Un duel au soleil avec toi [feat Noah]

Haru Sasaki, qui voyait la réception du Sakai Stadium comme la première étape d'un parcours infernal, ne semblait pas à son aise.

Il faut dire qu'il y avait de quoi. Sarah Lincoln, AKA Mindfeel, AKA la jeune femme qui avait acceptée de lui apprendre à faire quelque chose de son corps de brindille, venait de lui annoncer qu'il allait s'inscrire au TFW, un tournoi de MMA connu pour son absurde enchainement de combat, et qu'il n'avait pas son mot à dire sur le sujet. Apprendre à esquiver s'était bien beau, mais si on ne se sortait pas les doigts du cul pour se faire frapper par des vrais gens de temps en temps ça n'avait aucun intérêt. Pour l'américaine, son "élève" manquait cruellement d'expérience de terrain !

Voir Haru passer la mêlée de départ surprendrait Mindfeel dans le bon sens. Le voir aller plus loin, d'un autre coté, serait comme un rêve mouillé devenu réalité. Ce serait la preuve que l'entrainement sauce Aegis du jeune homme, aussi spartiate et hétérodoxe qu'il pouvait se montrer, était loin de ne servir à rien. En attendant Lincoln avait des objectifs plus réaliste. Elle voulait prouver à Haru qu'il n'avait déjà plus rien à voir avec le petit ingénieur effrayé qu'Alucard Dracula avait massacré pour le plaisir.

C'était, si le terme avait un sens, une sorte de thérapie de choc improvisée.

"Vous êtes certaine que je dois m'inscrire ? Parce que moi je suis pas certain de vouloir m'inscrire... Vous comprenez, j'ai une famille qui m'aime beaucoup et..."

La jeune femme, qui portait déjà un kimono au couleurs de son agence, baissa son visage de tueuse à gage polonaise vers son manchot de disciple et lui souffla une bonne bouffée de sa cigarette sur la tête. Ce dernier, qui apprenait à connaitre Mindfeel au fur et à mesure de son calvaire, considéra immédiatement ce subtil calumet de la paix comme la version américaine du "ferme ta gueule espèce de petit connard". Il était cependant bien trop têtu pour se stopper après sa première tentative.

"Bon, d'accord, peut être que ma famille ne n'aime pas tant que ça, mais ça ne veut pas dire que je dois mourir aujourd'hui ! Il y a une fille dans ma classe qui..."

Sarah, qui retenait un grognement des plus gargantuesque, se contenta juste de rapprocher son regard, véritable incarnation de la mort et du néant, un peu plus près du visage du jeune homme. La fumée de cigarette rajoutait au tout un effet très mystérieux.

S'en était trop pour Sasaki, qui avait bien plus peur de se faire assassiner par Sarah que de mourir au TFW.

"S'il vous plait, arrêtez de vous rapprocher de mon visage comme ça, ça fait quand même un peu peur..."

"Va t'inscrire Sasaki, ou je me sers de tes cheveux pour éteindre ma cigarette."

La jeune femme laissa son petit protégé clamer aux réceptionnistes l'inutilité de son Alter en matière de force physique avant de l'accompagner vers son vestiaire. Il était, de manière assez ironique, dans la même poule de départ qu'elle. Voilà qui rajoutait un défi pour l'enseignante : sortir Haru de la compétition elle même avant un certain stade d'avancement n'avait, de fait, aucune valeur éducative. Elle allait devoir surveiller ses angles morts.  

"Sasaki. Tu n'oublies pas quelque chose ?"

Aussi dramatique que cette décision pouvait sembler, Haru allait devoir affronter ses opposant avec un seul de ses deux bras. Quelque chose disait à Sarah qu'il n'allait pas apprécier la nouvelle, mais elle n'en avait pas grand chose à faire. Si jamais l’adolescent se retrouvait de nouveau dans une situation critique, il n'aurait peut être pas accès à ses gadgets. Son bras mécanique faisait parti de ces gadgets.

"Ton bras… Ils te laisseront pas te battre avec, tu vas devoir le laisser au vestiaire. Va falloir que tu apprennes à vivre sans mécanique, espèce de petit puceau va."

