114 rue de la fourrière. Tu le trouveras au milieu de la pièce vide. Les clefs sont sous le tapis de l’appartement de la dernière fois.
Rai arrivait dans le logement. Après avoir fermé la porte derrière lui, il alluma la lumière pour éclairer cette salle aux volets fermés. Une pièce vide effectivement. Mais au sens strict. Cela faisait quelques mois maintenant qu’il travaillait en tant que coursier pour le nom de La Forge, et c’était la première fois que quelque chose de ce genre lui arrivait. Le colis était manquant. Il aurait bien retourné les meubles dans tous les sens, mais il n’y avait pas de meuble à retourner. Et la salle de bain, seule autre pièce, ne montrait pas non plus de signe du paquet.
« Margoulin. Ici Springer. Le colis est… »
Il disait ça comme si c’était son échec, et un peu paniqué face à ce problème inédit.
« Le colis a disparu. Avant que je n’arrive. »
Le garçon sortait de chez lui cette nuit, par la fenêtre, pour une nouvelle livraison. Il serait peut-être exagéré de dire que c’était une routine, mais il en avait pris l’habitude. Portant fièrement son chapeau, il se déplaçait dans les rues et ruelles de Musutafu, jusqu’à l’adresse donnée. Elle lui avait été fournie par courriel, qu’il avait l’habitude de supprimer une fois lus. Il griffonnait sur un papier la ou les adresses avec des dessins bizarres qui ne pouvaient être compris par quelqu’un qui tombait dessus, puis se mettait en route dès qu’il le pouvait. Tout ça pour éviter toute fuite d’information.
Il devait d’abord aller chercher les clefs à une location puis partir à l’entrepôt. Heureusement qu’il aimait utiliser ses jambes, que ce soit pour marcher ou bondir. Et aussi qu’il aimait sortir le soir et la nuit. Mais cette fois, la nuit allait peut-être être plus longue que les autres. Une fois placé devant cet obstacle qu’était la disparition de la commande, il utilisa immédiatement son oreillette pour contacter La Forge ou Leduc -n’importe lequel qui sera disponible à ce moment- afin de reporter le problème, sans omettre de précéder son rapport du mot de passe du moment. Peu après, il a été recontacté pour lui indiquer que du renfort était en route pour tenter de remonter tout ça : un membre de la Lady Moriarty’s Menagerie. La livraison était urgente, l’affaire devait être résolue ce soir. Plus qu’à sagement patienter…
Pendant que Sa Majesté Maquillée se faisait mousser par les médias, Eagle et moi tenions les rênes de la Ménagerie. Bien sûr, notre chère patronne trouvait toujours un moyen pour faire acte de présence sur le terrain, mais les plans n’étaient plus sortis uniquement du radiateur détraqué qui lui servait de cervelle. Soumis à son approbation, bien sûr, et quasiment toujours modifiés, mais pas forcément conçus de bout en bout par la rouquine.
Certains auraient pu y voir un signe funeste, traduisant une perte de vitesse de la Ménagerie. Il n’en était rien. Nous étions actifs, nous gagnions de nouveaux membres… Et, pour moi qui connaissait l’envers de la perruque, il était évident que nous nous dirigions vers un chemin intéressant au possible. J’avais misé sur le bon cheval, à ne pas en douter.
Mais le fait était que ni Eagle, ni moi, n’étions Moriarty. Nous ne recevions pas directement les missives des clients, tout venait de la Lady elle-même et nous n’avions pas la liberté de choisir nos missions. Et ce soir-ci n’y faisait pas exception.
Ma première opération en solitaire en tant que représentant de la Ménagerie. Si j’avais bien suivi le très bref résumé qui m’avait été fourni, la Forge, notre receleuse et ingénieure, avait fait appel à nos services pour l’aider à retrouver de la marchandise disparue. C’était… Techniquement un acte de super-vilenie, qui tombait donc dans nos services. Et puis, mieux valait tout faire pour aider la Forge. C’était grâce à elle que, ce soir, je pouvais avancer dans la nuit, visage couvert.
Là où j’avais un peu plus envie de râler, c’était que la mission était pour… Maintenant. Non pas que j’avais vraiment mieux à faire, mais j’aimais prendre un peu de temps pour me préparer psychologiquement. Je n’avais pas ce luxe, ce soir. Tant pis.
L’immeuble, puis l’appartement. Je toquais 3 fois à la porte et m’annonçait.
"Les renforts sont là."
