une poule dans le couloir. Peu probable, mais il gardait cette idée dans un coin de sa tête.

"Tout va bien ? Je sais pas ce que tu regardes avec ton casque, mais on pourra toujours en parler après le tournoi si vraiment..."

"Non, non, c'est simplement que je me demandais… Tu viens de te battre ?"

"Non, j’ai juste égorgé une poule dans le couloir à l’instant."

Je le savais ! Non attend, il se paye ma pomme. Alors que l’inspecteur se remettait de ce terrible sarcasme, l’homme au béret transgressa la Frontière Absolue, la règle implicite des toilettes pour hommes : alors que tous les urinoirs étaient libres, il alla délibérément se placer face à celui adjacent à celui occupé par Noah. L’hérésie ne s’arrêta pas là. L’homme au béret, tout en faisant son affaire, continuait de fixer l’inspecteur déguisé derrière ses lunettes. En dépit du verre sombre qui dissimulaient leurs regards respectifs au monde entier, Noah le sentait : il l’observait. Cherchait-il à le mettre mal à l’aise ? C’était très réussi.

"Tu peux continuer à te désaper tu sais."

Sans rien dire, Noah obtempéra. Étrangement, le fait de se savoir observé semblait avoir débloqué son souci. Il se retrouva torse nu, désormais pleinement capable de faire ce qu’il avait à faire. Dans un vain espoir de mettre lui aussi l’homme au béret mal à l’aise, il tourna la tête vers ce dernier, qui le regardait toujours. Une seconde de silence passa alors que les deux hommes se contemplaient, cachés derrière leurs déguisements, dans les toilettes insalubres d’un tournoi illégal.

C’était complètement surréaliste.

"Et sinon… C’est quoi ton nom ?"

Et un peu stupide.

"Je pense que tout va trop vite entre nous."

"Écoute, si ça se trouve on se reverra jamais. J’aimerais emporter quelque chose de cet instant."

Il avait adopté le ton. Ce ton complaisant, faussement nonchalant, un peu benêt, qu’on adressait à un délinquant pris sur le fait pour lui extorquer des informations. Le ton des affirmations intempestives qui permettent d’obtenir tout ce qu’on veut si tant est que la personne interrogée est assez faible d’esprit ou prétentieuse. "Alors, elle est bonne la bière ?", "J’ai pas bu d’bière m’sieur l’agent.", "Ah bon ? T’as pris quoi alors ?". Ce genre de choses. Et heureusement pour Noah, son interlocuteur était soit faible d’esprit soit prétentieux. Et au vu de la puissance mentale qu’il fallait déployer pour regarder en face un homme qui urine, l’inspecteur misait sur la prétention.

"On se revoit dans une minute monsieur le Ranger. On va se battre tu sais."

"C’est une menace ou une promesse ?"

"Au vu du résultat du tirage, je dirais que c’est un constat. T’es aux gogues depuis combien de temps au juste ?"

Meeeeeeeeeeerde. Son duel contre le textile lui avait apparemment pris bien plus de temps qu’escompté. Mais au moins il savait maintenant contre qui il allait se battre. C’était déjà ça de pris. Lui et son futur adversaire venaient de finir de vider leurs sacs. Ils se dirigèrent comme un seul homme vers le lavabo. C’est lors de ce bref déplacement que Noah, tout en remettant son habit en place, remarqua le piercing à l’oreille de l’homme.

Il comprit instantanément à qui il avait affaire. C’était l’élément qui lui manquait. La voix, les manières, cette oreille percée… Le seul moyen d’être plus certain de son identité aurait été de retirer son casque pour apercevoir la vraie couleur de ses cheveux. Mais ce n’était pas nécessaire. C’était Miki "Samantha" Aldrin, le petit malin détesté de tous les agents de police de Tokyo.

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"Miki Aldrin, vraiment ? Il jure un peu parmi les sommités que vous nous avez décrit précédemment."

"Je vous assure que c’était lui. Et si je n’ai cité que les gros bras, c’est par souci de clarté. Ce soir-là, réunis au God Hand, il y avait plus de petits caïds et d’observateurs avides de sang que de vrais super-vilains."

"Et donc vous êtes entré pile au moment où il retirait son bandana pour se nettoyer le visage ?"

"Ça sonne trop convenu ?"

La légère angoisse dans la voie de Noah alors qu’il posait cette question ne fut heureusement pas perçue par le chef de la police.

"Non. Je crois aux coïncidences."

"Parfait, je reprends. Donc, je venais de l’identifier et..."

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"Ton "nom" c’est Arnold c’est ça ?"

Miki Aldrin se lavait les mains très précautionneusement. Très longtemps. Noah, pour ne pas passer pour quelqu’un de malpropre, ne comptait lui-même pas arrêter de frotter tant que son futur adversaire n’avait pas quitté le lavabo.

"Arnold Mac Gyver, ouais. Et toi c’est… ?"

L’homme au béret l’ignora violemment, se concentrant sur ses mains humides pleines de savon. Le silence régna pendant encore quelques secondes avant qu’il estime en avoir fini avec le nettoyage de ses paumes. Il agita ses mains mouillées au-dessus du lavabo avant de remettre ses mitaines.

"Tu vas me répondre ou… ?"

Toujours sans un mot, Aldrin se dirigea vers la sortie des commodités. Il posa sa main sur la poignée de la porte avant de tourner la tête vers Noah.

"Pas envie."

Derrière le bandeau, le policier imaginait son sourire de merdeux satisfait de sa blague pitoyable. C’était puéril, comme mauvais tour, mais l’inspecteur manquait de la maturité nécessaire pour ignorer les blagues enfantines. Miki passa la porte et la claqua derrière lui alors que Noah s’apprêtait à le suivre.

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"On en arrive au début de notre combat."

"Tiens, voilà que vous abrégez."

"Les détails sont dans le rapport écrit que j’ai..."

Haruka toussa violemment.

"… Qu’Haruka a rédigé. Mais pour vous épargner des descriptions inutiles, j’accélère un peu pour arriver aux parties intéressantes, oui."

L’écran affichait désormais une photographie de l’arène. On reconnaissait deux tâches colorées, une verte et une blanche. Noah ne tenait plus en place, impatient de raconter l’affrontement. Arnold Mac Gyver…

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"… contre Kelly !"

L’intense lumière des projecteurs semblait renvoyer l’ombre des combattants dans toutes les directions possibles. Les deux guerriers avaient déjà été exposés au toucher rituel de l’organisateur de l’évènement. La suite ne dépendait plus que d’eux.

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"… Le silence était assourdissant. Presque sacré. Aucun de nous deux n’osait parler, nous nous contentions de nous jauger du regard."

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"Kelly comme Grace Kelly ?"

"Non, c’est..."

"Je crois que de toute sa filmo c’est Fenêtre sur cour que je préfère. Le rapport entre le regard voyeur du personnage principal qu’on assimile au regard du spectateur lui-même… Grandiose."

Kelly marqua une pause l’espace d’une demi-seconde durant laquelle il aurait pu sembler réellement déconcerté si son expression faciale n’était pas dissimulée par son accoutrement.

"Je crois que je n’ai pas vu ce Hitchcock."

"Tu rates quelque chose !"

L’inspecteur s’était mis en position de combat. Son adversaire s’étirait vaguement, sans trop de sérieux. Cinq bons mètres les séparaient. Il semblait estimer avoir assez de temps pour réagir en cas d’attaque imprévue.

"J’ai pas ma clé USB sur moi mais si tu veux au prochain God Hand je te filerai ça."

"Bien sûr, et puis on se fera une bouffe, on se peindra les ongles et on passera la nuit à parler des garçons qui nous plaisent."

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"Au bout d’un certain moment, le public lui-même est devenu silencieux, comme par respect envers notre duel."

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"BATTEZ-VOUS BANDE DE NAZES !"

"C’est ta mère qui t’as fait ce costume ?"

"Très amusant, comme si il fallait être gosse pour porter ce genre de choses."

"Hey, je cherche pas à te vanner, je demande sincèrement ! J’aime bien les Power Rangers moi aussi."

"Les Power Rangers ?"

Une chaussure lancée depuis le public frappa la cage.

"LeS PoWeR rAnGeRs ? Quoi, tu sais pas en quoi t’es déguisé ?"

"Les Tokusou Sentai Dekaranger tu veux dire."

"C’est la version des Power Rangers qui vivent encore chez leurs mères ?"

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"Enfin, nous partîmes à l’assaut. Parfaitement simultanément. Comme si nous communiquions par la pensée."

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"En fait c’est une version modifiée du costume de DekaBreak, plus précisément la version des épisodes..."

"Bon, tu parles trop en fait."

Miki jeta son béret en l’air et se rua sur Noah, sans prévenir, sans passer au préalable en position de combat, rien. En un éclair, il arriva au niveau du policier et envoya son poing en direction de ses côtes. Bien que Noah était en plein milieu d’une explication ô combien passionnante, il s’attendait à être interrompu. Il fut donc capable de réagir à temps, et bloqua le coup au moyen d’une garde en croix.

