Enquête de reconnaissance, en quête d'approbation [PV Chikara]

Avec ce que je touchais en alloc et en contrat pub, au singulier, j'avais tout juste pu me prendre un petit local pour mon agence. Avec trois pièces : le bureau qui servait aussi d'accueil et d'un peu tout, la salle de gym, et la douche qui faisait aussi vestiaire. Du coup, quand j'étais pas en patrouille et que je devais être au bureau pour faire de la paperasse ou attendre des coups de fil, souvent j'en profitais pour soulever un peu de la fonte et me garder en forme. En plus de garder des heures dédiées à l'entraînement. Et à la base, c'est ce que j'avais prévu de faire ce jour-là. M'entraîner un peu, prendre une douche, et sortir fraîche et en forme pour accueillir le truc le plus CHIANT de l'année, aka une visite d'une agent de la commission de sécurité publique héroïque.

Sauf que, le temps de frapper un peu du sable et de soulever de la fonte, j'ai pensé à autre chose. Puis, au moment de me doucher, j'ai reçu une alerte. Une urgence dans mon secteur, intrusion chez des civils. J'avais presque fini, j'en étais à me sécher, donc j'ai répondu que j'y allais. Mes cheveux pouvait attendre, de toute façon, je les démêlerais plus tard. J'ai renfilé mon costume en vitesse puis je me suis jetée sur la porte… Juste au moment où ça sonnait. Le temps que je réagisse, et que je comprennes, j'avais déjà ouvert. Et j'étais nez à nez avec une bonne femme en costard, qui visiblement venait pour moi.

"Meeeee…"

la gratte-papier de la commission, je l'avais oubliée… J'ai buggé une seconde, je savais pas quoi faire. Il y avait urgence… Mais on avait rendez-vous… Aaaaaah… J'ai ponté un doigt vers la cage d'escalier.

"Ça vous dérange si on fait ça sur le chemin ? J'ai une urgence à côté, et je suis la seule dispo."

Nan, le plus important ça restait de faire le taff, pas de faire plaisir à la commission. Des gens avaient besoin d'aide et j'avais dit que j'y allais. J'ai contourné la petite employée de bureau et je suis partie vers le garage au rez-de-chaussée avant d'attendre sa réponse. Si elle voulait absolument… faire quoi que ce soit qu'elle me voulait, en fait, il faudrait me suivre. Je me suis rendue compte que je savais pas précisément ce qu'elle cherchait, en fait. A part me casser les ovaires, et se rassurer. Vérifier que je faisais bien mon taff, que j'étais pas une fraude, que j'étais pas une délinquante, que je faisais pas d'abus de pouvoir ou que j'escroquais pas l’État, tout ça. Bah tout ça pourrait se faire sur le chemin, moi j'ai avancé sans me posser de question.

"Le side-car est réglé pour ma fille, hésitez pas à ajuster si c'est trop petit !"

Le casque, par contre, était sans doute à sa taille. Enfin, non, mais il s'ajustait tout seul. J'ai enfilé le mien, fait tourner le moteur, et tourné la Shooting Star – c'est ma bécane – vers la sortie sans attendre de vérifier si elle m'avait suivie. Si elle voulait monter, fallait se presser.

"Huh ? Oh, ouais, enchantée."

J'avais un peu autre chose à surveiller qu'elle, faut dire. J'avais à peine regardé l'adresse de l'urgence, pas vraiment imprimé ce qui s'était passé, et je savais pas du tout où j'allais. Pour palier à tout ça en urgence j'ai branché mon smartphone au guidon de ma bécane et lancé le GPS, qui a trouvé le chemin tout seul. C'était vraiment à l'autre bout de mon secteur habituel, mais personne d'autre s'était encore manifesté pour y aller, à croire que tous les héros du quartier étaient déjà occupés. Avec la direction sous les yeux j'ai appuyé sur l'accélérateur, et on était parties.

"Je crois pas que moi, j'ai besoin de me présenter ?"

Une fois lancée sur la route, par contre, j'avais pas grand-chose à faire à part conduire. Étonnamment, quand je suis pas dans une course-poursuite et que je dois pas suivre des mecs du regard, ou esquiver des boules de feu ou autres saloperies qu'un connard qui a décidé d'user et abuser de son Alter peut m'envoyer à la tronche, conduire me prend pas toute mon attention. Du coup, j'avais le temps de relire un peu plus en détail l'alerte sur le Hero Network.

