Sans Jugement [Feat. Kae]

… Il n’était que mercredi mais cela serait mentir de dire que ça fasse une quelconque différence pour Dai Lu. En semaine ou en weekend, son planning était chargé. Les cours, les entrainements personnels, les cours extra scolaire avec Zhihao … Sa vie était devenue chargée, maintenant qu’elle commençait sa première année à Yuei mais c’était exactement le même avant ça. Replaçons juste les cours d’héroïsme par des sessions intensif d’entrainement de Kung Fu et ça devient du pareille au même.

Les cours étaient finis depuis quelques heures et Dai Lu s’autorisait un écart à son planning habituel d’aller pratiquer ses arts martiaux pour … Pour sa santé mentale en fait. L’héritière chinoise avait beaucoup de poids sur les épaules et quand bien même elle était déterminée à devenir un grand héro pour … Ultimement venger sa sœur, elle devait décompresser parfois. Son seul moyen de faire ça sans sentir trop de culpabilité, c’était de prendre sa caméra et de prendre des photos de ce qu’elle pourrait trouver … Beau ? Mignon ? Cool ? Un peu de tout. Elle ne le réalisait pas complètement mais la photographie était quelque chose qui l’inspirait réellement. Une manière simple et accessible de créer, une forme d’art, d’autant plus lorsqu’on s’intéresse un peu à la photographie et la composition et qu’on ne passe pas son temps à faire des selfies.

Elle se justifiait ça à elle-même en se disant qu’elle irait dans des endroits impossible, difficile d’accès, « s’entrainant » pour son certificat d’héro et en profitant en même temps pour prendre sa caméra avec. C’est donc ce qu’elle fit.
Le soleil n’était pas encore complètement couché et Dai Lu était en train de déambuler autour des dortoirs de Yuei. Au début, elle observait juste … Aux aguets s’il n’y avait pas un oiseau quelque part, un simple animal… Une lueur entre les arbres, quelque chose qui sort un peu de l’ordinaire. Elle n’avait pas vraiment honte d’afficher sa « passion », son stoïcisme la sortirait toujours d’une situation embarrassante de toute façon …
Après un moment, sa chasse aux images que peu fructueuse, elle décida de grimper à un arbre. Au moins, voir le campus depuis le haut de cet imense géant vert lui apportera une certaine satisfaction, même si la lumière décline un peu. Qui sait, peut-être que ça justifiera un autre passage sur cet arbre quand il fera plein soleil.

Elle grimpa donc sans grande difficulté. Entre ses entrainements de Kung-Fu qui ont développer son agilité et son alter lui permettant de créer des anneaux, elle avait pas mal d’outils pour arriver à ses fins. Perchée proche du sommet, elle commença à prendre quelques photos ici et là. Oui, c’était beau. C’était grandiose. C’était la prestigieuse académie de Yuei. Elle avait du plaisir à voir les clichés qu’elle avait prit sur son appareille mais une fois chose faite, elle ne redescendit pas tout de suite. Au loin, elle voyait des jeunes discuter, d’autres jouer au foot … Quelques profs ici et là, en surveillance ou qui sont sortit tard de classe. Un instant paisible … Qui ne lui allait pas vraiment.

Méditer. C’est une chose qu’elle n’aimait pas faire et pourtant, être ici, en haut de cet arbre, au sommet de son monde actuel … Cela s’y prêtait. Mais elle détestait ça car lorsque le silence est présent, lorsque rien ne stimule son esprit, celui-ci divague et se balade dans les recoins les moins joyeux de son cerveau.

Encore et toujours, elle revoyait sa sœur. Elle l’imaginait … Ici, perchée sur cette branche, à ses cotés. Son sourire nonchalant, son attitude détachée … Ou même avec une bouteille à la main. Même pas 15 ans qu’elle chipait des bouteilles d’alcool dans le bar de leurs riche parents. La décadence, un peu mais … C’était sa sœur. Le seul visage réellement amicale qu’elle connaissait.
Un coup de blues que trop récurent passa sur elle. Elle se reposait encore et encore les mêmes questions. Pourquoi elle était ici ? Avait-elle raison de le faire ? Est-ce que ses parents en ont vraiment quelque chose à foutre ? Si jeune et la chinoise était déjà … Nostalgique.

C’est cette nostalgie qui lui couta une chute cependant. Elle voulu descendre et chasser ces mauvaises pensées. Faire quelque chose pour s’occuper l’esprit mais se faisant, elle fit trop confiance à son entrainement, à son agilité naturelle et glissa d’une branche. Bien entendu, elle eut une belle frayeur et tout se passa très vite. Elle sentit le « crac » d’une branche qui céda sur son dos, lui décrochant un souffle un peu douloureux avant que … Miraculeusement, sa veste faite de tissu et de cuir assez épais s’accroche à une branche, résiste au poids plume de la jeune femme et sa chute ne se termina pas au sol avec une possible fracture mais suspendue à une branche.

Devant elle ? Un dortoir. Enfin, la fenêtre d’un dortoir. L’arbre était très proche du sien et elle était suspendue par l’arrière de sa veste juste au niveau d’une des habitations. Quelques clignements d’yeux et… Elle réalisa qu’elle était désormais face à face avec quelqu’un.

« … Bonjour. »

Dit-elle dans la plus grande des sobriétés et simplicité. C’était gênant, elle ne pouvait pas le nier mais encore une fois, rester stoïque était la marque de fabrique de l’héroïne en devenir. C’est peut-être pour ça que, dans la classe, elle avait (déjà) la réputation de … De quoi d’ailleurs ? Bad girl ? De fille trop sérieuse en tout cas. Et d’une fille qui ne sait pas s’amuser.

