Mon corps croisa les bras et braqua son regard vers le ciel, en quête d'inspiration.
"Oui... je m'en souviens encore, j'étais presque aussi jeune que Sylvano. Un jour je m'étais réveillé dans une forêt, j'ignorais comment j'avais atterri là. Le ciel était sombre et de nombreux monstres peuplaient les lieux qui s'offraient à moi, jusqu'à ce que je tombe sur un homme très âgé, au bout de sa vie. Je le saluais, tandis qu'aussitôt il me déclarait d'un ton pressant : "
Je fixais à présent Léo dans les yeux et Pépé citait l'homme du récit avec une intonation légèrement différente de la sienne.
" - Il est dangereux de partir seul, prend ceci !
Il me confia alors une épée éclatante de pureté, de laquelle je pu ressentir l'espoir de toute une civilisation. Elle semblait écarter les ténèbres dans son sillage. Après m'avoir fait offrande de cet artefact légendaire, le vieillard disparu aussitôt, s'évanouissant à jamais. Malgré une certaine tristesse qui me vint aussitôt, je décidais de faire mien cet objet, ce partenaire qui me suivrait dans une longue aventure. Je trouva bien vite un bouclier et je pus occire nombre de vils monstres qui peuplaient les terres où je me trouvais."
C'est alors que d'autres plaques en bois s'agitèrent jusqu'à mes mains. Une petite épée dont la lame ne faisait pas plus d'une vingtaine de centimètre, ainsi qu'un bouclier apparurent respectivement du côté gauche et du côté droit. Des instruments en bois qui ne pouvaient au mieux que provoquer des contusions.
"Par delà les forêts, les montagnes, les mers, les lieux les plus sombres et les plus maléfiques, j'errais dans un seul but, vaincre le mal qui avait investi les terres qui m'entouraient. Je terrassais les bêtes hideuses qui se trouvaient sur mon chemin, j'écartais les ténèbres du tranchant de ma lame ! Hyaaa ! Heyaa ! Seuuurryaaaaah !"
Avait-il conté tout en faisant danser sa lame et son bouclier de bois devant Léo, de façon presque dangereuse par moment.
"... et puis je l'ai vu... siégeant sur le trône des ténèbres, son apparence aussi hideuse que ses serviteurs. Le seigneur des ténèbres se tenait devant moi et je l'ai affronté. Notre duel fut des plus éprouvant, son arme de mort passait à deux doigts de m’ôter la vie à chacune de ses tentatives, mais je ne pouvais me résoudre à fuir, j'avais accumulé tant d'expérience et c'est en cela que je parvins à l'affaiblir, jusqu'à ce que je sois en mesure de lui donner le coup de grâce ! Mon épée se logea dans son front et la terre se mit à trembler. Il poussa d'horribles cris, exécuta d'ultimes mouvements inespérés, jusqu'à ce que tout s'arrête. Il s'écroula et il disparut à son tour de ce monde. Ses serviteurs s'évanouirent également. L'obscurité laissa alors place à la lumière. Des gens chantèrent alors ma victoire, mais je préférais retourner chez moi, en paix. - Mais Pépé... je croyais que tu t'étais servis de la canne à pêche pour distraire le boss de fin. - Oh euh... peut-être dans une autre sauvegarde alors, mais bon bref, cesse de m'interrompre ! Veux-tu ? Ahem !"
Toute son agitation se dissipa aussitôt, autant que les plaques qui revinrent à leur place, ne laissant que le masque sur le visage, puis une main posée contre le menton en guise de réflexion, il ajouta d'un air des plus décontracté.
"... Hmm, il y aussi la fois où j'ai sauvé le monde de l'invasion d'une armée subspatiale, tu veux l'écouter ? - Pépé, sans doute une autre fois non ? - Tu as raison fiston, il faut savoir se faire désirer en tant que héros ! s'exclama-t-il en serrant un poing plein de conviction devant lui, l'autre main sur la hanche. - ..."
Laissant le temps à Léo de digérer le récit de cette petite aventure, il sembla qu'au même instant, un objet volant non identifié, de forme circulaire et un peu bombé sur le haut s'approchait dangereusement de son dos en décrivant une rotation rapide sur lui-même jusqu'à son dos. Comment l'objet avait-il était repéré alors qu'il n'était pas dans son champs de vision ? Seul l'esprit en avait le secret. Aussitôt, l'esprit de mon aïeul lança une exclamation.