J’ouvris sans me faire prier (trop peu habitué à ma chirurgie, j'avais toujours le sentiment un peu étrange d'être un amateur, quand je posais mes mains non-gantées sur quoi que ce soit). En costume de la tête aux pieds, je pouvais apercevoir, dans le fond… Un gamin. Probablement mon fameux "contact sur place", un employé de la Forge. En ce moment, j’apprenais le classement des héros, pour reconnaître mes éventuels ennemis, et il ne me semblait pas que ce maigrichon bien habillé y figurait. Ryou m’avait bien parlé d’un étudiant "Child Hero" à surveiller, mais de mémoire, il était bien plus petit que ça, ses cheveux étaient verts et sa tenue complètement différente. Aucune chance de confondre les deux.
"Je suis Rabbit. La Ménagerie m’envoie."
Déjà mon regard fusait à gauche à droite. Des instincts remontaient à la surface de mon esprit.
"Tu veux bien m’expliquer ce qui s’est passé ?"
Noah parle en #542d71 gras, et utilise la police Georgia sous son identité secrète.
Quand le membre de la Ménagerie s’annonça devant la porte, Rai était en train d’examiner les murs, cherchant la moindre trace d’indice qui aurait pu être laissée. Il n’eut besoin de lui dire de rentrer, l’initiative a été prise sans trop d’attente. Son regard se tourna vers l’entrée pour découvrir le visage de son renfort. Et par « visage », il fallait comprendre « masque ». Il avait entendu dire que les sbires de Lady Moriarty étaient effectivement masqués. Pas la première fois que le garçon parlait avec un criminel dont il ne voyait pas la tête, ça aurait pu davantage le déstabiliser quelques mois plus tôt.
« Enchanté. Je me fais appeler Springer, coursier de La Forge. »
Et sans plus de formalité, Rabbit vint aux faits et demanda ce qu’il s’était passé. Il était temps d’introduire le problème.
« J’ai été contacté hier par ma chef par voie numérique, pour une livraison. Ou peut-être par Leduc, mais ce n’était pas un détail important. On m’a donné l’adresse où je pouvais trouver le colis ainsi que l’adresse où je devais le livrer. Les clefs étaient à une troisième adresse où je suis passé tout à l’heure, et elles étaient bien à leur place. Je m’en suis servi pour entrer. »
Il sortait les clefs en question de sa poche en même temps, montrant qu’elles étaient bien avec lui. Était-il possible que le voleur les aient remises à sa place après le méfait ? Rai ne voyait pas trop pourquoi s’embêter à le faire si le colis avait de toute façon disparu.
« Le colis devait se trouver « au milieu de la pièce vide ». Et quand je suis arrivé, j’ai trouvé l’appartement ainsi, lumière éteinte et volets fermés. »
Voilà qui résumait les faits basiques de l’affaire. Mais il avait plus que ça. Il fallait bien qu’il s’occupe le temps que monsieur arrive. Et il n’avait pas gaspillé son temps. Il posa son pouce contre son visage, index vers le haut.
« Ça c’est la situation actuelle. Je me suis pris le temps de faire le tour de l’appartement pour chercher des informations… et voilà où j’en suis. »
S’improvisant détective, il s’apprêtait à dérouler ce qu’il avait remarqué.
« Tout d’abord, j’ai constaté ces étranges traces au sol. »
Il s’approcha du centre de la pièce et pointa du regard les traces en question.
« Si on regarde bien et qu’on les visualise comme un ensemble, elles pourraient rappeler une paire de main. Quoiqu’elles ne ressemblent pas à des mains standards, il s’agit plutôt de pattes, palmées je dirais. Personne de La Forge n’a de telles mains, il s’agirait de celles du voleur. Ce que je me suis demandé, c’est pourquoi elles n’étaient pas totalement visibles… »
Rai se dirigeait vers la salle de bain à côté.
« Dans le placard qui se trouve au-dessous de l’évier, j’ai trouvé une éponge, encore très humide. Mouillée même. Visiblement notre voleur voulait s’en servir pour effacer ces traces, probablement accidentelles. Toutefois, le travail n’a été fait qu’à moitié puisqu’on peut toujours partiellement les distinguer. Ce que j’ai trouvé assez étrange. »
Il claqua du doigt en désignant cette fois-ci… les toilettes.
« Autour de la cuvette se trouvent des traces… d’urine. De l’urine qui n’a pas encore séchée. Personne de l’équipe ne visite l’appartement entre le moment où je suis contacté et le moment où je récupère le paquet. Le voleur a été pris d’un besoin bien trop urgent et n’a su se retenir. Cependant, il a visé aussi mal qu’un enfant de moins de dix ans. C’était probablement parce que pendant tout le temps où il était là, la lumière était éteinte. Et c’est pourquoi les traces dans la pièce principale ont été si mal effacées ! »
Quant à pourquoi la lumière serait éteinte, il en avait zéro idée.