Intrusion chez des civils. Un groupe non-défini avait forcé le portail et détruit une partie de la façade. Rien que ça. Sacré urgence, surtout qu'elle avait été signalée tout de suite. J'allais avoir des gueules à casser, et pas beaucoup de place pour manœuvrer si je voulais pas finir explosée. A condition bien sûr d'arriver à temps, ce qui m'a convaincue d'accélérer encore un peu plus. Je dépassait la limite de pas mal de kilomètres mais hey, urgence, tout ça. Par contre, avec la vitesse – et les casques – fallait parler fort pour s'entendre. Et encore, c'était pas garanti.

"Et du coup ! Pourquoi vous vouliez me voir ?!"

Après tout, on avait encore au moins une minute avant d'arriver. Pas de quoi se faire une pleine discussion, surtout si je pouvais pas l'entendre ou que des connards essayaient volontairement de me bloquer le chemin juste pour faire chier ce qui, dans leur tête pas informée de connard moyen, était juste un biker en infraction, on pourrait croire qu'avoir mon nom en gros sur le putain de side car, sur le casque, et sur… Bref. Pas de quoi tenir un interrogatoire au complet, mais si je pouvais au moins savoir ce qu'elle me voulait au juste, et y réfléchir un peu avant de répondre à quoi que ce soit, j'allais pas me plaindre.

Ouch. J’ai rarement l’occasion de développer le sujet, parce que c’est globalement pas quelque chose dont les gens veulent parler juste comme ça, mais je suis plutôt fière de mon adolescence. Ouais, j’ai fait des conneries, et j’étais une gamine au sang chaud avec pas grand chose dans le crâne. Mais j’aidais les gens et je les protégeais des Yakuzas quand personne d’autre le faisait. J’étais pas une héroïne, et mes méthodes étaient clairement pas légales, mais c’était pour une bonne cause et parce que les officiels bougeaient pas leur cul, donc ils ont une part de responsabilité. Même le juge, à mon procès, l’a admis. Pour ça que j’ai eu les circonstances atténuantes, que j’ai pris seulement six ans, et qu’on m’a filé du sursis. Donc ouais, sans aller jusqu’à dire que j’étais une sainte, ça a fait mal d’entendre la représentante de la commission me dire en face - façon de parler - que j’étais considérée, à l’époque, comme une super vilaine. Je veux dire… Ok ? On me met au même niveau que la bande de tarés qui ont ravagé une partie de la capitale pour le plaisir ? Ok.

"Hahaha, bah je vais vous laisser juge de ça, et vous montrer comment je fais, ça roule ?"

Mais je savais que, quoi que je fasse, je ne me débarrasserais jamais de mon passé et de l’image qu’il me collait au dos. J’avais beaucoup changé depuis, mais la gamine folle, à moitié sauvage, bouffie d’orgueil et de bonnes intentions que j’étais à l’époque avait pas entièrement disparu. C’est pour ça que j’avais décidé d'assumer, en devenant héroïne, et d’en jouer. C’était le seul moyen pour garder le contrôle sur ce que les gens pensaient de moi. Donc aux yeux des gens, aux yeux de mes sponsors, et aux yeux de la commission, j’étais une bad girl fière de ses origines. Qu’ils disent ce qu’ils veulent, je serais d’accord avec le sourire.

Malgré la perte de temps imposée par les débiles qui savaient tout juste conduire, on est vite arrivées sur les lieux. Difficile de manquer l’endroit. C’était une rue résidentielle classique, avec une ligne ininterrompue de murets surplombés de grilles ouvragées, un peu à l’occidental, à moitiée dissimulée derrière des voitures garées en esquivant les portails. Derrière, en une ligne discontinue qui s’élevait un peu plus haut, les façades des maisons modernes. Aucun signe d’activité ou de présence humaine, à part un énorme trou irrégulier dans un muret, et une façade éventrée en train de cramer.

"Oh putain..."

J’ai à peine ralenti, oublié complètement que j’avais quelqu’un à côté, et failli foutre ma bécane en l’air à cause du poids du side-car en voulant déraper. Pas le temps de descendre, j’ai foncé à travers le trou directement jusque dans la baraque et j’ai freiné qu’une fois dans la pièce à vivre. Grande pièce, meublé classique pour une famille, et pas de trace de qui que ce soit. Même après avoir coupé le moteur, tout ce que j’entendais c’était le bruit de la télé encore allumée. Pas une voix, pas une respiration, il y avait personne.

"Et maintenant quoi…?"

Visiblement, on était là trop tard. J’ai finalement retiré mon casque et mis pied à terre. Les scènes de crime, c’était pas exactement mon truc, mais si même la police était pas encore arrivée, ça allait être à moi de regarder si des survivants avaient besoin de soin. Et d’essayer de comprendre ce qui s’était passé avant qu’on arrive.

