Mets-toi à ma place

Avoir de nouveau Noki dans mes jambes apparaissait comme une certaine contrainte. Contrairement à auparavant, je n’avais plus le « loisir » de pouvoir partir comme je l’entendais aller à gauche, à droite et de tous les bords pour m’occuper des diverses affaires familiales et administratives. Certes, sur ce dernier point, les dossiers commençaient à se boucler, notamment dû à ma désinscription scolaire et aux nombreuses courtes nuits que j’avais passé sur l’ordinateur à répondre inlassablement aux mêmes mails. Comment dire poliment que c’était la 5ème fois qu’ils ne trouvaient pas mon attestation d’assurance et que je commençais à suspecter qu’ils cherchaient à tapisser leur bureau avec ?

Donc je me retrouvais lui préparer son repas du midi, son bentô, et celui du soir. Certes, elle n’était pas son plus complètement manche et savait se débrouiller tout de même, mais… Je préférais être prudente, et en rester pour le moment aux recettes les plus simples. La voir un couteau dans les mains avait le don pour me faire avoir des angoisses, mais je devais accepter qu’elle grandissait, et donc qu’avec ses quatorze ans approchant, de nouvelles responsabilités allaient s’ajouter. Et ça… Eh bien, en tant que grande sœur, je n’étais pas vraiment prête à ça.

Mais au fond, cela me faisait du bien de la savoir ici. C’était dur, l’absence de Riku, de mère et les passages trop aléatoires de Sue n’aidant pas, mais elle semblait être plus souriante que chez nos grands-parents. L’écart générationnel couplé à son adolescence et la gravité de notre situation familiale ne devait pas vraiment faire bon ménage.

Bref. Je me retrouvais une nouvelle fois dans le parc, en train de faire mes quelques exercices. C’était dur tout de même que d’observer cette routine quotidiennement, mais je sentais déjà quelques progrès. Non pas que je réussissais, mais plutôt que j’échouais moins. J’étais moins épuisée et au bout de ma vie une fois la barre des quelques kilomètres franchie… Mais pour autant, je savais que cette aisance gagnée serait temporaire. Sitôt que j’aurais prit mes marques, il me faudrait pousser encore plus haut. Ce ne serait que comme ça que je pourrais progresser.

Et si je devais utiliser un terme pour décrire ces exercices… Inconfortable. Entre ma poitrine qui partait dans tous les sens suite à l’effort et le poids des regards qui se braquaient sur moi, vraiment, c’était pénible à avoir… Mais aujourd’hui allait être une goutte d’eau de trop.

Alors que j’étais assise sur mon banc. Enfin, mon banc, celui sur lequel je prenais habituellement ma pause, plutôt à l’écart et non loin du distributeur, il y eu une voix derrière moi qui vint à me sortir de quelques rêveries.

‘’Hey… Salut. Je peux m’asseoir ?’’

Un garçon, lycéen. Probablement mon âge ou une année de plus. Il semblait être un peu gêné. En tout cas, c’était ce que sa voix mal à l’aise laissait transparaître. Etais-je intimidante ? Pas vraiment je pense, donc il y avait autre chose.

‘’Hum, si vous voulez. Je vais bientôt reprendre.’’

‘’Euh non, attendez !’’ Fit-il, avant d’être recouvert d’embarras, se grattant l’arrière de la nuque pour finalement prendre une grande inspiration. Il avait… Quelque chose à me dire ? ‘’En fait, je… Ça fait plusieurs jours que vous voit courir et… Eh bien pour être parfaitement honnête, je vous trouve vraiment très belle.’’

Oh. Euh… Je crois que je l’étais un peu maintenant. Quelqu’un venait spécifiquement vers moi pour me faire un compliment. Et tout de même, il fallait prendre son courage à deux mains pour faire ça.

‘’Est-ce que… Vous voudriez prendre un verre avec moi ?’’

Je… Je me recevais comme ça une demande de rendez-vous. Autant dire, je n’étais pas vraiment prête à ça. Loin de là. Et c’était plutôt gentil comme proposition, il n’avait pas l’air méchant, mais…

‘’Désolé, mais je peux pas.’’

Je ne voulais pas lui donner de faux espoirs. Cela ne m’intéressait juste pas. Pas maintenant en tout cas, avec la tornade qu’était ma vie.

‘’Je n’ai juste pas le temps de me préoccuper de ça.’’

‘’Oh. Hum… Désolé. Une prochaine peut-être ?’’ Fit-il, déçu tout en baissant la tête, confronté face à mon silence. Et petit à petit, il fit marche arrière, ses pas s’éloignant progressivement, pour ne plus être qu’un soupir que j’évacuai.