J’aurais pu me demander pourquoi la Forge avait choisi un partenaire aussi jeune, elle qui semblait pourtant si prudente. Mais dès que Springer se mit à parler, la réponse fut évidente. Ce gamin était brillant. Vif, observateur, poli. À se demander pourquoi un tel esprit avait à s’allier à une bande de criminels. Soit ses convictions étaient, elles aussi, en avance sur son âge, soit il avait grand besoin d’argent et la Forge était capable de répondre à ses besoins.
Je ne jugeais pas. Je n’étais certainement pas en position de donner des leçons à un petit génie qui rejoignait le camp des super-vilains. Pendant qu’il me faisait un tour du propriétaire et de ses déductions, j’en profitais pour mener ma propre enquête annexe, à grands coups de regards dans les coins. Quand Springer eut fini, je posais mon index sur mon front, en signe de réflexion. Il était important que mon langage corporel soit expressif, quand je souhaitais interagir avec des alliés, en raison du masque qui dissimulait mes émotions. Et encore, au moins je pouvais échanger librement avec Springer, là où le silence était parfois imposé, chez Moriarty.
"Tu as l’œil, et tu réfléchis bien, Springer."
Peut-être que cela sonnait un peu condescendant ? Dur de dire, je ne savais pas quelle image je renvoyais vraiment, avec mon masque figé, et ma voix déformée.
Je marchais jusqu’aux volets. Modèle électrique. Entre la fenêtre à proprement parler et la rangée de lames, une araignée avait tissé une toile et de la poussière s’était accumulée. La Forge laissait les volets fermés, et l’intrus n’y avait pas touché. Fort heureusement, Springer non plus. Mon regard se braqua sur l’entrée, puis je m'agenouillai auprès des fameuses traces de main. Bingo.
"Si des volets de ce modèle sont fermés, alors on n’a pas de raison de ne pas vouloir allumer la lumière. Depuis la rue, la lumière serait invisible, et depuis la porte, il est déjà trop tard."
Je me redressais et, d’un bond, me retrouvais à côté de la porte. J’éteignis la lumière, me faisant ainsi une idée de la profondeur de l’obscurité qui pouvait régner.
"Le réflexe logique serait évidemment d’allumer la lumière en entrant. C’est un geste rapide, et qui accélère considérablement tout le processus de vol qui s’ensuit. Si notre cambrioleur avait eu une autre source de lumière, il aurait peut-être éventuellement mal visé aux toilettes… Mais il n’aurait certainement pas laissé autant de traces de main. Et puis..."
J'allumais la lumière de nouveau pour me replacer au niveau des empreintes, et posais mes propres mains à côté de ces dernières, comme si je cherchais moi-même à tâtonner pour trouver un objet posé au sol.
"Regarde. Tu vois le souci ?"
Mes mains étaient orientées dans la direction opposée aux traces laissées par l’intrus. Tandis que mes doigts pointaient vers le fond de la pièce, ceux du cambrioleur-urinateur étaient tournés vers la porte d’entrée.
J’étais fou d’excitation. Il faudrait que je pense à remercier Ryou de m’avoir envoyé sur cette mission. Mener l’enquête, exposer mes abductions, inductions et déductions, c’était un plaisir fou pour moi.
"Tu disais que personne n’est supposé visiter cet endroit entre le moment où le paquet est déposé et ton arrivée. Est-ce que cet endroit a déjà été utilisé par votre groupe, ou c’est une première pour toi ?"
Noah parle en #542d71 gras, et utilise la police Georgia sous son identité secrète.
Après avoir écouté ses quelques observations et ses potentielles déductions, Rabbit complimenta brièvement Springer. Chose qu’il prit plutôt bien en réalité, même s’il avait assez confiance en ses capacités de manière générale (ou au moins quand il prend la décision d’agir), il devait avouer apprécier les compliments. Ce n’était pas quelque chose qu’il laissait vraiment paraître toutefois.
Son allié de la Ménagerie ajoutait ensuite ses propres observations. Rabbit semblait savoir de quoi il parlait. Avec deux têtes ils allaient bien pouvoir s’en sortir. Sans mauvais jeu de mot, il avait mis le doigt sur un curieux problème : le sens des mains. Si du moins c’était vraiment des mains. Rai était courbé au-dessus de celles-ci, ses propres mains sur ses genoux et acquiesçant d’un mouvement de la tête. Qu’est-ce que ça pouvait vouloir dire ? Pour avoir les mains comme ça... Est-ce que...?
