Lady Moriarty's Kitchen Nightmare [FT. Arima]

"Et en cas d'imprévu ?"

"Comment ça, imprévu ?"

"Sauf votre respect, Boss, il y a toujours des imprévus. Vous réagissez toujours au mieux, vous sauvez la situation, et tout finit bien, mais cette fois vous pourrez pas nous contacter alors on fait quoi ?"

"Improvisez. Tu es notre œil dans le ciel, celui qui a toutes les informations, toutes les cartes en mains. Si tu vois un imprévu et que tu penses savoir quoi faire, je te fais confiance pour prendre la bonne décision."

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Je ne sais pas si cela vas vous surprendre, mais je ne suis pas une grosse joueuse de jeux vidéos. Je n'ai rien contre eux, c'est sans doute très bien pour beaucoup de gens, mais une activité qui occupe les mains signifie souvent que je ne peux rien faire d'autre en même temps, et un seul jeu ne suffit pas à chasser l'ennui. Je suis plus adepte des let's play et walkthrough, de vieux jeux surtout. Ceux qui prennent le temps de créer des histoires, des univers, à une époque où il était encore facile d'être original. Certains sont encore légendaire aujourd'hui, plus de cent ans plus tard, par les instants d'anthologie ou les répliques magistrales qu'il m'arrive parfois de citer. A man decides, a slave obeys ! Andrew Ryan ne serait pas fier du gamin. Il affirmait haut et fort que les ordres et propositions qu'il avait reçu étaient idiots, mais ça ne l'empêchait pas de les mettre en application. Le pire des deux mondes, il torpillait sa crédibilité un peu plus à chaque fois qu'il ouvrait la bouche, et ce alors qu'elle avait déjà sombré.

"Good boy, c'est un plaisir de faire affaire avec vous."

Alors que je portais le coup de grâce à mon assiette, je songeais que Eagle verrait les snipers se retirer. Il les avait repérés pour moi, après tout, il devait les surveiller. Il a aussi compris que, sans eux, plus personne ne nous surveillait de l'extérieur. Personne ne prêtait assez attention à la façade pour repérer quelque chose d'aussi discret que, disons, l'arrêt total des personnes dans la salle. Il n'y avait aussi personne dehors susceptible de vouloir rentrer et de s’inquiéter si tous les accès étaient soudainement verrouillés. Il était temps de s'isoler un peu, et de laisser à Spider le temps de faire son travail. Je ne sais plus si vous vous souvenez, mais l'alter de Spider lui permet de créer des fils à partir de ses doigts, sans limite de taille – mais il les fait pousser au fur et à mesure, il doit se concentrer pour qu'ils deviennent vraiment longs – et les manipuler. Dans le cas présent, il les a fait courir le long de la façade pour atteindre une à une toutes les portes et les sceller, le tout dissimulé par Turtle qui avait placé son Isolation sur le bâtiment entier. De l'intérieur, nous ne pouvions pas voir le moindre changement. De l'extérieur, l'immeuble semblait parfaitement normal. Et hop, nous étions hermétiquement coupés du monde, et personne ne soupçonnait rien. A part moi, mais je n'avais aucun moyen d'être certaine sans vérifier, et ça aurait vendu la mèche.

"Même si le "Quelque chose comme ça" me laisse dubitative, je vais vous retourner votre confiance et ne pas insister. Le repas ne fait que commencer, cependant, et nous sommes déjà arrivés à un accord. Y a-t-il un autre sujet dont vous vouliez parler ? Un autre contrat pour lequel m'engager ? A moins que vous ne soyez intéressés par les potins ? Je préfères prévenir, je ne suis pas dans le commerce d'informations d'habitude, mais j'achète beaucoup et je connais les prix."

J'ai préféré ne pas m'étendre sur le sujet des « moyens d'entrer en contact avec moi », de peur de briser les illusions qu'il semblait entretenir. Le principe même d'un business indépendant est que tout le monde peut me contacter, la méthode est marquée sur mes cartes de visites. Je ne peux pas dire que je ne fais pas d'effort pour la cacher à ce stade, je fais des efforts pour la montrer à tous. S'il espérait que j'arrêterais de lire les messages qui me sont adressés sous prétexte que nous avions un accord de principe qui ne serait peut-être jamais invoqué, il se mettait le doigt dans l’œil jusqu'à l'épaule. Et s'il craignait que j'évoque un autre moyen de me contacter durant ce petit dîner entre non-amis, même chose. Je n'avais pas passé un temps infini à sécuriser ce canal, sans parler de l'entretient pour qu'il reste fiable, pour donner un numéro de téléphone traçable au premier client venu. Et surtout pas celui-là. Non, cela n'aurait servi à rien, et il avait sans doute des choses plus intéressantes à me dire. Des choses plus croustillantes.

