On n'échappe pas si facilement à la toile de l'Araignée

L’incident de la fourmi n’était que le dernier en date d’une longue série, chaque nouvelle confrontation, arrestation ou perquisition permettant peu à peu au contingent chinois de faire la lumière sur les réseaux de trafics divers et variés qui prospéraient dans l’ombre de la société nippone, et dont les tentacules s’étendaient jusqu’à leur pays d’origine. Hélas, il s’agissait d’une de ces situations où l’ignorance pouvait être vue comme préférable à la connaissance : plus ils en apprenaient sur ces criminels, plus l’ampleur de la tâche qui les attendait encore avait de quoi les décourager. Le mal était profondément enraciné, et semblait se propager – ou du moins se mettre à l’abri en attendant de pouvoir ressurgir plus tard – plus vite qu’ils ne pouvaient circonscrire le problème.

Et comme une mauvaise nouvelle ne venait jamais seule, ils avaient également reçu des informations inquiétantes en provenance de Chine : une hausse de l’activité criminelle dans plusieurs villes, une reprise des hostilités à la frontière avec le Myanmar au sud et dans le Xinjiang à l’ouest, chacun de ces événements étant assorti de son propre cortège de désastres et de présages funestes… Si ces tendances se confirmaient et s’intensifiaient, cela pourrait très bien aboutir à un remaniement de leurs effectifs, ce qui, pour le personnel détaché du corps militaire comme Zhihao, pouvait signifier un retour au front, une perspective guère enthousiasmante.

En conséquence, le moral des troupes n’était pas exactement au beau fixe. Une tension palpable s’était installée dans l’atmosphère de l’agence chinoise, une sorte de calme anxieux avant la tempête qui ne disparaîtrait que pour céder la place à la résignation ou au soulagement une fois qu’ils en sauraient plus sur le sort qui les attendait. Leurs supérieurs savaient cela, mais cela ne les avait pas empêchés de décider, dans leur infinie sagesse, que leurs subordonnés avaient grand besoin de se changer les idées. Ou alors ils voulaient leur donner une dernière occasion de profiter un peu de la vie dans un pays relativement paisible avant que tout ne parte en vrille, c’était une explication tout aussi valable.

C’était pour cette raison qu’après avoir terminé son service pour la journée, Zhihao se retrouvait maintenant dans un centre commercial d’Hosu. Elle ne savait pas trop elle-même ce qu’elle cherchait, mais les affiches à l’entrée de la galerie marchande promettaient monts et merveilles aux passants, à des prix supposément imbattables. Peut-être qu’il y aurait une librairie vendant de quoi rafraîchir un peu sa bibliothèque, une boutique de composants électroniques et pièces détachées, ou même simplement un magasin proposant des ingrédients intéressants pour lui permettre de tester de nouvelles recettes.

Elle s’était mise à déambuler depuis quelques minutes à peine lorsqu’elle avisa une silhouette qui ne lui était pas inconnue. Un examen plus attentif de l’individu en question confirma qu’elle ne s’était pas trompée, même si la précaution était sans doute superflue : même dans une ville aussi peuplée que Tokyo, les driders ne devaient pas courir les rues.

« Mademoiselle Bakeryu, quelle surprise. Je ne m’attendais pas à vous recroiser de sitôt. » la salua-t-elle en arrivant finalement à proximité de l’adolescente. Elle l’aurait laissée tranquille en temps normal, sauf qu’au vu des circonstances de leur première rencontre, elle ne pouvait pas s’empêcher de se sentir tiraillée par son sens des responsabilités. La police n’avait pas voulu lui dire ce qui était arrivé à la jeune fille, arguant que cela ne la concernait plus, et elle n’allait pas contacter Yuei pour s’enquérir d’une de leurs étudiantes. C’était donc l’occasion parfaite pour savoir comment les choses s’étaient terminées pour elle.

Ah, il était vrai qu’elle ne s’était pas présentée sous son vrai nom la dernière fois qu’elle avait rencontré la jeune fille. Cela pourrait poser problème si les badauds alentour entendaient l’araignée s’adresser à elle par ce qui ne pouvait être qu’un pseudonyme en dehors du cadre professionnel. Autant rectifier la chose d’entrée, donc.

