Courant Alternatif / Courant Continu [PV Zhihao]

« Mais pourquoi moi, monsieur ? »

« Je n’en ai aucune idée lieutenant, nos estimés collègues de la CSPH n’ont pas daigné nous faire part du raisonnement de la commanditaire. Qui sait ce qui passe par la tête des politiciens... »

Zhihao ne put qu’acquiescer silencieusement tout en tournant les pages du dossier que son supérieur venait de lui remettre. Cette demande incongrue arrivait à la fin d’une semaine chargée : plusieurs de ses compatriotes ayant été blessés au cours d’une opération qui avait mal tourné, le reste du personnel de l’agence avait dû mettre les bouchées doubles afin que le travail soit fait en dépit du sous-effectif. La chinoise avait ainsi apporté son concours à des descentes de police avec perquisitions, des arrestations musclées, des filatures, des patrouilles, des interventions de pompiers et secouristes, et même une course-poursuite en voiture, le tout en n’oubliant pas de maintenir et réparer son propre équipement et celui de ses congénères. Et maintenant, voilà qu’on lui demandait de servir de garde du corps à une candidate au titre de gouverneur de Tokyo. Que venait-elle faire à Yokohama, et pourquoi avoir recours à des héros étrangers plutôt qu’aux justiciers locaux qui se feraient sûrement un plaisir de l’escorter ? Mystère.

Enfin, au moins cela ne devrait pas être aussi frustrant que la dernière fois qu’on l’avait envoyée servir de baby-sitter à une VIP. Trois jours de misère absolue à protéger une riche héritière américaine en goguette, dotée d’un QI de bulot, d’une mémoire de poisson rouge et d’un instinct de survie de lemming. Dépressif, le lemming. C’était comme si le but ultime de la jeune femme était d’obtenir une place au sommet du panthéon des lauréats du Darwin Award ; pas étonnant que ses gardes du corps habituels démissionnent aussi souvent.

Fort heureusement, constata-t-elle en continuant de lire le dossier tout en s’en retournant à son atelier, Hanazawa Ryou ne semblait rien avoir d’une bécasse – au premier abord, du moins. Au-delà de la curieuse coïncidence que représentait son Alter, étonnamment similaire à celui du propre père de l’héroïne, son CV peignait le portrait d’une femme compétente, intelligente, déterminée et certainement ambitieuse. L’examen de ses positions politiques, vital pour déterminer le type d’ennemis qui pourraient vouloir s’en prendre à elle, révéla un programme que l’électrokinésiste approuvait pleinement : malgré l’importance du travail des héros, ils ne représentaient au mieux qu’une mesure palliative qui ne faisait que combattre les symptômes d’un mal plus profond. Là où tant de ses collègues brandissaient les succès de ces champions comme preuve qu’il n’y avait pas besoin de changer quoi que ce soit au statu quo, Hanazawa voulait s’attaquer à la racine du problème. L’un dans l’autre et pourvu qu’il ne s’agisse pas que de simples effets de manches pour se faire élire, Zhihao ne voyait aucun problème à se plier à la requête. Oh, elle l’aurait fait même sans cela,ce n’était pas comme si elle avait le choix après tout, mais il était toujours plus agréable de défendre des gens qui en valaient la peine.


La demande étant arrivée une journée à peine avant la politicienne elle-même, la militaire avait été obligée de se dépêcher pour assimiler toutes les informations relatives à sa nouvelle mission tout en s’assurant que son armure soit opérationnelle à 100 %. Elle ne savait pas si la commanditaire la laisserait utiliser l’intégralité de son matériel ou si elle préférerait que Zhihao adopte un look plus télégénique – l’aspect esthétique n’étant qu’une préoccupation secondaire pour les concepteurs des exosquelettes employés par nombre d’ASFP chinois, et lorsqu’ils s’intéressaient à l’apparence de leurs créations, ils cherchaient généralement à les rendre plus intimidantes – mais il valait mieux être préparée à toutes les éventualités.