« Est-ce que la personne aurait effectivement trébuché, mais contre le colis ? Mais dans ce cas ça voudrait dire qu'il serait venu de la fenêtre ? »
Venir de la fenêtre expliquait le problème de la lumière. Est-ce qu'un alter pourrait permettre de traverser le volet et la fenêtre ? Ça pouvait être une fabrication pour les tromper, mais ça semblerait un peu trop spécifique.
« Je suis déjà venu ici. Mais ce n’était pas pour un colis, c’était pour des clefs. »
Ce qui ne changeait pas forcément grand-chose, mais la précision ne coûtait rien.
« Je ne me souviens pas avoir vu quelque chose de suspect à ce moment-là. Et c’était également la nuit. Je n’opère quasiment que la nuit de toute façon. Je me souviens que les clefs étaient dans une serviette, dans un placard de la salle de bain. »
Il réfléchit un instant, quelque chose ne collait pas dans ce qu’il venait de dire. Ah !
« La serviette a disparu elle aussi. »
Il n’avait pas remarqué son absence en faisant le tour du propriétaire. Le sol n’était pas mouillé alors que l’éponge était encore bien humide, il ne s’était pas rendu compte de cette incohérence. Du coup, avait-il été lavé en premier lieu, ou les traces étaient-elles plus anciennes ?
C’était bien sympa d’essayer de comprendre ce qu’il s’était passé ici, mais Rai se demandait si ce peu d’informations seraient suffisantes pour remonter jusqu’au voleur. Que pensait Rabbit de tout ça ?
La serviette avait disparu ? Très bien, pourquoi pas, après tout. Je ne savais pas si ça avait une importance, mais je garderais ça à l’esprit pour le reste de l’enquête. Encore une fois, Springer était malin, à défaut d’avoir de l’expérience.
"La fenêtre non, mais tu es sur la bonne voie. Si tu vas voir les volets, tu verras qu’il y a des toiles d’araignées. Personne ne les a ouverts depuis un certain temps. Si c’était l’œuvre d’un Alter d’intangibilité, alors autant passer par la porte."
Je me redressais et commençais à avancer vers la pièce voisine.
"Si les doigts sont tournés vers la porte d’entrée et si la lumière n’a pas été allumée, c’est bien que le coupable venait d’ailleurs, tu as vu juste sur ce point."
Avec un cliquetis, je déployait le Rabbit Stick sous sa forme de bâton long.
"Et si tu es déjà venu, ne serait-ce qu’une fois, avant, que des clés avaient été déposées par d’autres membres de votre groupe, et que quelqu’un a déposé le colis aujourd’hui avant ton passage… Et bien c’est tout autant d’opportunités pour que cet endroit soit découvert par des tiers."
Toc. Toc. Toc. Un coup léger, à intervalles réguliers, sur les murs de la pièce adjacente. Toc. Toc. Poc. Je souris derrière mon masque. J’étais vraiment le meilleur détective du monde.
Mon bâton tournoya une fois dans les airs avant que je n’assène un puissant coup d’estoc sur la surface suspecte. Sans surprises, le mur fut percé avec une facilité extrême. Même dans un appartement bas-de-gamme, un coup comme ça aurait simplement laissé une marque sombre, ou une légère bosse incurvée. Là, mon bâton l’avait traversé.
Je continuais de marteler de coups le mur, jusqu’à ce que j’aie clairement délimité jusqu’où la surface factice s’étendait. Restait un mur couvert de trous, à travers lesquels on pouvait légèrement apercevoir l’appartement voisin grâce à la lumière d’ici qui pénétrait dans l’obscurité adjacente. De toute évidence, et selon toute logique, il n’y avait déjà plus personne là-dedans. Je me tournais vers Springer tout en séparant et rangeant mon bâton.
"Si tu mets un coup d’épaule là-dedans, tu vas traverser le mur. Tu veux le faire ou je m’en charge ?"
Peut-être qu’il ne voudrait pas salir son beau costume, ou qu’il aurait peur de se blesser. Mais je n’allais pas priver un gosse de cette opportunité unique de défoncer un passage secret avec fracas et style.
Noah parle en #542d71 gras, et utilise la police Georgia sous son identité secrète.
Springer écoutait avec attention et intérêt les réflexions de Rabbit. En effet l’entrée depuis la fenêtre semblait à écarter pour les raisons citées. Mais ces traces de mains à l’envers continuaient de le turlupiner.
