"RP évalué"
« Un affrontement sans merci ni honneur explicite. »
C’était de cette manière que l’Ancien résumait ma rencontre avec Zuijin alias le Prince Jiyūhito de la famille impériale japonaise. De ce qu’en disait Internet ainsi que mes très vieux cours d’Histoire, cette descendance n’avait que très peu de pouvoir exécutif, mais possédait ce devoir qu’était de représenter l’origine de ce que nous étions, face à la mondialisation qui avait tendance à effacer les traditions au profit des affaires internationales. Une flamme de la nation qui avait survécu aux crises terroristes liées aux apparitions des Alters, qui avait rassuré nombre de gens en pleine crise identitaire, et qui avait toujours été un de mes exemples au quotidien. Dans la lumière de la légalité comme dans l’ombre de l’illégalité.
Cependant, dans le contexte qu’allait être ce deuxième tour du tournoi, cette flamme n’avait aucun droit particulier sur le déroulement du combat : Aussi éclairée que je pouvais être par son halo, je ne pouvais me laisser aveugler, ma flamme devait éblouir à son tour et surpasser le faisceau qu’était mon adversaire. Ainsi, après mon affrontement rude contre Pink Plague je profitai de mon repos de quelques heures pour appeler certaines personnes et m’aérer l’esprit. À commencer par mes parents.
C’était l’occasion de raviver quelques souvenirs et chasser les spectres qui me hantaient depuis mon départ à l’école d’études supérieures en psychologie, grâce à de sérieux éclaircissements avec mes parents. En effet, même si mon enfance fut catastrophique du fait de nos pauvres moyens de l’époque, depuis ce départ mon père et ma mère sortaient tous deux de leur pénombre professionnelle, faisant chaque jour augmenter l’intensité de mon mal-être vis-à-vis de mon existence au sein de ce ménage, que je résumais davantage à un trou noir aspirant ses dépenses plutôt qu’un soleil irradiant la maisonnée.
Lors de l’appel, malgré leur joie de pouvoir prendre des nouvelles et constater ce qu’ils venaient de voir à la télévision, la tension était palpable de mon côté. Du fait de ce malaise, un instant de silence s’installa, l’air d’avoir compris ce qui n’allait pas comme si cela faisait des années qu’ils préparaient ce moment. Puis, mon père initia ce que je supposais être la lecture d’un texte rédigé en avance, à peine cachée par son intonation qui donnait l’impression d’un dialogue tout droit sorti d’une pièce de théâtre japonaise :
« Ne t’inquiète pas pour nous Ayako, tu as un grand avenir devant toi. Même si ça n’a pas toujours été facile par le passé, tu restes notre enfant adorée pour qui nous nous sommes mis dans ces difficultés. Au contraire, au lieu de penser être l’origine de ces malheurs, sois fière d’avoir des parents dévoués à leur fille comme ta mère et moi, fais-nous honneur en retour comme tu l’as toujours fait. Illumine-nous par la lumière qui grandit en toi. »
« Ton père a raison Ayako. Les plus grandes découvertes ne se sont pas faites sans qu’une lanterne, qu’un éclair de génie illumine la pénombre de l’inconnu. Sans cette lumière, tu devras subir tes cauchemars dans le noir complet et la chercher ailleurs, au risque de faire de mauvaises rencontres. N’oublie jamais que même si tu ne la vois plus, ce n’est pas qu’elle n’existe plus, mais qu’elle se cache quelque part en toi, attendant d’être de nouveau alimentée. Nous t’avons transmis notre flambeau et continuerons de le faire, alors sèche ces larmes grâce à sa chaleur éternelle. »
Et comme ils le pensaient, car après tout ils me connaissaient sur le bout des doigts, c’était exactement ce dont j’avais besoin pour me rassurer… Et me faire sourire au passage quant à mon père et sa mémoire approximative :
« Merci papa… Merci maman… »
—
Mon esprit enfin dégagé de cet épais nuage qui cachait mon soleil intérieur, je pus sereinement entamer la suite de cette pause et retirer l’obturateur altérant mes souvenirs d’enfance. Désormais, je ne voyais plus un passage flou et chaotique de ma vie, mais un phototype net et empli d’espoir que je pouvais ranger dans mon diaporama biographique mental. Je pouvais enfin avancer sans regrets vers le nouvel obstacle qui ne comptait pas me faire de cadeau, du fait de ses études en école héroïque et son statut de Prince. En plus d’être plus jeune que moi je devais lui montrer le minimum que l’on attendait dans ce genre de métier auquel il s’exposait. Lui et ses camarades étaient en partie la raison pour laquelle je tenais à participer : le Guide devait photographier leurs faiblesses afin qu’ils pussent les retoucher, et je devais mêler mon style naturel à celui de Vigilante pour me l’approprier. Ainsi, la défaite n’était pas envisageable pour pouvoir en rencontrer le plus possible.