Même moi, parfois, il m'arrive de perdre mes mots. Pas souvent, bien sûr, et je me reprends si vite que personne ne remarque rien. Mais moi je le remarque, et là, nous arrivons à un point où je l'ai remarqué. Pour ma défense, il faut dire que le gamin était… eh bien, vous pouvez vous faire votre avis en vous basant sur ce que j'ai raconté jusqu'ici, bien sûr, cela devrais vous donner une bonne idée de sa personnalité. Avec le recul, je me demande presque s'il n'était pas un peu dérangé, pas schizophrène – les gens emploient ce mot à tord et à travers depuis longtemps, c'est assez désagréable – mais au moins déséquilibré, atteint d'un genre de dédoublement de personnalité. Le vilain Verso incompétent qui sert à tout prix les vilains Ouroboros incompétents en essayant d'avoir l'air sombre et mystérieux, obligé de partager le temps de parole avec le gentil Salamander incompétent qui se moque éperdument de sa famille mais veut protéger ses amis de la pire des façon et essaie d'avoir l'air calme et professionnel. Ou un autre mélange, de toute façon le pauvre était incapable d'aligner plus de trois phrases sans se contredire. Ajoutez à ça son incapacité à sa mémoire défaillante, sa confiance arrogante en un savoir qu'il ne possède pas, et ses prétentions d'homme expérimenté alors qu'il devait tout ce qu'il avait, tout ce qu'il était, à une éducation que d'autres ont choisi pour lui, et vous comprendrez que je commençais à être sensiblement excédée. Un autre aurais prit une claque et des insultes plus tôt, voyez comment j'ai échoué à me contenir face à ma pauvre Melody par exemple, mais il était instable, entouré d'hommes de mains qui étaient sans doute tout aussi fiers que lui du sang sur leurs mains, et donc dangereux. J'arrivais cependant au bout de ma patience, la farce avait assez duré.

"Donc, en résumé, après avoir craché dans la soupe et exprimé votre souhait de saborder un contrat que vos supérieurs vous avaient explicitement demandé de conclure, vous venez m'en proposer un autre. Contrat qui, cette fois, pourrait tout à fait être accompli par vos hommes, c'est bien le genre d'opération auxquelles les yakusas sont habitués, ce qui donne l'impression soit que vous me mentez sur la véritable nature du travail, soit que votre clan est trop incompétent pour s'en charger lui-même, aucune des deux possibilités ne me donnant vraiment confiance."

Si mon assiette n'avait pas déjà été vide, j'aurais avalé ici une bouchée ou deux pour marquer une pause dramatique. Malheureusement, il ne me restait que mon verre pour ça et je voulais lui laisser le temps de digérer ce que je venais de dire. Il aurait été dommage qu'il encaisse juste ça comme un monologue abscons sans en tirer quoi que ce soit d'utile pour son développement personnel. Et qu'il continue de ne pas voir le problème. Mais faute de grives, on mange des merles, donc j'ai siroté mon fond de verre et juste marqué une pause tout sauf naturel, sans le quitter des yeux ni me départir de mon air grave. Mon regard était rivé sur le gamin pour lire la moindre de ses réactions, mais mes oreilles et ma vision périphérique restaient attentives à ses larbins. Il aurait été dommage que l'un d'eux prenne une initiative déplaisante.

"De plus, alors que j'ai clairement fait savoir que le paiement devait être décidé d'entrée avant que je décide si un travail m'intéresse ou non, une règle absolue dont les motifs me concernent, vous venez me parler de paiement dépendant de la performance, sachant qui plus est que l'affaire qui nous concerne permet difficilement les variations de résultat. Soit la cargaison est volée et remise en totalité, soit c'est un échec. Pas d'entre deux."

