Mei Kurikuriku dans : La Terreur Terrible de la Genèse Mélancolique [Solo]

La tête de Mei était posée contre la vitre du train. En temps normal, elle aurait pris des photos de chaque recoin de la voiture. Elle serait passée d’une place à une autre pour capturer des angles inédits. Elle aurait peut-être profité des presque trois heures de trajet pour s’entraîner à la rédaction d’articles, sa plus grande faiblesse.

Mais non, la lycéenne n’avait rien dit, n’avait rien photographié, n’avait pas bougé d’un poil. Elle était juste restée immobile, en regardant le paysage défiler sous ses yeux. Ses sourcils étaient très légèrement froncés, et sa bouche s’ouvrait et se fermait silencieusement de façon irrégulière, comme si elle mimait des débuts de conversations.

Pour le bien de sa carrière, Mei avait pris la décision de se faire un passeport. Un outil essentiel, si elle voulait pouvoir exploiter son plein potentiel en tant que photographe freelance. Mais il y avait un hic. Elle avait besoin, pour cela, de fournir son acte de naissance. Or, tous ses documents d’état civil avaient été confiés, lors de son adoption, à sa nouvelle famille.

Mei était en route vers Kyoto.

C’était la première fois depuis son départ pour Tokyo, il y a deux ans, qu’elle y remettait les pieds. Et la première fois depuis plus d’un un an qu’elle était entrée en contact avec ses parents adoptifs. Elle avait imité leur signature sur tous les documents possibles et imaginables… Mais elle n’était pas douée au point de pouvoir falsifier un acte de naissance.

Elle était persuadée, avant aujourd’hui, qu’elle était passée à autre chose. Qu’elle n’éprouvait pour ses parents adoptifs qu’un vague dédain indifférent, et qu’elle saurait, en cas de contact, se montrer cordiale, insolente et détachée. Comme avant, quand elle vivait avec eux.

Mei avait la boule au ventre.

La lycéenne n’avait jamais vraiment eu peur de ses parents adoptifs. Elle n’avait peur de rien, après tout. Mais elle était obligée d’admettre qu’elle était anxieuse, à défaut d’être effrayée. Loin d’être une fine analyste de l’esprit humain, Mei aurait bien été incapable d’identifier la source exacte de son angoisse. Elle ne pouvait, au final, cristalliser sa situation qu’avec deux mots, qui lui échappèrent lorsque le train s’arrêta à la station de Kyoto.

"Fait iech."

Elle se leva de sa place et se dirigea vers son scooter, fermement arrimé dans un coin du wagon. Rapidement, elle retira les attaches, attendit que les autres passagers aient fini de descendre, puis passa les portes, son véhicule à ses côtés.

Mei prit quelques instants pour regarder sa ville "natale", qui s’étendait autour d’elle. Malgré les circonstances, Kyoto lui avait un peu manquée.

"Quand faut y aller, heing."

Elle ne cachait pas son accent, maintenant qu’elle était en terrain conquis. Et surtout pas pour parler toute seule.

Elle glissa ses lunettes de soleil sur ses yeux, enfourcha son véhicule et activa le contact. Il pétarada pendant quelques secondes, après quoi Mei se lança dans les rues de l’ancienne capitale.

Les Kurikuriku n’habitaient pas dans le centre-ville de Kyoto. Leur maison se trouvait un peu à l’écart, sur le chemin qui menait à l’un des principaux temples de la région. Ce chemin, Mei l’avait déjà emprunté plusieurs centaines de fois à pied, mais c’était la première fois qu’elle avait l’occasion de le faire en scooter. Le béton laissait progressivement sa place à la verdure et, d’un coup, Mei se retrouva sur les chemins de campagne.

C’était une drôle de sensation. Elle était partie il y a 2 ans seulement, et déjà la ville semblait bien plus petite, par rapport à avant. Le scooter rendait également sa navigation bien plus rapide et, rapidement, elle se retrouva à moins de 50 mètres de chez elle. Plus qu’à prendre un dernier tournant et elle pourrait apercevoir son ancien chez-elle.

"Oh ! Mei, hé ? C’est toua, té ?"

Mei s’arrêta net devant une maison. Assis sur le parvis, en train de tailler une petite figurine religieuse, se trouvait un homme d’une cinquantaine d’années, un voisin qu’elle connaissait bien. Elle le salua d’un geste de la main et d’un grand sourire.

"Oh, l’oncle ! Ouep, c’est moua."

"Qu’est-ce tu fous là, si tôt, ‘vec cette bécane ? Tu l’as chourée ?"

La jeune fille remonta ses lunettes sur son front et cala son véhicule contre un muret avant de commencer à s’approcher de Eiji Yamada.

"Carrémang. C’pour ça qu’suis revenue, y veulent me fiche au ballon, à Tokyo."

"Hahaha ! T’as bieng fait, sale môme."

Ils rirent tous les deux quelques instants.

"Tu vieng saluer tes vieux ?"

"J’ai des papiers à récupérer. J’pars avec le prochain traing, normalmang."

"Et beh. T’as pas l’temps, minote."

Mei haussa les épaules, désinvolte.

"J’ai du taff à Tokyo."

"Toujours tes photos, là ?"

"Ouep."

Une idée lui vint.

"Dis, l’oncle, tu veux que j’te prenne en photo, à tailler ta statuette ?"

"Allez, si ça te fait plaisir."

Ravie, Mei sortit son lourd appareil de son sac, puis de sa housse. Eiji se remit à façonner sa figurine, copeau de bois par copeau de bois. La jeune fille braqua son objectif sur l’homme, chercha le bon angle…

Clic.

Une seule photo, mais elle savait qu’elle était parfaite.

"Tieng, regarde. T’eng penses qué ?"

Elle tourna son appareil vers "l’oncle", de sorte à ce qu’il puisse la regarder par lui-même. Il resta interdit quelques secondes avant de prendre la parole.

"Tu sais, moi j’ai jamais trop compris ton truc ‘vec les photos, tout ça, avangt. Mais là, là j’comprends."

Mei sourit jusqu’aux oreilles. C’était exactement ça. Exactement comme ça qu’elle voulait aider les gens. En leur montrant de belles images, d’eux-mêmes ou des autres. En réussissant à transmettre à travers ses photos la beauté qu’elle percevait autour d’elle.

"Merci, l’oncle. J’dois y aller."

"Salue tes vieux d’ma part. Et vraiment, Mei, profite que t’es là pour faire le tour. Prends l’train du soir."

Mei fit une moue peu convaincue avant de tourner les talons pour se diriger vers son scooter.

"On verra bieng. En attendant, tchao l’oncle !"