Cette fois, même s’il était difficile d’observer sur Internet un quelconque style avec ses faiblesses, car malgré son imprévisibilité il visait des points vitaux du peu que j’en voyais, j’étais au moins certain que Zuijin était capable d’encaisser bien plus facilement que la moyenne. Là où Pink Plague maîtrisait l’aléatoire de par son absence de normes, il semblait davantage proche de mon stéréotype : il maîtrisait suffisamment ses connaissances pour adapter sa stratégie en fonction des circonstances, et son champ des possibles semblait bien plus large que le mien car jamais il ne me venait à l’esprit de cogner volontairement mon crâne contre le genou de mon adversaire. En outre, si je jouais le même jeu de calcul que d’habitude je prenais de très gros risques. Je devais donc reposer sur mon instinct, tenir bon sans trop encaisser et faire confiance à mon sens de la psychologie, car il possédait certainement plus de connaissances que moi dans la stratégie et rendait donc les prédictions obscures.
Mon objectif fixé et les appels des proches réalisés, je contactai l’Ancien pour focaliser mon optique vers un brainstorming autour de mon endurance et de mon souffle, pour être certain de maîtriser cet aspect qui allait selon moi être la clé de la victoire. Il me rappela que lors de nos patrouilles après le God Hand, il me faisait faire quelques exercices comme de l’apnée en mouvement pour me familiariser à ses sensations. Car même si Kyumin m’en avait fait subir un aperçu lors du tournoi underground, que je savais donc ce que c’était que de manquer d’air sous adrénaline, je ne savais pas tout ce que je pouvais en retirer puisque cette fois j’allais devoir en avoir le contrôle pour dépasser mes limites respiratoires. La panique n’allait pas motiver mes muscles, et le vieux confirmait mon analyse avant de me donner quelques éléments de réponse à exploiter sur le tas. L’heure approchant et tout juste revigorée, je n’avais pas l’impression d’avoir revu avec lui tout ce que je pouvais faire, mais l’Ancien me rassura quant au peu de temps qu’il nous était attribué. Au moins, je n’arrivais pas le jour-j complètement désarmée devant le stade de Sakai.
« Bonjour, je suis la participante numéro cent quarante-deux. »
Je faisais face à une réceptionniste qui me rappelait vaguement quelqu’un que j’avais déjà rencontrée, mais je n’arrivais pas à me rappeler qui jusqu’à entendre sa voix :
Elle jetait à peine son regard sur ses notes avant de répondre, ce qui me surprit sur l’instant avant que je ne comprisse mon impression de déjà-vu :
C'était la réceptionniste de l'école de ce fameux Francesco-truc-absolument-pas-japonais. Elle m'avait faite une fleur la dernière fois pour m'aider à me faire bien voir devant lui.
La jeune femme décrocha un léger sourire en même temps que moi, apparemment une force invisible cherchait à nous mettre sur le même faisceau du destin :
« Heureuse de vous revoir, j’espère que vous êtes prête ? Vos vêtements sont prêts et vous attendent dans le vestiaire. »
Puis elle chuchota en passant son torse par-dessus du bureau, la main au niveau de la bouche :
« Je me suis occupée de votre insigne sur le kimono, j’avais vu qu’il était prêt à tomber après votre précédent combat alors je l’ai raccommodée un peu… »
Flippante ! Non seulement elle touchait à mes affaires mais en plus elle avait réussi l’exploit de recoudre l’insigne en deux heures ?! Sur son lieu de travail ?! Et d’où avait-elle un tel matériel sur elle ?!