Il notait dans sa tête le risque à utiliser plusieurs fois un même local, il pourra faire remonter ça à la chef. Forcément, si quelqu’un les espionnait, avoir deux entrées au même endroit c’est déjà dangereux, alors quand on passait à trois puis à quatre… Il faudrait peut-être trouver une solution. Mais ce n’était pas sur ça qu’il fallait réfléchir ce soir.
Rai l’observait examiner le mur. Qu’est-ce qu’il pensait y trouver ? Un interrupteur ? Une porte secrète ? Il frappait avec son bâton. Il avait vraiment trouvé quelque chose. C’était un peu honteux de l’admettre, mais il n’était pas sûr qu’il aurait pensé lui-même à la possibilité que quelque chose s’y cachait. Est-ce qu’ils avaient un mauvais appartement depuis le début ? Ou ça a été installé parce que c’était à eux ? L’homme masqué se tourna vers lui, suggérant cette ultime proposition.
« Avec plaisir. »
Défoncer un passage dérobé ? Trop bien. Il essayait de répondre avec un air neutre et en cachant son sourire pour éviter d’avoir l’air trop enfantin face à cette proposition. Il devrait réussir sans difficulté, mais la proposition était si soudaine qu’il ne s’y était pas préparé psychologiquement. Ayant bien regardé les délimitations définies par Rabbit, il toqua lui-même un peu au milieu pour s’assurer qu’il y ait quelque chose de bizarre. On ne savait jamais, peut-être que c’était juste une mise en scène inutilement compliquée pour que son partenaire du soir ait le plaisir de voir un innocent gamin s’écraser contre un mur en béton. il se plaça devant avec une petite distance. Puis il fonça dessus, épaule en avant. Il avait envie de crier en chargeant, mais se retint.
Et, comme attendu, il traversa le mur, se trouvant dans une nouvelle pièce. La lumière était bien sûr éteinte, mais la luminosité de la pièce dont ils venaient permettait de voir correctement ce qu’il y avait ici. Une pièce un peu plus meublée (ce qui n’était pas compliqué) avec un fauteuil, un canapé (probablement clic-clac), un tapis aux motifs loufoques, et une commode. Il y avait une porte vers une autre pièce qui était probablement les toilettes, faisant de cet appartement une chambre symétrique par rapport à sa voisine. Rai examinait sans toucher à rien, n’osant même allumer la lumière lui-même. L’appartement semblait propre, laissant bien penser qu’il a été utilisé récemment. Ou plutôt, aménagé récemment : en se baissant, Rai ne voyait pas de poussière sous les meubles, même au fond. Cet appartement respirait un peu le « Ouais ouais, on est une chambre pas suspecte du tout ».
Mais comment, avec les informations de cette pièce, allaient-ils pouvoir tracer leur voleur ?
J’allumais la lumière la plus proche sans hésiter.
J’aurais pu mener l’enquête dans le noir, en profitant de la vision nocturne de mon globe oculaire artificiel. Mais c’était coûteux en énergie, m’empêchait de bien voir les couleurs, et n’était pas très sympa pour mon partenaire d’investigation. Et en parlant de lui…
Je posais la main sur son épaule pour attirer son attention sur ce que j’allais dire avant de la retirer et de progresser à travers l’appartement.
"Tu peux fouiller, tu sais. On n’a pas le matériel qui rendrait pertinent de ne pas toucher aux preuves. Sauf si la Forge t’as donné du luminol, de la poudre magnétique, des sacs plastiques, du gel d’agarose et une semaine pour retrouver le paquet."
Ce serait une bonne idée, ça, d’ailleurs. Pas la semaine de marge, mais le matériel. Non pas que le travail d’enquête était vraiment dans les habitudes de la Ménagerie, mais l’idée d’un supplément à mon œil ou à mon bâton pour projeter de la lumière noire ou comparer deux empreintes entre elles n’était pas pour me déplaire.
"Cherche dans les corbeilles, les interstices et le dessous des meubles. Déplie jusqu’au plus petit bout de papier froissé, pose tout ce que tu trouves sur la commode. Laisse-moi m’occuper des portes, des fenêtres et de la salle de bain."
Je lui faisais confiance pour être méticuleux et exhaustif dans sa recherche. Je lui avais confié le plus facile. Les traces que je cherchais, de mon côté, étaient plus dures à percevoir et plus faciles à effacer. Accroupi dans la salle de bain, passant mon regard sur chaque surface, chaque rebord, je pris la parole, levant la voix pour être entendu clairement par Springer.
"Tu fais ce job depuis longtemps ?"