‘’Ah… J’ai l’impression d’être la méchante maintenant…’’

Quoi de mieux qu’une sieste en haut d’un arbre, le week-end, dans la chaleur de l’été, bercée par le doux chant du vent soufflant dans les feuillages et du jovial son des oiseaux s’amusant dans les airs, chantonnant sur les branches et les bancs?
...Plein de trucs en vérité. Mais bon, s’pas si mal quand on a envie de rien faire.

Yep’, aujourd’hui, j’ai décidé: pas de folie: Pas d’exploration, pas de filature, pas de mauvaise idée à tenter. Des fois, c’est bien de se poser un peu, au calme, juste à profiter tranquillement du beau temps. J’ai quand même pris mon appareil hein, faudrait quand même pas louper l’opportunité de faire une petite séance photo estivale dans un parc aussi cool !
Ouais, clairement, Tokyo c’est bien moins pesant que Yokohama. Et s’pas juste parce que mes parents vivent là-bas, y’a vraiment une différence palpable entre les deux villes. Un truc difficile à décrire, une espèce de...tension. J’aime beaucoup Yoko quand même, ‘tention, mais j’peux pas nier qu’il y a là-bas quelque chose qui sent mauvais.

Bref.

Un long bâillement plus tard, j’me redresse, attrapant mon appareil pour commencer à faire quelques réglages habituels. J’l’ajuste en fonction de la lumière, testant deux trois clichés pour trouver les meilleures options, avant de chercher à travers l’objectif un sujet intéressant à chopper. Mon regard se balade de coin en coin, zoomant et dézoomant à la recherche du meilleur cadre possible, suivant même certains coureurs dans l’idée d’éventuellement capturer l’image d’un mouvement.
C’est là que j’suis tombé sur un sujet intriguant.

Qu’est ce que c’est que ça? S’pas un peu chelou de faire son jogging en cosplay?... Ah mince, attends, ce serait pas son alter quand même?

C’est donc ainsi que mon objectif se met à suivre une certaine lapine dans son fastidieux entraînement.

Ah, avec des engins pareils ça doit pas être évident de courir. Ni d’escalader des trucs maintenant que j’y pense. Heureusement que les miens sont pas comme ça. ‘Fin...ça a ses avantages quoi.

Le hasard fait que miss bunnygirl prend sa pause sur un banc qui est quasiment sous mon arbre. Ce qui, en vérité, m’arrange moyen car non seulement y’a plus de risques qu’elle remarque que l’observe, mais en plus elle est bien trop proche pour que je puisse la voir correctement. Ouais, faudrait que je descende un peu pour avoir moins de branchages dans mon champ de vision, mais ça signifierait faire du bruit et… ‘fin on revient au premier problème.
Par contre avec la proximité, j’entend clairement la petite scène qui se déroule. Au début ça me fait sourire, l’idée que je vais peut-être assister à la naissance d’un couple… mais ça dure pas bien longtemps.

Woah. Juste woah.

Nan mais évidemment, l’autre avec un corps pareil elle doit en recevoir dix par jour des demandes ! Alors madame se permet de les recaler comme un sale gosse de riche jette un jouet parce que la couleur lui plaît pas !
Je sais pas trop pourquoi mais ça m’énerve, du coup je bougonne silencieusement. Mais quelque part, j’ai quand même envie de la prendre en filature et d’en apprendre plus.

Tant pis pour le joli parc, hein.

Un sentiment de culpabilité m’envahissait maintenant, et c’était vraiment l’une des raisons pour lesquelles je n’appréciais pas vraiment recevoir autant d’attentions. A la fin, les gens finissaient déçus et moi embarrassée par ce qu’il venait de se produire. Mais évidemment, cela n’avait guère de comparaison avec ceux qui ne s’en satisfaisaient pas, qui tentaient de me forcer la main ou de me mettre la pression. Et j’étais sérieuse, il y en avait eu ! Rien que cet épisode dans le métro, quand bien même ils avaient oubliés bien des étapes avant de faire leurs « propositions ».

Cela m’amenait à fermer les yeux, durant plusieurs secondes durant. Je savais que je ne devais pas me sentir mal, que c’était la vie et parfaitement mon droit que de refuser, mais de l’autre… Je me doutais qu’il fallait tout de même un sacré courage pour aborder une personne et lui proposer ceci avec un minimum de dignité. Et par ma réponse j’avais tout envoyé paître… Et à part souffler, je ne pouvais pas faire grand-chose de plus. Il fallait que j’avance et que je reprenne ma routine.

Mais… Je n’avais pas vraiment fini ma pause non plus en vérité, et après une hésitation, je m’approchais du distributeur non loin. Bien des boissons étaient tentantes, mais autant rester simple durant l’entrainement. Une bouteille d’eau devrait suffire.