Trop de questions me passèrent par la tête, même après avoir été suivie quelques années par un vigilant, la pilule était difficile à avaler. Et à peine le malaise grimpant, la blonde aux cheveux courtes pouffa :
« Je plaisante ! J’ai juste cousu un motif similaire à votre logo sur le brassard que vous portiez tout à l’heure. » Elle sortit le brassard en question d’un tiroir de son bureau : « Ils avaient dit qu’ils allaient s’en débarrasser après le tournoi ! Alors qu’ils sont tout moelleux tout doux… »
Vrai qu’ils étaient extrêmement confortables… mais je ne savais pas comment réagir. Malgré mon expérience elle n’avait absolument pas l’air de mentir et semblait vraiment les adorer. Et ce qui devait arriver dans ce genre de situation arriva :
Des étoiles passèrent devant ses yeux à ma réponse :
« Vraiment ?! Avouez-le, vous aussi que vous voudriez le garder comme souvenir ! En plus j’ai mis du temps à le faire… »
Deux heures, à tout péter.
« … Vous en voulez pas c’est ça ? »
Les étoiles se transformaient en trous noirs, sa vie venait d’être happée par je ne savais quelle entité divine, et surtout je n’avais plus de Joker. Après… avec mûre réflexion…
Mes joues rosirent un tantinet, le visage légèrement détourné comme pour cacher le visage dans une ombre imaginaire :
« Si, si bien sûr ! Mer… Merci, mais… Pourquoi cette attention ? »
Pour je ne savais quelle raison non plus – et autant dire que je n’étais plus à ça près, les trous noirs de ses yeux avaient réussi l’exploit d’exploser sous la forme de supernovas. Une seconde plus tard, la blonde lâcha un petit rire, visiblement satisfaite de ma réponse :
« Disons que je suis votre plus grande fan. Si ça se trouve, ça vous portera chance ! Bonne chance pour tout à l’heure ! »
Elle fit signe de la main en me tendant le brassard tandis que je la remerciais à nouveau en me penchant rapidement en avant, avant de rejoindre le vestiaire en trombe et redescendre cette pression avec un léger rire nerveux.
Ma plus grande fan hein… ? Je me giflai des deux mains : Qui qu’elle fût, je ne pouvais laisser s’estomper ma concentration lors du match. Zuijin devait rester ma priorité !
J’ouvris le casier du vestiaire qui grinça mollement, découvrant mon kimono étendu avec le pantalon. Le brassard numéroté avait évidemment disparu, puisque je l’avais rendu et qu’il servait surtout à identifier les participants lors de la phase de chacun-pour-soi, et nous étions libres ensuite de le porter ou non lors des combats qui suivaient. Pour moi, aussi illusoire que cela pouvait paraître, cette couture faite main sur le brassard était le signe attestant que j’avais passé un cap, que j’avais progressé, et que désormais il fallait tester les limites que je pouvais dépasser.
Je me changeais alors, arborant la tenue blanche à la ceinture rouge cette fois, couleur du champion en boxe tandis que Zuijin devait certainement détenir la ceinture bleue, couleur du challenger. Je ne pouvais m’empêcher de faire le lien avec notre match respectif : le Prince avait passé le premier tour à cause d’une erreur de son adversaire tandis que j’avais pu exposer un peu de quoi j’étais capable de mon côté ; ce qui m’arracha un sourire, jusqu’à ce que j’aperçus sur le kimono le tournesol du Projet Bishamon, reflété par le miroir de l’abreuvoir situé à quelques pas du casier.
En effet, j’étais aussi participante pour donner mon rapport au projet une fois le tournoi fini, et aller le plus loin possible me permettait de prendre des notes plus poussées sur mes impressions. Une raison de plus pour remporter le tître qui potentiellement pouvait exposer au grand jour le groupe.
Je serrai le tissu rouge, les mains quelque peu tremblantes par la pression. Mais mon regard gagna en intensité sur le miroir :
« Illumine-nous par la lumière qui grandit en toi. »
« Nous t’avons transmis notre flambeau et continuerons de le faire, alors sèche ces larmes grâce à sa chaleur éternelle. »
Papa… Maman… Les gens du Bishamon… La réceptionniste et le vieux… je dépasserai mes limites.