"Pas super poli de..."

Le deuxième coup toucha. Un crochet du droit, dans le côté du casque. N’avait-il donc aucune peur de se blesser les phalanges ? Sa force n’était aucunement contrôlée et, l’espace d’un instant, une pensée terrible traversa l’esprit de Noah. Sans mon casque ça m’aurait peut-être mis ko. Il devait se ressaisir et vite. Alors que sa tête était allée valdinguer suite à l’impact, il anticipa la suite de l’enchaînement et bondit rapidement en arrière tout en se redressant. Il avait vu juste : la jambe de son adversaire fendit l’air, pile à l’endroit où se trouvait sa cheville un quart de seconde auparavant. Pour la première fois depuis le début de la rencontre, il avait l’occasion de respirer… Ou du moins, il le croyait.

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"Il m’a enchaîné, enchaîné… Avec le recul je pense qu’il a vu mon précédent combat, dans lequel j’ai gagné uniquement à grands coups de nunchaku. Il a dû se dire qu’il ne devait pas me laisser le temps de le sortir."

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Les coups pleuvaient sur Noah, qui esquivait et parait du mieux qu’il pouvait. Kelly n’avait toujours pas sorti son couteau. Par prudence ou par arrogance ? Toujours était-il que l’inspecteur pouvait à peine contre-attaquer. Son adversaire était si proche de lui que les rares coups de poing qu’il arrivait à lancer n’avaient aucune ampleur. Il touchait, certes, mais il ne blessait ni n’épuisait son adversaire. Ce dernier ne montrait aucun signe de faiblesse. Son rythme était d’une constance impressionnante. Mais l’inspecteur n’était pas en reste. Le premier crochet à la tête mis à part, il n’avait toujours pas subi de coup direct. Et là, sous la déferlante d’attaques, il était terriblement à l’aise. Il étudiait chaque attaque, chaque mouvement adverse. Kelly était très fort, plus fort que lui même. Mais il n’avait pas un niveau surhumain. Tant qu’il pouvait toucher sa peau régulièrement… Il ne courait pas de risque.

Néanmoins, la cadence était clairement imposée par l’homme aux cheveux verts. Il avait beau ne pas prendre de dégâts, Noah perdait du terrain à chaque instant. Pas après pas, il reculait, parfois pour éviter un balayage, parfois tout simplement sous l’impact d’un coup de poing particulièrement violent. Et ce qui devait arriver arriva.

D’un coup, l’inspecteur sentit qu’il ne pourrait plus reculer. Le bref tintement métallique de la grille déformée par son dos s’enfonçant dedans fut noyé sous le bruit de la foule en délire. Mais en dépit de cette ambiance sonore étouffante, Noah, dont les sens étaient comme amplifiés par l’adrénaline du combat, entendit clairement le glissement métallique d’une lame que l’on sort de son étui. Le couteau fendit l’air à la vitesse de l’éclair.

Et taillada férocement le vide.

"C’est pas passé loin !"

Le public et Kelly étaient véritablement muets. On entendit clairement le cliquetis métallique de la chaîne du nunchaku alors que Arnold Mac Gyver le décrochait de sa ceinture.

"J’ai bien fait de garder cet atout dans ma manche."

Miki se tenait au milieu de l’arène. Plus précisément, il se tenait exactement là où il était lorsque le combat avait démarré, avant sa charge sur Noah. Son déplacement avait été instantané. Une rumeur naquit dans le public, se faisant plus intense à chaque seconde.

"Marrant ton truc."

Comme si de rien n’était, Aldrin s’était mis à jouer avec son couteau, qu’il faisait tournoyer entre ses doigts avec une expertise certaine. S’il avait clairement été surpris, sa voix ne laissait transparaître aucune émotion particulière. Noah en était un peu déçu, il voulait l’agacer, le pousser à commettre une erreur.

"Si tu m’avais touché t’aurais gagné tu sais ? J’ai pu admirer ton coup de loin, c’était une sacrée attaque."

L’inspecteur posa son index sur sa gorge pour illustrer ses propos.

"Tu vises les points vitaux mon salaud. La carotide, tout ça."

"Tu recommences à parler pour rien. Si tu..."

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"Il vous a vraiment dit ça ? Que vous parliez pour rien ?"

"Bien sûr, tu doutes de la véracité de mes propos ?"

"Non, je trouve juste ça particulièrement pertinent de sa part."

Noah adressa un regard meurtrier à son collègue goguenard et poursuivit son récit.

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"Tu recommences à parler pour rien. Si tu comptes pas m’expliquer le secret de ton petit tour c’est pas la peine de jacqueter."

"Mon secret ? Disons que…"

Le nunchaku brassa du vent trois fois avant que Noah ne s’arrête sur une pose qu’il jugeait assez dramatique.

"… Je suis une montre à remontoir à l’ère du numérique."

Pour la première fois depuis le début de cet affrontement, Kelly adopta une posture de combat. Couteau tenu à l’envers en avant, jambes fléchies.

"J’aurais été déçu si tu m’avais dit quoi que ce soit d’intéressant à vrai dire."

"Rien ne t’atteint, hein ?"

Pour le coup, c’était l’inspecteur qui était déçu. Sa pose et sa réplique n’avaient pas le moins du monde fait mouche.

"Certainement pas tes attaques en tout cas."

Miki fit un pas en avant. Noah fit de même.

"Ooooh, depuis le début du combat je pense que cette réplique est la chose se rapprochant le plus d’un bon coup que tu m’aies porté."

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"Vous pouvez couper les duels de réplique, Kyanseru."

On lisait sur son visage que Noah était très visiblement outré.

"Mais enfin, c’était bien loin d’un duel, le combat a repris juste après ma vanne !"

Il se tourna vers Haruka.

"D’ailleurs tu ne m’as pas dit, elle était comment celle-ci ?"

"12/20. Ça aurait eu plus d’impact si tu ne t’étais pas pris ce taquet au tout début."

"Attendez, Kyanseru s’est fait toucher en fait ? Non parce qu’il disait..."

"Poursuivons."

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Alors que les deux combattants se rapprochaient petit à petit l’un de l’autre, Noah réfléchissait à toute allure. Mal dosé le retour arrière. Ça a fait son effet sur la foule. Mais rien sur lui. Aurais dû le faire reculer d’une demi-seconde. Aurais pu enchaîner avec un coup au thorax. Il était grand ouvert. Ils ne se tenaient plus qu’à un mètre l’un de l’autre. Ils s’étaient arrêtés d’avancer. D’ici un instant, le combat allait reprendre. Et ils savaient pertinemment qu’il serait désormais bien plus intense que leur premier échange. Leurs armes respectives étaient sorties. Prochaine fois. Ne raterai pas. Ne raterai plus.

Le coup de pied au tibia de Noah fut interrompu en cours de route par un coup similaire, quoique d’une intensité supérieure, de Miki. Derrière le casque, l’inspecteur grimaça. La reprise des hostilités était soudaine autant que brutale. L’homme aux lunettes de soleil s’était à nouveau emparé de l’initiative et fit suivre sa riposte d’un coup du plat de la main droite en direction du plexus. Le corps tout entier du policier pivota. Pas assez vite. L’impact fut très largement atténué, l’attaque ne frappant pas de face comme prévu mais de biais. Il était clair que l’un des deux participants était plus rapide, plus agile et plus puissant que l’autre. Mais Noah n’était pas homme à se faire des illusions. En terme de physique, il était au même niveau qu’un sans-alter. En venant ici, il s’attendait à être surclassé. Il l’espérait, même. Ce n’était pas avec ses muscles qu’il comptait tirer son épingle du jeu, mais avec son esprit et sa technique.

Toujours de profil par rapport à son opposant, il fit un pas en avant, collant presque son casque au bandana frappé du Stars & Stripes. Il enroula son bras gauche autour du bras droit, tendu par l’attaque, de Miki. Corps-à-corps. La prise était restrictive, mais pas douloureuse. Et surtout, dans leurs mains libres respectives, les deux hommes tenaient leurs armes. Miki ne tenta même pas de lutter contre la prise à la force de son bras. Il avait une méthode plus expéditive. Le coup de couteau fusa en direction du ventre de l’inspecteur. Ce dernier lâcha son nunchaku, qui tomba au sol, et se saisit au vol du poignet tenant l’arme. Une fraction de seconde trop tard. Déjà la lame grattait la chair. La main de l’inspecteur tremblait, et avec elle tremblait le couteau. Toute la puissance des guerriers semblait être rassemblée dans cette opposition de leur force brute. Si Noah menait une opposition des plus honorables, empêchant Miki de réellement transpercer son corps, la pointe tremblotante faisait son effet. Le rouge du sang souillait l’habit blanc, s’étendant en une tâche carmine, un peu plus large à chaque seconde.