« Je ne suis pas en service, vous pouvez m’appeler par mon nom. » la corrigea-t-elle poliment. « Meng Zhihao, enchantée une fois encore. »

Cette mise au point effectuée, la militaire se rendit compte qu’elle ne connaissait pas le nom de guerre de son interlocutrice, celle-ci s’étant d’emblée présentée sous son identité civile. Une question pour plus tard, ce n’étaient ni le moment ni l’endroit pour l’interroger à ce sujet ; la chinoise ne savait même pas si la lycéenne était d’accord pour discuter de ce genre de choses en public ou non, quand bien même la façon dont Yuei exhibait ses étudiants à visages découverts lors d’événements (plus) ultra-médiatisés signifiait qu’ils pouvaient dire adieu à leur anonymat. Mais il fallait en premier lieu répondre à sa demande.

« Je vais mieux, je m’en suis tirée avec une remontrance et quelques jours de charge de travail allégée le temps de récupérer. Et vous ? Ils n’ont pas daigné m’informer de ce qu’il vous était arrivé, j’espère que vous n’avez pas eu de problèmes de votre côté ? »

Les dégâts subis par la carapace d'Hanna semblaient avoir disparu, elle devait donc bien se porter sur le plan sur le plan de la santé, comme elle l'avait annoncé elle-même. Quant à la réaction de ses professeurs et de la police... L’électrokinésiste pensait qu’on l’aurait mise au courant si les actions de l’apprentie-justicière avaient eu des conséquences sérieuses, ne serait-ce que pour la pousser à faire mieux la prochaine fois et ainsi éviter qu’une adolescente n’aie à briser les règles pour venir l’assister. Ses supérieurs avaient compris depuis longtemps que son sens des responsabilités était son point faible, et ils ne se privaient pas de s’en servir pour se livrer à ce type de manipulations.

En tout cas, cette rencontre fortuite représentait une bonne occasion pour Zhihao de se rattraper après avoir dû décliner la proposition d’Hanna. Intervention illégale ou non, la jeune fille avait sauvé des vies innocentes et permis à la chinoise de se concentrer entièrement sur son adversaire, ce qui, pourvu que la situation ait été réglée sur le plan disciplinaire, méritait bien qu’elle lui offre un coup à boire. Le commissaire politique serait fier, lui qui n’arrêtait pas d’insister pour que Zhihao se défasse de ses manières de soldat et se montre plus courtoise et sociable lors de ses interactions avec les civils.

« On dirait que nous avons l’opportunité de discuter sans être dérangées, ce coup-ci. Je vous retourne votre invitation de la dernière fois, si vous êtes toujours intéressée. À moins que vous n’ayez autre chose à faire avant ? »

Bon, Hanna n’avait apparemment pas subi de réprimande trop sévère, mais ce n’était pas non plus comme si elle s’en était tirée avec une simple tape sur les doigts ; tant mieux si tout était en règle de ce côté. La militaire fut tout de même amusée de constater que certaines choses étaient universelles, que l’on soit à l’armée ou dans une école de justiciers, en Chine ou au Japon.

« Je vois que les instructeurs sont les mêmes partout. Laissez-moi deviner, ils vous ont sorti une réplique du style « S’il vous reste assez d’énergie pour faire des bêtises, c’est qu’on ne vous fait pas assez travailler » ? C’est un grand classique, tous les fauteurs de troubles y ont droit. Et quel genre de cours supplémentaires vous font-ils suivre ? Législation héroïque, je suppose ? »

Une punition indémodable ça aussi, forcer les jeunes gens à réviser encore et encore les lois qu’ils avaient transgressées, jusqu’à l’écœurement et au-delà, jusqu’à ce qu’elles se soient incrustées si profondément dans leur psyché qu’ils en deviennent capables de les réciter dans leur sommeil. Cela n’empêchait pas toujours la récidive, ceci dit : certains instincts étaient plus forts que tout, et le fait d’être précisément au courant des infractions qu’ils commettaient ne suffisait pas à les en dissuader.

L’étudiante accepta l’invitation, et entreprit de guider Zhihao vers un établissement où elle devait déjà avoir ses habitudes. La chinoise suivit obligeamment le mouvement, se demandant dans le même temps si Hanna avait la même réaction qu’une araignée normale à la consommation de caféine et si c’était pour cela qu’elle ne buvait pas de café.