Quelques gorgées précédèrent ainsi quelques étirements afin que mes muscles demeurent chauds. Forcément, je sentais mes membres s’alourdir, devenir des poids à transporter, mais il fallait que je reprenne, que j’avance. Et ce fut ainsi que mon jogging vint à reprendre, quand bien même je n’avais plus vraiment la tête à ça. A croire que j’étais dans tous mes états maintenant… Super. Déjà que j’avais un mal de dos bien naissant avec le reste…

Toutefois, alors que j’avançais, j’entendis à plusieurs reprises des craquements derrières moi, ou au minimum des bruissements. Des sons que l’on pouvait entendre dans un parc, j’en convenais, mais leur fréquence rendait cela suspect. Les oiseaux environnants ne semblaient pas être suffisants poru ça, et à moins qu’un énorme chat ne soit à mes trousses, je ne voyais pas vraiment. Est-ce quelqu’un me suivait ? Je préférais tout de même l’hypothèse du chat, même si cela me vaudrait peut-être quelques griffures. Mais alors le pourquoi quelqu’un était sur mes trousses, ça…

Je n’avais pas forcément beaucoup d’autres moyens de le découvrir. Après quelques minutes de courses, je me stoppais, toujours traquée, avant de me retourner. Evidemment, plus le moindre bruit ou la moindre personne maintenant, comme si quelqu’un jouait à « 1-2-3 soleil » avec moi. Cependant, s’ils pouvaient masquer bruit et vue, l’odeur était une chose un peu plus difficile. D’autant que j’avais lu un conseil de Mère à ce sujet là. Dans le cas où nous avions besoin d’utiliser notre odorat, la meilleure méthode était de suivre une piste face au vent, et c’était ce que j’avais un peu essayé de faire. Bon, c’était encore imprécis, et même là je n’étais pas sûre des effets, mais… Il fallait au moins essayer.

Bref, je suivis une odeur un peu étrange. Du moins, une qu’il ne devrait pas y avoir ici, avant de croiser les bras. Est-ce que je devais y risquer mon bras ? Pas le moins du monde. Mais peut-être que la personne aurait un faux sentiment de victoire à penser que je n’annonçais rien. Tss… Il fallait bien que je m’y lance donc.

‘’Je vous dérange peut-être ?’’

Bon.
Des fois, la discrétion, ça marche.
D’autres fois il faut prévoir des… plans de secours, au cas où. Heureusement c’est pas la première fois que je me retrouve dans ce genre de situation, donc quand j’engage une filature ou… toute autre activité susceptible d’attirer l’attention de quelqu’un qui préfèrerait me voir cesser cette activité, voire pas la commencer du tout, je réfléchis toujours à des solutions alternatives.
Car y’a toujours plusieurs moyens d’arriver à ses fins, faut juste prendre la bonne en fonction des circonstances.

Bref. Discrétion, négociation, fuite. C’est ça les trois plans. Donc comme le premier à échoué…

“...Alors.”

Je sors ma tête du buisson dans lequel j’étais dissimulée, un chapeau de branches et de feuilles recouvrant mes cheveux, et montre en même temps mes deux mains histoire qu’elle s’imagine pas que je tienne une arme ou quoi.
Bien entendu, j’me demande bien comment elle a fait pour me repérer, parce que si j’ai fait une erreur faut que j’apprenne à la corriger pour la prochaine fois. Mais ça, c’est pas le plus urgent…

“...En fait, je vous stalkais pas ! Enfin...si, mais j’ai une très bonne raison. Je… vous ai confondu avec quelqu’un d’autre. Ouais, y’a quelques jours j’ai eu affaire avec quelqu’un qui… avait le même genre de mutation que vous ! Mais je l’ai vue attaquer des gens dans une ruelle et s’enfuir. Du coup je, euh...j’ai cru que c’était vous, et…’fin, je voulais en être sûre quoi. Prendre des photos, faire un rapport à la police… Aider à arrêter un méchant quoi.”

Bien entendu c’est du mythonage complet. Mais bon, un crime c’est qu’à moitié grave s’il est fait avec de bonnes intentions, non?

“Maiiiis maintenant que je vous vois de plus près… ouais, c’est juste un malentendu ! C’est pas du tout vous que je cherchais. Donc, euh...je vais y aller hein?”

Là, j’aurais bien aimé commencer à reculer… mais dans ma situation, impossible de me mouvoir avec fluidité.
Donc plus qu’à espérer que ça passe...avec un peu de bol.