Sentant qu’il ne pouvait pas remporter ce bras de fer, Noah reporta son attention et ses ressources sur la prise qu’il exerçait sur le bras droit d’Aldrin. Il avait dans l’idée que s’il le faisait souffrir suffisamment, il serait capable de le désarmer. La torsion fut rapide, efficace. C’était là une tentative de soumission effectuée par un homme en ayant réalisé des centaines. Il connaissait par cœur l’anatomie humaine, quelle force exercer à quel endroit pour obtenir les meilleurs résultats.

Et Miki Aldrin s’en moquait allègrement. La torsion, de plus en plus violente, ne semblait avoir aucun effet sur lui. Sa lame s’enfonçait toujours petit à petit, millimètre par millimètre, dans un douloureux va-et-vient, sous les côtes de l’inspecteur. Il était temps de changer de plan. Les cellules grises du policier carburaient à toute allure. Il trouva un embryon de solution au moment où le couteau gagna d’un coup un bon centimètre de progression, éclaboussant les bottes immaculées d’Arnold Mac Gyver d’un jet rouge. Il allait devoir improviser un peu. Mais c’était son point fort.

Il brisa le corps-à-corps, subitement. Son bras relâcha celui de Kelly et il repoussa violemment la lame. Un bon mètre d’écart apparut entre les deux combattants. Il restait en mauvaise posture, sachant pertinemment que son adversaire allait repartir à la charge instantanément, et que cette fois, s’il tentait de bloquer le coup, il risquait d’y perdre des doigts. C’était là que son idée entrait en jeu. Il se plaça face à Miki, qui fonçait déjà tête baissée. La main droite ouverte, comme s’il s’apprêtait à recevoir un relais. Et puis, il concentra ses pensées sur le nunchaku qu’il avait laissé tomber au sol quelques secondes plus tôt. Avec un couteau à demi-enfoncé dans le flanc, le temps paraissait long. Mais en réalité, leur féroce lutte n’avait duré qu’une dizaine de secondes tout au plus. Et dans les secondes qui avaient précédé cette lutte, l’arme de Noah avait circulé entre ses deux mains, d’une façon très naturelle, faussement innocente.

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"Et donc tu as utilisé ton alter sur ton nunchaku pour le faire apparaître à l’endroit où il se trouvait avant que tu ne le laisse tomber au sol, c’est-à-dire en l’air, et..."

Jamais Noah n’avait eu l’air aussi vexé de sa vie.

"Tu veux raconter à ma place peut-être ?"

"Non, non, continue."

"Bien. Donc..."

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D’un coup, il sentit le manche de l’arme qui venait d’apparaître contre sa paume. Il resserra les doigts fermement et balança son corps de droite à gauche. Il mit tout son poids dans cette attaque. Le nunchaku siffla dans l’air et alla à la rencontre du visage négligemment dissimulé de Kelly. Un craquement se fit entendre. Non pas celui des os, mais celui des lunettes de soleil de l’homme aux cheveux verts, qui volèrent au loin sous l’impact. Le crâne se balança d’une manière qui n’était pas sans rappeler le premier coup que Noah avait lui-même subi. L’inspecteur s’apprêtait à prendre une pose victorieuse. Une attaque pareille, aussi imprévue, aurait emmené au tapis n’importe qui.

Miki Aldrin n’était visiblement pas n’importe qui. Alors qu’il semblait à deux doigts de perdre l’équilibre, il frappa le sol de son pied afin de retrouver un semblant de stabilité et tourna la tête vers l’inspecteur. Privé de ses lunettes, ses yeux jaunâtre apparaissaient au grand jour, levant par la même occasion les derniers doutes qui auraient pu subsister à l’égard de son identité. C’était un regard passionné. Excité. Malsain. Un frisson parcourut tout le corps de Noah. Son adversaire n’avait pas reculé. Tout en redressant son corps d’un coup, Kelly porta un coup de couteau vertical à l’inspecteur, de bas en haut. Le sang jaillit alors qu’une entaille profonde et irrégulière se dessinait sur tout le torse de Noah, qui se retint péniblement de lâcher un cri de douleur. Il devait riposter. Faire reculer son ennemi. Un nouveau coup de nunchaku, le retour du précédent, partit en direction du cou de Miki, mais ce dernier plaça son avant-bras droit entre l’arme et sa cible. Cette vision d’un homme qui semblait ne pas ressentir ou craindre la douleur tant qu’il connaissait sa cause terrifiait l’inspecteur.

Le guerrier aux cheveux verts exécuta une fente, couteau en avant, presque à bout portant. Le corps de l’inspecteur bougea tout seul. Il lâcha une fois de plus son nunchaku pour se saisir de ses deux mains du bras gauche de son adversaire. Il allait utiliser sa force monstrueuse contre lui. Une prise de judo classique, mais qui avait fait ses preuves par le passé. Et qui prouvait son efficacité à nouveau en ce jour. Noah serra les dents alors que Miki passait par-dessus son épaule. Tout le poids de son contre s’appliquait sur sa large plaie qui saignait abondamment. Cet instant de douleur parut durer une éternité, quand finalement Miki s’abattit sur le sol, dos contre terre. Pour Noah dont les oreilles sifflaient et qui avait cru mourir six fois en moins de dix secondes, le son de cet impact lui apparut comme celui d’un tremblement de terre.

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"C’est bien plus détaillé que le combat précédent."

Noah gesticulait dans tous les sens, mimant du mieux qu’il pouvait ses attaques alors qu’il les décrivait. Haruka restait stoïque, ayant refusé quelques secondes plus tôt de jouer le rôle de Kelly dans cette pantomime ridicule.

"Donc, je me retrouvais face à un choix. Il était au sol et j’étais debout. Je pouvais me jeter par terre et tenter de l’immobiliser. J’aurais pu me soigner grâce à mon alter un peu après. Mais mon arme était par terre et je n’aurais pas le temps de la récupérer avant qu’il ne se relève. Et s’il recouvrait ses esprits avant que je n’aie le temps de soigner ma blessure, j’étais fichu."

"Oui, je me souviens m’être fait la réflexion. Qu’est-ce qui t’as décidé à ne pas le poursuivre au sol ?"

"Une observation."

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Les yeux de Noah dardèrent dans tous les sens. Chaque détail était nécessaire pour cette prise de décision. Heureusement, il trouva rapidement l’élément-clé. Dans la main gauche de Miki, fermement serré, se trouvait son couteau dentelé. En dépit de l’impact, il ne l’avait pas lâché. Il n’avait pas même relaxé un tant soi peu son emprise. Et si Noah avait appris quelque chose après toutes ses années de service, c’était qu’il ne fallait pas se jeter au sol avec un homme qui ne lâchait pas son couteau sous l’impact d’une prise de judo quand on est ouvert de bas en haut et qu’on a pour seule protection un casque et une combinaison moulante.

Rapidement, l’inspecteur se pencha en ignorant au mieux la douleur cuisante qu’il ressentait et le liquide chaud, épais qui imbibait ses habits et récupéra son arme. Tout en s’éloignant de Miki, il utilisa son alter et rembobina sa propre temporalité afin de restaurer l’état dans lequel il se trouvait il y a 40 secondes de cela. Sa large plaie disparut complètement, bien que sa combinaison gardait la trace du coup de couteau. La blessure infligée par le bras de fer sanglant n’était désormais plus qu’une égratignure, trop de temps s’étant écoulé pour la refermer totalement.

Kelly revint sur ses pieds d’un bond, tel un gymnaste. Il craqua son cou et regarda autour de lui, comme s’il venait de se réveiller d’une sieste. Ses yeux se posèrent sur ses lunettes brisées, au sol, loin de lui. Sur le public hurlant. Sur le bras légèrement rougi qu’il avait utilisé pour parer le deuxième coup de nunchaku. Il finit par arrêter son regard sur Noah, à peu près complètement régénéré, qui se tenait à l’autre bout de l’arène.

Ce dernier tapota du bout du doigt son casque, au niveau de son front. Puis il prononça les paroles les plus insensées de sa carrière à ce jour.

"Tu saignes, Casanova."

D’où lui venait cette arrogance soudaine ? Cette phrase, il lui avait sortie mot pour mot lors de leur première rencontre. Même à demi-mot, révéler son identité ainsi était la pire chose à faire. Avait-il tant le goût du spectacle qu’il était prêt à se faire massacrer pour sa gloire ? En vérité, il cherchait à tester Miki Aldrin. Si tant était qu’il comprenait son message, révéler son identité signait l’arrêt du combat. Dans les yeux d’Aldrin, dans son comportement, son goût pour la provocation, Noah lisait un attrait certain pour la violence. Cet attrait, jusqu’à où s’étendait-il ? Était-il capable de le mettre de côté pour s’assurer qu’un flic ne vienne pas semer la pagaille ? Ou bien n’en avait-il tout simplement rien à faire ? Quoi qu’il en soit, c’est à ce moment que Noah prit la décision de ne pas mentionner cette interaction dans son rapport futur. Et ce, quand bien même cette réplique était particulièrement bien sentie.

