D'héroïne à héroïne (kae & aiko)

La journée était belle en ce jour de septembre. On sentait encore des traces de l’été qui s’attardait dans leur belle ville, avec de jolies fleurs qui n’avaient pas encore fanées et un ciel bleu dégagé. L’ambiance était également au beau fixe au Musutafu Coffee, un joli café-restaurant sur l’allée marchande de la capitale. Ce qui le démarquait le plus de ses concurrents était l’abondance de plantes vertes et fougères en décoration. C’était également ce qui avait charmé Aiko lorsqu’elle avait posé sa candidature pour la première fois, un an auparavant. Elle n’avait alors pas eu le poste, manquant d’expérience, mais n’avait jamais oublié ce petit café presque aussi envahi par les plantes que son appartement. Elle avait toujours eu un faible pour la nature.

Aiko avait donc repostulé trois mois auparavant, cette fois-ci avec un peu plus d’expérience, et avait été prise il y avait quelques semaines, à son plus grand bonheur. Et aujourd’hui, elle était là, derrière le comptoir à pâtisserie, juste à côté de la caisse. Elles n’étaient que deux aujourd’hui, amplement suffisant pour un jour de semaine. Une collègue à temps partiel arriverait plus tard pour les aider pour le service du soir. Aiko était adossée à l’étagère derrière elle, observant avec amusement les allers-retours de Kaede. Elle travaillait à MC depuis plus longtemps qu’Aiko mais avait un certain manque pratique ; elle finissait toujours par courir partout avec un plateau trop chargé. Comment se débrouillait-elle, personne ne savait, mais ça ne manquait jamais. Un vrai mystère.

Lorsque Kaede réussit à respirer deux secondes et revenir derrière le comptoir pour décharger son plateau, elle en profta pour tourner de grands yeux suppliants vers son aînée. « Aiko, s’il te plaît, s’il te plaît, est-ce que je peux prendre le comptoir une petite demi-heure ? S’il te plaît » supplia-t-elle, à la limite de s’incliner. Son plateau de nouveau vide serré entre ses mains, Kaede portait l’uniforme typique des serveuses de café, le même qu’Aiko, une jupe noire et un chemisier blanc. Elle était également à deux doigts de la crise de nerf, si l’héroïne interprétait bien ses émotions. Avec un sourire facile, Aiko tendit la main vers elle pour qu’elle lui donne le plateau. « Les clients te martyrisent, Kaede ? » « Non » grogna sa collègue « mes pieds me tuent. » Cela fit rire son aînée qui secoua la tête en contournant le comptoir. « Rester immobile est pire » lui fit-elle remarquer avant d’agiter le plateau sous son nez « mais maintenant c’est trop tard. J’avais justement envie de bouger un peu. » Kaede s’adossa à l’étagère contre le mur avec un soupir de soulagement. « Ahh, du repos, ça fait du bien, merci ! » Aiko s’éloigna en secouant la tête, amusée par les simagrées de sa collègue. C’était sa faute pour avoir mis de nouvelles chaussures au boulot.

Elle se mit à déambuler dans la salle, prit quelques commandes et servit leurs cafés à d’autres. Sourire sur les lèvres, les quelques clients étaient presque tous des habitués, ceux-là la saluaient, chaleureusement ou avec un hochement de tête selon les caractères. Certains lui faisaient même la causette. C’était une bien meilleure ambiance que son dernier boulot. Elle avait cru qu’elle allait finir par frapper sa manager avec ses airs de diva et ses réflexions insupportables.

L’ambiance était paisible et ce fut en partie la raison pour laquelle le gros soupir de la jeune cliente qu’Aiko approchait pour la servir l’étonna autant. Eh bien, en voilà une qui avait l’air d’avoir des problèmes. Peut-être pourrait-elle aider un peu ? Au moins écouter si elle souhaitait parler, ça allégeait certaines personnes. Un sourire sympathique aux lèvres, Aiko posa sa commande sur la table. « Et voilà pour vous ! » Elle attrapa le plateau à deux mains, le tenant devant elle, mais ne s’éloigna pas. Elle pencha légèrement la tête, sa queue de cheval lui chatouillant le cou, et haussa les sourcils dans sa direction. « Est-ce que tout va bien ? C’était un gros soupir » observa-t-elle.

inspiration café/restaurant

Le sourire que lui servit la jeune fille en lui répondant avait l'air aussi tremblant que son soupir était accablé. « Oh, ça va aller. J’ai juste… fait un choix qui n’est pas sans conséquences et je réalise que je ne sais pas dans quoi je me lance… Suis-je idiote ou aveugle, le jury délibère.. » Aiko haussa les sourcils, surprise. Voilà une dure critique. Les adolescents étaient toujours si durs envers eux-mêmes, c'était presque impressionnant. Elle ravala une grimace. Elle était bien contente d'avoir vieillit tiens, même si elle commençait à se rapprocher un peu trop de la trentaine à son goût. La jeune fille continua à s'expliquer, terminant sur « [...] mais je commence à me dire que ce n’était pas ça… sauf que si ce n’est pas ça, qu’est-ce que c’est ? Et là, je n’ai pas la réponse… » continua-t-elle. Aiko acquiesça avec un « Hmm... » songeur. Elle le connaissait bien ce problème en vérité. Qui ne le connaissait pas ? C'était toujours le même problème avec les choix, on ne savait jamais si c'était le bon et si on pourrait assumer les conséquences.

Le regard d'Aiko tomba sur les livres devant l'adolescente. Ah. Une future héroïne. Une de plus. Ca la rendait folle, de savoir que « devenir un héros » attirait toujours autant de jeunes, comme si c'était une solution magique, comme si c'était la meilleure profession du monde, comme... comme s'ils étaient de vrais héros. Elle détestait ça, profondément. Mais cette fille était perdue sur son future et n'avait probablement pas envie d'avoir une leçon sur leur système profondément imparfait et injuste. Ce ferait probablement l'inverse de ce qu'Aiko voulait - c'est à dire l'aider.

« Il y a un rapport avec les livres d'héroïsme ? » l'interrogea-t-elle avec curiosité avant de secouer la tête en enchaînant. « Enfin, je ne sais pas quelles conséquences personnelles tu risques mais... » Elle haussa les épaules. « si tu as fait ton choix, tente au moins d'aller jusqu'au bout de ce que tu as décidé. On a parfois de bonnes surprises et tu sauras pas avant d'avoir réellement essayé. T'es adolescente, t'as le temps de te tromper un million de fois avant de trouver ce qui te correspond vraiment. Regarde-moi ! » s'exclama-t-elle avec un sourire en coin, en se désignant d'un geste large de la main. « J'ai un diplôme d'héroïsme et pourtant je suis serveuse dans ce joli petit restau. Se tromper est parfois le meilleur moyen de savoir ce que tu ne veux pas faire. » souligna-t-elle. Oui, parce qu'elle était un si bon exemple. Aiko espérait juste qu'elle allait pas passer par les erreurs un peu plus graves comme la drogue et le squattage. Même si aujourd'hui elle était là où elle voulait, là où elle se sentait le mieux avec elle-même dans les circonstances actuelles, le chemin pour y arriver avait été... compliqué. Elle ne recommandait pas.

Aiko chassa ces mauvaises pensées d'un clignement d'yeux. Elle n'en était plus là depuis plusieurs années à présent et elle comptait bien laisser le passé où il était : dans sa mémoire. Certainement pas dans cette conversation. « Je m'appelle Aiko au fait » se présenta-t-elle enfin. « Et toi ? »