Le cœur du jeune ingénieur se brisa en un millier de petit morceau. Il n'aimait vraiment pas se battre a "mains nues".

"N'oublie jamais que tu dois être capable de te battre sans ta technologie. Maintenant hors de ma vue espèce d'horrible petite boule de stress !"

Sasaki, qui possédait toujours la tête la plus incroyablement terrorisé de toute sa poule, se dirigea vers le vestiaire en soupirant tandis que son professeure se dirigea vers la réception pour boire un café. Elle avait toujours quinze bonne minute avant de devoir se lancer dans la mêlé, et elle n'avait pas l'intention de se laisser tourner en rond comme son jeune disciple comptait certainement le faire. Cette petite crotte japonaise avait des difficultés avec le stress. Sarah comprenait. Ce qui lui avait fait subir Alucard n'était pas la chose la plus simple à conceptualiser lorsqu'on avait son âge. Restait que c'était une faiblesse et que, comme toute les faiblesses, elle était faite pour disparaitre.

Le jeune femme, qui ruminait toujours dans sa clope, fut soudainement tirée de sa transe par l'apparition d'une trace psychique bien connue. Kyanseru. Il était ici. Elle savait que c'était lui, elle connaissait bien sa trace psychique depuis leur folle journée de "travail", et elle n'était pas du genre à faire des erreurs sur le sujet.

Voilà qui avait le mérite d'être intéressant.

L'américaine, qui avait désormais un rictus narquois au coin du visage, se dirigea en direction du signal. Il était convenablement situé dans la réception, elle n'avait donc pas besoin de mettre derrière elle son désir pour un petit café. Elle avait fait mouche : Noah, bien visible dans son magnifique Kimono usé, regardait l'écran affichant la liste des participants avec un intérêt certain. Son instinct de flic était visiblement au travail. Il n'avait pas beaucoup changé depuis leur dernière rencontre, si on exceptait le fait qu'il se sentait visiblement beaucoup moins misérable vis à vis d'un certain tir dans la tête.

La jeune femme, qui savait se faire discrète lorsqu'il le fallait, se glissa derrière l'inspecteur sans mouvements brusques et leva les yeux vers l'écran qui affichait la composition des poule. Elle avait lâchée son petit sourire narquois depuis un moment histoire d'apparaitre aussi neutre que possible en présence de l'inspecteur le plus bizarre de tout Tokyo. Si elle ne pouvait plus vraiment tourner l'esprit d'Haru en bourrique, elle venait de se trouver une nouvelle victime. Elle coinça sa cigarette entre ses doigts et glissa, sans vraiment lever la voix, une petite ouverture de dialogue aussi calme qu'inutile à destination du policier.

Qu'est ce qui nous vaut le plaisir de votre visite, inspecteur Kyanseru ?"

"Je vous promet de faire honneur à votre dojo, sensei."

"Met un gi propre. Par pitié. Kyanseru. Ou je t’allume avant que tu n’aies le temps de mettre un pied dans ce stade. Et arrête de m’appeler sensei, t’as pas 11 ans."

"Mais sensei ! Ce gi est marqué par les entraînements que j’ai eu avec vous ! Il est la preuve que votre école est active !"

"Mon école n’est pas active espèce de petit malin."

"Donc peu importe sa réputation, donc je peux me battre avec ce gi !"

"Prochain entraînement, mon dos sera débloqué. Et à ce moment, je te promets de te faire regretter d’avoir jamais mis les pieds dans mon dojo."

"J’en attends pas moins de vous, sensei."

Koîchi Bunta tenta de lever sa jambe pour foutre un coup de pied aux fesses de Noah, mais son lumbago lui en empêcha. Le pauvre homme s’était blessé en tombant il y a 2 jours à peine, l’interdisant de s’inscrire au tournoi. David étant compliqué à joindre en ce moment, Noah était donc le seul représentant du dojo Bunta.

Le vieux maître s’assit dans les gradins, résigné.

"Ne passe pas trop pour un con. Va donc boire un truc, tes lèvres sont gercées ça va saigner à la première patate."

"Je ferais de mon mieux !"