C'était pas exactement la personne que j'aurais imaginé prendre comme sidekick, et encore moins la façon dont j'aurais cru que ça arriverait, mais bon. Autant profiter de l'expérience et voir un peu ce que ça valait, le vrai travail de terrain à plusieurs, et faire mon taff au mieux. Surtout si des vies en dépendaient, ce qui était peut-être le cas.

Du coup, la priorité, les victimes. C'était toujours la priorité, avant même les criminels, et j'allais pas chercher les emmerdes inutilement alors que j'avais une inspectrice sur le dos pour me surveiller. J'ai posé le casque sur le guidon de ma bécane puis j'ai commencé à m'engager vers l'intérieur, prudemment. Dans la pièce où on était, pas de trace évidente de quoi que ce soit si on oublie le trou dans le mur. Pas de meuble retourné, pas de trace de balle ou de combat, pas de signe évident de vol.

"Il y a quelqu'un ?"

Pas de réponse. Je suis arrivée à la porte et je me suis arrêtée. Le panneau coulissant était en partie tordu, comme si elle avait été ouverte avec force, et il y avait une petite trace de brûlure à cet endroit-là. Derrière, c'était le hall d'entrée, avec l'escalier vers l'étage et la porte principale qu'on avait pas empruntée. Après le paillasson, il y avait plusieurs paires de chaussures, une d'adulte et une d'enfant. Ça m'a mis une boule dans la gorge. Aucune trace de ce côté-là. Par contre, sur le mur de l'escalier, il y avait un cadre de travers et une trace rouge. J'ai pas voulu y toucher mais ça ressemblait à du sang, à hauteur de mon épaule. Sans doute quelqu'un qui s'était cogné la tête, en descendant vu la forme de la trace.

Avant d'aller plus loin je suis revenue en arrière, voir où la fille de la commission en était. J'avais pas imprimé son nom, dans l'urgence, mais à ce stade j'avais un peu l'impression que c'était trop tard. Lui redemander son nom, ça ferait tâche. Surtout que, après avoir éteint le feu je sais pas trop comment, elle avait l'air parée à rejoindre l'enquête.

"Je dirais solution un. Il y avait des gens dans la baraque, et quelqu'un a dû se cogner en descendant l'escalier. Je préfères fouiller l'étage pour pas dire de connerie, mais ça ressemble à un enlèvement."

Une part de moi espérait avoir tord, une autre préférait pas prendre le risque. J'avais jamais eu à gérer un enlèvement avant, mais pendant toute ma forma en ligne, ils ont bien insisté sur ça. Les enlèvements, c'est le pire truc, et il faut pas perdre une seconde.

J'ai eu raison de lui faire confiance, la meuf de la commission sait effectivement ce qu'elle fait bien mieux que moi. Monter m'a pas appris grand-chose, j'ai trouvé un ordinateur encore allumé et des portes grandes ouvertes mais pas grand-chose de plus. Si je devais essayer de deviner, le père a dû entendre le bruit et descendre en panique. Une fois en bas il a vu son gamin aux mains des ravisseurs, il a hésité, et un des gars l'a frappé pour le forcer à venir. Brutal, direct, et pas efficace. Enfin, ça, c'est ce que j'espérais. Je venais de perdre du temps pour rien alors que les vilains étaient en fuite, à pieds visiblement.

"Enfin une bonne nouvelle !"

J'ai dévalé les marches quatre à quatre en entendant ça, et je me suis précipitée vers Shooting Star. J'en ai aussi profité pour mettre à jour les infos sur le Hero Network, mais j'étais à cheval sur ma bécane avant d'avoir fini de taper les infos. Le bras droit a pointé le téléphone vers la porte arrière pendant que le droit me calait le casque sur le crâne.

"Je fais le tour, je vous reprend de l'autre côté. Essayez de voir dans quel sens ils sont partis pendant ce temps-là !"

Parce que ouais, la moto c'est bien, ça va vite, mais faut encore savoir où on va. Et j'allais pas dégommer encore plus la baraque pour faire passer le side-car. Et il fallait que je finisse l'update. Ajout des infos, alerte enlèvement, demande à la police de nous sortir nom et photo des résidents – le père et l'enfant. A un moment j'ai voulu marquer avec qui j'étais, mais je connaissais toujours pas son nom, donc je me suis abstenue. A la place j'ai trouvé un passage étroit entre deux maisons et j'ai réussi à me faufiler, une seule main sur le volant, dans la rue qui passait à l'arrière. Elle était plutôt fréquentée, assez pour qu'un groupe nerveux mais serré et pas trop bruyant n'attire pas l'attention. Sans doute que les kidnappeurs tenaient leurs victimes de près, avec p'tet des armes ou Alters pour les garder sous la menace et les forcer à se taire. En tout cas j'ai pu remettre le téléphone à la place du GPS juste avant de m'arrêter devant la meuf de la commission et de lui retendre son casque.