Puis vint enfin le moment fatidique, celui de rencontrer la personne qu’elle devrait protéger. Bizarrement, Hanazawa avait choisi de se rendre elle-même à l’agence au lieu de laisser sa garde du corps venir à elle. Alors qu’elle attendait que la candidate passe la batterie d’inspections à laquelle devaient se plier tous ceux qui entraient dans le bâtiment, Zhihao se demanda distraitement ce qu’elle penserait de leurs locaux. Ils n’avaient pas eu beaucoup de visiteurs jusqu’ici, ce qui était compréhensible quand leur agence était à peu près aussi avenante qu’une prison supermax : no man’s land aménagé autour de l’édifice, barrières pour arrêter les véhicules-bélier, murs renforcés pour résister à des frappes d’artillerie légère, vitres pare-balles et anti-explosions, sas de sécurité, portes blindées, scanners et détecteurs à n’en plus finir… Autant de mesures défensives qui avaient donné lieu à un véritable cauchemar administratif lorsqu’il avait fallu obtenir les permis nécessaires à leur mise en place et qui, si elles semblaient sans doute excessives du point de vue des autochtones, restaient insuffisantes aux yeux des occupants de l’édifice. Hélas, il ne fallait pas s’attendre à ce que les autorités locales leur permettent d’installer de tourelles armées ou autres mines antipersonnel…

« Bienvenue à l’agence Red Star, madame Hanazawa. » fit son supérieur en s’inclinant légèrement devant la jeune femme qui émergeait enfin du sas, son équipe à sa suite. « Veuillez nous excuser pour le désagrément, cependant notre hiérarchie est très pointilleuse en matière de sécurité. Comme demandé, je vous présente votre garde du corps. Je ne vous importunerai pas plus longtemps, je vous laisse faire connaissance. »

Ayant dit ce qu’il avait à dire, l’homme tourna les talons et s’en alla vaquer à d’autres occupations. Son casque sous le bras, Zhihao prit sa place afin de saluer la commanditaire avec le niveau de déférence approprié.

« Lieutenant Meng Zhihao, pseudonyme Lodestone. Enchantée de vous rencontrer, je vous remercie de votre confiance. » fit-elle avant de s’interrompre, laissant un temps aux membres de l’équipe d’Hanazawa de se présenter s’ils le souhaitaient. Puis : « Voulez-vous que je vous conduise à une salle de réunion ? »

Il ne leur fallut pas longtemps pour arriver dans une pièce où elles pourraient discuter… bon, pas en privé, le bâtiment comptait beaucoup trop de caméras pour cela, mais en tout cas sans être dérangées. Non que le recours à une salle de réunion soit bien nécessaire : les parties de l’agence accessibles aux visiteurs étaient strictement séparées de celles réservées au personnel, et les premières étaient désertes quasiment en permanence. Les japonais avec lesquels collaborait le contingent chinois préféraient généralement faire venir les étrangers à eux plutôt que l’inverse, et entre le cadre spartiate, avec son mobilier qui pourrait servir de barricades en cas de fusillade, et le poids des mesures de sécurité auxquels ils devaient se plier, les rares visiteurs avaient tendance à ne pas revenir s’ils pouvaient l’éviter. En fait, Zhihao ne serait pas étonnée d’apprendre qu’il était possible de compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où des gens s’étaient installés autour de cette table de conférence au milieu d’une pièce sans fenêtre.