Il semblait que j’avais vu juste, ou plutôt que mes sens ne m’avaient pas trompé. J’aurais eu l’air fine à m’adresser à un buisson pour qu’elle soit au final dans celui d’à côté… Et oui, c’était elle. Une fille, pas forcément si vieille. Au collège probablement, à la limite au lycée. En tout cas, elle paraissait plus jeune que moi… Et un peu bête actuellement, avec les branchages entremêlés dans ses cheveux. A croire qu’elle avait plongée les deux pieds joints dans ce buisson pour me prendre en filature. J’espérais qu’elle avait une sacrée bonne raison d’ailleurs, quand bien même aucune ne me venait en tête.

Et donc… Elle commençait à expliquer sa raison. Mes bras s’étaient croisés face à elle, tandis que mon expression affichait un scepticisme inconscient par rapport à ce qu’elle était en train de déblatérer. L’excuse du fait qu’elle m’avait confondu avec quelqu’un d’autre. Selon elle, il y avait quelqu’un avec les mêmes mutations que moi qui attaquait les personnes dans les ruelles, et donc à défaut, elle s’était mise en tête que c’était possiblement moi. S’il y avait un soupçon de vérité dans cette histoire, cela pourrait se comprendre, mais… J’avais vraiment peine à la croire.

‘’Et donc ?’’

J’avais vraiment la tête d’une criminelle après tout. Je devais être super menaçante avec mon jogging, au point où elle s’était mise en tête de me prendre en filature ; Je crois que je franchissais un cap. On ne me suivait plus pour mes oreilles, mais juste car cela remémorait quelqu’un d’autre. Bref, ça en devenait sérieusement ridicule. Mais bref, je n’avais pas vraiment plus de temps à perdre que ça, surtout avec une fille comme elle qui semblait être complètement inconsciente.

‘’Il vaudrait mieux que vous partiez oui.’’

J’avais le téléphone qui me démangeait actuellement. J’avais la possibilité d’appeler la police pour ça et pour l’envoyer paître au moins une bonne soirée. Mais le problème serait que cela m’emmènerait également là-bas pour témoigner, et clairement je n’avais pas ce luxe. Donc elle s’en sortait bien, mais probablement que cela ne se répéterait pas.

‘’Et un dernier conseil : laissez tomber votre idée. Si votre vilain a les mêmes mutations que moi, vous allez vous faire repérer des lieues à la ronde. Et s’il attaque des gens dans une ruelle, vous pourriez être la prochaine.’’

Non pas que cela me dérangerait plus outre mesure. Evidemment, je n’avais pas vraiment envie qu’une personne se fasse attaquer par un vilain, mais si elle persistait dans cette voie, si elle se laissait emportée par sa bêtise, alors cela serait pour elle une leçon inestimable. Bon, j’étais surement trop sévère et un peu en colère contre elle, donc je m’emportais un peu, mais sur le moment… Bref, je lui tournais le dos, avant de reprendre mon footing.

Et puis de façon, c’était ridicule. Comme s’il y avait beaucoup de personnes avec une mutation semblable à la mienne.

C’était que bon, je m’étais renseignée tout de même. Il y en avait tout de même, je n’allais pas annoncer que j’étais la seule au monde, mais pour qu’elle vienne à me confondre avec, cela signifiait qu’il y avait des points qui ne trompaient pas : Couleurs des cheveux, de la peau, formes, taille… Bref, beaucoup de choses qui rendaient sa version très peu crédible. Et parmi mes proches, ce n’était pas comme si des gens allaient attaquer quelqu’un en pleine rue. Sue ne ferait pas ça, et si ça avait le cas, elle aurait eu un plus grand doute à nous différencier, clairement. Noki n’avait pas la même couleur des cheveux, tandis que Riku…

Hum…

‘’Attends une minute.’’ Fis-je à moi-même, m’arrêtant après une trentaine de mètres de petites foulées. Une personne avec la même mutation que moi qui attaquait des gens dans des ruelles. Elle n’avait pas vraiment précisé le type de gens. Et si c’était des criminels, attaqués dans les coins sombres de la ville ? Elle était partie faire justice elle-même, donc… Peut-être que…

‘’Attendez une minute !’’ Fis-je en me retournant, fixant cette fille d’un regard sévère, mais aussi inquiet. Si elle ne m’avait pas mentis, il y avait cette petite possibilité que Riku soit impliquée. Je ne pouvais pas laisser filer la moindre opportunité pour la retrouver ! Et alors que j’approchais de cette fille, je levais la voix, nerveuse : ‘’Comment ça une fille avec la même mutation ?!’’

En voyant la lapine s’éloigner, un soupir de soulagement s’échappe de mes lèvres.

Pfiouh.

C’est qu’elle m’a fait un peu flipper quand même avec ses menaces ! Nan mais l’autre:

“Attentioooon, vous pourriez être la prochaine, ouuuh j’essaye d’être menaçante mon allure de barmaid dans les clubs les plus malsains de la ville !!”