Déformation professionnelle : elle ne pouvait pas s’empêcher de s’interroger sur le fonctionnement de chaque nouvel Alter qu’elle rencontrait, d’en rechercher les points forts et faibles, et celui de la jeune fille ne faisait pas exception. Tenait-elle plus de l’arthropode ou de l’humain, dans quels domaines et dans quelles proportions ? Que donnaient les cours de sport quand on avait la morphologie d’un prédateur qui attendait en embuscade que ses proies tombent dans son piège plutôt que de les chasser et parfois de les combattre ? Autant de questions dont les réponses pouvaient différer d’un possesseur à l’autre de pouvoirs en apparence similaires, rendant toute analyse incertaine.

« Le café, j’en bois surtout pour me tenir éveillée. » répondit l’électrokinésiste alors qu’elles entraient dans l’établissement au décor rétro. Pas que le décor d’ailleurs, car les uniformes du personnel étaient au diapason, donnant aux clients l’impression d’avoir voyagé dans le temps. Enfin, c’était sans doute l’effet souhaité, mais Zhihao était incapable de juger de l’authenticité de l’atmosphère que l’endroit cherchait à recréer ; elle doutait que beaucoup de dinners américains de la grande époque aient eu autant d’employés asiatiques, cependant. Ce lieu était-il l’un de ces produits de l’américanomanie propagée par All Might ?

« Vous savez s’ils ont du thé, ou est-ce que ça ne colle pas avec leur image ? Que me conseillez-vous, sinon ? »

« Très important, l’esquive. » approuva l’héroïne lorsque la lycéenne lui exposa plus en détail le contenu de ses cours de rattrapage. La meilleure défense, c’était encore de ne pas se faire toucher du tout : on ne savait jamais quand on pouvait tomber sur un adversaire suffisamment fort pour mettre quelqu’un en pièces à mains nues, comme c’était le cas pour la fourmi, ou capable d’ignorer purement et simplement une protection conventionnelle. « Et pour ce qui est de sécuriser un bâtiment qui menace de s’effondrer, personne n’a la science infuse, c’est quelque chose qui ne peut s’apprendre que par l’expérience ou l’enseignement d’un spécialiste. »

Alors qu’elles s’asseyaient à une table libre – et avec suffisamment d’espace autour pour permettre à l’araignée d’y prendre place –, il devint évident que cette dernière avait remarqué l’attention que lui portait Zhihao. Elle ne s’en offusqua pas toutefois, pas plus qu’elle ne se méprit sur ses intentions. Cela était malheureusement arrivé plus d’une fois dans le passé, certaines personnes ayant pris ses observations pour un tout autre type d’intérêt, avec des résultats parfois gênants…

« Pardon, c’est l’habitude ; vous développerez sans doute la même avec le temps, si ce n’est pas déjà le cas. Je suis curieuse, en effet, mais cela peut attendre. Je répondrai à vos propres questions en échange, c’est de bonne guerre. »

La militaire saisit le menu que lui tendait son interlocutrice et y jeta un premier coup d’œil. Effectivement, l’image de dinner américain s’arrêtait au décor et à la tenue des employés, la carte elle-même étant un mélange éclectique de boissons et nourritures de provenances diverses : américaine bien sûr mais aussi européenne, japonaise, et même d’autres origines plus exotiques. Une chose était sûre, les clients ne pouvaient se plaindre d’une absence de choix.

« Je suppose qu’ils perdraient aussi des clients s’ils ne proposaient que la nourriture typique de ce genre de restaurant. Tout ce gras et tout ce sucre... » répliqua-t-elle en repensant aux préférences diététiques – si l’on pouvait appeler ça comme ça – des soldats états-uniens qu’elle avait eu l’occasion de rencontrer lors de certaines missions. Elle ne savait pas si tous leurs compatriotes étaient comme ça, mais ceux-là en tout cas ne faisaient aucun effort pour se rebeller contre les stéréotypes alimentaires. Ou peut-être qu’ils se comportaient délibérément comme des clichés ambulants pour se moquer de leurs homologues d’autres pays, qui sait.

« Je n’ai pas dit que je voulais forcément prendre un thé, juste que je préférais ça au café. S’il y a autre chose qui vaut le détour selon vous, je suis prête à essayer. Pareil pour la nourriture. »

Les conseils d’Hanna pourraient l’aider à surmonter son indécision, parce qu’il y avait presque trop de choix, et elle ne savait que prendre. Autant s’en remettre à quelqu’un de plus expérimenté, donc. Maintenant qu’elle y pensait, Zhihao s’interrogeait sur les habitudes alimentaires de l’araignée ; est-ce qu’elle avait besoin de suivre un régime spécifique ?