La chinoise prit place la dernière, après avoir composé le code pour déverrouiller la porte et avoir laissé passer chacun de ses « invités ». Ceci fait, elle entra dans le vif du sujet, puisque la commanditaire ne souhaitait pas s’attarder inutilement ici :

« Si vous voulez bien m'excuser, avant de vous écouter, je dois vous demander si ces détails dont vous parlez incluent la raison pour laquelle vous avez décidé d’avoir recours à nos services. Comprenez que ce choix nous interpelle, dans la mesure où nous ne pensons pas être plus qualifiés que les héros locaux pour vous protéger et où ce sont plutôt vos adversaires politiques qui ont coutume de s’afficher en compagnie de justiciers dont les méthodes se rapprochent des nôtres. »

La militaire était bien sûr habituée à respecter les principes de la sécurité opérationnelle : un soldat ne pouvait révéler à l’ennemi ce qu’il ignorait lui-même, ce pourquoi il ne devait être mis au courant que des informations indispensables pour lui permettre de faire son travail, sans plus. La situation actuelle représentait toutefois une exception, du fait des conséquences que cette mission pourrait avoir en fonction des intentions d’Hanazawa : même si Zhihao était d’accord avec son programme, elle n’en restait pas moins une politicienne, avec tout ce que cela impliquait. Or, les instructions de Beijing étaient très claires : présence au Japon due à un bras de fer diplomatique ou non, les héros chinois n’avaient pas vocation à servir de pions sur l’échiquier politique local.

« J’aurais également besoin d’une information que la CSPH semble avoir omise du dossier qui nous a été communiqué : comment réagissez-vous à la proximité de champs électromagnétiques puissants – en d’autres termes, mon Alter risque-t-il d’interférer négativement avec le vôtre ? »

Ce n’était pas le seul élément qui manquait au document en question, qu’elle trouvait pour tout dire un peu léger. Elle avait ses soupçons quant aux raisons de cet état de fait, mais aucune preuve pour l’instant...

Zhihao était sceptique. À première vue, l’explication d’Hanazawa se tenait, mais en y regardant de plus près, il y avait de quoi se poser des questions. Tout d’abord, si le but n’était pas de s’afficher en public, pourquoi employer une héroïne ? Si un justicier assermenté pouvait occasionnellement servir de garde du corps, cela n’était généralement pas sa vocation première, et il valait mieux embaucher des individus dont c’était véritablement le métier – et qui disposaient parfois eux-mêmes de licences les autorisant à utiliser leur Alter. La présence d’un héros n’apportait de réelle plus-value qu’en termes de cachet, ou éventuellement lorsque ce dernier disposait d’aptitudes particulières, or aucun de ces deux scénarios n’était applicable ici.

Deuxièmement, la politicienne ne livrait pas la description la plus flatteuse des héros japonais. À l’entendre, on aurait presque pu penser qu’ils se comportaient comme de vulgaires influenceurs accros à l’objectif. À moins qu’il ne soit vraiment question du fond du panier, la chinoise avait du mal à croire qu’ils puissent faire preuve d’un tel manque de professionnalisme.

Enfin, qu’importe ce qu’elle en pensait, la mission avait déjà été acceptée. Et si Hanazawa voulait une protectrice qui fasse de son mieux pour ne pas apparaître à l’écran, Zhihao n’aurait qu’à traiter la caméra comme un fusil pointé dans sa direction, elle avait l’habitude.

« Je n’irais pas jusqu’à parler de je-m’en-foutisme, mais je vois ce que vous voulez dire. » réagit-elle à la fin du petit discours de la japonaise. Effectivement, le contingent chinois ne courait pas après la popularité dans l’œil d’un public étranger. Toutefois, s’ils n’étaient pas là pour se faire aimer, ils n’étaient pas là non plus pour se faire détester : après tout le gouvernement nippon ne les avait pas accueillis de gaieté de cœur et saisirait sûrement le moindre prétexte pour les renvoyer chez eux.

« Merci de ces précisions concernant votre Alter. Quand nous n’avons pas l’assurance explicite d’une absence de problème, nous préférons nous montrer prudents avec les physiologies non-standard. » s’excusa-t-elle ensuite. La mutation de la politicienne n’était peut-être pas susceptible à ce type d’influences, cependant il n’en était pas de même pour d’autres personnes dotées de capacités semblables, mais au fonctionnement différent.

