Plutôt croquettes ou pâtée ? [pv : Tim]

« Nya ? »

Kass ouvrait les yeux, affalé comme souvent sur le canapé. Sauf que cette fois, un étrange spécimen, perché sur l’accoudoir derrière sa tête le regardait de haut. Quelques secondes s’écoulèrent, peut-être quelques minutes. Mais l’animal était toujours là, cessant de remuer la queue pour s’installer et démarrer sa toilette. Kass… n’avait pas de chat. Et c’était un puzzle qu’il avait cette fois bien du mal à résoudre.

« On doit bien t’attendre quelque part. »

Il suffisait de le regarder. Un pelage noir brillant, de grands yeux verts, des coussinets rose et un ventre débordant un peu sur ses pattes arrières alors qu’il était assis. Il était mignon et vu son poids, il y avait forcément quelqu’un pour le nourrir. Le premier jour, il était apparu par la fenêtre que Kass avait laissé ouverte et depuis, il n’était jamais vraiment parti.

Son « balcon », si on pouvait l’appeler ainsi ne communiquait partiellement qu’avec un autre. Il avait donc commencé par là pour essayer de retrouver le propriétaire, sans résultat. Il avait ensuite étendu sa recherche au reste de l’immeuble, nada. Il s’était donc résolu à appeler la fourrière. Mais entendant qu’en attendant ses propriétaires il serait mis dans une cage avant d’être mis à l’adoption dans le cas où ils ne se présenteraient pas rapidement, il avait fait le choix de leur laisser son numéro ainsi que la description du chat.

Au moins, ici, le temps que sa famille se manifeste, il avait un peu plus d’espace. Peut-être même arriverait-il à rentrer chez lui de lui-même s’il lui laissait le temps et la fenêtre ouverte. Sauf que s’il sortait à l’occasion, il semblait toujours revenir. Souvent pour la même chose.


Combien de temps avait-il dormi ? Le soleil n’avait pas perdu en enthousiasme mais c’était aussi son jour de congé. Il finissait donc par se redresser, massant son crâne de ses deux mains avant de prendre une grande inspiration et de s’adosser au canapé.

« Tu as faim ? »

Moins d’une semaine qu’il venait ici et quand il se mettait à miauler, c’était souvent pour la même raison. C’était à se demander si ce chat ne mangeait pas d’avantage que Kass. A force de le nourrir, le japonais avait vidé ses stocks de boîte de conserve et tout ce qui lui restait consistait de ramen instantanés ou de boîtes de thon. Il doutait qu’il puisse donner du bouillon de curry à cette boule de poils, il était donc à court d’options. Pour le chat comme pour lui.

Dans la cuisine, Kass regardait une des dernières conserves, la retournant plusieurs fois. C’était déjà la troisième depuis hier. A ce rythme, il avait peur d’endommager la thyroïde du félin, il devait absolument lui trouver autre chose de plus adapté s’il devait rester ici d’avantage. La solution ne devait être que temporaire mais il fallait se préparer à le garder quelques jours de plus.

« Je vais te trouver de quoi manger. Vraiment… manger. »

C’était la première fois pour Kass dans une animalerie et ce n’était pas une coïncidence. Il y avait des chiens dans son village mais leur nourriture était préparée sur place. D’autant plus qu’il y avait toujours cette angoisse d’en croiser un ici. Mais après un moment passé à épier de l’extérieur pour s’assurer qu’aucun n’était entré, il se risquait à y aller.

Sauf que, l’intérieur du magasin soulevait bien plus de questions. Il pensait n’y trouver que de la nourriture mais était bien loin du compte, brosses, tapis, boîtes, sable.. Il était globalement capable de faire la distinction entre la partie adressée aux chiens et celle aux chats. Mais le rayon consacré aux lapins était moins évident.

Quand enfin il parvenait au rayon alimentaire, son émoi n’en était que plus grande. Vingt variétés de croquettes, 15 de pâtés pour chat « jeune, actif, d’intérieur, d’extérieur, perte de poids, gain de poids, vitalité, moment de bonheur, litière parfumée, … ». Kass regardait timidement à gauche puis à droite. Il n’était peut-être vraiment pas fait pour ça, pas vrai ?