Singeant son adversaire, Miki toucha de l’index droit son front. Il le retira pour constater que son adversaire disait vrai : une trace rouge avait été laissée sur le doigt.

"Il semblerait."

Kelly retira sa légère veste, sans se presser, avant de la poster à même le sol. Après une seconde sans rien dire, il passa ses mains derrière sa tête.

"Et puis tant qu’on y est..."

Le foulard était désormais délié. Pour la première fois, le public et Noah purent apercevoir le sourire vaguement inquiétant de Miki Aldrin et l’entièreté de son visage impeccable, sali uniquement par le sang sur son front, qui commençait à perler et à dégouliner sur son visage. Tout en pliant précautionneusement le tissu, il se pourlécha les babines afin de se débarrasser du sang qui s’y trouvait. Une fois qu’il eut obtenu un parfait carré d’étoffe bleu, blanc, rouge, il le déposa avec tout le soin du monde sur sa veste jetée en vrac sur le sol.

"Voilà. Fin prêt."

Ainsi délesté de ses "poids", Miki dégageait une certaine aura. La finition de ses muscles, la très légère pellicule de sueur sur ses clavicules… Il était aussi honteusement beau que la dernière fois que Noah l’avait vu. Seul défaut de cette Galatée au masculin : la fissure rouge qui scindait désormais son superbe visage en deux. Ce seul détail suffisait à rendre son allure sinistre. Un bel ange de la mort, voilà ce qu’il était.

Son couteau tournoyait entre ses doigts alors qu’il rôdait lentement autour de Noah, comme un oiseau de proie. L’inspecteur, remis de la déception née du fait que sa révélation avait été accueillie avec l’indifférence la plus totale, faisait de même. Les deux semblaient pleinement conscients que le prochain assaut risquait d’être le dernier.

Ce fut Noah qui débloqua la situation. Il courut vers le centre de l’arène, futur épicentre du tremblement de terre Arnold/Kelly. Son adversaire ne se fit pas prier. La première attaque de cette nouvelle offensive fut un coup simultané. Les deux adversaires envoyèrent leurs poings respectifs vers le ventre de l’autre. Et firent mouche, l’un comme l’autre. Leurs muscles gainés leurs empêchèrent de perdre leur souffle d’un coup. Et, de suite, ils enchaînèrent, l’un comme l’autre. Noah restait extrêmement défensif, multipliant les esquives, tandis que Miki était agressif au possible, encaissant les rares attaques de l’inspecteur comme s’il ne s’agissait là que de piqûres d’insectes. Les coupures et les hématomes se multipliaient sur leurs corps respectifs.

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"C’est quand j’ai vu qu’il commençait à être visiblement endommagé que j’ai mis en place le plan que je préparais depuis le début."

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Noah était en improvisation totale. Il ne pouvait pas faire grand-chose d’autre que d’esquiver dans tous les sens. Une parade aurait été trop risquée, au vu de l’arme tranchante qui passait entre les mains de Miki de manière si nonchalante, et pourtant si délibérément au vu de la dangerosité de chacune de ses attaques. Mais plus qu’esquiver, l’important était qu’il se déplaçait. Partout. Il ne se contentait plus de reculer sous les coups comme au début du combat. Il bondissait, comme un fauve, de point sûr en point sûr. Et c’est là que l’idée lui vint.

Il commença, l’air de rien, à tracer des cercles autour de Miki. Ce dernier se battait sans suivre un style identifiable et Noah espérait qu’il n’était pas du genre à remarquer ce genre de motif de déplacements réguliers. Une fois qu’il avait réussi à effectuer plusieurs tours complets, il ne lui restait plus qu’à attendre. Attendre un coup de couteau.

Son souhait fut rapidement exaucé. Miki, comme pour briser le rythme effréné de ses coups et tromper son adversaire, lança sa lame d’une main à l’autre, de la gauche à la droite, d’un geste expert, avant de se fendre tel un escrimeur, un coup que personne n’attendait venant d’un combattant maniant le couteau. Mais un coup qui aurait été efficace si...

"Hasta la vista..."

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"J’ai utilisé mon alter pour me téléporter derrière lui. J’ai juste eu à compter dans ma tête pendant que j’esquivais afin de savoir combien de secondes rembobiner afin de me retrouver à la position souhaitée."

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"...baby."

Pour la deuxième fois depuis le début de cet affrontement, la lame dentée ne rencontra que le vide à cause de l’alter de Noah.

Mais cette fois, Noah ne repoussait pas l’adversaire.

Il le prenait au dépourvu.

Il se trouvait dans son dos.

Le couteau était on ne peut plus éloigné de sa personne.

Vivement, l’inspecteur se saisit du bras gauche, celui qui ne tenait pas d’arme, et effectua une clé de bras. D’un coup de pied dans le jarret, Noah força Miki à mettre genou à terre. Il plaça son pied à plat sur le dos de Miki et tendit le bras dont il s’était emparé. Il ne put s’empêcher de remarquer à quel point son adversaire avait moins sué que lui. C’en était presque vexant.

"Tu auras beau t’agiter c’est inutile. Ton bras est coincé."

Pour illustrer ses propos, Noah exerça une pression sur le coude de Kelly, tout en effectuant une légère torsion de l’intégralité du membre et en tirant légèrement, aidé par son pied posé sur le dos de l’ennemi. N’importe qui d’autre aurait déjà commencé à pleurer. Mais Miki Aldrin se contentait de triturer le couteau qui se trouvait encore dans sa main droite. À cause de la position dans laquelle il se trouvait, Noah était incapable de voir son visage. Souriait-il encore ? Le ton du policier se fit pressant.

"Abandonne, Kelly. Pour ne serait-ce qu’espérer m’atteindre tu devrais te casser le bras. Tu..."

"Chiche."

Ce seul mot de défi emplit Noah d’un sentiment d’effroi. Et alors que Miki se mouvait, serrant son couteau plus fort que jamais, l’inspecteur sentit les os se tordre entre ses mains, puis finalement rompre. Un craquement sinistre résonna dans l’arène, plus bruyant que les acclamations des spectateurs les plus enflammés. Noah sentit alors, comme répondant à ce son macabre, une vive douleur, écho déchirant, se propager dans sa cheville droite. Il baissa les yeux, comme si la douleur avait été le facteur décisif lui permettant de voir la situation telle qu’elle était.

Le couteau fétiche de Miki était enfoncé profondément dans sa cheville et le sang coulait abondamment. Aldrin lui faisait quasiment face. Son bras droit était tordu dans un angle cauchemardesque, impossible. Noah cria, le modificateur de voix intégré à son casque ne laissant émettre qu’un hideux bruit blanc tordu. Il lâcha le membre brisé tandis que son adversaire retira son arme. Les dents d’acier déchirèrent la chair. Arnold Mac Gyver tituba péniblement vers l’arrière en laissant dans son sillage une traînée rouge tandis que Kelly se relevait tranquillement. Le policier regarda le visage de l’homme qui lui faisait face, pour la première fois depuis qu’il l’avait mis au sol.

Il souriait encore.

Il traînait avec lui un lambeau de bras, une carcasse attachée à son corps bien vivant. Du sang coulait de son front, de son nez. Son corps était couvert de contusions visibles, quand bien même il était en bien meilleur état que ne l’aurait été n’importe qui d’autre ayant reçu la même quantité d’attaques.

Et il souriait encore.

Noah était cloué sur place. Son corps couvert de coupures se recroquevillait lentement, s’affalant sur sa blessure à la cheville. Sa respiration haletante formait un écran de buée sur le verre de son casque. Il souffrait le martyre et n’avait pas fière allure. Une flaque carmine commençait à se former autour de sa personne. Quand, entre deux respirations peinées, il s’adressa à Miki, son ton était plaintif.

"T’es sérieux là ? Je t’ai pété le bras et tu continues ? C’est vraiment de la mauvaise volonté à ce stade, perds un coup bon sang."

Miki resta interdit. Il commença à s’avancer. Lentement. Son sourire s’effaçait progressivement. Comme si la vision de l’inspecteur vulnérable et vaincu lui inspirait mépris et dégoût. Il jeta un coup d’œil rapide à son bras infirme, qu’il regardait avec bien peu d’intérêt. Comme s’il hésitait à l’arracher parce qu’il prenait trop de place. Puis il se concentra à nouveau sur Noah, toujours gémissant, étalé sur le sol.

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"J’ai réalisé à ce moment que j’avais laissé tomber mon nunchaku. J’étais sans défense et il continuait d’approcher à son rythme. Il léchait son couteau, ce maniaque."