"Attention au frisbee !"
Ainsi, mon corps était sur le point de pivoter afin de plaquer l'objet entre deux mains, au vol. Il aurait était dommage de se le prendre dans le dos, ou pire, sur la tête ou la nuque. Mais... le timing serait-il suffisant ?
Wow, quel récit… Léo ne s’attendait pas à quelque chose de ce genre. Même son père ne lui avait pas déjà raconté d’histoires aussi folles. L’aïeul de Sylvano semblait être une réelle figure à idolâtrer. Que se passait-il donc, en Amérique latine ? Le récit avait un côté fantastique, irréaliste. On pourrait croire à une légende, au sens propre. Un homme qui, muni de son arme, parcourait le pays pour vaincre une entité maléfique. Il ne détaillait pas tant le chemin, mais on pouvait imaginer tous les combats auxquels il a dû faire face, et l’expérience qu’il en a tirée pour atteindre son objectif final. Sûrement un grand jeu d’esprit pour réussi à toujours avancer dans une situation aussi difficile. Un héros utilisait toutes les ressources de son passé pour construire un futur !
Une canne à pêche ? Pour le distraire ? Il ne devait pas être malin, ce seigneur. Un boss de fin ? Une… sauvegarde ? Le jeune garçon avait du mal à suivre tout à coup, de quoi s’agissait-il réellement ? Une armée subspaquoi ? Les voilà probablement dans des blagues privées. En fait, est-ce que tout cela était juste une aventure fictive… ? Léo afficha un sourire, un peu gêné quand même. L’histoire restait prenante, qu’elle soit vraie ou qu’elle soit fausse. Toutefois, bizarrement, ce petit rêve l’avait un poil motivé. Même s’il ignorait si cela apportait une réelle réponse à l’ensemble de ses questions précédentes.
Il se demandait s’il allait insister, s’il avait des prouesses de son vivant à raconter. Mais un événement perturbateur le stoppa dans ses pensées.
"Attention au frisbee !"
Un frisbee ? Il braqua le regard sur le côté et le vit filer à toute allure. Sans calcul préalable, il fit apparaitre une Slow Room sur le chemin de l’objet volant, sous la forme d’une bulle transparente. Elle n’avait pas été placée avec assez de précisions, le projectile n’aura pas à parcourir tout le diamètre pour en sortir. Cependant, cela ferait gagner du temps à Sylvano, qui se trouvait être dans la trajectoire. Mais plutôt que de l’éviter, il préféra l’intercepter. Un choix qui semblait risquer, mais qui fut finalement un succès ! Son aide avait-elle été utile ? Il avait le sentiment que oui, mais tout était allé si vite, il n’en était pas sûr. Le calme psychologique revenu, il fit disparaitre la distorsion temporelle.
« Comment est-ce que vous l’avez vu ? » demandait-il, un peu ébahi.
À peine Léo doutait-il des réelles compétences de cet homme, que celui-ci se retrouvait à nouveau à être un peu impressionné. Était-ce une forte perception ? Un alter ? Il semblait peu probable que Sylvano puisse bénéficier de l’alter des esprits invoqués, bien ça n’étonnerait pas tant le garçon à la chevelure verte.
La petite catastrophe aurait eu de grands risque d'arriver si seulement une autre intervention n'était pas survenue pour prêter main forte à mon ancêtre. Une intervention qui arrivait à temps, si l'on pouvait dire. J'avais à peine reconnu une de ces bulles caractéristique de l'alter de Léo que déjà mes deux mains venaient de plaquer en haut et en bas l'objet qui se trouvait à quelques centimètres de moi. C'était moins une.
Au même moment, un peu plus loin je voyais une silhouette accourir vers nous, sans doute l'élève qui avait envoyé le projectile circulaire. Pendant ce temps, l'esprit en profita pour répondre au questionnement de Léo, se contentant de pivoter légèrement la tête pour l'avoir dans son champs de vision, même si c'était inutile pour lui. Il voyait n'importe où autour de lui, et l'écho de sa voix se répercutait n'importe où à proximité.
"Ah ça ! C'est un petit avantage d'être libéré des contraintes physiques. Tout ce qui est autour de Sylvano, on peut le voir, tant que cela diffuse un peu de lumière, même si... on pourrait aller plus loin encore et se passer de lumière, mais son corps ne l'a pas supporté une fois. Peut-être un jour. J'ai vu le frisbee arriver tout comme je te voyais, ou comme je voyais ce groupe d'oiseau dans le ciel pour lequel tu n'as pas dû prêter attention à ce même instant, ce qui est normal."