L’inspecteur adressa à son professeur ronchon un pouce levé avant de se diriger vers la réception. De là, il pouvait se rafraîchir tout en se renseignant sur les combattants présents. Autant ceux rassemblés à la buvette que ceux dont le faciès s’affichait sur l’écran géant.

Après avoir englouti un soda en 30 secondes, Noah entreprit donc de fixer l’écran, étudiant attentivement les numéros de chacun. Les poules étaient organisées d’une façon incroyablement basique : pas le temps pour le seeding en phase d’éliminations, avec 200 combattants rassemblés. Les 50 premiers inscrits étaient dans la poule A, les 50 suivants dans la B, et ainsi de suite.

Il y avait donc dans la poule C, la sienne, une foule d’apprentis héros, facile à vaincre en raison de leur petite taille, de leur entraînement insuffisant au combat sans Alter et du fait qu’ils avaient 15 ans. Quelques individus sans prestige, facile à vaincre également. Et des héros pros, parmi lesquels…

"Qu'est ce qui nous vaut le plaisir de votre visite, inspecteur Kyanseru ?"

Sa Sorcière Bien-Aimée.

"La même chose que vous, major Mindfeel."

Il lui renvoyait son sourire narquois, en parfait miroir immature de l’héroïne blonde. L’inspecteur Kyanseru et le major Mindfeel étaient des gens plus ou moins cassés, qui avaient du mal à exprimer de l’affection sans passer par plusieurs couches d’ironie, de sarcasme, d’amour vache et de vraies méchancetés par-ci par-là. À quel point s’appréciaient-ils vraiment ? Dur à dire, leurs gestes affectueux étant dotés d’un sous-texte provocateur, et leurs gestes malveillants d’une dimension amicale.

"Je représente le dojo d’un vieux grognon. Il a passé son heure de gloire depuis longtemps déjà. J’aimerais lui accorder une victoire par procuration."

Il était sincère. Il aimait bien ses leçons intimes avec Bunta, juste avec David et lui, mais il sentait que l’ancienne star des arts martiaux était pleine d’amertume. Et que, contrairement à l’organisateur du TFW, il avait trop de fierté pour faire vraiment des efforts pour redorer son blason. Il voulait attirer un peu l’attention sur Koîchi Bunta, l’ancien médaillé d’or.

"Maiiiiiiis il semblerait que mon objectif soit soudainement devenu également de te botter les fesses, Lincoln."

Il pointa l’écran.

"On est dans la même poule..."

"Je t'ai déjà plaqué au sol Kyanseru, je peux le refaire."

Sarah laissa échapper un horrible rictus avant de se concentrer sur l'écran. Elle était, effectivement, dans la même poule que son inspecteur favori. Mieux valait se trouver dans celle là que dans celle ou se battait Sasaki, elle n'avait aucune envie de sortir son "disciple" du tournoi, mais ça n'était pas si dramatique. Sortir Noah... Voilà qui aurait le potentiel de lui casser les couilles. Lorsque Mindfeel appréciait un homme, elle aimait bien lui faire comprendre en s'en prenant à ses couilles.

Le japonais avait intérêt à rester sur ses gardes.

"Je vais te te casser le cul Noah. Je vais te casser le cul et tu ne pourras rien faire pour m'en empêcher. Tes heures sont comptées beau gosse, je vais briser tes rêves."

Mindfeel n'allait laisser aucune chance à son rival. Elle allait le fracasser et il n'aurait plus que ses yeux pour pleurer.

"Je te souhaiterai bien bonne chance mais bon... Mes hommes m'ont dit qu'il faut que j'arrête de mentir, ça porte malheur. Bonne chance tout de même, Kyanseru."

L'américaine ne laissa pas le temps de répondre à son rival du jour. Elle fit gracieusement demi-tour et se dirigea vers les vestiaires des femmes, un horrible sourire au coin de la bouche. Elle allait prouver à Kyanseru pourquoi est ce qu'il était un médiocre petit gratte papier de circulation alors qu'elle, de son coté, était taillée pour vivre dans la violence. Le rufian n'allait rien comprendre à sa vie : il était cuit et, dans le hall du Sakai Stadium, il était certainement le seul à ne pas s'en rendre compte.

Lorsque Mindfeel posait ses yeux sur vous, vos jours étaient comptés.