Midi, Tim a faim, Toby a faim, toute la famille Recket est affamé. Malheureusement, là où notre Héros trouve facilement de quoi se faire à manger, des ramens et des œufs, son chien, lui, était un peu à court. Tim fouilla les placards un par un pour trouver une pâtée, des croquettes ou même juste des friandises, mais il ne trouva rien de tout ça. Le travail semblait avoir prit le dessus de sa vie privée et il avait oublié de faire les courses pour son meilleur ami, quelque chose de pourtant élémentaire.
La vision de Toby allongé dans son panier sans rien à manger le rongea de l'intérieur, comment pouvait-il se remplir la panse en sachant qu'il avait condamné Toby au jeûne !? Tim souffla, relâchant la poignée du dernier tiroir et alla s'agenouiller devant sa victime.

"I am, so, so sorry. My poor boy. I'm immediately going to make amends, don't worry !"

Il ponctua ses excuses de nombreuses caresses et gratouilles avant de se relever. Il n'y avait plus de temps à perdre ! Il s'agissait d'une question de vie ou de ... faim ! Notre Héros récupéra son imperméable perché sur son porte manteau, vérifia que son porte-monnaie était encore bien dedans, s'équipa de ses clés et de son portable et ouvrit la porte menant au monde extérieur. Deux pas dehors, il prit une grande bouffée d'air et de gaz frais puis se mit en route pour le train.
L'animalerie qu'il fréquentait le plus souvent se trouvait à Musutafu, ce n'était pas la plus proche, ni la plus populaire, mais c'était bien la plus ... anglaise ? En effet, c'était l'un des magasins d'une chaîne british ! Il y allait donc par familiarité, comme pour faire un petit voyage retour au pays à chaque visite.

Une virée en train et quelques minutes plus tard Tim se retrouvait devant l'établissement. De l'extérieur il pouvait déjà voir de nouveaux jouets pour chien et quelques-unes de ces gamelles high-tech. Rien de mieux pour se faire pardonner. Il se hâta donc et passa le pas de la porte.

"Ouh ! Fancy ! Maybe that ? Oh he'll surely love that, he loves squirrels after all."

Les visites de notre Héros à l'animalerie étaient rares, non pas parce qu'il oubliait souvent. Mais parce qu'à chaque fois qu'il y allait il achetait beaucoup, beaucoup trop de choses. Néanmoins, cette fois-ci, il n'avait pas emmené de sac. Les cadeaux s'empilèrent donc dans ses bras. La boîte de la gamelle robotisé dans une main, des jouets de multiples formes inondaient sont bras gauche et quelques babioles traînaient un peu des deux côtés.
Il n'était même pas arrivé dans le rayon de nourriture pour chien qu'il n'en pouvait "presque" déjà plus. Key word being : PRESQUE. Tim avait foi en ses capacités et pensait donc pouvoir tout supporter à la fois sans aide extérieure.

Mais, en tournant dans une allée, sa foi fut mise à l'épreuve. Un des jouets tomba au sol en face de lui, un os en plastique comme tant d'autres. La montagne de joujoux lui cachant la moitié de son champ de vision il ne le remarqua pas et s'en suivi un drame sans nom. Il glissa sur l'os et envoya valdinguer tout ce qu'il avait heurtant au passage quelques clients.
La gamelle high-tech quant à elle ... Tim décrocha le haut de son corps du sol, la boîte toujours en main, tenu par une poignée en plastique. Il la secoua et ce qui auparavant sonnait comme un récipient normal résonnait désormais comme un puzzle 150 pièces.

"Why are high-tech things always so ... fragile..."

Kass n’était pas quelqu’un de méfiant. Cette année, il s’était déjà fait voler son portefeuille 3 fois, sans compter celle où il s’était réveillé sur une plage avec une commotion cérébrale et une chaussette en moins.

Naturellement, face à la détresse d’une autre personne, son premier réflexe était de porter assistance. Mais après avoir été pris en en embuscade par quatre garçons de cinq à huit ans, peut-être était-il temps de peser d’avantage le pour et le contre.