—
La foule se déchaînait dans le stade, je l’entendais résonner de l’autre côté du couloir que je parcourais. Elle nous appelait, elle demandait ce match qui allait avoir lieu, et la voix de Present Mic surgit parmi elle :
« À la ceinture rouge, soutenue par Bishamon et ayant passé le premier tour par KO contre Pink Plague, voiciiii Ippooooooo ! »
Nouvelle clameur des spectateurs. Brassard au bras droit, assurée, les yeux perçants et la fureur de vaincre au ventre, je les saluais ainsi que les commentateurs sur mon chemin vers le tatami, en adressant ensuite un remerciement solennel aux arbitres.
« Woah, elle a l’air sacrément remontée ! »
« Fais-nous rêver Ippo ! Montre-nous le Dempsey Roll ! »
Mon esprit bouillonna et ma flamme intérieure semblait s’alimenter toujours plus intensément.
C’était donc ça d’être reconnue…
Mais avec cette alimentation grimpait aussi une pression que je devais gérer, j’avais l’impression que je ne devais pas décevoir le public en plus de ceux qui me soutenaient. J’étais leur lanterne, je devais les éclairer sur ma voie, leur montrer qu’ils n’étaient pas invisibles.
« À la ceinture bleue, Prince de la dynastie japonaise ayant passé le premier tour par sortie de tatami contre Poings Ardents, c’eeeeest Zuijiiiin ! »
Les spectateurs s’enflammèrent. Present Mic avait un véritable don en ce qui concernait l’embrasement des cœurs, on sentait sa conviction exciter l’entièreté du stade. Quant à moi je foudroyais le Prince que je maintenais dans le collimateur. Peut être s’attendait-il à ma démonstration de volonté, peut être n’était-il tout simplement pas affecté par ce genre de choses, mais il ne semblait pas particulièrement impacté par cela. À la place il continuait de saluer joyeusement comme si de rien n’était pendant que Kurokishi, une des arbitres chargée du contrôle du poids des participants, palpait et vérifiait ce qui semblaient être des poids, alors que l’adolescent me fixait, un grand sourire jusqu’aux oreilles et les yeux fous en retour. Nous attendions de pouvoir nous saluer correctement pendant que les présentateurs prononçaient leurs pronostics :
« So !* En attendant que notre participant soit vérifié devant nos yeux par Kurokishi, que pensez-vous de cet affrontement qui se profile ? J’ai l’impression que ça promet du lourd mais on a pas vu tout ce dont Jiyūhito était capable ! »
« En effet, moi aussi j’ai cette impression que le combat va être rude, peut être plus pour Ippo qui ne fait pas partie d’une école héroïque en plus de ne pas avoir reçu le genre d’éducation que l’on donne à un Prince. Surtout si l’on prend effectivement en compte la courte durée de l’affrontement de Jiyūhito qui l’a peut être moins épuisé. Mais qui sait, peut être que Poings Ardents lui a laissé quelques souvenirs. En tout cas je ne pense pas que ce match se décidera par sortie de tatami. »
« Reaaaally ?!* Comment pouvez-vous le deviner ?! »
« Observez-les, Ippo est focalisée sur Jiyūhito depuis qu’il a posé le pied sur le tatami. De plus, ce dernier était extrêmement déçu de l’issue de son précédent combat, ils sont beaucoup trop motivés pour le permettre. »
En effet, nous ne nous connaissions pas mais j’étais persuadée que tout comme moi il avait fait ses devoirs en étudiant les rediffusions, ou du moins qu’il savait ce qu’il voulait, avec son expression bien trop heureuse. Comme s’il attendait avec impatience le début du combat pour tester ce qu’il avait en tête. Cependant, je n’étais pas là pour jouer avec lui. Trop de personnes comptaient sur moi, et je devais le pousser dans ses derniers retranchements pour illustrer ses faiblesses. C’était donc pour cela qu’une fois les vérifications terminées, je saluais en même temps que lui, les yeux presque illuminés involontairement par l’Alter :
« Que notre volonté ne faiblisse pas, votre Altesse impériale Zuijin. »
« C’est yip… Jiyūhitopwet… Wop. »
Je relevai la tête et observai en direct ce qui semblait être un gamin dont on avait complètement fondu le cerveau, mais qui au lieu de se comporter telle une larve était complètement surexcité… Au moins, cela avait le don de détendre l’atmosphère qui me mettait une pression dingue. Et ce mélange étrange entre son pseudonyme et son appellation lorsque je l’avais nommé…
Confuse dans mon erreur, je ne faisais pas attention à l’avertissement de Present Mic – qui avait peut être percé trop de tympans les fois précédentes pour crier comme à l’accoutumée – et compris au dernier moment qu’il me fallait me mettre en garde, au moment où l’arbitre criait
« Hajime ! ».
