Ghostbuster [PV Shirayuki]

"J’arrive à proximité du temple hanté. Les rumeurs prétendent qu’on y verrait, à la tombée de la nuit, une forme fantomatique s’y ajouter. Un spectre de petite fille, dont la seule présence suffit à faire baisser la température !"

Clic. Mei mit son enregistrement en pause et reporta son regard sur ce qui l’attendait. Une colline plongée dans l’obscurité, sans le moindre éclairage, au sommet de laquelle trônait un temple délabré, dont la silhouette se découpait contre la lune. Elle sourit comme un enfant devant un sapin de Noël. Elle était absolument ravie d’être ici. Le personnel de l’internat avait arrêté de partir à sa recherche, à force d’évasions nocturnes, elle avait tout le temps du monde devant elle.

La jeune fille vérifia son équipement. Caméra vidéo, pour filmer le fantôme. Appareil photo à pellicule, au cas où le numérique ne captait pas les fantômes. Dictaphone, au cas où le fantôme n’avait pas de corps mais était capable de faire du bruit. Une lampe-torche, pour localiser le fantôme où qu’il se trouve. Un petit bracelet-rosaire, un talisman yakuyoke et un bocal rempli de sel, au cas où le fantôme tenterait de s’en prendre à elle. Une bombe au poivre, au cas où ce n’était pas du tout un fantôme mais juste un détraqué. Et, bien sûr, une épuisette, pour des raisons évidentes.

Est-ce qu’elle croyait aux histoires de fantôme, yokai et esprits ? Un peu. Comme beaucoup de Japonais, elle avait grandi au milieu du Shintoïsme. Mais, qui plus est, la native du Kansai avait eu l’occasion d’effectuer de multiples voyages au sanctuaire d’Ise, qui la rendirent un poil plus superstitieuse que la moyenne. Difficile d’ignorer la religion quand elle était aussi présente dans son environnement tout le long de sa jeunesse. Néanmoins, Mei n’avait pas peur du surnaturel (ou de plus ou moins quoi que ce soit). Il l’attirait, voilà tout. Elle trouvait incroyable que des forces qui, de toute évidence, semblaient être réelles aux yeux de beaucoup, étaient après tout ce temps, encore impossibles à capturer sur un film ou une photo. En somme, elle avait très envie de se confronter à ces forces insaisissables.

Elle entama l’ascension de la colline, se retenant de fredonner pour ne pas agacer l’esprit. Elle alluma sa lampe-torche une fois à distance raisonnable, et commença à la passer le long du bâtiment. Il était dans un sale état… Mais ça aurait pu être pire. Il faisait en effet un peu froid, mais elle mettait ça sur le compte de l’altitude et de l’heure tardive, pour le moment.

"Hum. Coucou l’esprit ! Je viens pas déranger hein. J’ai juste des questions pour vous. J’entre hein."

Et, joignant le geste à la parole, elle commença à monter les marches de pierre jusqu’au parvis du temple. Elle poussa la porte et retira ses chaussures avant d’entrer, promenant sa lampe un peu partout...

Il faisait plus froid à l’intérieur qu’à l’extérieur. Un phénomène que Mei ne pouvait qu’attribuer à la présence d’une force extérieure. Elle en était ravie.

"Fait pas chaud."

La lumière de sa lampe balayait l’endroit au peigne fin. Elle fit quelques pas en avant et fut prise d’un frisson. Quelque chose de froid pénétrait sa chaussette. La jeune chasseuse de fantômes s’accroupit et toucha le sol, là où elle avait posé le pied. Il y avait là une petite zone plus froide et légèrement plus humide que le reste du sol. Il n’avait pas plu depuis trois jours. En somme… Il y avait bien quelque chose d’occasionnellement tangible ici.

Un bruissement. Mei releva la tête d’un coup, mais sa lampe n’étant plus braquée droit devant elle, elle ne put rien discerner. Tout juste lui sembla-t-il percevoir du mouvement, plus loin. Elle se leva lentement, et un petit rire résonna alors autour d’elle.

Les choses venaient de devenir terriblement excitantes. L’apprentie reporter activa son dictaphone d’un clic et se remit à avancer. Elle voulait garder une main libre, et dut lutter contre l’envie de se saisir de sa caméra.

"Vous êtes là, vous êtes là. Bon à savoir. Je ne suis pas venue pour rien."

Elle se trouvait désormais dans la salle principale du temple. Mei gardait son attention braquée vers le bas. S’il y avait des traces au sol, c’est que l’esprit le touchait, non ? L’endroit avait une atmosphère… Mélancolique. En dépit de l’état des lieux, elle ne les trouvait pas repoussants ou inquiétants. Juste un peu tristes. Elle se promit à elle-même d’apporter des fleurs la prochaine fois qu’elle viendrait, et pris la parole à nouveau.

"Vous êtes un..."