La silhouette était à présent toute proche. Il s'agissait d'un garçon aux cheveux d'un noir profond coiffés en bataille et des épis grand comme une main. Il portait une tenue de judo orange par dessus un t-shirt bleu, resserré par une ceinture du même bleu tout comme l'étaient ses chaussures. Le plus étrange c'était sans doute cette queue de singe dont il était pourvu. Il arriva finalement un peu essoufflé, s'excusa et fit mine de récupérer ce qu'il avait perdu.
"C'était un beau lancé, mais tu devrais travailler ta précision mon garçon. A moins que le but était vraiment de me viser, alors là je ne peux que te féliciter. - Haha ! Oui désolé, il faut encore que je m'habitue à ma force. Et non je voulais vraiment pas te viser. Bon... beh j'y retourne."
Le frisbee lui fut rendu et il fit quelques courbettes à notre intention avant de repartir comme il était arrivé. Cette silhouette ne laissa pas indifférent mon arrière grand-père car visiblement une main s'était levée pour se poser au niveau du menton, afin d'exprimer une certaine réflexion.
"Hmm... j'ai déjà vu un type comme ça..."
Puis reportant de nouveau l'attention sur Léo.
"Mais bref, où en étions nous ? Ah oui ! J'ai trouvé ça bizarre, le frisbee a ralenti pendant un moment, c'était toi ?"
J'aurais voulu répondre pour confirmer, mais je préférais Léo parler d'un sujet qu'il maîtrisait sur le bout des doigts.
La raison de cette grande perception était donc claire : de la triche ! Le corps de Sylvano était une manière pour lui de s’incarner, mais en réalité il n’interagissait pas avec le monde par la limite de ses cinq sens. La lumière lui suffisait à prendre toutes les informations dont il avait besoin. Il pouvait donc sentir toute présence autour de lui, et pas seulement vivante. En ce sens, c’était plus impressionnant que l’alter de sa sœur. Sans les contraintes aussi, mais dans le cas de Lucie on parlait d’un alter, ce qui n’était pas forcément comparable.
Le lanceur de frisbee vint à eux pour s’excuser et récupérer son projectile, avant de repartir. Puis, ce fut Léo qui eut maintenant toute l’attention de l’ancêtre, le suspectant d’être la source de ce ralentissement. Ce n’était pas forcément discret, il était vrai. Il hocha la tête, affirmativement.
« Oui, c’est mon alter. »
Là où il en était, il pouvait même proposer une petite démonstration, ses interlocuteurs lui en ayant déjà fait tellement… Il se baissa pour ramasser une pierre au sol, assez grande pour qu’elle soit suffisamment visible.
« Il me permet d’accélérer ou ralentir l’écoulement du temps dans une petite zone », disait-il en lançant le caillou à la verticale, le rattrapant ensuite lors de sa chute avec la même main.
À la hauteur de sa tête, une bulle semi-transparente se forma, plutôt allongée. Il exécuta un lancer similaire au précédent. Au moment où la roche la traversa, elle ralentit soudainement, mais continuait de prendre de l’altitude à une vitesse quasiment constante.
« Je ne peux pas changer le facteur une fois que j’ai créé la distorsion, je suis obligé d’en créer une autre, si je veux par exemple accélérer à l’intérieur. Mais… »
Ensuite, quand elle en sortit, elle reprit une vitesse normale.
« Je peux aussi faire en sorte qu’un objet précis à l’intérieur suive une règle différente », expliquait-il un peu vite, de manière à rester synchronisé avec son petit numéro.
La pierre tombait et retournait déjà à l’intérieur de la bulle, étant à nouveau ralentie. Puis, d’un coup, elle se mit à grandement accélérer, atteignant une vitesse deux fois supérieure à celle qu’elle avait à l’extérieur. Fondant l’air, elle quitta brutalement cet espace distordu pour récupérer sa vitesse initiale, arrivant finalement dans la main de Léo, sans problème.
« Voilà ! Je suis peut-être allé un peu vite. »
Il n’était jamais peu fier de présenter son pouvoir. Même s’il avait fait de mauvaises choses avec lui dans le passé, il avait fini par se rendre compte de ses grandes possibilités, et de centaines de manière de l’utiliser dans sa future vie quotidienne de héros.