La réponse était probablement "Non" vu son âge, mais je n’étais pas à l’abri d’une surprise. Peut-être que La Forge l’avait élevé depuis sa tendre enfance pour en faire le coursier ultime. Le but était juste d’échanger un peu, c’était un vieux réflexe de scène de crime.
Noah parle en #542d71 gras, et utilise la police Georgia sous son identité secrète.
Rai prenait ses précautions pendant la fouille mais bien vite Rabbit lui fit comprendre que ce n’était pas nécessaire. Avec la lumière qui éclaira la pièce, il constata que les volets étaient aussi bien fermés. Aucun risque d’être observé pendant les recherches. Et le propriétaire de cet appartement ne comptait probablement pas revenir de toute façon. Quant au luminol et compagnie… la réponse était bien sûr non. Il se doutait que la question était rhétorique, et ne se prit donc pas la peine de confirmer qu’il n’avait rien de tout ça.
Il commençait à faire le tour de la pièce. Il y avait effectivement une corbeille qui trainait au pied d'un meuble. Avec... beaucoup de papier. Plein de boules de papier chiffonné. Il saisit la corbeille qu'il posa sur une chaise et prit une première boule pour la déplier sur la table. C'était : une feuille vierge. Bah super. Ça achète des feuilles vierges pour les jeter sans être utilisées. Venant d'une famille qui cherchait à économiser sur tous les aspects, voir que certaines personnes foutaient en l'air du matériel neuf ne lui faisait pas plaisir. Et ça, c'était seulement en dépliant un premier papier. En dépliant un deuxième, il n'était pas plus ravi. Encore une feuille vierge. Il ne savait pas ce que cette personne comptait faire avant de jeter tout ça, mais elle avait peut-être mal compris le syndrome de la page blanche, ou en tout cas comment le résoudre. Puis il en déplia une troisième et c'était encore la même chose. Il passait un coup d'œil au-dessus de la corbeille pour les compter. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze,... En fait il ne les voyait pas tous donc difficile à compter.
« Non ça ne fait pas vraiment longtemps. Quelques mois. Mais je me suis assez vite habitué. »
Chose qui le surprenait un peu, pour un premier contact avec le monde criminel.
Bon, est-ce qu'il n'y avait pas quelque chose ailleurs ? Il reprit la recherche en continuant son petit tour. Les interstices, les dessous des meubles… Il se penchait un peu partout, retenant d’une main son chapeau pour le maintenir en place. Ah, un autre papier plié ! Il l’amena lui aussi au niveau de la table. Mh… ça ressemblait à une adresse ! Peut-être un point de rendez-vous quelconque ? Il allait attirer l’attention de Rabbit dessus lorsqu’une pensée lui traversa l’esprit. Ça tombait un peu trop bien ce papier non ? Il n’avait pas la conscience tranquille… Il l’écarta plus loin sur la table pour se faire de la place et reprit le dépliage des ordures. Il avait comme une intuition. Peut-être juste par déception de trouver l’info comme ça. Une corbeille avec plein de papier qui ne servent à rien, et la réponse qui est juste posée ailleurs. C’était bizarre.
« Et vous, ça fait longtemps que vous êtes dans ce milieu ? »
En tant que coursier, sa relation avec les clients se limitait à la livraison, globalement bonjour / merci d’avoir choisi La Forge / à bientôt. Il n’avait pas vraiment parlé avec des criminels. Pourtant ça pouvait être intéressant. Mais l’occasion se présentait difficilement. Il continuait l’inspection de cette fichue corbeille, et arrivait au bout. Un sourire fier gagnait le visage de Springer lorsque le dernier bout de papier présentait une écriture manuscrite. Ça ressemblait à une lettre. Sans nom de destinataire malheureusement. Peut-être avait-elle été laissée ici en amont pour la personne chargée du larcin ? Elle contenait quelques instructions, dont la suivante :
« Avant de partir, roule en boule cette lettre et mets-la au fond de la corbeille préparée. N’aie crainte, un autre papier est caché avec de fausses informations pour capter l’attention. »
Le but était donc que la personne abandonne en voyant qu’il n’y avait que du papier blanc, cherche ailleurs, trouve une adresse, soit satisfait, et s’en contente. Il ne savait pas si c’était intelligent ou stupide. Probablement stupide vu que le plan-même était laissé ici, ne leur demandant même pas de piffer lequel des deux documents avait les informations correctes.
« J’ai trouvé des infos ! » prévenait-il avant de commencer une vraie lecture.