Commençant par le pour. Cet homme, si le ton de sa voix et le léger regard du coin de l’oeil confirmaient cette première hypothèse, était en difficultés. Les affaires par terre avec… lui. Aider une personne à même le sol avec ses courses était un acte aimable, désintéressé et servant grandement à la vie en société. Si Kass aspirait donc à être une personne décente, il était de son devoir de lui tendre la main, de l’aider à se lever et à ramasser ses affaires.

Pour ce qui était des contre. Ce type était clairement de nationalité étrangère. Un quart de seconde avait suffit à savoir ça alors qu’il n’avait pas même pu déterminer avec certitude que c’était bien un homme. A l’entendre, il ne devait d’ailleurs sûrement pas parler un mot de japonais. En soit, le dernier point ne le privait pas forcément de la courtoisie ordinaire mais… de plus en plus Kass se méfiait des étrangers. Ils n’avaient pas la même retenue et était souvent hors de contrôle à la première occasion. Il n’était pas prêt d’oublier cette femme qui lui avait volé son premier baiser comme une furie la veille de noël avant de partir vivre sa vie. Les étrangers, il avait donné et maintenant, lorsqu’il en voyait un avec lequel il devrait interagir, il était forcément anxieux.

De plus, il avait l’air… louche, très louche. La manière grotesque dont il était tombé, le ridicule du foutoir qu’il avait mis ou même sa dégaine, tout était beaucoup trop absurde pour être vrai. Ce qui ne laissait qu’une chose, un escroc. Sans aucun doute, s’il s’était cassé la figure à côté de lui, c’était car il avait repéré la bonne poire à 100 mètres à la rond et qu’il passait à l’attaque. En soit, Kass était… fatigué d’essayer de se battre contre les arnaques les moins élaborées. Au point où une partie de lui hésitait à lui donner son portefeuille, qu’ils en finissent. Mais c’était aussi un bon exercice, alors comment fallait-il procéder ? Très simple.

Voilà déjà quelques longues secondes qu’il ne réagissait pas à la chute en regardant les paquets de croquettes. Il commençait donc par en prendre un, au hasard. Senteur litière caramel semblait très bien. Peu importe, partir les mains vides serait d’autant plus louche. Puis doucement pivoter pour partir. Si leurs regards ne se croisaient pas, il n’y aurait aucune raison qu’ils interagissent. De toute façon au loin les employés de la boutique étaient déjà en train de courir dans cette direction. Voilà, comme ça, doucement et avec naturel. Kass prenait une inspiration et achevais doucement sa manoeuvre, atteignant la partie la plus délicate, celle où leurs visages seraient orientés l’un vers l’autre.

Le plus important, si leurs regards se croisaient, il serait obligé de l’aider car il ne pourrait plus prétendre ne pas avoir vu. Il devait donc ne surtout pas le regarder dans les yeux. Surtout pas. Ne. Pas. Le. Regarder. Dans. Les. Yeux.

Tim et le sol n'étaient pas étrangers, ils se connaissaient bien. À vrai dire, ils étaient très proches l'un de l'autre. Malgré une relation toxique au point de se faire mal physiquement à chaque fois qu'ils se voyaient, ils n'arrêtaient pas de se revoir. Ils étaient presque destinés à se retrouver. Enfin, plus pour très longtemps.
Les employés de l'animalerie se ruaient vers notre blessé pour l'aider à se relever. Il ne s'agissait donc que d'une question de temps avant qu'il ne quitte encore une fois son partenaire de toujours.

Sachant que les secours arrivaient White Spirit se rallongea après avoir constaté l'état déplorable de la gamelle. Il était dépité, tout ce qu'il voulait c'été faire plaisir à son chien avec un nombre absurde de jouets et gadgets, qu'avait-il fait pour mériter un tel sort ?
Était-ce son tri approximatif qui lui avait attiré les foudres de Mère Nature ? Peut-être était-ce de la faute de ce miroir qu'il avait brisé il y a environ sept ans ? À moins que ... Impossible ! Serait-ce la vengeance de son ami imaginaire qu'il avait abandonné des années auparavant ? "Sassy Tall Diane the third" en paierai cher si c'était le cas ! Il connaissait son adresse après tout.