...Bon ok, PEUT-ÊTRE que j’en rajoute un peu. En fait je sais pas trop si j’ai envie de fuir très loin ou de la coller aux basques pour le simple plaisir de la faire suer. Nan mais pour qui elle se prend !

Cela dit, j’ai peu de temps pour y réfléchir vu que la joggeuse revient déjà. A moitié extirpée de mon buisson, je me renfrogne avant de l’écouter parler.
...Mince, mon mensonge a vraiment marché? Waouh, je….j’en reviens pas.
Nan, attend. C’est moi ou elle a l’air nerveuse? C’est si grave que ça d’avoir la même mutation que quelqu’un? J’ai très envie de rétorquer une remarque agressive,  la provoquer si le fait qu’elle soit pas unique mais…
J’sais pas. Y’a un truc louche.
Du coup autant jouer le jeu, chercher à en apprendre plus:

“Ouais, une...comme vous quoi. Avec des grandes oreilles et tout. ‘Fin, c’était le soir du coup je voyais pas bien, mais j’suis presque sûre que c’était un lapin aussi. Y’a quoi d’autre comme animal qui porte des oreilles pareilles t’façon? Pis elle mettait... des coups de pieds, ouais. Des sacrés, même.”

Les lapins ayant une bonne détente au niveau des jambes, j’imagine que quelqu’un avec leurs traits va s’en servir pour la bagarre. J’espère pas me gourrer parce que celle devant moi s’y connaît surement bien mieux.

Sortant définitivement de ma cachette, je commence à enlever un à un les éléments étrangers dans mes cheveux. Les buissons, s’toujours la galère pour ça. Après quand ils sont épais on s’y cache bien… enfin la plupart du temps. D’ailleurs maintenant que j’ai ma cible sous la main et qu’elle semble vouloir un peu plus m’écouter et un peu moins appeler la police ou me frapper; l’un, l’autre, ou les deux dans n’importe quel ordre; c’est peut-être l’occasion de comprendre mon erreur.

“Après je saurais pas vous dire si elle m’a repéré ou pas, elle s’est vite enfuie et je l’ai pas revue. Possible qu’elle soit au courant qu’il y ait un témoin, mais je l’ai vue de dos et elle s’est jamais retourné vers moi, donc comment elle aurait pu savoir que j’étais là?”

J’espère que miss bunnygirl va pas trop me poser de questions, parce que le full impro c’est pas terrible pour créer des mensonges cohérents et bien structurés. Par contre je me demande bien ce qui l’inquiète tant.

“...Mais de toute façon, c’est pas vous non? Donc où est le problème?”

Est-ce que j’étais en train de plonger aveuglement vers la première piste qui s’offrait à moi dans l’espoir de pouvoir retrouver ne serais-ce qu’un indice concernant Riku ? Oui, complètement. Le pire était tout de même que je savais pertinemment que cette source, aussi fiable que pouvait être une collégienne (ou une lycéenne, le doute persistait) n’était pas non plus à prendre au pied de la lettre. Cependant… Je risquais d’avoir bien des regrets si je n’essayais pas cette nouvelle piste. C’était inespéré tout de même de tomber dessus par hasard et si elle me menait jusqu’à ma grande sœur, je… Je ne savais pas comment je pourrais la remercier.

Mais déjà, j’avais besoin d’en apprendre plus. Donc la même mutation que moi, du moins en apparence. Cela semblait coller pour le moment, et j’allais même laisser passer le fait qu’elle me définissait surtout par mes oreilles. Et s’il y avait potentiellement d’autres idées qui pourraient correspondre à cette description (probablement devait-il y avoir quelques similarités obscures), le fait qu’elle avançait des coups de pieds collait parfaitement au style de combat que Riku et Mère avait adopté.

‘’Hum… Ça se tient.’’

Jusque là, ce qu’elle racontait semblait coller, et alors qu’elle sortait du buisson, j’eu presque l’envie de l’aider à enlever les feuilles et petites branches qui complémentaient sa tenue. Et même après un passage de sa part, il en restait quelques unes, que mes mains vinrent à enlever rapidement. Cela avait été plus forte que moi, et j’avais comme le besoin de ne pas restée stoïque face à l’inquiétude qui pouvait m’envahir actuellement. D’autant qu’elle se demandait comment elle avait été potentiellement repérée. La réponse était pourtant évidente, et je pointais du doigt mes oreilles.

‘’Probablement avec ça. Ce n’est pas que pour faire joli ou se prendre dans des cadres de porte.’’ Expérience douloureuse maintes et maintes fois éprouvée. La faute d’être un peu trop grande malheureusement. D’autant qu’il y avait l’odorat, mais annoncer qu’elle avait une forte odeur pouvait peut-être être un peu vexant. Même si, sans mentir, chaque personne en avait une… Cependant, il était peut-être temps de lui expliquer un peu plus en détail la situation. Si elle pouvait m’être d’une aide, alors je devais en apprendre le plus possible.