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Un mètre seulement séparait désormais les deux hommes. Aldrin regardait Kyanseru avec un dédain froid. "Relève-toi et bats-toi", "Tu devrais essayer de te péter le bras, ça irait bien avec ton teint", "J’ai trouvé ton talon d’Achille ?". Autant de répliques qui venaient à l’esprit de Noah, autant de traits d’esprit plus ou moins intelligents que Miki refusait de sortir. Pourtant, l’inspecteur en rêvait. Une réplique cinglante avant d’en finir. Mais le tortionnaire aux cheveux verts refusait d’émettre le moindre son. Il regardait maintenant l’homme dans son costume tâché de sang comme s’il n’était qu’un ver.

"Dis quelque chose, je t’en prie."

Silence.

"Le public le veut, j’en suis sûr."

Silence. La main de Noah se resserre sur sa plaie, comme dans une vaine tentative de stopper l’hémorragie.

"Et si tu ne dis rien..."

Silence.

"Je ne saurais pas ce que tu penses de ma dernière surprise."

Les doigts ensanglantés se soulevèrent de la cheville, révélant une large entaille dans la botte de Noah. Une large entaille qui offrait une vue sur une peau tout à fait intacte.

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"Je suis tellement déçu de ne pas avoir vu sa tête à ce moment."

L’ombre d’un sourire apparut sur le visage d’Haruka.

"C’était dur à dire depuis les gradins mais je crois qu’il a écarquillé les yeux."

"Je disais la vérité tu sais ? C’était vraiment ma dernière surprise, après ça je n’aurais pas pu me régénérer."

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D’un mouvement vif, Noah effectua un balayage au sol, au moyen de sa jambe nouvellement réparée. Le coup frappa l’arrière des jambes de Miki, l’envoyant droit vers le sol. Du bout des doigts de sa main gauche, avant même de se relever, l’inspecteur toucha l’un des doigts laissé nu par les mitaines de Miki désormais étalé sur le sol pour la deuxième fois. Mais c’était une simple perte d’équilibre, il était loin d’être hors de combat. Il commença à se relever, prêt à en découdre.

Noah était déjà debout. Quand il vit Kelly tenter de se redresser, il arma un coup de poing, un direct du gauche. Il ne visait pas son adversaire au sol mais ce qui semblait être le vide. Son poing se balança et, d’un coup, le visage de Miki se retrouva face à l’attaque. En un instant, alors qu’il tentait de se relever, il s’était retrouvé d’un coup à la position exacte qu’il occupait avant que Noah ne le fasse trébucher. Le direct l’avait à nouveau envoyé vers le sol. Cette fois, avant même qu’il ne finisse de dégringoler, Noah prépara un nouveau coup, en visant toujours le même point vide dans l’espace. Et à nouveau, alors que l’attaque fendait l’air, le visage de Miki se retrouva devant le poing serré. Une fois parti sur sa lancée, Noah enchaîna, chaque coup paraissant plus précis dans son timing, plus intense dans sa violence. Il était épuisé, mais il continuait. C’était sa dernière chance. Jamais il n’avait eu à utiliser son alter ainsi. D’une manière aussi décérébrée et brutale.

Mais ça marchait.

Le sang jaillissait désormais à chaque coup. Miki effectuait un mouvement de balancier bien rythmé, et avait des airs de poupée désarticulée qu’un enfant cruel agiterait dans tous les sens ou de culbuto rempli d’hémoglobine. Ce lynchage dura une bonne vingtaine de secondes. Chacune d’entre elles parut durer une éternité à Noah, qui espérait intérieurement que le temps paraissait aussi long à Miki. Ce genre de pensées cruelles ne lui plaisait pas du tout, mais il était perdu dans la folie du combat.

Il finit par sentir ses forces le quitter. Il prépara un dernier coup. Un crochet du droit, destiné à frapper Miki à la tempe. Alors que tout son corps mutilé se pliait dans un dernier effort et que le visage ensanglanté de Kelly apparut pile au bon moment, Noah se permit une dernière réplique.

"Dors bien, enfoiré."

Le corps de Miki alla heurter le sol une dernière fois, guidé par le poing furieux du policier. Ce dernier n’entendait pas les cris dans la salle. Il restait, immobile, debout. Il sentait que s’il tentait le moindre mouvement, il risquait de chuter et de tomber dans les vapes. Il devait tenir. Tenir, la conscience flottante. Tenir. Tenir physiquement. Tenir mentalement. Ignorer la douleur. Les plaies. Ignorer l’état de Miki. Il ne pourrait rien lui faire de plus. Tenir. Tenir jusqu’à…

"C’est une nouvelle victoire pour Arnold Mac Gyver !"

Ça, il ne l’avait pas entendu. Haruka lui avait raconté après.

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"Ce dont je me souviens, c’est que d’un coup, je me suis senti mieux. Enfin, je me suis senti… Normal. Comme avant de me battre. J’ai failli vomir à cause du changement soudain de mon niveau de perception. À l’intérieur du casque, je vous laisse imaginer le..."

"On a compris."

"Donc, après le combat..."

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Remis à leur état initial, il était dur de croire que les deux hommes s’étaient battus en premier lieu. Même le sang qu’ils avaient laissé sur l’arène était déjà en train d’être nettoyé. Miki avait revêtu de nouveau les habits dont il s’était soulagé plus tôt. Le nunchaku de Noah pendait de nouveau à sa ceinture. Même les lunettes de soleil envoyées au loin avaient repris leur état initial en même temps que leur propriétaire.

Aucun des deux combattants ne tendit à l’autre sa main. Ils se contentèrent de se regarder à nouveau, à travers leurs verres obscurs, comme s’ils s’apprêtaient à se battre de nouveau.

"Tu te bats bien, Samantha."

"Ouais."

Il n’y avait pas d’agressivité dans ces mots. Aldrin semblait tout simplement considérer comme non-nécessaire le fait de rendre la politesse. Il tourna le dos à l’inspecteur et sortit de la cage. Noah le suivit de près, comme s’il avait encore quelque chose à lui dire. Après quelques mètres, il apparaissait évident que Miki ne se dirigeait pas vers sa place dans les gradins ou même les toilettes mais vers la sortie.

"Tu ne va pas regarder les autres combats ?"

"Kelly" répondit sans se retourner.

"Je ne suis pas du genre à regarder sans rien dire. J’ai participé, c’était amusant. Je laisse la place aux autres maintenant. Bonne chance, Columbo."

Et sur ces mots, il quitta les lieux tandis que Noah retournait s’asseoir aux côtés de son amie et collègue.

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"Voilà. Je pense que vous comprenez où je veux en venir en vous détaillant ainsi mon affrontement contre Miki Aldrin."

Silence général.

"… En gros, il ment sur sa prétendue absence d’alter. Il est bien trop résistant à la douleur pour un être humain normal."

"Inspecteur, vous étiez sur les lieux, je m'en remets à votre jugement : pensez-vous qu’il est nécessaire d’agir à ce sujet ?"

Noah secoua la tête de droite à gauche.

"C’est un agitateur, probablement un fétichiste aussi, mais pas quelqu’un de dangereux. Et ça n’est pas le premier à mentir sur sa déclaration d’alter pour une raison ou une autre. Je propose de mettre à jour son dossier mais de ne pas mener d’investigation poussée."

"Proposition acceptée. Et donc, ensuite ?"

Noah sourit tout en affichant la prochaine diapositive. Le visage d’un super-criminel bien connu des autorités apparut à l’écran.

"Ensuite… J’ai affronté cette personne."

Attention, des éléments présents dans ce texte peuvent heurter la sensibilité.


L'intensité du regard accompagnait les paroles et Miki remontait sa main sur le flanc exposée à sa vue, dévoilant l'interface LVDS, caressant le cadre jusqu'à ce que le bout de ses doigts rencontre enfin le branchement hdmi. La démarche s'avérait pourtant inefficace et la lueur de l'écran oled 28 pouces 4K comme insensible à son charme faisait perdurer la même image. "Le signal reçu sur cette chaîne est insuffisant, veuillez contrôler votre réception ou contacter l'assistance".

Avec les gens, Miki savait y faire. Avec la technologie, c'était bien moins facile. Il avait passé trop de temps à fuir en profitant du plein air pour apprendre à correctement saisir toute la subtilité du matériel qui l'entourait. Il ne fallait pas minimiser son abandon pour autant, l'américain avait même fait l'acquisition d'une paire de lunettes de soleil pour augmenter son capital charisme et/ou intimidation afin de faire face à cette crise. Mais pourquoi donc ?

La menacer ne passait pas, la chauffer non plus de toute évidence. Il n'avait plus le choix et ce n'était pas de gaité de cœur qu'il décidait de se conformer à la société. Une lourde épreuve psychologique le mégalo qu'il était. Une grande tristesse et une forme de honte aussi qui poussa le gigolo à regarder brièvement autour de lui pour s'assurer que personne d'autre n'était là. C'était un peu absurde dans son propre appartement, mais mieux valait vérifier. C'est bon, il était seul, il pouvait le faire.