« Les cours de communication viendront. J’imagine que vos professeurs ne s’attendent pas à ce qu’une élève de première année ait besoin de ce genre de connaissances. » compatit l’électrokinésiste. Il y aurait peut-être du changement en la matière ceci dit, si les troubles actuels se prolongeaient, augmentant les risques que les apprentis les plus jeunes se retrouvent forcés d’intervenir comme Hanna l’avait fait. Zhihao ne le lui souhaitait pas : ce n’était souvent qu’une fois la paix perdue que les gens se rendaient compte d’à quel point le fait de pouvoir prendre son temps était une bénédiction.

Elle continua d’écouter ce que l’adolescente lui racontait au sujet de son Alter tout en parcourant le menu du regard. Comme quoi, elles étaient plus semblables qu’on pourrait le croire, quand bien même la mutation de la chinoise n’était pas aussi visible.

« Un moment, à l’accepter, hein ? Cela nous fait un point commun. » dit-elle, même si leurs situations n’étaient pas tout à fait identiques. Dans le cas d’Hanna, le problème venait probablement en partie de son apparence et de la peur instinctive qu’elle inspirait, en plus de sa capacité à faire du mal aux autres. Pour Zhihao par contre, c’était à la fois dû au danger qu’elle représentait et à la peur que sa mutation ne se retourne contre elle, comme cela était arrivé à ses parents.

Plutôt que de s’attarder davantage là-dessus, elle se remit à parler : « Quant à mieux connaître vos capacités… nous avions parlé de faire analyser votre venin par un toxicologue la dernière fois, mais avez-vous déjà été examinée par un arachnologue ? Beaucoup d’hétéromorphes n’héritent pas des traits d’une unique espèce vivante mais de plusieurs espèces d’une même famille, il y a donc peu de chances de trouver une correspondance parfaite avec une araignée particulière, toutefois il pourrait remarquer certaines caractéristiques qui vous informeraient sur les possibilités de développement de votre Alter. Peut-être faudrait-il également tester votre soie, si ce n’est pas déjà fait : ses propriétés mécaniques, chimiques… au moins vous produisez de quoi créer votre propre costume, cela doit vous faire économiser de l’argent. »

Excellent matériau, la soie. Un cauchemar pour la militaire au cas où l’un de ses adversaires s’en servirait contre elle, mais il fallait considérer cela comme une preuve supplémentaire de qualité. Et il s’agissait très certainement de l’origine de cet appétit pour la viande que la jeune fille lui avoua tout en lui faisait part de ses suggestions. Un appétit qu’il serait mal avisé de contrarier : Zhihao se rappelait avoir lu quelque part que nombre de médecins spécialistes de la question théorisaient que certains Alters défectueux ne l’étaient pas seulement du fait de facteurs génétiques, mais aussi d’apports nutritionnels inadaptés à leurs besoins spécifiques, ce qui les empêchait de se développer correctement. Les conséquences ne seraient peut-être pas si extrêmes dans le cas de l’araignée, mais mieux valait la laisser se fier à ses instincts.

« Je vois ce que vous voulez dire, il doit en falloir des protéines pour vous permettre de tisser. En parlant de milk-shakes, il y a des possesseurs d’Alters similaires au vôtre qui carburent aux boissons hyper-protéinées pour body-builders. Je préfère la farine d’insectes pour faire le plein, personnellement. »

Elle se fustigea mentalement après s’être tue. Ce n’était pas une conversation sociale qu’elles étaient en train d’avoir, c’était un entretien entre une nouvelle recrue et son instructeur chargé du développement des pouvoirs ! Pourquoi fallait-il qu’elle ait tant de mal à se sortir le travail de la tête ?

Légèrement honteuse, elle se concentra de nouveau sur la carte en se remémorant les commentaires de la lycéenne, et arrêta finalement son choix.

« Bon, je vais tenter le brownie et la limonade. »

Hanna écoutait attentivement l'héroïne, prenant en compte ses conseils et commentaires.


- Je n'ai pas vraiment pris le temps de faire des recherches sur mon alter, mais vous avez raison, je devrais faire examiner tout ça, pour être honnête avec vous, je ne pensais vraiment pas réussir les tests d'entrée de Yuei, donc je ne me pressais pas de me renseigner sur mon alter, mais maintenant j'ai envie de tout savoir le plus vite possible, j’essaierais de contacter des spécialistes pour m'en apprendre plus rapidement.

Et puis, je vais relativement voir de la famille en France, je me renseignerai pour voir s'il n'y a pas une héroïne avec un alter similaire au mien.