‘’Ce n’est pas pour moi. Enfin… Je sais bien que ce n’était pas moi. Cependant, je… Comment dire…’’

Peut-être que de tout balancer d’un coup était un peu trop. Toutefois, je serrais les dents de ne pas avoir déjà plus de détails. J’étais pressée d’en apprendre plus si bien que j’allais peut-être devoir coupée quelques chemins.

‘’Ma… Ma sœur a disparu. Elle est partie et je suis certaine qu’elle a des problèmes. De gros problèmes malheureusement. Je… J’essaye de la retrouver, je dois la retrouver, et il est clairement possible que ce soit elle que vous ayez aperçu durant cette nuit.’’

Je ravalais ma salive, cherchant un point de repère. C’était que, subitement, cette rencontre était devenue très intense pour moi.

‘’Alors je… J’ai besoin d’en savoir plus. Où était-ce ? A quelle heure ? Et qui étaient ces personnes qui se sont faites attaquées ?’’

...Mince.
Mince, mince, mince, mince.

Bordel.

Je crois bien que c’est la première fois que je regrette d’avoir eu une bonne intuition, d’avoir visé aussi juste dans un mensonge. Ça aurait pu être n’importe quoi, une simple coïncidence et on en serait resté là. Au pire elle m’aurait pas cru, aurait appelé la police, qui aurait prévu l’école et mes parents… Un scénario cauchemardesque, ouais, clairement.
Mais la situation actuelle l’est tout autant.

Un peu sans voix, j’en cherche mes mots: “Euh…”
Est-ce que ça ruine mon histoire? Est-ce que je passe pour quelqu’un qui essaye de se souvenir de détails? J’en sais trop rien et sur le coup je m’en fiche. Peut-être serait-ce même préférable qu’elle découvre la supercherie maintenant. Parce que j’ignore complètement dans quoi je m’embarque avec cette histoire.
Faut-il persévérer et espérer ne plus jamais la recroiser ensuite?
Faut-il abandonner et risquer de la foutre en rogne, sans savoir jusqu’où elle peut aller pour se venger?

J’en sais rien, bordel !

Mais la lutte interne dû se faire brève, car le temps n’est malheureusement pas à la réflexion mais à la prise de décision. Pas de pesée du pour et du contre, pas de comparaison des conséquences des deux choix. Ce n’est pas un jeu vidéo où le temps a la politesse de s’arrêter pour nous laisser réfléchir, mais une conversation réelle où le moindre silence d’une seconde de trop est considéré comme étrange.

Bref. Bref, c’est le terme oui.

“C’était… vers les allées marchandes, je rentrais de faire quelques courses d’urgence dans une épicerie qui reste ouverte tard…”

Et dans la précipitation, l’instinct gagne. La peur de devoir faire face à des conséquences immédiates, le désir de gagner un peu de temps pour réfléchir. Sauf que maintenant le choix est fait, aucun moyen de revenir en arrière.

“Je dirais aux alentours de 22h, dans ces eaux là. Quant aux types, j’crois que c’étaient des malfrats… ouais, ils embêtaient un type pour récupérer de l’argent, un truc comme ça. Elle a débarqué de nulle part et...voilà, vous connaissez la suite.”

Je m’en veux d’être capable d’improviser ce mensonge, mêlant des détails de choses que j’ai réellement vécues ou observées, que ce soit par moi-même ou via mon alter. Une histoire fausse composée de bouts d’histoires vraies.

“Enfin… Je...j’en sais pas beaucoup plus…”

Je crois que mon état d’inquiétude et de précipitation quant à une piste potentielle par rapport à ma sœur devait au moins se voir. Pire encore, cela devait affecter sans aucun doute la personne avec qui je discutais. J’en étais rendue à un point où elle devait me prendre comme complètement folle, si bien qu’elle commençait à en chercher ses mots. En même temps… Je crois que dans une telle situation, beaucoup seraient en train de le faire. C’était qu’au fond, le fait que je me retourne pour lui demander plus de détails était un retournement de situation assez imprévu, mais… J’étais sérieuse. On ne peut plus sérieuse par rapport à ça, au risque de m’enfoncer dans bien des histoires qui devraient rester cachées.