« Pour ce qui est de travailler à nouveau ensemble, cela ne dépend pas de moi. Voyons déjà pour ces visites : y a-t-il des menaces ou problèmes particuliers dont je devrais avoir conscience ? »

Elle ponctua sa réplique en feuilletant le dossier de son interlocutrice, l’ouvrant à la page de ses ennemis connus, qu’elle avait agrémentée de ses propres notes et rajouts. Encore une fois, même si elle avait fait ses devoirs, la CSPH n’avait pas inclus énormément d’informations utiles. C’en était au point où le supérieur de la militaire s’était demandé si cela n’était pas fait exprès, une forme de sabotage pour faire passer les chinois pour des incompétents.

Pas de menace particulière, donc, ce qui revenait à dire qu’il fallait qu’elle soit prête à tout. Soit, cela n’avait rien d’inhabituel, cependant la militaire trouvait que son interlocutrice traitait la question de sa propre sécurité de façon un peu cavalière. Il n’y avait plus qu’à espérer que ce désintérêt apparent ne soit que la marque d’une personnalité qui préférait laisser ce genre de préoccupations aux professionnels pour se concentrer sur autre chose ou n’avait simplement pas encore pris conscience de l’importance de leur présence, plutôt que d’un de ces individus qui s’en contrefichaient totalement et avaient tendance à ignorer leurs gardes.

Vint ensuite la question du déroulement de la journée, pour laquelle Zhihao redoubla d’attention, car si elle savait déjà sur quelle tranche horaire elle devait accompagner Hanazawa, elle n’avait par contre pas été mise au courant de ce que cette dernière comptait faire pendant ce temps – encore un déficit de communication. Bref, trois lieux, trois situations différentes, chacune avec ses propres risques. De bons choix du point de vue d’une campagne politique, mais la vigilance de l’électrokinésiste serait mise à l’épreuve. Il ne lui fallut pas longtemps pour effectuer une évaluation préliminaire et livrer ses conclusions à la commanditaire :

« La caserne de pompiers devrait être l’étape la plus sûre, relativement parlant. » commença-t-elle. Relativement, car le risque zéro n’existait pas, toutefois si l’on écartait les attaques visant spécifiquement la politicienne, ce type d’endroits était rarement pris pour cible par les criminels, sauf bien sûr lorsqu’ils voulaient empêcher les soldats du feu de porter secours aux victimes d’une autre attaque. Des opérations d’une telle envergure étaient heureusement rares, car nécessitant des effectifs conséquents ainsi qu’un haut niveau de coordination en plus de garantir des représailles massives de la part des forces de l’ordre.

« Le poste de police est plus risqué, mais cela est en partie compensé par la présence des policiers eux-mêmes. Peu de criminels cherchent à s’en prendre directement et délibérément à la police. »

Ce qui ne voulait pas dire qu’il n’y en avait pas : ceux qui osaient étaient les plus ambitieux et/ou les plus stupides du lot, l’un n’excluant pas l’autre. La chinoise avait tendance à considérer les idiots comme plus dangereux encore que ceux qui avaient les moyens de leurs ambitions, du fait de leur imprévisibilité.

« C’est l’agence d’aide à l’emploi qui m’inquiète le plus. » euphémisa-t-elle ensuite, car les situations de ce type étaient de véritables cauchemars pour une héroïne chinoise. « C’est un endroit moins sécurisé, où vous serez à proximité de dizaines d’inconnus. Je suppose qu’il n’y aura pas de contrôles à l’entrée et que l’accès ne sera pas réservé à une liste d’invités pré-approuvés que vous pouvez me transmettre ? »

Question sans doute inutile puisque de telles précautions iraient à l’encontre du but de la visite, qui était de prendre la température de l’opinion publique. Autant se préparer à être sur les nerfs du début à la fin : elle connaissait les statistiques, elle savait que beaucoup de vilains étaient de jeunes gens marginalisés par la société, ce qui incluait l’incapacité à trouver ou garder un emploi, dont le ressentiment s’accumulait jusqu’à un jour exploser. Pour ces criminels-là, les lieux représentant le système qui avait échoué à les aider étaient des cibles privilégiées.