« C’est une charge de la part de Jiyūhito qui lance les festivités ! »
Il fonçait sans attendre vers moi, la garde légère avec les mains entrouvertes atteignant sa mâchoire pour lancer une attaque au dernier moment. Contrairement à Pink Plague, il savait clairement s’avancer sans téléphoner ses coups, ce qui m’arrangeait d’une certaine manière. Ma garde en Peek-a-Boo, je m’attendais à une attaque du poing beaucoup moins risquée qu’un coup de pied en pleine course. Car si j’interceptais sa jambe je pouvais retourner son inertie contre lui et…
Je sentis une force atteindre mon torse que je contractai par réflexe, tandis que Zuijin ralentit radicalement pour sortir un crochet du droit. Dans cette posture, je ne pus reculer pour éviter le coup et dus me plier en avant pour passer en-dessous, mais un uppercut me claqua la garde dans le mouvement. J’eus mal aux mains sur le moment mais la douleur s’estompa rapidement sous l’effet de l’adrénaline :
« Un crochet feinté associé à un uppercut ! Malgré l’appui du pied sur le torse d’Ippo pour la perturber, il semblerait que le Peek-a-Boo soit extrêmement résistant ! »
Ce n’était pas uniquement pour me perturber qu’il avait réalisé cet enchaînement, il voulait tester ma garde !
Satisfait du recul de quelques pas qui suivit son attaque, il ne me laissa aucun répit et continua son avancée. Cependant, contrairement à solidifier ma posture pour me préparer à une suite, je resserrai la garde et avançai vers lui en lançant un jab du gauche pour contrer. Jab qui atteignit son épaule droite au lieu de la tête, je ressentais le coup, mais en plus de sourire de nouveau il ne semblait pas vouloir s’arrêter en armant son bras gauche pour un direct.
Une vraie éponge à coups ce gosse.
Je pris donc appui sur mon jab pour m’extirper sur le côté hors de sa portée, son direct frôlant mon visage de quelques centimètres malgré son allonge, et ce sourire presque malsain qui eût perturbé plus d’un. Il fallait dire qu’il mesurait presque dix centimètres de plus que moi, quelques centimètres de plus et je n’évitais pas son assaut.
C’était donc pour cela qu’il était si heureux même le visage éclaté sur son premier tour. Pour tout le respect que j’avais envers Sa Majesté Impériale, son gamin était un foutu maso. Même Iluminación l’eût trouvé complètement illuminé, pour sûr.
Et d’un coup d’un seul, un poids énorme s’envola : Je n’avais plus affaire au descendant d’un flambeau de la nation, mais à sa tête brûlée qui se battait par caprice et sans une once de responsabilité. De l’adolescent exemplaire pour son âge, il était devenu la brute qui se servait de sa tête pour encaisser et taper en retour.
Autrement dit, j’espérais sérieusement ne pas avoir à être sauvée par ce taré avant que ses professeurs n’eussent fait leur travail.