Mais malgré tout, elle expliquait, elle racontait que cela avait été vers les allées marchandes. Jusque là, aucun indice potentiel, l’heure juste un peu tardive n’aidait pas vraiment non plus, mais le fait que les personnes qui aient eu le malheur de faire la rencontre de cette personne étaient des malfrats en plein acte criminel n’était cependant pas anodin. S’agissait-il là d’une nouvelle lueur d’espoir ? En tout cas, cela concordait. Je ne pouvais pas imaginer Riku assaillir des innocents en pleine rue. Ni ailleurs. C’était ma sœur après tout, et cela me forçait à dire à moi-même :

‘’Ça pourrait correspondre…’’

Forcément, le fait que j’étais en train de rechercher par mes propres moyens une criminelle devait être sans aucun doute perturbant. La police m’avait déjà posé des questions à ce sujet là, si j’avais eu le moindre contact avec ma sœur ou autre, mais… Rien. Rien n’avait changé, et ma priorité avait toujours été de m’assurer qu’elle allait bien et la convaincre d’arrêter. Cependant, concernant ce deuxième point, je me doutais que cela serait bien plus difficile, et qu’avec ce qu’elle avait commencé à faire, il était dur de faire machine arrière sans devoir en assumer les conséquences…

Je savais au fond de moi qu’elle ne s’arrêterait pas. Pas tant qu’elle n’aurait pas obtenu justice pour notre mère. Et après ça… Je craignais qu’elle ne s’enfonce plus encore, qu’elle prenne chaque combat pour elle… Mais je ne pouvais pas juste rester les bras croisés à espérer qu’elle revienne. Si j’avais la moindre chance de la convaincre, alors je devais la tenter !

‘’C’est une histoire complexe. Ma sœur était à Yuei, en héroïque, mais elle a tout laissé tomber pour faire justice soi-même après que notre mère ait été attaquée.’’

C’était qu’une criminelle qui en attaquait d’autres pouvait être perturbant, mais avec ces informations là, peut-être qu’elle pourrait comprendre, et peut-être même qu’elle pourrait avoir un éclair de lucidité pour me donner une information supplémentaire, la moindre serait terriblement importante pour moi.

‘’Est-ce que vous pourriez me dire quel jour c’était ? Et si vous avez des informations quant aux malfrats en question, s’ils ont fini en prison ou en garde à vue…’’

Si je pouvais commencer à relier des indices ensembles, peut-être pourrais-je espérer avoir un coup d’avance et prédire où elle pourrait être. Après, avec mes sens, peut-être que j’aurais une chance de la retrouver, mais… C’était prendre un énorme pari. Mais la moindre chance, aussi brève qu’elle pouvait être, elle pourrait être décisive !

Une élève de Yuei, en héroïque? Merde. Si ça se trouve… je l’ai déjà croisée? ‘Fin, croisée… pas dans la même classe évidemment, mais des aspirants héros j’en ai suivis plus d’un. C’est aussi possible que je l’ai loupée… ou que ce soit arrivé avant la rentrée. Cependant, ça n’empêche que je serais bien placée pour l’aider dans son enquête, c’est le genre de truc que j’adore faire, d’autant qu’entre mon école et mon alter, j’ai des avantages pour…
Sauf qu’avec le mensonge actuel, c’est mal embarqué. Je vais l’envoyer sur une fausse piste et disparaître de sa vie avant qu’elle ne le remarque, pour ne jamais la recroiser.
Ouais, c’est mieux.

“C’était lundi soir. J’avais complètement grillé le couvre-feu du coup c’était un peu la panique, je suis pas restée assez pour voir les suites… mais si le type qui se faisait agresser a appelé la police, j’imagine qu’ils ont fini au poste ouais? Ça ou à l'hôpital peut-être.”

Parce que si c’était plus grave on en aurait entendu parler sur les réseaux, donc pour que mon histoire soit crédible faut que ça ait l’air d’une anecdote.

“J’suis désolée pour votre soeur. J’espère que c’était pas elle. ‘Fin...si, j’espère que vous allez avancer dans votre enquête, mais…”

La confusion me fait à nouveau perdre mes mots. Bordel, si les circonstances n'étaient pas aussi pourries je lui aurais bien proposé de l’aide… enfin, de son point de vue c’est surement ce que je suis en train de faire, mais y’aurait tellement moyen de faire plus. Et de faire bien, surtout.
C’en est tellement frustrant que je me demande si je vais pas chercher de mon côté, quand je serais sortie de ce bousier.

“...J’ai pas de soeur moi, donc j’suis pas certaine de savoir ce que vous ressentez. Juste que… Ben vu votre état de nerf ça a l’air badant comme situation.”

La première vérité sortie de ma bouche depuis le début de cet échange. Mais est-ce que ça compense vraiment tout le reste?