Et il était étonnant qu'il puisse croire qu'il y en avait. Comme il était surprenant qu'il juge utile de me parler d'un sbire supposément puissant et pas de beaucoup plus d'informations plus pertinentes, mais bon, je ne vais pas le juger pour avoir été marqué par quelque chose. Pas quand il y a tant d'autres problèmes à relever. Ses petits jeux avaient achevé de me lasser complètement, et même sans regarder mon casque, je savais qu'il était juste là, à porté de main.

"Ça suffit."

Quand une troisième personnalité s'est ajoutée aux autres, ma patience a atteint sa limite. Sa belle prétention avait soudainement disparue, il n'était plus le prodige fier de lui et de ses capacités, l'héritier talentueux qu'on entraînait et promis à un grand avenir, plus de gentleman ou de crâneur, juste un gamin nihiliste avant l'heure, une arme que l'on pouvait jeter et qui n'avait aucune valeur. Et quand bien même ça ne serait pas un énième rôle mal joué et irritant au possible, quand bien même ce serait ce qu'il pense et ressent au plus profond de lui, entendre ce genre de mal-être de la part d'un gosse sans expérience ignorant tout de la réalité du monde ne faisait pas vibrer ma fibre empathique le moins du monde. Il était clairement instable et inconstant, ce qui est peut-être les pires défauts qu'un associé d'affaire puisse avoir.

"Vous direz à votre clan que leur offre a été entendue et poliment refusée. S'ils veulent rétablir le contact et me proposer autre chose, je leur suggère d'envoyer quelqu'un qui sache négocier sans passer pour un dément."

Ces mots furent accompagné d'un léger grincement de ma chaise alors que les pieds glissaient sur le sol et s'éloignaient de la table. Après avoir reculé j'ai commencé à me redresser, une main sur le dossier et une autre sur le bord de la nappe. Pas pour m'aider à me redresser, même si c'était l'impression que cela donnait, mais pour avoir des armes en main au cas où la situation dégénérerait. J'avais du mal à prendre sérieusement sa menace de faire sauter le bâtiment, pas quand il y avait autant d'hommes à l'intérieur. Un groupe capable de sacrifier autant de membres comme ça, par sécurité, ne s'attire généralement pas beaucoup de fidélité – et n'en mérite de toute façon aucune – à moins de laver le cerveau de ses membres, et quand bien même, la main d’œuvre est plus rentable quand on la conserve sur le long terme. Et puis bon sérieusement ? Ils préparent des explosifs à chaque fois qu'ils organisent une rencontre avec un associé ou un indépendant ? Ça doit leur coûter une fortune, sans parler de l'attention que les explosions volontaires attirent, quel est le bénéfice ?

"Quand à notre offre, elle reste d'actualité. Vous savez comment le contacter, d'ailleurs je vous conseille de passer par le canal classique plutôt que par des rendez-vous en direct, à l'avenir. L'écrit vous réussira peut-être mieux, il vous offrira au moins le temps de réfléchir avant de parler."

Suivit ensuite le geste fatidique, une fois que j'étais bien redressée et libérée de ma chaise, quand j'ai saisit le casque de motard sur la table. C'était le signal, Eagle a pu le voir et dire à Spider de passer à l'action. Enfin, c'est un bien grand mot quand on considère qu'il n'est pas sorti de sa cachette, juste au-dessus de nos têtes, qu'il n'a fait aucun bruit, ni même interagi avec qui que ce soit. Le plan était légèrement différent. Moins instantané et plus furtif que des snipers ou des bombes sous le parquet, je sais que j'aime les opérations flamboyantes mais jamais quand je rencontre des clients ! L'anonymat des clients, c'est sacré. Mais bref, pour en revenir à moi, j'ai rapidement passé le casque sur ma tête après l'avoir saisi, puis j'ai pris la canne, et j'étais prête à partir.

"Je conclurais bien ce petit entretient en disant que c'était un plaisir, mais ce serait mentir. Une dernière chose à dire, peut-être ?"

Le casque déformait légèrement ma voix, rien de bien surprenant, mais en articulant bien et en parlant fort, je restais parfaitement compréhensible. Et à travers la vitre opaque du casque, je n'avais plus à faire semblant et retenir une moue fatiguée qu'il ne pouvait de toute façon plus voir.