Je connaissais déjà un peu ce genre de démonstration, elle n'était pas trop compliquée à appréhender. C'était même beaucoup plus simple à comprendre que mon alter. La différence entre nous deux, c'est qu'avec Léo il suffisait d'avoir des connaissances en physique tout à fait normale, tandis qu'avec moi il fallait penser de façon plus abstraite.
Mon ancien avait assisté à cette expérience avec un air tout à fait approbateur, hochant la tête à chacune des explications, les bras croisés et sérieux. Après tout il aimait bien ça, voir l'émergence de nouveaux style de gameplay dans ce monde. La méta était particulièrement profonde, et il ne pouvait qu'approuver cette explosion d'alter au cours du siècle. Bien qu'après de multiple réflexions entre nous, il n'arrivait pas à comprendre qu'il était impossible de "nerfer" ou de "buffer" telle ou telle personne. Des fois il était un peu trop à fond dans son délire, comme s'il attendait qu'un patch tombe du ciel, une mise à jour qui règle tout. Mais non, c'était bien la réalité.
"Très intéressant, oui oui ! Je suis sûr que tu as déjà trouvé de nombreuses applications à cette particularité. Et je suis sûr que tu en trouveras d'autre à l'avenir, il suffit juste de se creuser les méninges quelques fois quand on doit se contenter de ce qu'on a."
D'ailleurs à propos de méninges, je commençais à ressentir un certain coup de barre. La digestion cumulée à l'utilisation de mon alter depuis quelques minutes ainsi que la fatigue du matin commençaient un peu à m'embrouiller l'esprit. Je repris aussitôt le contrôle complet de mon corps à la place de mon aïeul et m'assis de nouveau sur le banc, évitant un possible étourdissement à venir. Je portais alors une main vers mon crane. Inutile d'exagérer.
"Désolé, il va falloir écourter la discussion, j'ai besoin d'être en forme pour les cours de cet après-midi. - Ah oui oui bien sûr."
Les plaques voletèrent hors de moi et reformèrent une sorte de tête spectrale boisée avec deux mains qui flottaient juste à côté de moi. Une main de bois fut ainsi légèrement tendue vers mon camarade de classe.
"Hé bien mon cher Léo, ce fut un plaisir ! Je ne sais pas si on se reverra en cours, apparemment Aigle du Zénith fait plus d'effet quand il apparaît, ah... mais nous avons un charme différent~. Bonne journée en tout cas !"
L’aïeul de Sylvano avait été attentif durant ses explications. Il montrait même un air très intéressé, c’était agréable. Comme il disait, il suffisait probablement de réfléchir.
Mais le camarade de Léo semblait d’un coup moins en forme. Ah, les causes pouvaient être multiples. De ce que « Pépé Mindgame » avait raconté, cet alter avait parfois tendance à drainer un peu trop d’énergie, peut-être que c’était ça, ou… à peu près n’importe quoi d’autre. En tout cas il ne comptait pas l’empêcher de faire sa petite sieste.
« Ravi de vous avoir rencontré monsieur ! »
En vrai, il devait sûrement être bon conseil ce papy, qui avait sûrement beaucoup vécu. Mais ça devait être un peu étrange de se balader continuellement avec l’esprit de quelqu’un, non ? Être chaman c’était peut-être comme un autre mode de vie. Mais il était vrai qu’en termes de performance héroïque, son ancêtre devait être un peu délaissé par rapport à cet Aigle du Zénith… Le pauvre. D’après ce qu’il disait, il avait de quoi s’occuper dans cette console de jeu, mais bon.
Léo se demandait aussi ce qu’on ressentait, quand un autre esprit habitait aussi notre propre corps et le contrôlait. Mais il pensait préférer ne pas le savoir, plutôt que d’essayer. Ça devait être… vraiment étrange. Surtout la première fois, si Sylvano avait essayé ça à ses quatre-cinq ans, ça devait l’effrayer… Mais bien que sa curiosité grandissait, il ne se sentait pas de poser ces questions plutôt indiscrètes.
« Je te laisse tranquille alors Sylvano, on se revoit plus tard ! »
Après un signe de la main, il s‘éloigna du banc où il se reposait, prenant au hasard une direction dans le parc de l’école. Peut-être trouvera-t-il une autre personne avec qui discuter en attendant le début des cours de l’après-midi.