Mei s’interrompit. Si elle, elle rencontrait quelqu’un et que la première question qui lui était posée était "Vous êtes lycéenne ?", elle ne partirait pas du bon pied. Les esprits étaient, après tout, supposés être capables d’agir et imiter les humains. Peut-être qu’avant d’identifier la nature précise de l’apparition, elle devait penser plus simplement.

"Z’avez un nom ? Ou bieng je peux vous appeuler l’esprit ?"

Voilà le Kansai-ben qui arrivait à toute allure. Mei était électrique, elle souriait à pleines dents alors que, aidés de la lampe, ses yeux acérés cherchaient le spectre.

"Shirayuki, heing ? C’tun beau nom ça."

Mei jubilait. Elle avait enregistré la voix de cette "Shirayuki" ! Du moins, si son dictaphone avait marché correctement. De plus, elle commençait à habituer un peu plus son regard à l’obscurité, ses yeux se perdaient moins. Elle percevait la statue brisée, le toit percé, l’usure des poutres… Et ce volute pâle qui montait lentement. Occultant quelque peu la mise en garde de la voix spectrale, elle s’agenouilla devant la brume et posa sa lampe torche au sol avant de sortir son caméscope, glissé dans sa main droite.

Elle se racla la gorge et pris quelques instants afin de se calmer et de contenir son accent.

"Et donc, euh… Vous êtes pas seule ici ? D’autres esprits vont venir ?"

Elle regardait fixement la fumée, sans se douter de ce qu’il pouvait y avoir en-dessous. La jeune fille avait complètement gobé l’illusion. On put entendre le son de l’objectif effectuant le focus, à travers le temple.

"Permettez que je filme, hein, ça vous offense pas, Shirayuki ? Je voudrais pas être maudite. Enfin, vous savez, si des esprits viennent nous chercher des noises..."

Mei brandit fièrement dans sa main libre son bocal de sel, puis le posa avant de secouer un peu son rosaire.

"J’ai ce qu’il faut pour les repousser, voyez ! J’ai du sel, des amulettes. Même une épuisette."

La lycéenne espérait ne pas être dérangée durant son entrevue avec l’esprit, mais malheureusement l’univers n’était pas aussi généreux. Sans qu’elle ne le sache, une présence se rapprochait des lieux...

La jeune photographe commençait à se concentrer un peu plus, comme si elle retombait un peu de l’euphorie d’avoir pu rencontrer l’esprit et réalisait un peu plus ce qu’elle était en train de lui dire. Donc elle était le seul fantôme des lieux… Mais l’endroit était visité par des humains ?

Elle n’eut pas le temps de calculer pleinement cette nouvelle information que l’esprit émergea de… Derrière une cachette tout à fait normale. Malgré cette apparition plutôt banale, Mei ne put s’empêcher d’être impressionnée par l’apparence de cette petite fille. Pâle à en mourir, émettant une aura de froid autour d’elle, éclairée par la lune… Mei rebrancha ses neurones juste à temps pour prendre une photo avant que le petit spectre ne prenne la parole.

Suivant les instructions de Shirayuki, elle braqua sa lampe sur sa droite et se leva pour aller voir de plus près. C’était… Du sang, à ne pas en douter. La tâche datait, mais elle avait déjà vu ça à quelques reprises quand elle explorait des bâtiments abandonnés. Il n’y avait pas de doute, quelqu’un avait été tué ici. Les propos de l’esprit ne firent que confirmer ça.

"Ben merde. Mais euh, Shirayuki, vous êtes une yuki-onna, non ? Si ils trépassent sur votre territoire, vous pouvez pas les glacer ? Sans forcément les "refroidir", hein, mais juste de quoi leur faire peur."

À bien y réfléchir, elle avait entendu parler d’un tueur en cavale arrêté dans ce quartier, c’était passé sur Juzo-News. Est-ce que Shirayuki avait eu l’occasion de le croiser ? Mei posa sa main sur son menton et se plongea en pleine réflexion.

"Vous avez p’t’être pas envie de vous mêler de nos affaires, remarques. Ça se comprend."

Elle braqua à nouveau le caméscope sur la petite et s’apprêta à la bombarder de questions… Quand elle entendit un bruit, plus loin dehors.

"Ssssht."

Elle avait placé son doigt sur sa bouche, oubliant l’espace d’un instant qu’elle s’adressait à un yōkai. Elle tendit l’oreille, coupa le son sur son caméscope… Et entendit, à nouveau, les bruits de pas qui se rapprochaient sur le gravier, au pied de l’escalier au-dehors. Aussitôt, elle éteignit sa lampe torche et rabattit l’écran du caméscope de sorte à ne pas émettre de lumière.

"Quelqu’un vient."

Ses yeux dardèrent à travers l’obscurité, cherchant une cachette. Elle n’avait pas peur, mais sa présence risquait de gêner la personne qui s’approchait. Son métrage serait plus naturel si elle s’en absentait.