« C’était pas passé loin ! »
« Il semblerait qu’Ippo ait cerné à quel genre d’adversaire elle fait face. Cette démonstration de réflexes était très tendue. »
Et ça ne s’arrêtait pas là : À peine dégagée je profitai du dégagement pour lancer à mon tour un direct du droit au visage, ce qui l’atteignit à la tempe malgré sa garde mais il ne flancha pas pour passer par-dessous et contrer aussi d’un direct du droit mais au foie. En réflexe, je pivotai le torse pour qu’au lieu du foie les abdominaux contractés prirent le coup, comme ce fut le cas avec la charge de Pink Plague. Un claquement résonna et la faible douleur au ventre confirmait l’impact :
« Double échange ! Mais le coup d’Ippo semble avoir fait plus de dégâts ! »
« Ippo a une maîtrise quasi-parfaite du poids de ses coups. Aussi simple était-il, son direct ne pouvait que traverser la garde légère de Jiyūhito, reprise en expresse à cause de son direct précédent. Sans oublier la marque de fabrique des boxeurs in-fighters – ou inside fighters si vous préférez : L’essoufflement des attaques aux abdominaux. Et avec le poids amoindri de Jiyūhito par Kurokishi mis côte à côte à l’atteinte de la tempe, autant dire que Ippo pouvait largement prévenir les dégâts. »
Maintenant que je détenais l’avantage de la posture, mon adversaire encore un peu sonné et moi prête à frapper de nouveau, je m’apprêtai à sortir de son champ de vision en usant de mon jeu de jambes. Ainsi j’évitais un accrochage puis un placage au sol qui eût été à mon désavantage.
Et apparemment, j’eus raison.
« Ippo esquive de peu les bras de Jiyūhito avant qu’ils n’attrapent sa ceinture ! Elle tourne autour de lui ! Quels réflexes ! »
« Non, cette action était beaucoup trop rapide et calculée. Ippo n’aurait jamais eu le temps de réagir aux bras de Jiyūhito déjà à quelques millimètres de son ventre grâce à sa précédente frappe. »
Oui. J’étais déjà en mouvement parce que je ne pouvais décemment rester aussi proche de lui, malgré mon style censé me favoriser. Avec cette attitude, ce gamin avait certainement appris en encaissant des coups. Autrement dit son style favori devait être celui qui l’exposait le plus : C’était aussi un in-fighter et je n’étais absolument pas une spécialiste du combat au sol.
Je devais donc alterner out boxing et corps-à-corps pour éviter d’encaisser aussi.
« Pour dire vrai, Ippo vient tout juste de réaliser quelle posture adopter contre son adversaire. »
« J’arrive à peine à la suivre ! »
« Malgré ses tentatives, les assauts de Jiyūhito pour stopper Ippo ne touchent pas ! »
« En usant de son impressionnant jeu de jambes, Ippo se place de sorte à se retrouver hors de portée ou dans les angles morts de Jiyūhito, ce qui lui permet d’enchaîner avec des jabs surprise en contre-attaque ainsi que des feintes. »
« Absolutely unbelievable !* Le sort du combat serait-il déjà scellé !? Ippo va-t-elle arracher la victoire de ce second tour ?! »
Non, car cette stratégie avait ses faiblesses :
La foule s’excita sous l’impact sourd.
« Jiyūhito a attrapé le bras droit son adversaire et vient de lui envoyer un coup dévastateur aux abdominaux ! Ça a l’air sévère ! »
Un cri de douleur m’échappa alors que la seule chose qui traversait mon esprit était son sourire défiguré par mes jabs. Merde… je le savais que je ne devais jamais essayer de le frapper d’un direct aussi hasardeux. Malgré ces efforts, il continuait de tenir debout. Fier.
Cependant, il respirait fort.
« L’impatience d’Ippo devant le flegme de Jiyūhito a joué en sa défaveur. Les jabs ne sont pas connus pour faire de gros dégâts mais pour perturber l’adversaire, aussi bien placés étaient-ils grâce à sa stratégie. Et le Prince semble avoir une endurance incroyable en plus de pouvoir voir ce genre de coup venir. »
Maintenant déstabilisée et sous sa poigne musclée, il m’empêchait d’user de mes jambes pour disperser les dégâts. J’avais à peine eu le temps de contracter, mais je sentais la douleur me traverser de part en part.
« Il continue de frapper au ventre ! »
Foutu…
« Il l’emmène au sol ! Comment Ippo va s’en sortir ?! »
«« En enchaînant les body blow, Jiyūhito atteint les jambes par la douleur qui les affaiblit et l’a faite tomber. À part en l’empêchant de lui donner ces coups, Ippo n’avait aucun moyen de se protéger. Chose difficile puisque sa main forte était prise en plus d’être elle-même déséquilibrée. »
Ça ne pouvait pas se terminer ainsi, ma lumière n’avait pas terminé de briller. Pas maintenant que je pouvais faire mes preuves devant tout le monde, que leur flamme s’associait à la mienne !