Je crois que j’étais véritablement en train de boire ses paroles. Je la soupçonnais tantôt de juste me mentir pour éviter la tempête, mais voilà que je me retrouvais à lui vouer une confiance dans le moindre détail. Tout simplement car retrouver ma sœur était quelque chose de beaucoup plus important à mes yeux que simplement la confiance que je pouvais attribuer à une personne aléatoire du parc. Quelles étaient les probabilités que je la rencontre derrière ? Quasi-nulles. Et elle était peut-être la seule à avoir un indice sur où pouvait se trouver Riku. Je voulais tout savoir. Quelle ruelle, quelle jour, quelle heure, tous les détails possibles qui pourraient m’être donné ! C’était ça ce qui comptait actuellement pour moi.

Et elle continuait… Mais un détail vint à me faire tiquer. Un détail qui avait une importance capitale. Lundi ? C’était il y a quelques jours, mais… Elle n’avait pas été repérée à Yokohama ce jour là ? J’y avais même été le lendemain pour confirmer ça, et le barman avait affirmer que cela avait été bien elle. A vingt-deux heures ? Elle s’y trouvait encore, donc autant que c’était une fausse piste. Une grande et terrible fausse piste et désillusion pour moi.

Après, il y avait toujours la possibilité que cela soit une autre personne, mais… Non. C’était impossible. C’était peut-être présomptueux, mais s’il y avait une personne avec la même mutation, qui arpentait les rues, chassait les criminels, je le saurais. Je le saurais car la police m’aurait déjà contacté et aurait assurément fait la même hypothèse que cela puisse être ma sœur. Et si ce n’était pas le cas, ils m’auraient contacté afin de savoir si c’était de la famille lointaine ou autre.

Autrement dit, quelque chose dans son histoire clochait. En fait, peut-être qu’elle n’était pas nerveuse à cause du fait que je l’étais également, mais plutôt que je l’empêchai de partir… Et donc que toute cette histoire était bredouillée sur le tas pour essayer de correspondre à mes attentes.

Bref, un bon comportement de c*nnasse.

Mes bras se croisèrent alors que les doigts de ma main droite tapaient l’un après l’autre sur mon coude. Mon expression, changeante, quitta l’espoir pour l’agacement. L’idée que cela puisse être ma sœur m’avait aveuglé. C’était en partie ma faute certes, d’avoir été trop crédule à ce niveau là. Mais allais-je le montrer ? Ça…

‘’En fait, vous aimez faire du mal aux autres, non ?’’ Mes yeux se plantèrent dans les siens. Et vu la différence de taille, c’était quelque chose. ‘’Leur mentir pour qu’ils aient de l’espoir et vous laissent tranquille.’’

Je ravalais ma salive, alors que mes ongles se plantèrent dans ma peau maintenant, une colère me crispant les bras.

‘’Arrêtez votre histoire, vous n’avez juste aucune idée de quoi vous parlez.’’

Un lourd silence s’abat suite aux cinglantes paroles de la lapine, me coupant dans mon élan. J’étais prête à en rajouter si besoin, à inventer d’autres éléments, d’autres “indices”... mais le changement soudain de ton ne laisse aucun doute sur la futilité de continuer dans cette voie.

...Merde. Où est-ce que je me suis trompée? J’ai dit quelque chose d’impossible? Non, c’est pas ça le vrai problème. J’aurais juste dû m’en douter. J’aurais juste dû dire dès le début que j’en savais pas plus, que c’étaient peut-être des oreilles de chat finalement.
Ou alors ne pas mentir… mais comment je pouvais deviner qu’elle avait une soeur criminelle moi?

“Je...euh...non...c’est que…”

Difficile à croire qu’une personne avec des mutations imitant l’un des animaux les plus mignons du monde puisse être aussi intimidante. Pourtant, et surtout parceque la différence de taille est amplifiée par les oreilles, je me sens toute petite là. Mes pieds s’éloignent lentement tandis que mes lèvres bredouillent:

“Ok, ok ! J’ai pas croisé votre soeur...ni d’autres gens comme vous…”

C’est dit. C’est déballé. Je me sentirais surement plus légère s’il n’y avait pas cette tension, cette impression que je pourrais très bientôt vérifier si effectivement, les altérés-lapins ont de la détente dans leur coup de pied.
Et j’en ai pas très très envie.

“Mais j’avais aucune idée que vous en aviez une moi ! Si j’avais su j’aurais dit autre chose !”

...Ou pas? En fait, j’aimerais croire que c’est le cas, mais je sais pas vraiment. S’pas facile d’anticiper comment on réagit sous la pression… peut-être qu’au contraire, voir un point faible évident m’aurait incité à l’exploiter? Est-ce que ce n’est pas ce que je viens de faire au final?
Et donc...est-ce que je suis vraiment comme ça?...

“En tout cas j’ai pas d’infos à vous donner ! J’peux y aller maintenant?”

Vite, qu’on en finisse !...