L'étudiante mit sa main devants elle, paume vers le haut, de fins fils de toiles sortaient des pores de sa peau et s'assemblaient pour former la toile qu'elle utilisait.

-J'en fournis à la filière assistance régulièrement, pour mon costume et pour d'autres.

De temps à autres j'en vend en ligne pour me faire de l'argent de poche.

Je pense être une bonne tisseuse et couturière, mais certaines personnes m'ont envoyé ce qu'elles ont fait avec, c'est tout bonnement sublime.

Enfin bref, mon costume devrait être bientôt prêt si j'ai bien compris, j'ai bien pris en note vos conseils et j'ai demandé une arbalète rétractile au poignet, pour de futures fléchettes de poison.

Elle acquiesça quand madame Lodestone évoqua les régimes alimentaires liées à certain alter.


-J'en utilise aussi en cuisine parfois de la farine d'insectes, mais ça marche moins bien que la viande pour moi.


L'araignée acquiesça une nouvelle fois quand elle précisa son choix et appela une serveuse pour passer la commande.


-Si ce n'est pas indiscret, comment avez-vous décidez de devenir héroïne ?

Zhihao acquiesça tandis qu’Hanna lui faisait part de ses projets et de son intention de parvenir à une meilleure compréhension de ses facultés. La connaissance, c’est le pouvoir : le dicton était peut-être cliché, mais il n’en était pas moins vrai. La militaire n’avait peut-être pas eu à lire autant de livres que certains de ses condisciples, mais c’était surtout parce qu’elle avait déjà étudié les propriétés de l’électricité et du magnétisme du fait de son intérêt pour les machines. Poussée par les craintes héritées de ses parents, elle n’avait pas non plus attendu de se lancer dans sa carrière actuelle pour se pencher sur la physiologie de l’animal à partir duquel son Alter était modelé. C’était quelque chose de très important pour un hétéromorphe, surtout quand il s’agissait de découvrir les domaines où leur corps ne marchait pas comme celui de la créature qui leur prêtait ses facultés, ces petites boîtes noires où l’Alter s’arrangeait avec les lois de la biologie et de la physique pour produire quelque chose de fonctionnel en faisant taire toutes ces incompatibilités qui devraient normalement résulter de la fusion contre-nature de deux lignées évolutives disparates.

« Pourquoi spécifiquement une héroïne, et pourquoi en France ? » interrogea la chinoise quand l’araignée parla de se trouver un mentor, ou peut-être un modèle. Difficile de croire qu’il n’y avait personne au Japon pour jouer ce rôle, et qu’il soit préférable de faire des milliers de kilomètres pour prendre des leçons auprès d’une personne qui n’aurait sans doute pas beaucoup de temps à lui consacrer avant qu’il ne faille revenir au pays du soleil levant. Quant à l’autre question… d’accord, il valait mieux être entraîné par quelqu’un du même genre si possible, c’était plus facile d’apprendre les leçons liées à la présentation, et les Alters n’avaient pas totalement aboli la différence dans la façon dont se battaient les hommes et les femmes. Néanmoins, lorsqu’on cherchait quelqu’un avec le même pouvoir que soi, il n’y avait pas toujours le choix.

Zhihao écouta ensuite l’adolescente lui parler de ce que d’autres faisaient du fruit de sa mutation, prouvant par la même occasion qu’elle était consciente de son potentiel au-delà du travail de terrain et qu’elle avait le sens des affaires. Très bon choix d’équipement, également : peu encombrant, discret, relativement simple d’utilisation et efficace pour ceux qui savaient s’en servir. La discussion s’interrompit le temps de passer leur commande respective auprès de la serveuse qui était apparue comme par magie quelques instants à peine après qu’Hanna l’ait appelée, puis ce fut de nouveau au tour de l’électrokinésiste de devoir répondre à une question, sur ce qui l’avait motivée à se lancer en tant que justicière, cette fois.

« Je suis devenue auxiliaire spéciale de la force publique pour les mêmes raisons que je me suis engagée en tant que soldat : me rendre utile, aider à maintenir l’ordre, perpétuer une tradition familiale. Ça, plus la paie et les chances de promotion supplémentaires quand ma hiérarchie m’a proposé cette réorientation. La diminution du niveau de danger est également appréciable. Et vous ? Vous m’avez dit ne pas vous être préparée autant que vos camarades, j’en déduis qu’il s’agit d’une décision récente ? »