De toutes les prises de soumissions qu’il pouvait tenter au sol, le bras qu’il avait déjà en sa possession le dirigeait vers l’une d’entre elles : La clé de bras.
À peine ses jambes placées et ses bras tirant le mien pour provoquer une douleur au coude ainsi forcé, je ramenai difficilement mon autre main pour les refermer entre elles et prendre appui sur sa force pour me retrouver à genoux, face à lui qui peinait vraiment à respirer.
« C’est un combat intense au sol qui s’annonce ! Mais Ippo semble sortie de l’emprise de son adversaire ! »
Je tenais à peine en équilibre, mon ventre me criait d’abandonner et mes jambes suppliaient de rester à terre, mais je ne voulais pas laisser l’espoir de ceux qui croyaient en moi insatisfait !
« À défaut de pouvoir te former efficacement à ce sujet, puisqu’il nous restait tout juste une semaine et qu’il fallait te ménager, tu devras finir ta maîtrise sur le tas. »
« Non… Ne me dites pas que c’était son intention… »
« Quoi donc monsieur Kashiwaken ? »
Je me relevai lentement, inspirant tout le long.
« L’avantage, c’est que tu as déjà sombré par asphyxie et que le « soigneur » du God Hand t’a évité les séquelles nerveuses à l’origine de réflexes de panique, tu n’en gardes donc que le souvenir encré par l’adrénaline. »
« Regardez les yeux de Jiyūhito, ils sont cyanosés ! »
« Vous voulez dire qu’Ippo a… »
« Profite de cette fausse blessure de guerre et de tes premiers essais sur Pink Plague pour surprendre Zuijin. »
À mon tour de sourire.
« Ippo a volontairement utilisé sa stratégie d’épuisement de tout à l’heure pour placer Jiyūhito aux bords du tatami et le forcer à consommer ce qu’il possédait d’oxygène ! Et ce, en changeant constamment de rythme pour lui interdire le repos ! »
Alors que je le dominais de ma hauteur, Zuijin n’hésita pas à se relever pour éviter le KO Technique, prenant un temps fou à le faire du fait de l’asphyxie qui l’empêchait de récupérer. Cela dit, même si je ne le montrais pas mes organes internes souffraient le martyr. Et ce n’était qu’une fois tous les deux debout que je lançai les hostilités sur un duel complètement dans notre style respectif :
« Deux in-fighters qui s’affrontent en combat de boxe, c’est le climax de ce match ! »
« Les abdominaux d’Ippo contre les poumons de Jiyūhito ! La force amoindrie contre l’endurance à ses limites ! Qui s’effondrera sous la puissance de ce combat de longue haleine ?! »
La douleur me déchirant, ma rage de vaincre était telle que mes échanges ne se faisaient qu’à l’instinct. Les yeux emplis de volonté pouvaient briller si je ne prononçais ne fusse qu’un mot. Mais je n’avais pas besoin de parler de ma voix.
« Je t’ai choisie car tu incarnais l’esprit du Guide, ne l’oublie pas. Nous ne sommes pas ces héros et ne voulons pas le devenir. »
Le sang emplissait ma bouche, je devais donc la maintenir fermée pour éviter le KO technique, l’arbitre surveillant le moindre signe de dangerosité.
Je faisais un pas après l’autre, balançant péniblement ma tête de droite à gauche en rendant coup sur coup ce que je parais de celui qui ne pouvais plus s’échapper. Son sourire était à peine discernable entre l’asphyxie et mes coups portés à la tête, mais il n’y avait pas de round pour se reposer. Juste de la volonté et de l’instinct à ce stade du combat.
« Tout ce que nous souhaitons, c’est aider le peuple à se reprendre en main pour lui éviter une dépendance à la criminalité. »
Cependant, aussi endurant à la douleur fut-il, si le corps était incapable de faire le moindre mouvement sa volonté ne pouvait s’exprimer.
