Je souris. Elle marchait, et j’allais pouvoir marcher à ses côtés. J’allais pouvoir aller de l’avant. Qu’importe si je devais courber l’échine. Je m’en moquais désormais. Il s’agissait de ne pas tout faire foirer, et si être docile me permettait de vivre plus longtemps et d’atteindre mes objectifs.
Ne restait plus qu’à planifier les derniers détails.
"J’ai une idée en tête, oui. Il faut aussi qu’on parle de mon costume et de mon arme. Alors, voilà ce que j’avais imaginé..."
Ryou et moi étions partis pour une longue soirée.
La médecine avait fait de sacrés bonds en avant au cours de ce siècle. Les quelques médecins habilités à faire usage de leurs Alters n’y étaient pas pour rien. Résultat des courses : on pouvait, si on avait l’argent et les connexions, se remettre d’une chirurgie plastique en deux grosses semaines. Et l’argent et les connexions, ma nouvelle supérieure en avait à la pelle.
On avait apposé la peau de la plante de mes pieds sur le bout de mes doigts de sorte à effacer mes empreintes digitales à jamais. Mes cheveux étaient décolorés, mon visage avait conservé le même teint de peau mais ses traits avaient changés, plus détendus. L’usure que j’avais subi sur le terrain semblait s’être évaporée. Mes yeux étaient légèrement plus bridés. "Mes" yeux au pluriel, oui, un œil artificiel à la pupille jaune trônant désormais dans mon orbite gauche. Cette vision restaurée était parfaite, mais me donnait en conséquence un peu le tournis, après un mois à m'être habitué à la vie de cyclope. On m’avait fourni des lentilles colorées vertes de sorte à dissimuler la couleur de mes yeux, mais l'hétérochromie me plaisant, je décidais de ne recolorer que mon œil droit. La forme de mon nez ayant changé, ma voix était altérée également.
Me regarder pour la première fois dans un miroir était une expérience assez surréaliste. Je devais m’habituer à ce nouveau faciès. Et, par chance, je l’aimais déjà beaucoup. Après un temps, je pris la parole.
"Et donc ?"
Sourire aux lèvres, je me retournais vers Lady Moriarty.
Cette séance d'auto-admiration était plutôt gênante, sans compter qu'elle était particulièrement longue, et plongée dans un silence le plus total. Installée de l'autre côté de la pièce, dans la salle de bain d'une de mes quelques planques accessibles aux employés – l'ex-inspecteur connaissait l'adresse de mon appartement, ainsi que mon identité civile, lui cacher quoi que ce soit avait peu de sens à ce stade, mais je voulais le traiter autant que possible comme un associé normal, et surtout je voulais éviter que son nouveau visage, celui avec lequel il commettrait des crimes, se retrouve associé à Ryou Hanazawa – j'étais assise sur un coin de la baignoire, le menton fermement ancré dans le creux de ma main – je commençais à chauffer un peu, mais l'ennui l'emportait sur l'inconfort – et je le regardais faire sans un mot. Je comprenais bien pourquoi il faisait ça, bien sûr. Il avait un nouveau visage, un vrai visage. Pas un déguisement ou un maquillage, une véritable nouvelle peau avec laquelle il devrait vivre au quotidien, et qu'il découvrait pour la première fois.
"Et donc, j'en dis qu'après ton visage, nous allons pouvoir nous occuper de tes faux papiers. Une étape à la fois."
Inutile de vous expliquer pourquoi on ne pouvait pas préparer des faux documents d'identité à quelqu'un qui n'a pas de visage. Je connaissais quelqu'un de parfaitement qualifié pour s'occuper de ce genre de choses, mais je ne lui avait même pas posé la question. Pas encore. Ce que je lui avait demandé, en revanche, c'était de quoi équiper mon nouveau fidèle laquais. Une combinaison, dont il avait choisi le design – que j'avais ensuite légèrement rectifié, mais très légèrement seulement, pour éviter les morceaux les plus ridicules sans qu'il se doute de mon intervention. Voyez-ça comme un petit signe subtil et amusant de l'influence que j'avais désormais sur lui, directe et pourtant insidieuse – ainsi que des armes, que j'ai sorties d'un sac avant de les lui lancer.
"Et quand ce sera fait, il sera temps de te trouver un logement officiel et de te fabriquer une fausse vie, pour ne pas avoir à ramper dans l'ombre à chaque instant. A moins que ce soit ce que tu veux, et qu'un semblant de fausse respectabilité soit déjà trop pour toi ? Mais d'abord…"
Il semblait que la contemplation soit terminée, puisqu'il avait enfin décroché son regard de son propre reflet. Bien, temps de le mettre au travail dans ce cas. J'ai abandonné le sac vide pour enfin me redresser, et éloigner ma tête des radiateurs sur mes mains, et me diriger vers la sortie. D'un geste du doigt, je l'ai invité à me suivre, avec un sourire en coin.