"Bienvenue sur l'assistance téléphonique de Whazaam, tous vos programmes en illimité, sept jours sur sept et vingt-quatre heure sur vingt-quatre. En ce moment, profitez d'une large gamme de chaînes de sport dans notre bouquet "intégral". Pour plus de renseignements, pressez 1. Pour un signaler un problème ou être mis en relation avec nos équipes techniques pressez 2." *bip* "Vous avez demandé une assistance téléphonique. Notre service est actuellement fermé, il est ouvert de 10h à 18h, du lundi au jeudi et le samedi de 10h à 15h. En dehors de ces horaires, il vous est aussi possible de contacter l'assistance depuis notre site internet. Merci de votre appel."

Était-il bien la peine de cracher sur sa dignité pour cela ? Il avait été dur pour Miki d'admettre de nouveau la technologie dans sa vie après avoir balancé son micro onde (RIP au chat de sa voisine). Il avait été contaminé par les idées complotistes d'une connaissance qui lui avait juré par tous les dangers pour la santé et la vie sexuelle de manière plus générale auxquels exposait un tel objet. Et maintenant on attendait de lui qu'il ait un ordinateur ? Il ne put retenir un léger rire au moment d'envoyer son téléphone sur le canapé pour aller se calmer dans la salle de bain, passant de l'eau sur son visage avant de l'essuyer sur sa serviette stars and stripes. Il pouvait bien essayer d'accéder à l'internet sur son téléphone, mais il avait un dangereux souvenir de la dernière fois. Sa frustration était d'autant plus grande que Singing in the rain devait déjà avoir commencé depuis quinze bonnes minutes. Il savait être le seul de l'immeuble avec un abonnement aussi exclusif, le cas semblait donc désespéré et Gene Kelly hors de portée.

La soirée aurait dû être bonne. Croquettes au bœuf sans croquettes et alcool à foison pendant 1h43, suivie de commentaires sur la production du film tirés de l'époque pendant deux heures de plus.

Il n'avait plus qu'une chose à faire, tromper l'ennui, prouver au monde que cet incident ne changerait rien et qu'il serait capable de s'éclater même sans s'en être tenu à l'exact programme qui devait charger sa soirée. Il avait justement mémoire d'une brochure dans l'entrée et c'est donc là qu'il pressa le pas, attrapant la feuille de présentation de la soirée de gala auquel il avait renoncé pour favoriser cette expérience vidéo-ludique qu'il connaissait déjà par cœur. Bien, elle n'avait pas encore commencé, il serait donc à l'heure.

Ou bien ? Miki leva le pied en réalisant qu'il piétinait une autre brochure bien plus singulière.

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Les cris de la foule faisaient raisonner la salle, causant des vibrations jusque dans la cage, le fracas des pieds sur le sol créant des reliefs sur la flaque devenue marre, opaque par endroits jusqu'à la traînée de son propriétaire qui tentait de se relever une énième fois. Les voix s'élevaient comme autant de demandes de mises à mort dans "sport" où c'était pourtant interdit. Il y avait bien une chose à comprendre. Ils voulaient du spectacle et si la première partie ne leur avait pas suffi, une deuxième s'imposait.


Cela faisait déjà de longues minutes que Muscle-ini n'était plus en état de se battre, mais n'était pas non plus en état de déclarer forfait. En effet, un coup porté à la gorge peu de temps après le signal de départ avait eu raison de sa voix et à présent, il se traînait sur des distances de plus en plus courtes. On aurait pu s'attendre à une intervention de l'arbitre pour attribuer la victoire, néanmoins ce n'était pas un tournoi inter-écoles diffusé sur toutes les chaînes pour la plus grande distraction des petits et des grands. Le seul public était celui présent et si ce dernier voulait du sang, la seule règle était de ne pas tuer n'est-ce pas ? L'offre répondait à la demande et Miki essuyait son couteau sur une des rares zones épargnées de l'uniforme de cet homme de muscle dépassant les deux mètres.

S'ils avaient étés seuls, il en aurait gardé un bout. Pouvoir faire gonfler ses muscles pouvait être un avantage précieux, mais il n'était pas là pour cela et maintenant qu'il avait fini de repeindre la cage et une partie du premier rang, il estimait avoir fait le tour. Il n'était pas suffisamment bête pour le tuer, qu'importe les incitations du public. Ses bottes pouvaient être lourdes quand prises de face. Avec Muscle-ini qui cessait enfin de bouger, la victoire était sienne.

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Finalement, il aurait peut-être mieux fait d'attendre avant de quitter la cage. Mais avouez qu'il était terriblement plus charismatique de ne pas avoir besoin de soins. Et en soit, c'était bien le cas, il aurait par contre eu besoin d'un petit nettoyage ? Ses bottes étaient souillées, il avait laissé derrière lui les empruntes d'une scène de crime. Il se retrouvait à agir comme un enfant, gardant ses lunettes de soleil pour ne pas voir qu'il avait dégueulassé les vestiaires avec son passage. Il aurait dû vérifier la brochure pour savoir si Healing Touch machin pouvait aussi s'occuper du sang de l'autre, peut-être même le remettre à sa place. Il était venu les mains dans les poches alors nécessairement, pas de bottes de rechange, tous les vêtements qu'il perdrait en combat, il devrait faire sans. Il y avait pire, au moins le reste avait été épargné et autant sa chemise, son débardeur et son magnifique pantalon cargo étaient aussi propres qu'ils pouvaient l'être.

Bon, il n'allait pas non plus envoyer valser ses chaussures pour un peu de sang. Il devait bien y avoir un lavabo quelque part non ? Il allait donc se comporter en adulte responsable et aller nettoyer ses chaussures. Mais avant, il avait quelque chose d'important à faire, de réellement vitale dans sa journée. Il prit donc quelques minutes pour répandre ses empreintes de pas ensanglantées dans le vestiaire, reproduisant un parcours cartoonesque et invraisemblable pour toute personne qui passerait nettoyer derrière lui. Ce fut faute d'encre qu'il dut s'arrêter en chemin et enlever ses chaussures pour ne pas ruiner le rendu de son œuvre.

Aucun moyen de savoir si un nouveau combat venait de commencer, à part peut-être les cris d'hystéries qui résonnaient jusque dans les vestiaires, cachant même les fracas du combat en cours ? Au moins il ne serait pas embêté pendant son passage aux toilettes.

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Il ne prévoyait pas non plus de se retrouver seul dans cet espace, mais le public était de toute évidence trop investi pour manquer un combat ? Techniquement, il n'était pas (vraiment) seul. Ils étaient deux. Alors peut-être que les participants avaient leurs propres toilettes ? C'était fichtrement bien organisé pour des combats underground, à ce stade, on pouvait légitimement se demander s'ils avaient prévu un accès et des cabines pour les handicapés.
Après quelques pas et ses chaussures toujours à la main, il passa derrière un drôle de spécimen face aux urinoirs. Non pas que la vidange soit d'une particulière curiosité, mais il n'était pas trop courant de se retrouver seul avec un type aux collants argentés. Quoi que... Une combinaison, peut-être, au vu de la masse de tissus qui traînait autour de sa taille. Il y avait ce drôle de casque aussi. Ce n'était pas une de ces mascottes pour enfants ? Ou quelque chose du genre. Enfin, quoi que ce fut, cet homme faisait sa vie et cela n'aurait normalement pas du interpeller l'américain plus que cela qui commença à faire couler l'eau sur ses chaussures.

Cela n'aurait pas dû. Mais les sens de Miki étaient particulièrement affutés et même léger, il avait repéré un mouvement du coin de l'oeil. Pourtant, il était encore là-bas ? Et le son lui indiquait qu'il n'avait pas encore tout à fait fini non plus. Alors qu'avait-il fait ? L'expression du war puppy changea drastiquement quand il parvint enfin à comprendre ce qui avait bougé et ce que faisait cet homme relevait de la pure folie ! Jamais il n'avait vu un autre s'y risquer sans échouer, pourtant, il le faisait. Cet homme en combinaison à paillettes avait placé ses mains sur ses hanches.

Il était dur pour Miki d'accepter que quelqu'un puisse prendre de tels risques comme il était d'autant plus inconcevable d'imaginer à quel point cela pouvait le troubler. Peu de temps après qu'il ait commencé à l'observer, ce dernier avait bombé le torse ? Il avait donc vu qu'il le regardait. Faisait-il cela pour l'impressionner ? Pour lui montrer de quoi il était capable ? Haha, alors cet idiot à paillettes voulait jouer à ça ? Très bien. Miki retournait l'attention à ses semelles, les rinçant encore un instant avant de progressivement lever une jambe, son pied dépassant ses épaules avant de finalement le caler contre le haut du miroir, affichant un splendide grand écart avant de recommencer son nettoyage à l'eau. Certainement n'était-il pas aussi souple, n'est-ce pas ?