Bien sûr, son évaluation pouvait tout à fait être fausse : Murphy avait souvent ses propres plans, après tout. Et ce n’était pas comme si les risques n’existaient qu’aux endroits à visiter, ils étaient tout aussi présents sur les trajets intermédiaires, et ce dès l’instant où leur groupe mettrait le nez hors de l’agence chinoise, jusqu’à celui où Hanazawa prendrait congé et déclarerait la mission terminée.

« Très bien, s’il n’y a rien de plus à ajouter, je pense que nous pouvons y aller ? » acheva la militaire en reprenant son casque.

Son hypothèse sur l’organisation de la visite de l’agence pour l’emploi fut confirmée, tout comme le fait que le briefing était à présent achevé. Elle se leva donc en même temps que le reste du groupe, et en prit la tête pour les amener tous à la sortie. Les divers scans et inspections auxquels ils eurent droit en passant dans le sas de sécurité prirent moins de temps que lors de leur entrée dans le bâtiment, mais les retinrent tout de même quelques minutes : il fallait bien cela pour vérifier qu’ils n’avaient rien pris ou au contraire laissé derrière eux. Croyant sans doute qu’elle ne pouvait pas l’entendre, le caméraman grommela dans sa barbe que de telles mesures étaient absolument excessives, vu le peu de temps passé à l’intérieur ainsi que le fait qu’ils n’étaient pas sortis de la partie réservée aux visiteurs. Au lieu de le rabrouer, la militaire préféra répondre à l’évocation du moyen de transport qui serait le leur :

« Excellent. » approuva-t-elle. « Cela serait encore mieux s’il s’agissait d’une voiture blindée, mais j’imagine qu’il vous faudra attendre d’être élue pour bénéficier de ce type d’avantages. »

De tels engins n’étant pas donnés, il était peu probable qu’une simple candidate puisse faire avaler une dépense aussi importante à ses financeurs ; pas sans une menace confirmée à son encontre du moins, ce qui ne semblait pas être le cas ici. Un véhicule banalisé était en tout cas un net progrès par-rapport à sa dernière mission d’escorte, lors de laquelle la VIP qu’elle était censée protéger insistait pour se déplacer uniquement en limousine ou en voiture de sport décapotable, deux choix tout sauf discrets – et extrêmement dangereux dans le cas de la décapotable, qui aurait permis au premier sniper venu de viser sans peine la VIP.

Un signal sonore retentit, indiquant qu’elle avait reçu le feu vert du système. Zhihao put donc enfin enfiler son casque et pressuriser sa combinaison ; paradoxalement, cela lui permit de respirer plus aisément, maintenant que sa protection était complète.

« Merci de votre patience et de votre coopération. » fit-elle en reprenant les devants pour enfin quitter l’agence. Elle inspecta d’abord la rue avant de laisser les autres sortir et se positionna de façon à faire obstacle à un éventuel tireur embusqué visant la japonaise. Elle prenait son travail au sérieux, même si cette précaution était sans doute superflue à ce stade : en effet, le contingent chinois avait fait clandestinement l’acquisition de plusieurs locaux dans les immeubles environnants afin de mieux garder un œil sur les abords de leur forteresse. Ils étaient quasiment sûrs que des agents du contre-espionnage nippon en avaient fait de même, mais avaient pour consigne de ne surtout pas montrer qu’ils avaient remarqué quoi que ce soit.

Ils arrivèrent rapidement à la voiture préparée par Hanazawa et son équipe. Là encore, Zhihao ne les laissa pas monter avant d’avoir examiné le véhicule sous toutes les coutures, sixième sens à l’appui, à la recherche d’une bombe, d’un mouchard ou de n’importe quelle autre mauvaise surprise. De tels « cadeaux » pouvaient assez facilement être placés là sans même avoir à s’approcher de l’automobile, par télékinésie par exemple, ce qui rendrait également la manœuvre moins visible aux yeux des observateurs surveillant les alentours.