« Tant qu’il y aura au moins une raison de commettre un crime ou un délit… »
Le jeune garçon lança sa tête vers l’avant pour me frapper front contre front et me faire reculer, en me postillonnant au visage à cause de sa taille et de sa respiration saccadée. Je fermai donc les yeux mais rassemblai mes dernières forces en un mouvement final…
Son front m’atteignit et ma vue devint trouble, me faisant reculer d’un pas, mais suffisant pour m’octroyer de l’espace et profiter de l’élan que j’initiais lors de nos échanges. Du peu que je voyais, Jiyūhito écarquillait légèrement des yeux car il savait ce qui allait se produire. Mes mouvements de tête devinrent de plus en plus amples jusqu’à ce que le reste de l’assistance criait de plus en plus fort l’instant tant attendu.
Après quelques ondulations elles se synchronisèrent avec les attaques de Zuijin dont je devinais désormais le timing, puis enfin mes coups tombèrent entre chaque tentative de sa part.
Le public explosa :
Tempe, foie, côtes… Même si Zuijin pouvait encaisser, ce n’était qu’une question de temps avant que son corps asphyxié ne pusse le soutenir. Mes coups passaient presque systématiquement sa garde et il ne pouvait plus esquiver sans risquer la chute hors du tatami, mais malgré tout il continuait de sourire… Je serrais les dents comme jamais je ne l’avais fait auparavant, mais il n’y avait plus que le grincement sourd dans mes oreilles pour me le confirmer. Je ne sentais plus mes poings l’atteindre.
Un bras traversa mon champ de vision, puis un visage, celui de l’arbitre. Avais-je perdu ? Je ne sentais plus ma mâchoire à cause des douleurs au ventre, peut être l’avais-je trop relâché par mégarde ?
« L’arbitre intervient ! Et… c’est un nouveau down ! Est-ce que Jiyūhito va pouvoir se relever ?! »
Un down ? Mais il était encore debout devant moi ! Je le voyais avec son sourire…
« L’arbitre est en train de vérifier son état… Oh, Elle fait signe que le combat est terminé ! Ippooo gagne son second tooour contre Jiyūhitoooooo ! Quel combat époustouflaaaaaant ! »
À cet instant, je venais de me rendre compte que ce n’était pas lui que je voyais, mais une image que mon instinct m’avait créée en réponse à la douleur. Avec le peu de forces qu’il me restait, j’essuyai mes yeux qui en plus d’avoir des postillons larmoyaient de joie par cette pression relâchée avec la victoire. Je ressentais une joie telle que je manquais de sourire accidentellement en crachant le sang restant, pendant que je saluais tout le monde du mieux que je pouvais sans pouvoir définir clairement l’état du Prince emmené sur un brancard. Cependant…
Cependant voilà, quelque chose venait de me sauter à l’esprit : Même après avoir évité le KO Technique, il fallait me retenir devant eux pour préserver mon image. Parce que ça faisait pas très pro si je me retrouvais photographiée sur un article traitant de Bishamon avec la mâchoire et le cou sanguinolents :
« Bishamon ! Une entreprise qui saigne ses employés ! »
Je devais, absolument, éviter ça.
Mon objectif était donc de rejoindre le vestiaire et vite recracher ce foutu liquide que je goûtais depuis bientôt quatre minutes sans pouvoir ouvrir la bouche ni parler aux journalistes qui se mettaient sur mon chemin. Et plus je progressais, plus les douleurs revenaient avec toujours plus d’hémoglobine pour gonfler mes joues. La détresse me prenait, le couloir jusqu’au vestiaire semblait s’allonger, et je peux vous le dire, c’était la première fois que je devenais un vrai poisson globe.
À peine le vestiaire fermé derrière moi, la tête penchée dessus l’abreuvoir et l’eau prête à entraîner ce foutu liquide, une tape sur l’épaule me surprit et me fit lâcher tout le leste sur mon kimono.
« Vous avez réussi ! Je le savais que mes dons de couture vous porteraient chance ! »
« C’est donc ça d’être reconnue… »
- *:
« So ! » : « Donc ! »
« Reaaaally ?! » : « Vraiiiiment ?! »
« Absolutely unbelievable ! » : « Absolument incroyable ! »