Nos voleurs n’étaient pas d’une discrétion totale, mais ils avaient fait le strict minimum pour couvrir leurs traces. Un coup d’éponge rapidement passé un peu partout, en gros. Pas impeccable non plus, il y avait quelques traces de doigts sur le miroir de la salle de bain, mais inutile d’en faire trop, quand on volait à des super-vilains. Ce n’était pas comme si je pouvais faire quelque chose de ces empreintes digitales.
Je pressais une fois, deux fois, la chasse d’eau. Aucune réponse. Voilà qui expliquait pourquoi notre lascar s’était soulagé chez le voisin alors que sa planque était virtuellement identique. Et qui expliquait l’odeur infecte, accessoirement. Ce type manquait de débrouillardise.
"Bientôt dix ans dans le milieu. Mais avec Moriarty, ça fait quelques mois seulement."
J’étais bien sûr généreux dans ma définition du "milieu", mais pas un menteur. Je comptais dans le lot mes années à l’académie de police, donc la première fois que j’avais dû faire face à des criminels et étudier des affaires illégales. Me mettre moi-même à l’illégalité… C’était arrivé techniquement assez vite après mon entrée dans la police, mais personne ne pouvait le prouver, et c’était au service de l’ordre, techniquement.
"Moi aussi, je m’y suis vite habitué."
Très vite et très bien, en toute honnêteté. J’avais encore quelques regrets, bien sûr. Mais j’étais assez certain d’avoir fait le bon choix. Autant que faire se peut dans la situation dans laquelle je m’étais retrouvé avant ma mort, du moins. Le fait que mon salaire avait approximativement triplé aidait beaucoup.
Je soulevais le drain de la douche. Bingo. Il y avait bien un détail qui me chiffonnait, dans ce grand nettoyage. L’absence totale et parfaite de poils de tous types. Et j’avais ma réponse, juste là. Des écailles bleutées. L’occupant des lieux avait une mutation, probablement un hybride poisson, ce qui expliquait les doigts palmés et l’absence de poils. S’ils travaillaient à plusieurs à coup quasi-sûr (la mise en scène et l’objectif étaient trop complexes pour un type seul), un seul d’entre eux avait vécu ici de façon prolongée. Mais qu’en était-il du passage secret ? Difficile de mettre en place quelque chose comme ça sans laisser de traces, en une seule soirée. Et vu l’âge probable de nos voleurs, à en juger par la taille des mains du poisson, il y avait peu de chances pour que ce dernier soit doté de deux Alters. Question de générations. Donc… Au moins trois voleurs. Le palmé qui était resté en embuscade tout le temps et avait volé le gros lot à proprement parler. Le poseur de murs, qui était là ce soir, avec le palmé, mais n’était pas en stand-by dans l’appartement. Et enfin, le meneur.
Je devais probablement pouvoir m’en sortir en combat contre les trois à la fois. En attendant, Springer avait du neuf. Je m’écartais des poignées de portes que j’étais en train d’inspecter (aucune information nouvelle à en tirer) et arrivais à son niveau pour lire par-dessus son épaule.
"Montre voir."
« Avant de partir, roule en boule cette lettre et mets-la au fond de la corbeille préparée. N’aie crainte, un autre papier est caché avec de fausses informations pour capter l’attention. »
Super bizarre comme plan, mais pourquoi pas. La chronologie de l’occupation de cette pièce me paraissait encore un peu plus claire. Ils vivaient probablement ici les uns après les autres, et le cerveau de l’opération, qui avait probablement rédigé la note, était plus consciencieux que le poisson en termes de nettoyage.
« Appelle Shinsuke pour qu’il vienne reboucher le passage dès qu’ils auront déposé leur paquet. N’allume surtout pas la lumière quand tu le voleras, au cas où ils t’observeraient depuis l’extérieur. Après que Shinsuke et toi ayez réparé le trou, nettoyez bien la planque et venez me rejoindre au 34 rue des (attention c’est codé) Cfhpojbt. »
"...Mh."
Bon.
"34 rue des Bégonias, donc. C’est à deux pas d’ici."
À quoi ça servait de mener des enquêtes, au juste, avec des criminels pareils.
Noah parle en #542d71 gras, et utilise la police Georgia sous son identité secrète.
Rai continuait de lire la lettre. Ce qu’il lisait coïncidait avec ce qu’ils avaient observé ces dernières minutes. Ils étaient probablement sur la bonne piste. Et leur planque était à la rue de… Ortbavnf ? Ça faisait un peu nom de commandant de l’Europe de l’Est, il y avait vraiment une rue à ce nom dans le coin ?