À coups sur, après pareil spectacle, il allait abandonner, c'est ce dont Miki était persuadé. Puis, il la montra, la paume puis le dos, intacte bien sûr, il n'avait pas laissé le temps à l'eau de le brûler. Miki gardait sa jambe droite, se demandant inlassablement ce qu'il allait maintenant faire. Et à nouveau, ce fut une surprise. Un mouvement rapide. Une main qui fendit l'eau bouillante avant de revenir en position en un instant. Puis, il la montra, la paume puis le dos, intacte bien sûr, il n'avait pas laissé le temps à l'eau de le brûler.

Bien, la compétition n'était donc pas finie et il avait encore une carte à jouer. Il reposa donc son pied au sol. Puis, sortant ses bottes du lavabo, il les secoua légèrement avant de les enfiler, prenant son temps, les laçant correctement pour se redresser face à l'homme qui n'avait pas jugé utile de prendre ce temps pour se rhabiller, contractant visiblement toujours. Miki n'abandonnait pas encore, il ne serait pas vaincu. Il s'appuya contre le mur derrière lui, pliant les genoux, prenant la position de la chaise tant exploitée par les professeurs d'éducation sportive et posa ses mains sur ses cuisses. Puis après un long échange de regards entre personnages masqués, commença entre ses cuisses et son torse avec les paumes de ses mains les clapotas d'un cheval au galop. Il se releva, droit, fier, attendant la dernière démonstration de son adversaire. Ce combat n'avait déjà que trop duré.

L'adversaire argenté présenta donc son poing, face à lui, à mi-distance de son corps, attendant que l'homme à lunette face de même. Tout aller se jouer sur ce dernier coup et c'est sans un mot que les deux se mirent à agiter leur poing face à l'autre, de haute en bas, une première fois, une deuxième fois, puis une troisième avant que ne se dessinent sur leur main, le symbole d'une victoire.



Puits ? Quel taré utilisait le puits ?! Se croyait-il en maternelle à jouer contre ses petits camarades ? Le puits n'était pas un véritable coup à jouer, plutôt qu'une chance sur trois, il représentait deux chances sur trois de gagner face à un adversaire non averti. Il n'allait quand même pas...? Et si, sans se rhabiller, son adversaire prenait la direction de la sortie. Sans lui donner une chance de protester et sans même se laver les mains. Il se contentait tout juste d'une phrase tandis qu'il passait la porte.



À ce stade, Miki n'essaya pas de le poursuivre. Car cet homme était parti avec une chose. Il ne savait pas de quoi il s'agissait, mais c'était bien quelque chose. Il ne pouvait qu'espérer qu'il s'agisse du staphylocoque doré.

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Même si les cris de la foule étaient souvent confus, il y avait deux possibilités pour les rendre soudain plus clairs. Un chant à l'unisson qui permettrait une interprétation aux syllabes ou simplement un gars au premier rang à la voix portant particulièrement bien. Etaient-ce des mots sortis au hasard ? Savait-il une chose qu'il ne savait pas ? Ou tout simplement une référence au fait de se faire marcher dessus par un type au collant que Miki avait dénoncé à son adversaire un peu plus tôt. Assez ironique, il fallait l'avouer, mais il n'avait aucunement l'intention de se faire avoir par cet homme d'argent.

Même avec le nunchaku, il peinait à le prendre au sérieux en réalité. L'équilibre était pourtant simple, si ce dernier avait gagné le premier combat, lui gagnerait le second. Un peu tordu, mais il ne comptait de toute manière pas se faire piétiner alors autant partir dans un pronostique positif. Envisager de perdre, c'était de base se préparer à perdre et c'était hors de question. Au moins, son adversaire s'était rhabillé, ce serait plus dramatique au moment de lui faire bouffer son puits.

Les grondements du public continuaient de gonfler donnant l'impression que les animaux n'étaient pas dans la cage, mais tout autour, cognant comme des tambours sur les grilles avant le signal de départ. L'ambiance était à coups sure meilleure que pour son premier combat. Si le public pouvait le rendre un peu euphorique comme n'importe qui d'autre dans cette situation, il était loin d'être sa priorité. Miki avait déjà été annoncé et mis en lumière sous son nom de scène. Ne restait donc plus que l'autre.


Combien de temps sa connaissance des commodités avait-elle pris la pause avant d'être finalement éclairée par le spot ? À croire qu'à chaque round, la régie poussait les efforts sur la présentation. Un bon timing aurait été plus sympa, mais on ne pouvait pas tout avoir. Il s'adressa à son opposant.


Miki attrapa le béret qui traînait sur sa tête. Il l'avait assez vu pour l'heure et lancé avec assez de force, il eut vite fait de passer au-dessus du grillage pour finir dans le public. Ce genre de petit geste qui pouvait le faire se sentir l'âme d'une Rock Star.


Ah, il avait déjà la grosse tête hein ? Miki plaça un pied légèrement en retrait, un sourire apparaissant sur ses lèvres. Il allait être expéditif pour la peine, histoire de donner une petite leçon à cette mascotte et pour cela, il laissait son couteau bien à l'abris dans son étuis.

Le départ. Miki ne perdit pas une seconde pour profiter du positionnement prématuré de son pied pour se propulser au raz du sol en direction du gars en collants. Un bref mouvement de recul suivit de la présentation de ses paumes. Le rythme était imposé, Miki assenait plusieurs coups, L'homme pailleté les déviait ou les limitait avant de pousser l'américain à reculer en déployant son nunchaku, ne s'éloignant pas de plus de deux mètres. Le couteau n'était pas encore de mise mais déjà un premier bilan s'imposait pour l'américain qui s'esclaffa. Son adversaire était plus lent et plus faible, il l'avait senti en quelques secondes.


Il s'était déjà suffisamment amusé avec l'autre alors il n'allait pas s'éterniser si le jeu n'en valait pas la chandelle. Il était venu pour en découdre et enfin, il fit sauter l'encoche qui retenait son couteau, le sortant de son étui et l'empoignant avec souplesse avant de fondre à nouveau sur son adversaire, plus agressif, moins martial. Les premiers coups pleuvaient et si Miki évitait ceux qui lui paraissaient les plus douloureux, il encaissait sans peine les autres, en profitant pour entailler plusieurs fois son adversaire, confiant. Personne ne pouvait l'avoir à l'usure et quand la défense d'AMG deviendrait moins efficace, il pourrait planter plutôt que de taillader. Cette scène d'une rare violence aurait pu durer encore un moment, un silence entre les deux adversaire, un brouhaha violent tout autour d'eux, une vitesse rare et des éclaboussures souillant progressivement le sol. De ce point de vue là, Miki était assez gâté car les coups même portés avec un nunshaku ne provoquaient pas de dégâts visibles, cachés par les vêtements. Ce n'était pas indolore, pour autant il pouvait largement faire avec.

"Crac". L'américain qui s'était jeté à corps perdu eut un mouvement bien anodin, celui de reculer de quelques mètres pour prendre ses distances, encore, relâchant avec un temps de retard son couteau dont la pointe vint se planter dans le sol. Ses traits étaient plus tirés même si son attirail le cachait bien. Une réaction des plus naturelles quand on venait de lui casser trois doigts. Le léger tremblement au bout de ceux-ci, la courbe effrayante ou le tiraillement causé par la douleur. C'était une région sensible que l'idiot à paillettes venait d'incapaciter. Difficile pour Miki de rester de marbre dans ce genre de situation rarissime. Quelque chose n'avait pas collé, il n'aurait pas dû se blesser, le nunchaku aurait dû aller dans l'autre sens ou alors n'avait-il pas été suffisamment attentif ?


La partie haute du corps de l'autre con était bien amochée mais Miki se retrouvait avec la blessure la moins superficielle. À côté être couvert d'entailles des cuisses aux épaules était une balade de santé.


Il aurait beau dire le contraire, Miki n'était pas dupe, il avait senti le coup de pute. Celui qu'on ne peut pas prévoir, qui est contre les enjeux du sport, celui qui n'abat pas ses cartes et qui en prépare peut-être même un autre.


C'est qu'il commençait à le faire chier en plus avec ses répliques débiles ! Miki regarda à nouveau sa main, la fermant de force malgré son état pitoyable avant de se pencher brièvement pour ramasser son couteau de sa main gauche encore valide. En remontant, il eut droit à la surprise d'esquiver de justesse le nunchaku que son adversaire avait décidé d'envoyer depuis sa position. Quel abrutit !! Il venait de se désarmer. Miki ne put s'empêcher de s'exclamer.