"Alors ?"

Avec un peu de bol, les flics nous enverrait vite les photos et on pourrait les reconnaître dans la foule. Ou cramer un groupe au comportement trop suspect. A condition d'avoir les yeux bien ouverts, parce que j'allais pas rouler proprement.

J'ai fait au plus vite, mais le temps que j'arrive, la meuf de la commission avait continué la traque toute seule. Elle était un peu plus loin que la baraque de nos victimes, avec encore ses pantoufles en main comme quand j'étais partie par l'autre côté, et elle marchait d'un pas sûr. Si elle savait où elle allait, tant mieux, on allait gagner du temps. Je me suis arrêtée à son niveau sans couper le moteur et je lui ait tendu le casque pour qu'elle retourne dans le side-car, mais elle avait pas l'air de vouloir remonter. De ce qu'elle a dit, les kidnappeurs étaient dans le coin, donc pas besoin de tracer. Ah, c'était une bonne nouvelle, ça. Cette fois j'ai coupé le moteur et repris le téléphone en poche.

"A l'intérieur, hein ?"

Ensuite j'ai enlevé le casque et rangé la bécane sur le bas-côté. Si elle disait ça, elle devait avoir une raison. Et si elle allait pas déjà vers une baraque précise, c'est qu'elle les avait pas vus entrer, ni suivi leurs traces vers une porte. Son regard allait à gauche et à droite, elle cherchait un truc, autant pour le pas décidé. Moi j'ai même pas étudié les bâtiments, j'ai levé le nez vers le ciel. Si il y avait un truc à voir d'ici, elle l'aurait cramé déjà, elle était plus douée que moi pour les enquêtes. Tout ce que je pouvais faire, c'était penser à ma façon.

Ma façon qui a ses intérêts, hein. J'avais passé mon adolescence dans le rôle de « cette personne toute seule qui fait des trucs en se cachant des autorités ». Les autorités des yakuzas, mais c'était pas siiiii différent de ce que je faisait en tant qu'héroïne. Patrouiller, latter les emmerdeurs, tout ça. Et du coup, je savais ce que j'aurais cherché à la place de nos fuyards, quelle décision j'aurais prise pour disparaître rapidement. Déjà, je serais pas rentrée dans un magasin ouvert au public avec un vendeur et des caméras de surveillance. Ensuite, j'aurais cherché l'issue la plus proche au lieu de continuer à courir. Enfin…

"Je vérifies un truc."

Je l'ai plantée derrière et j'ai trottiné vers le lampadaire le plus proche. C'était peut-être une idée à la con, et c'était peut-être une façon débile de vérifier, mais à leur place c'est là que je serais. Un endroit facile d'accès, à l'abri des regards, où on peut facilement garder deux otages loin des regards en attendant qu'un pote vienne me chercher… Je serais pas rentrée à l'intérieur d'un bâtiment, jamais. J'aurais directement été dessus.

Et c'est exactement ce que j'ai vu. Perchée en haut de mon lampadaire, j'étais tout juste au-dessus de la supérette. L'enseigne dépassait plus haut que la façade, elle me bloquait un peu la vue, mais je pouvais regarder entre les lettres. Et effectivement, cachés derrière le logo, un groupe s'agitait. J'ai pas pu les compter exactement, ni voir leurs tronches. Eux, par contre, ils ont dû me voir. Accrochée à mon poteau en métal, avec mon super costume flashy, je devais pas passer inaperçue. Le temps que je trouve une meilleure prise pour libérer mon bras droit, et que je commences à pointer le doigt dans leur direction, un des mecs s'est levé et a lancé un truc droit vers moi. J'ai même pas réfléchi, je me suis laissée tomber, et j'ai même pas touché le sol qu'une langue de flamme frappait là où j'étais l'instant d'avant. Pour la réception j'ai fait une petite roulade puis j'ai rejoint la meuf de la commission aussi vite que possible.

"Trouvés !"

Est-ce qu'elle m'a attendue pour réagir ? Sans doute pas. Les passants ont pas attendu, eux. Tout de suite ils se sont mis à hurler, courir, et paniquer. Quelle galère...