Elle réalisa finalement que la fille qui était devant elle était dans sa classe. Enfin, pourquoi ça la surprenait ? C’était les dortoirs de la classe 1-B… Kae était son nom ? Oui, ça devait être ça. Or, malgré le petit malaise et les quelques courbatures, les égratignures qu’elle avait, Dai Lu ne perdit pas le nord. Elle avait encore sa caméra en main et … D’une pierre deux coups, elle l’apporta devant son regard pour viser. Cela lui permet de 1) cacher son visage et 2) prendre un cliché unique. Pas tous les jours qu’on pourra prendre en photo un dortoir de l’extérieur, sous cet angle là.

« … Cela te dérange si j’en profite pour prendre une photo ? »

Demander ça, c’était la moindre des choses pour pallier à la situation et au comportement bizarre de l’héritière.

Kae regardait par la fenêtre d'un air songeur. La vie en dortoir ne semblait pas si mal, vu d'ici. Bien sûr, on parlait de Yuei, donc le pensionnat était à l'image du reste des installations : grandiose, sûrement superflu, visant l'excellence à tous les niveaux. Bien entendu, Kae ne vivait pas sur le campus. Ce n'était pas tant une réaction de fille de riches qui voulait rester dans le confort du cocon familial (bien qu'elle soit fille de riches), mais une nécessité pour obtenir la paix sociale au sein de ce même cocon. Ses parents étaient farouchement contre son inscription en voie héroïque. Kae n'avait réussi à les convaincre que par le biais du prestige que cela apportait, que d'avoir un enfant à Yuei, puis en laissant entendre, assez hypocritement, qu'elle pouvait largement ne pas y arriver et donc être transférée en section générale, ou gestion. Une perspective qui les enchantait bien plus, car beaucoup moins risqué en termes de capital beauté. Ainsi, il n'avait jamais été possible de ne serait-ce évoqué d'aller vivre en internat. Couper le cordon ombilical? Oui pour Kae, absolument pas pour ses parents. Et la jeune fille soupçonnait qu'ils s'en félicitaient, car cela contribuerait peut-être à la non-atteinte de sa réussite.

En effet, il semblerait que vivre avec ses camardes de classe et coéquipiers d'entraînement créait une atmosphère propice au rapprochement et à l'émulation. Il y avait déjà des liens forts qui se tissaient et des histoires qui se montaient. Kae avait toujours été très sociale, et habituée à être au centre de son groupe d'ami.e.s. La voilà presque exclus de certains événements et "private jokes". Elle n'aimait pas ça. Du tout. Elle devait donc réussir à convaincre ses parents d'autoriser son transfert rapidement.

Cette après-midi, elle avait rejoint une camarde de classe dans son dortoir, pour travailler sur une présentation en binôme pour le prof d'anglais. Très important, la communication. Kae, qui avait été (était toujours???) une starlette aux ambitions cinématographique, n'avait pas négligé l'apprentissage de la langue d'Hollywood. C'était une erreur stratégique qu'elle ne se permettrait pas. Aussi n'avait-elle eu aucun souci à trouver un ou une partenaire, et cela lui avait remonté le moral, en plus de flatter son égo. Sa camarade avait du s'absenter quelques temps pour régler un souci administratif, et Kae était restée dans sa chambre, pour continuer à avancer sur le dossier.

Mais son attention avait rapidement tourné vers l'examen des lieux, non pas en fouillant les affaires de la copine, mais bien pour tenter de se projeter dans un tel endroit. Oui, c'était largement plus petit que sa chambre. Et elle était habituée à avoir sa salle de bains privée. Cependant, c'était un sacrifice qu'elle était prête à faire, ne serait-ce que pour damner le pion à ses parents.

CRAC!
Un son de branche cassée et de chute dans les feuilles attira son attention vers la fenêtre. Automatiquement, elle regarda ce qui se passait... pour se trouver quasi nez à nez avec Dai Lu. Kae avait mis un point d'honneur à apprendre le nom de tous ses camarades et de mettre un visage avec. Toutefois, elle ne connaissait pas tout le monde, loin de là. Et l'étudiante chinoise faisait partie du lot des inconnues; en soi, ce n'était pas tragique, puisque personne ne semblait vouloir l'approcher. Kae pencha la tête et tenta d'analyser la situation. La requête coupa court à sa réflexion.

- "Si je te dis non, qu'est-ce qui se passe?" demanda-t-elle avec beaucoup de taquinerie, en s'appuyant sur le rebord de la fenêtre. "Ne devrais-tu pas plutôt te soucier d'assurer une prise sur l'arbre, au cas où la branche qui te retient devait craquer?" fit-elle un peu plus sérieusement. Non, elle ne s'inquiétait pas de voir un élève dans les arbres. A Yuei, on ne s'étonnait plus de rien au bout de trois jours. Pas avec une telle concentration d'alter an m²! Quant à être prise en photo... mon cher, elle avait tellement l'habitude. Depuis sa naissance, elle était sous le feux des réseaux sociaux, ses parents ayant largement médiatisé la grossesse et le devenir de leur fifille d'amour. Tiens, elle devrait créer un instagram pour ses études. Histoire d'avoir une "fan-base" dès le lycée, et assurer sa popularité en tant qu'héroïne une fois diplômée.