Yippie quoi ? Le retour de l'arme du lanceur, il ne l'avait pas prévue et s'il n'avait pas réagit à temps, plutôt que d'emporter ses lunettes de soleil, il lui aurait porté un coup à la tête qui en aurait assommé plus d'un. Il n'était pas particulièrement chanceux, simplement particulièrement adapté à l'imprévu et cet l'homme d'argent venait de réussir un nouvel exploit, donner particulièrement l'envie à l'américain de lui faire bouffer ce qu'il venait de lui lancer, toujours avec son puit. Dommage pour son adversaire, il était ambidextre, il valait donc mieux espérer pour cet idiot qu'il ait le temps de reprendre son arme en main avant l'arrivée très rapide sur lui du gigolo qui profita de ce bref instant de confusion pour accepter un coup porté aux côtes pour en retour asséner une frappe particulièrement violente dans le dos de son adversaire, le lacérant sur plusieurs dizaines de centimètres.

Ce n'était pas un lacération dont on se remettait et en soit, quel que soit l'alter bizarre de télékinésie de l'homme pailleté, il ne serait pas suffisant pour empêcher le sang de quitter son corps à grosses goûtes. Miki était un tueur et peut-être cette fois avait-il pu le faire sentir à son adversaire. Car cette compétition n'interdisait pas de tuer, elle disqualifiait les morts rapides. Les morts lentes, le magicien pouvait toujours intervenir donc la moelle épinière de ce rigolo n'aurait pas à souffrir trop longtemps. Il aurait été surpris dans de telles conditions qu'il parvienne encore à tenir debout. Quel idiot, il aurait assuré une meilleure défense s'il n'avait pas essayé de prendre son couteau, il avait bien réussi à le frôler, ce qui en soit n'était pas si mal ?

Il ne se rendit pas immédiatement compte que les nouveaux cris de la foule n'étaient pas ceux de l'acclamation d'un vainqueur. Sinon, il aurait vu la chose venir. Si cet abruti, qui était hystérique depuis le début, avait crié à nouveau quelque chose du genre "bottes lui le cul Mac Gyver !". Mais non, il avait visiblement décidé de se taire et cette fois. Et Miki, lui, n'aurait pas pu prévoir que soudainement, ses vêtements le tirent en arrière et encore moins que son propre couteau lui fut planté dans la cuisse, la traversant presque pour ressortir de l'autre côté. La surprise était totale et l'expatrié ne put se préparer ni à cette attaque ni aux suivantes. En effet, celui qui semblait bien s'amuser depuis tout à l'heure avait regagné un brin de sérieux et lui assénait un nouveau coup, cette fois avec son nunchaku, précipitant les deux extrémités comme un marteau au milieu de sa cage thoracique et expulsant ainsi l'américain en arrière pour qu'il s'écrase au sol avant de recommencer. Une fois, deux fois, trois fois, ramenant Miki à lui comme traîné par ses habits, le frappant exactement de la même manière, au même endroit et avec la même force jusqu'à ce que les os de l'américain, aussi solides qu'ils soient finissent par céder sous les impacts aussi violents que répétitifs.

Ce fut lors du dernier aller-retour que Miki parvint à contrer le mouvement, usant de son bras droit pour plaquer au sol celui dont il vint violemment empaler la main, causant enfin une plainte de souffrance de son adversaire. C'est le seul bruit qu'il voulait entendre s'échapper de son corps à présent, celui-ci et celui de la peau se déchirant à mesure que son bras droit coincé sous la gorge de sa victime, Miki traçait son chemin au travers de sa paume, marquant le sol contre lequel elle était prise en tenaille jusqu'à ce qu'enfin sa lame ne trouve une issue entre le majeur et l'annulaire, ce n'est qu'après avoir par conséquent libéré la main qu'il fut de nouveau éjecté en arrière, rencontrant à nouveau le sol du ring qu'il avait épongé depuis tout à l'heure.

Chacun son fardeau. Miki savait depuis le temps que démembrer était souvent moins dérangeant que de mutiler, car les mutilations les plus atroces causaient souvent encore plus de douleur qu'on ne pouvait l'imaginer. Tous les deux étaient au sol pour l'heure, mais très certainement, tous les deux allaient se relever. Il ne l'avait taillé qu'à la main après tout. Cette histoire de puits n'était pas restée impunie. Cela restait pourtant assez frustrant quand il comprenait comment il était parvenu à l'attaquer avec sa blessure, il ne l'avait plus, pas mal des entailles étaient encore présentes, mais il n'aurait jamais pu le frapper avec cette force si cette blessure l'avait encore fait souffrir.


Miki avait les doigts cassés, l'imbécile pouvait faire le salut de la paix intergalactique. Mais l'américain en oubliait presque que son état était bien plus précaire que ce qu'il avait en tête et si son adversaire paraissait fatigué tout en perdant une quantité assez inquiétante de sang, Miki trouvait bien plus de peine à se redresser sur ses deux pieds, prenant une longue inspiration en sentant les différentes zones affectées de son corps. Côtes fracturées, doigts cassés, cuisse qui commençait à arrêter de saigner malgré l'entaille profonde et... son bras ? Merde, il était tellement concentré sur la lacération de la main qu'il n'avait même pas senti sur le coup qu'AMG avait achevé son bras droit. Pas étonnant qu'il ait finalement pu se dégager. À ce stade, il le sentait à peine, il était bien là, mais impossible de l'utiliser.

L'autre aussi était finalement debout et ne se soignait pas ? Eh bien, pourtant, c'aurait bien été le moment ! Ou peut-être ne le pouvait-il pas ? Trop fatigué ? Le combo était très bien tenté, Miki aurait pu y succomber et la stratégie, si elle avait marché, aurait été foutrement bonne. Le war puppy ne pouvait pas se tenir droit donc tout n'était pas perdu. Il traîna la patte en se rapprochant de son adversaire, le regard sévère, il avait toujours ce foutu nunchaku hein ?


C'est le gars avec la main pegi 16 qui osait lui dire ça ? Visiblement il ne prenait peut-être plus autant son pied quand les conséquences étaient telles. Dommage, c'était l'un des meilleurs moments. Miki risquait en effet de ne pas gagner, il avait bien plus souffert physiquement de ce combat, même s'il était moins épuisé que son adversaire. Alors quoi ?


Car c'est ce que Miki avait senti au court de cet affrontement, chercher à l'immobiliser, viser des zones non létales. Lui proposer de remettre les armes alors qu'il avait encore une chance de gagner. Il y avait tout juste un mètre entre eux pourtant, largement de quoi se jeter dessus et s'entre-déchirer. Mais Miki avait un instinct et il en avait assez vu de ce connard qui jouait avec sa tête et son alter.


Et il lui restait son couteau et sa main gauche. C'était un coup risqué pour Miki que d'envoyer le couteau sur le gueulard qui, plus loin derrière l'idiot continuait de hurler ses encouragements depuis tout à l'heure. Peut-être un ami du gars ? Peut-être que le grillage ne laisserait pas passer la lame, peut-être que Miki lancerait trop mal dans son état ? Ou peut-être tout simplement que contrairement à son idée, AMG se foutrait de sa groupie et laisserait volontiers Miki se disqualifier de la sorte ? Ce gueulard l'emmerdait depuis le début de toute manière alors ce ne serait pas si terrible de perdre pour cette raison.

Mais l'issue se détermina quand la mascotte au passage du couteau à quelques centimètres de son casque le suivit des yeux, jusqu'à presque entièrement tourner le dos à son adversaire, relevant sa main valide certainement par réflexe, la progression du couteau s'interrompit pour commencer à revenir avant de retomber soudainement au sol, s'y plantant une dernière fois à mi-chemin du retour. Le dernier poing valide de l'américain écrasé contre son foie, l'insuportable adversaire s'écrasa au sol, paralysé par une nouvelle douleur que Miki connaissait bien pour l'avoir lui-même expérimentée. Ce n'était pas un coup pour tuer, mais c'était un coup suffisant pour que ces mots résonnent.


Du début à la fin, ce combat était fourbe, comme le précédent, il y avait un public, ses attentes, mais ces dernières n'étaient pas celles de citoyens lambdas. Les échos remontaient, on les laissait se battre, se tartiner du sang de l'autre, dévoiler la chaire qui n'aurait jamais dû l'être, menacer le public, torturer en direct, tout semblait acceptable dans cette arène et Miki n'aurait osé se déplacer d'avantage. Certes, il avait gagné et il n'avait pas particulièrement de remords de l'avoir fait de cette manière. Sauf que cette fois, il allait définitivement avoir besoin du healing. L'adrénaline du combat était retombée et il remettait un genou à terre aux côtés de son adversaire. Il était dans sa bulle et seule une chose put capter son attention en dehors de cette dernière, un ultime cri de la groupie de l'abruti qui criait comme un hystérique.


Et cela eut le mérite de réellement surprendre Miki qui rabaissa les yeux vers le con encore à terre. Il était obligé de le remarquer, de le prendre en compte et forcément, même si son bandana cachait son sourire, peut-être que ses yeux le trahissaient.