En direct de Shiketsu ! [PV Léo Oxton]

Et comme je l'avais prévu, j'ai eu exactement deux phrases dépourvues d'information utile. Enfin si, il n'avait plus de contact avec eux. Est-ce qu'il ne les avaient jamais trop connus, est-ce que le choc avait été si brutal qu'il avait coupé les ponts, est-ce que l'école avait ordonné cette séparation ? Impossible d'être sûre sans avoir plus d'info, et il ne m'en donnait pas à ce sujet. Pas besoin de prendre des notes donc mes doigts jouaient avec le stylo en attendant quelque chose qui méritait d'être couché sur papier.

Je ne sais pas si sa réponse suivante correspondait vraiment à cette catégorie, mais j'en ai tout de même griffonné les grandes lignes en hochant la tête. Bonne entente, entraide, rivalité, viser plus haut. Bla bla bla, c'était très classique et exactement ce que le public voulait entendre, donc ça ferait sans doute une sympathique note finale pour le reportage mais pas plus. Un moyen de remonter le moral des spectateurs et de les laisser avec un sentiment positif après avoir été creusé dans les poubelles et déterré le négatif. Et surtout, je voulais le comparer avec ce que diraient les autres pour savoir si le sentiment était partagé.

"Hm- hmm. Bien. J'ai une dernière question, ça te va ? Après ça tu pourras retourner en classe et dire à ton prochain camarade de venir."

Je n'avais, comme je l'ai dit, pas beaucoup de questions. Je voulais faire dans le volume, donc plus vite j'en finissais avec chaque gamin et mieux c'était. Je me serais peut-être attardée s'il m'avait lancé un os à ronger, mais ça n'avait pas été le cas.

"Comme je disais tout à l'heure, tu as eu ta première expérience du terrain et tu sais un peu mieux, plus personnellement, ce à quoi ressemble le travail d'un héros. Du coup, quel genre de héros est-ce que tu voudrais devenir ? Et est-ce que le temps passé à Shiketsu a changé ton avis à ce sujet ? Comment ?"

Je savais que je n'utiliserais pas ces extraits à la fin du reportage, et je n'étais même pas certaine de les utiliser tout court à moins de tomber sur une pépite. Ce serait toujours bon pour les archives, cependant. Un truc à ressortir si l'un d'entre eux devenait célèbre et que la chaîne voulait faire un reportage sur lui. Puis au moins il aurait oublié les questions les plus inquisitrices en sortant de la pièce et ne garderait pas l'impression que tous les journalistes étaient des fouille-merde. C'est pas notre faute si les vérités les plus intéressantes sont souvent celles que les gens concernés ont tout intérêt à garder secrètes.

Yada yada yada, un héros qui peut inspirer et guider, encore beaucoup à apprendre, ce n'est que le début, les banalités d'usage. Oh, je sais, c'est pas très respectueux de réduire à ça les rêves et aspirations d'un adolescent qui réfléchit à son avenir, mais n'allez pas croire que je me moque ou que je les dénigre. Je suis très mal placée pour ça. Non, simplement, c'est un rêve très commun, au final. Devenir un héros. Quel gamin ne s'est jamais imaginé en héros ? Sa vision à lui était un peu plus précise, il commençait à confronter le rêve à la réalité et à réaliser ce qu'il pouvait faire, ce qu'il devait faire, mais c'était aussi le cas de tous ses camarades qui se sont enchaînés dans ce bureau, tout au long de la journée, et qui ont tous répondus aux mêmes questions.

Au final, je peux vous le dire, rien d'unique n'est ressorti de ces interviews. Enfin si, quelques remarques ou anecdotes, mais elles n'étaient pas si originales. Pas de quoi faire du sensationnel, ce qui n'était de toute façon pas le but. Tous les élèves étaient globalement du même avis, ils avaient globalement le même ressenti de la situation. De leur avenir. De l'héroïsme et de l'école. Il y avait cette fille un peu sombre qui s'est détachée en montrant beaucoup moins d'entrain que les autres, mais elle n'avait rien de spécial à dire et je crois qu'elle n'a pas fini dans le reportage final. Le jeune Oxton, lui, a eu droit à une réplique ou deux. D'ailleurs, pour en finir avec lui, j'ai pris ses dernières réponses en note.

"Voilà qui est prometteur ! Je suivrais ça avec intérêt."

C'était mon dernier encouragement, pour qu'il reparte avec un souvenir positif, dit avec le sourire et un hochement de tête approbateur. Je n'allais probablement pas vraiment suivre quoi que ce soit, il y avait trop de nouveaux héros chaque année et il était beaucoup trop difficile de prédire lesquels deviendraient des phénomènes et lesquels resteraient des travailleurs humbles et peu remarqués, mais il n'avait pas besoin d'entendre ça. Non, les encouragements, c'était très bien.

J'ai poursuivi en me levant, sous l’œil attentif du vigile. Il me surveillait toujours, jusqu'à la dernière seconde. Je ne sais vraiment pas ce qu'il craignait, surtout après m'avoir observée à l'action, mais il se faisait moins gênant à chaque seconde.

"Merci encore de ton temps, et de tes réponses. Je ne te retiens pas plus, tu peux retourner en cours. J'espère que ça n'a pas été trop long ! Mais tu seras bientôt sous le feu des projecteurs, alors… vois ça comme un entraînement !"

Et pour bien signifier que l'interview était terminée, j'ai fait le tour de la table jusqu'à pouvoir lui ouvrir la porte.

"Oh, et préviens ta camarade qu'elle peut… Hmm…"

De l'autre côté du battant, j'ai été accueillie par une étudiante aux cheveux blancs, qui attendais en face de mon local avec un regard endormi et la tête qui dodelinait. Un volume impressionnant de peluche blanche s'entassait à ses pieds, mais elle avait l'air trop fatiguée pour remarquer qu'elle perdait des bouts.

"Ça ne sera pas nécessaire, je crois. Elle est déjà là."

Une dégaine surprenante, vous vous dites sans doute, mais les élèves qui arrivent à se hisser en école héroïque sont rarement les plus ordinaires. Celle-là, par exemple, miss McMegido, allait remporter la première réédition du célèbre Total Fight Winter seulement quelques mois plus tard. Je peux vous dire que j'étais contente, ce jour-là, d'avoir des extraits de reportage à utiliser.