« Rien à signaler. » conclut-elle à la fin de son contrôle, permettant au groupe – dont un caméraman de plus en plus impatient – d’embarquer. La chinoise fut la dernière à prendre place, juste à côté d’Hanazawa – parée à l’extraire du véhicule si besoin –, et ils se mirent finalement en route.

La chinoise ne pouvait que souhaiter à Hanazawa de voir ses ambitions politiques se concrétiser, et pas seulement parce qu’elle serait ainsi mieux protégée – cela ne ferait que compenser le danger plus important qui pèserait alors sur elle, de toute façon –, mais n’en pipa mot. Il ne faudrait pas qu’elle dise quoi que ce soit qui puisse être interprété comme une preuve que la Chine s’ingérait dans la politique nippone en soutenant tel ou tel parti.

Elle ne releva pas ce que la VIP avait dit au sujet du recours habituel à des héros comme gardes du corps, toujours aussi incompréhensible pour elle, et s’attela plutôt à répondre aux questions concernant son travail. Elle n’y voyait aucun problème, du moment que cela ne l’empêchait pas de rester à l’affût.

« Ces précautions sont effectivement moins indispensables dans ce pays, sans pour autant être totalement dénuées d’intérêt. Certains de mes collègues les trouvent toujours très utiles ; tout dépend des missions auxquelles nous sommes affectés. Pour trois d’entre eux en particulier, elles ont fait la différence entre un séjour à l’hôpital et un aller simple pour le cimetière… même si je ne sais pas si vous considérerez que cela compte, puisqu’ils étaient à Chinatown à ce moment-là. »

Un quartier de Yokohama que le personnel de l’agence Red Star s’était gardé d’approcher aussi longtemps que possible, jusqu’à ce que les résultats de leurs investigations confirment qu’ils n’y couperaient pas. Le résultat avait été éminemment prévisible : si la population de l’endroit avait fortement décliné au début du vingt-et-unième siècle, elle avait depuis beaucoup augmenté. L’ennui, c’était qu’une bonne partie de ces immigrés avaient fui le régime de Beijing et n’étaient pas exactement heureux de voir les laquais dudit régime s’inviter chez eux après avoir traversé la mer. Leur réponse n’avait pas tardé, et il était impossible de se méprendre quant à sa signification.

Revenant à des préoccupations plus immédiates, l’électrokinésiste réagit à la deuxième partie du propos de la politicienne : « Pour ce qui est de vos criminels, je ne doute pas que la majorité sont tels que vous les décrivez, des gens instables qui se déchaînent soudain, sans raison ou presque. Toutefois, qu’en est-il de vos extrémistes politiques ou fanatiques religieux ? N’avez-vous jamais eu d’adversaire politique dont la rhétorique incendiaire vise à persuader l’électorat que vous ne soutenez pas suffisamment les héros et que vous êtes de mèche avec les criminels ? Pas de menaces de mort de la part de gens qui pensent qu’une femme ne devrait pas se mêler de politique ? Pas d’admirateurs un peu trop collants qui pourraient mal prendre le fait que vous ne leur donnez pas l’attention qu’ils croient mériter ? »

Autant de catégories qui pourraient se muer en tueurs plus prompts à préméditer leurs actes que les délinquants lambda – ce qui ne voulait pas dire qu’ils n’étaient pas des déséquilibrés. Alors oui, les extrémistes biberonnés à la propagande et aux théories du complot étaient plutôt un phénomène américain, mais ils n’étaient pas non plus totalement inconnus au Japon. L’un de leurs anciens Premiers Ministres n’avait-il pas été assassiné par un de ces individus, d’ailleurs ?

Tout cela pour dire que ce n’étaient pas les menaces potentielles qui manquaient, et qu’il valait donc mieux être trop prudente que pas assez. Ces choses-là n’arrivaient qu’aux autres, jusqu’au jour où ce n’était plus le cas : il y avait une première fois pour tout, et Zhihao préférerait que sa « cliente » n’entre pas dans les livres d’Histoire de cette manière.