« 34 rue des Bégonias, donc. C’est à deux pas d’ici. »
Ah. Ouais. Il avait peut-être cherché compliqué. Il n’avait pas assez d’expérience pour comprendre comment fonctionnaient les vilains. Rabbit en avait bientôt dix ans. Quand même. Et toujours pas derrière les barreaux. Que faisaient les héros ? Enfin, peut-être était-il discret au début. Ou peut-être pas et que personne ne se rend compte qu’en fait il était un criminel très recherché. Il était depuis peu à la Ménagerie, et à chaque fois que Springer voyait l’un d’entre eux, celui-ci était masqué. Théoriquement, ils pourraient tout à fait démarrer avec une autre identité s’ils le voulaient. Peut-être qu’il avait en face de lui le célèbre Moltar, dont on n’a plus entendu parler depuis quelques temps. Étant de son côté ce soir, l’idée l’amusait plus qu’elle ne le terrifiait. Mais il supposait bien qu’il s’égarait largement.
Bon. Ils avaient un nom, une adresse, et ils savaient qu’ils étaient minimum trois : la personne qui a écrit la note, la personne à qui était destinée la note, et « Shinsuke ». Peut-être que ce Shinsuke avait un alter permettant de masquer plus facilement le passage. Ça lui semblait pas mal. Et ils n’avaient pas tous l’air bien malin, ce qui était à leur avantage aussi. Mais même le plus gros des débiles pouvait être un problème avec un alter d’exception, il fallait faire attention.
« Il y avait autre chose que vous voulez vérifier ? Je n’ai rien trouvé d’autre de mon côté. »
Il passait la main dans sa poche et tâta la clef de l’appartement, prêt à sortir d’ici et passer à la suite. Par contre il ne savait pas trop quel genre d’approche adopter pour aller récupérer le colis. N’ayant pas un alter des plus offensifs, Springer prenait rarement les ennemis de front, mais il n’était pas seul aujourd’hui alors il allait peut-être suivre un plan différent.
« Comment pensez-vous qu’on devrait organiser la récupération ? »
Il avait un peu le sentiment de se laisser guider, mais c’étaient des consultants non ? Et puis, c’était l’occasion d’apprendre des choses de ses aînés.
"On va là-bas, on voit à quoi ça ressemble, on les tabasse."
Aussi simple que ça. J’étais un détective, mais j’étais aussi le meilleur combattant de mon groupe. S’ils n’étaient que trois, et qu’ils avaient peur de s’attaquer directement à un messager, ce serait une affaire vite expédiée. Le jeune garçon s’attendait peut-être à autre chose, toutefois. Sinon, il n’aurait pas posé la question.
"Pas très “Lady Moriarty’s Menagerie”, comme plan, pas vrai ? Mais les idiots ne comprennent pas la leçon, si elle est donnée avec trop de subtilité. Et on doit régler ça dans la soirée. Sans compter sur le fait qu’on ne connaît pas les lieux, ou leur nombre… Bref, pour une opération improvisée en catastrophe comme ça, concevoir des plans trop élaborés en amont fait qu’on perd de l’espace mental pour improviser."
Et puis, je ne pouvais pas vraiment mobiliser les autres membres de la Ménagerie à une heure pareille avec un petit texto sur le chat de groupe genre "Qui est encore debout ? ^^ ". Moriarty pouvait se le permettre, mais elle était la patronne. Sans parler du fait que nous n’avions pas de chat de groupe. Dommage, je suis certain que Turtle est secrètement un shitposteur incroyable.
Accessoirement, peut-être que ces trois zigotos étaient en réalité des maîtres manipulateurs, qui avaient établi un plan d’une complexité absurde à base de doubles faux indices cachés dans des pièces secrètes, visant à se faire passer pour des abrutis afin de piéger l’équipe de La Forge. Mais c’était quand même assez improbable. Non, il allait de soi que cette fine équipe était rassemblée rue des Bégonias et s’extasiait sur l’équipement volé en ce moment même.
Je me dirigeais vers le trou du passage secret, prêt à quitter les lieux, et jetais un regard en arrière vers mon collaborateur du soir. Il y avait un détail important à régler.
"Tu sais te battre, Springer ?"
Si ce n’était pas le cas, j’aurais peut-être à faire preuve d’un tant soit peu plus de finesse dans mon approche. Il y avait probablement un mutant dans le lot, après tout. Bien sûr, il était fort probable que j’étais capable de les vaincre tous à moi seul, mais ce serait vraiment la pire des humiliations que de me rater dans la dernière ligne droite.
Noah parle en #542d71 gras, et utilise la police Georgia sous son identité secrète.