Les yokai avaient donc un processus de croissance également ? Fascinant. Mei pensait juste que Shirayuki adoptait cette apparence par choix, mais non, elle allait grandir ? Les esprits avaient une période de puberté, donc. Drôle de monde.

Mais l’heure n’était pas aux dissertations sur les spectres. Elle devait se cacher, et de préférence dans un endroit qui lui permettrait d’observer le nouvel arrivant en toute discrétion. Mei prit un instant de réflexion en considérant l’échelle pointée par la petite démone. Oui, elle serait certainement cachée, sur le toit, mais… Mais elle ne verrait rien. Et Mei n’aimait pas ne rien voir.

Elle réfléchit à tout allure et s’empara d’un vieux drap qui traînait avant de placer son caméscope sur un rebord poussiéreux. Elle recouvrit l’appareil du drap, afin de ne laisser que l’objectif, très sombre, à peine visible. Avec cet angle, elle serait capable de capturer toute la salle principale du temple sans aucun souci. Elle se hâta derrière la statue, y déposa une partie de son barda, gardant sur elle son appareil photo, le dictaphone, le bocal de sel et le spray au poivre. Elle monta à l’échelle et, arrivée en haut… Se jeta sur l’une des poutres du plafond et s’y accrocha avant de s’y hisser avec une dextérité et aisance certaine. Agile comme un singe.

"Désolé Shirayuki, mais j’ai besoing de voir ça. Faiteuh ce que vous avez à faire, y'a les nervi qui se ramènent."

Progressant accroupie, l’apprentie photographe se plaça au milieu de la poutre surplombant la salle principale. Juste à temps. Deux vois se firent entendre, dans le fond.

"Merde, y’a des godasses à l’entrée ! Quelqu’un est là, Jiro."

"Pas grave. Qui que ce soit, on le plante et on reste ici en attendant que les choses se tassent. C’est probablement un clodo ou un mioche perdu, mais on peut pas le laisser partir. Surveille dehors, je vais fouiller."

Mei exultait, intérieurement. Si on se fiait à leur langage, les nouveaux arrivants étaient des gens dangereux, probablement en cavale, et très certainement armés. Comme elle l'espérait. La jeune fille se prépara mentalement. Ses yeux habitués à l’obscurité lui permettraient d’utiliser son Alter rapidement si une belle photo se présentait à elle. Et dans le pire des cas, elle avait le spray et, surtout, elle avait Shirayuki de son côté. Une authentique yuki-onna débutante, qui aurait toutes les raisons d’en vouloir aux profanateurs. Après tout, à en juger par le bruit de leurs pas sur le plancher, ils n’avaient même pas retirés leurs chaussures.

Un outrage, vraiment.

C’était du métrage de haut vol. Shirayuki avait fait preuve d’une combativité surprenante. Et dans les hauteurs, Mei avait tout photographié, sans oublier que son caméscope judicieusement placé tournait toujours. Elle allait avoir un article démentiel à ramener à Juzo News. Et puis, la yuki-onna ne tuait pas, à en juger par le couinement du premier criminel. Tout de même, la photographe avait eu un peu peur lorsqu’il était tombé tête la première, mais visiblement il ne s’était pas brisé la nuque.

Lorsque le deuxième larron la remarqua, elle se contenta de lui adresser un petit geste de la main qui voulait dire "Non, non, pas moi, fais comme si je n’existais pas". Elle n’était pas effrayée le moins du monde par la situation. Elle était haut perchée, elle avait un yokaï et une épuisette de son côté.

Shirayuki se lança dans un petit discours franchement kitsch, mais qui était terriblement efficace pour ce qui était d’attirer l’attention du profanateur. Ce dernier serrait fort son couteau, à en faire pâlir ses jointures. Il était probablement encore un peu hésitant à l’idée de se jeter sur la petite démone. Mei avait hâte de voir le coup de grâce… Puis elle repensa à ce que lui avait dit Shirayuki. Sur le fait qu’elle était en pleine croissance et que ses pouvoirs étaient encore limités. Et puis, à l’instant, elle avait bégayé, non ?

Bon. Elle couperait cette partie au montage.

Le criminel ouvrit la bouche, probablement pour crier quelque inanité sur le fait qu’il n’avait pas peur, ou qu’il allait la buter. Il n’en eut pas l’occasion, le bocal de sel balancé avec précision dans sa tempe l’envoyant paître contre le sol gelé.

"ET BING ! Comme Nakamura des Orix Buffaloes ! Ça vous apprendeurah à venir chercher des noises dans un lieu saint."

En veillant à éviter la zone gelée, Mei sauta de son perchoir et alla s’assurer que les deux assassins étaient bien ko, mis leurs lames à l’écart et alla récupérer son caméscope dissimulé.

"C’était incroyable Shirayuki ! T’as assuré, té !"

Elle adressa un pouce levé, enthousiaste, au petit spectre. Elle était tout sourire, comme si la situation n’avait pas été le moins du monde dangereuse.