En plein milieu de ses lamentations il leva la tête pour vérifier l'avancée de ses sauveurs. L'un d'entre eux était très proche, mais ne semblait pas lui porter attention. Tim se sentait ignoré, abandonné et ignoré une fois de plus. Alors, il essaya d'attirer son attention calmement.

"Hey ! Toi là-bas ! Oh Oh ! I'm Here ! Sous le sol !"

Notre naufragé essaya d'interpeller l'employé aux cheveux gris, sans succès. Il enchaîna donc sur des signes de la main, des appels aléatoires ici et là, mais rien ne faisait, il ne voulait pas le regarder.
Ces quelques secondes à essayer de capter l'attention de quelqu'un qui l'ignorait totalement avaient rendu White Spirit quelque peu irrité. Ce qu'il extériorisa en utilisant d'autres méthodes moins calmes pour enfin dévié le regard de sa cible. Il attrapa un os en caoutchouc à ses côtés et visa le crâne du jeune homme. Le premier rata, mais le deuxième, troisième et quatrième frappèrent en plein dans le mille.

"DOWN ! HERE ! DUMMY !"

Au même moment les autres employés arrivèrent, soulevèrent Tim tout en déplorant son attitude. Ils ne comprenaient absolument pas pourquoi il attaquait un simple client. Ainsi, notre idiot compris son erreur et essaya une fois de plus d'interpeller le jeune homme, les employés l'empêchant d'approcher vu son comportement.

"Mister, je suis vraiment désolé ! Je pensais que vous travailliez ici. So sorry !"

Il l’avait vu, il l’avait clairement vu, et il l’appelait. Non, c’était certainement quelqu’un d’autre, ça devait être quelqu’un d’autre, ça ne pouvait être que quelqu’un d’autre. Il y avait bien quelques mots de japonais mais beaucoup de charabia se dégageait de ses paroles, formant un malaise palpable et une raison de plus pour ne pas, surtout pas lui parler. Car Kass ne parlait pas un mot d’anglais, au point d’être incapable de déterminer à quel langage latin il avait affaire. Ou pas latin en fait. Juste étranger puisqu’il avait la fâcheuse tendance à tout mettre dans un même sac.

Il devait fuir avant qu’une catastrophe n’arrive. Et la première fut un jouet qui cogna l’étagère juste à coté de lui, attirant le regard inquiet du japonais comme s’il s’agissait du premier crachat d’un volcan sur le point d’entrer en éruption. Et il avait raison, bientôt, un second jouet fut projeté, cognant l’arrière de son crâne, puis un troisième, Kass releva ses bras dans une position défensive mais eu surtout le malheureux réflexe de se retourner pour identifier la source du danger.

Le quatrième le heurta de plein fouet à hauteur du front, le figeant un instant comme s’il venait de se prendre une décharge. Même son père ne lui avait jamais envoyé un jouet en plastique en pleine figure… Mais qui était ce fou dangereux ? Un flashback revenait, la vision d’une ruelle, ou d’un rêve qu’il avait fait, une personne qui l’aurait frappé. Et rien qu’à cette idée, les larmes lui montaient presque aux yeux.

Sorry, il avait compris ce mot. Enfin, il ne l’avait pas compris mais il l’avait vu suffisamment écrit pour savoir que c’était de l’anglais. Mais pourquoi ces mots étaient-ils en parfaite opposition avec l’extrême violence dont avait fait preuve l’étranger ? Les étrangers étaient dangereux, ne respectaient pas leur culture et n’avaient aucune limite. Il ne pouvait pas prévoir comment il allait agir, ni-même si les employés du magasins parviendraient à le retenir s’il décidait d’en découdre. Il ne fallait pas grand chose pour envoyer Kass à l’hôpital et avec ces côtes cassées récemment, il ne pouvait pas… Il ne voulait pas !!

Kass s’inclinait brutalement, tombant à genoux, les bras le long du corps dans une position de parfaite soumission. Il ne cherchait pas les ennuis. Il ne voulait pas paraître insultant et forcément, par automatisme, il utilisait le seul moyen de défense qui lui venait naturellement, parlant distinctement.

« Excusez-moi je ne parle pas anglais ! »

Ignorant volontairement les quelques mots de japonais que l’étranger avait glissé dans sa présentation. Au pire il passerait pour un idiot mais l’étranger partirait non ?