Réunion parents-profs [PV Arata]

Depuis trois semaines, Emi devait me l'avoir rappeler au moins soixante fois. Surtout, SURTOUT, je ne devais pas oublié la réunion parents/profs avec le petit pendant qu'elle serait en visite chez sa mère à Kyoto. Chaque fois, je lui avais répondu la même chose exactement.

-Mais oui chérie, je sais! Depuis quand j'oublie ce genre de chose! Pour Ren, n'importe quoi !

Bien sûr, le moment venu, j'avais oublié. Et le petit démon n'avait pas juger bon de me le rappeler avant qu'on soit déjà en retard, assis à la table, prêt à déguster le délicieux repas laissé par ma charmante épouse auquel j'avais rêvé toute la journée alors que j'enquêtais sur une millime affaire d'adultaire. J'avais du laisser les enquêtes impliquant Phantom en plan, d'ici le retour d'Emi. Je ne pouvais pas me permettre de laisser Ren seul à la maison la nuit, après tout.

- Madame Kato a hâte de rencontrer Papa!

J'avais bloqué pendant quelques secondes. Emi avait-elle laissé le gamin adopter un chat? Et en plus elle lui avait laisser le choix de le nommer madame Kato? Comme son... Institutrice. Merde.

Je m'étais empressé de me lever, regardant tristement mon repas duquel j'avais à peine pris deux bouchés avant d'attraper Ren sous les bras et de le soulever, courant presque vers le vestibule de la maison sous les rires du gamin. Je me dépêcha de lui faire enfiler ses chaussures et sa veste, attrapant moi-même ce que j'avais de plus proche soit mon imper que je portais habituellement pendant que je bossais.

J'installa rapidement Ren dans la voiture sur son siège d'appoint et m'installa au volant. L'école n'était pas très loin de la maison, on ne serait pas trop en retard. Je pouvais relaxer un peu. Si je ne reprenais pas mon calme, de toute façon, je risquais de faire une accident et ça, Emi ne me le pardonnerait jamais. En démarrant la voiture, je baissai un peu la fenêtre et alluma une clope. Je n'avais pas l'habitude de fumer quand le petit était à bord, mais là mes nerfs en avait besoin.

- Papa ! Ça pue !

Je poussai un soupir, prit une grande inspiration, recracha la fumée vers l'extérieur et écrasa la cigarette à peine touchée, remontant aussi la fenêtre. Sa mère l'avait bien conditionné.

- Oui, désolé Ren, ça va maintenant?

Un petit regard dans le rétroviseur me confirma qu'il avait sans doute dit cela par pur habitude et qu'il s'en foutait un peu en fait, puisqu'il regardait maintenant par la fenêtre, me répondant d'un hochement de tête distrait. Je souris distraitement, ramenant mon attention vers la route. Ce gamin était à la fois la raison pourquoi je faisais ce que je faisais, mais aussi mon frein, qui m'empêchait parfois de faire des choses que je pourrais regretter. Il était né pendant mon année sabbatique et j'avais pu passer énormément de temps avec lui dès sa naissance et un lien très fort nous unissait.

Quand on se stationna enfin devant l'école, Ren tenta de se détacher par lui-même, s'emmêlant simplement un peu plus dans sa ceinture. Poussant un nouveau soupir, je l'aida à se déprendre de ce guêpier et sitôt fut-il libéré, il se mit à courir en direction de l'école. Je le suivis d'un pas rapide, le rattrapant alors que celui-ci discutait avec le gardien à la porte. Je le saluais distraitement alors que celui-ci nous ouvrait la porte. Le petit alla se remettre à courir mais je lui posa une main sur l'épaule juste à temps pour l'intercepter.

- J'imagine qu'on te l'a déjà dit Ren, mais dans les couloirs, on marche! Allez, tiens moi la main

Petite moue boudeuse de la part du gamin, mais celui-ci accepta ma main et me guida d'un pas rapide vers le couloir qui avait été réaménagé en salle d'attente pour les parents et les marmots en attendant les rencontres individuelles qui avaient apparemment commencé. Peu de place était libre. Il n'en restait même qu'une seule. Mais une force invisible m'empêchait de m'approcher. Sans doute était-ce l'effet de la personne à coté de qui je devrais m'asseoir. Je l'avais assez aisément reconnu en fait. North Star, héroïne au passé... Nébuleux. Comme quoi n'importe qui pouvait faire ce métier...

- Papa, papa ! On va s'asseoir là? À coté de Mitsu et de... Sa... Maman?

Bien joué Ren, attire l'attention sur nous, c'est exactement ce que j'attends de toi... Lentement, je m'approchais de la chaise libre et m'y installa. Je devais avoir l'air sympathique. Je n'étais pas Phantom ce soir. Ni même Mr. Détective. J'étais Arata Tantei, le papa de Ren Tantei...

- Bonjour madame, je suis Arata, le papa de Ren, enchanté de faire votre connaissance et celle de... Mitsu, c'est bien ça?

Allez mon vieux, c'est qu'un moment à passer...

Allez Arata, ça va aller, t’en as que pour quelques minutes. Une heure max. Deux heures? Combien de temps ça durait, ces rencontres, au juste? Je ris un peu nerveusement à la mention de mon “presque retard”. Bien sûr, une héroïne c’est toujours à l’heure, madame parfaite, on fait la morale aux autres.

Pourtant, si quelqu’un n’était pas en mesure de me faire la morale, c’était bien elle. Chikara Shokanuru. Alias North Star. Je connaissais déjà son nom bien sûr. L’incident la concernant avait eu lieu après mon départ des forces, mais j’avais toujours des contacts là bas et j’en avais bien sûr entendu parlé un peu. Si je ne pouvais pas juger le vigilantisme (après tout, c’était souvent (toujours) plus efficace que l’héroïsme pur), je pouvais juger assez facilement la conversion vers le “système” en place ainsi que l’hypocrisie de ce même système qui avait choisi de fermer les yeux sur le passé de la dame et de lui octroyer son papier cul qu’ils aimaient appeler “licence” dans leurs tours de vitre.

Arata, tu te calmes. En ce moment, la personne qui te fait face n’est pas l’héroïne North Star, mais bien la maman de Mitsukeru, petite fille dans la classe de Ren et, apparemment, l’une de ses bonnes amies. Arata et Chikara. Pas Phantom et North Star.

Je souris encore une fois à la “petite” dame.

- Disons qu’avec un gamin comme Ren, être à l’heure est un concept parfois un peu vague… Mais l’important c’est d’y être !

Oui, voilà, on respire. J’étais capable d’avoir une conversation normale, mais j’avais eu une grosse journée. Et la course des dernières minutes pour arriver à l’heure m’avait pis un peu plus à fleur de peau.

- Très peu de rencontres du genre moi non plus… C’est plus le département de ma femme normalement… Mais la maman de Ren est hors de la ville en ce moment, donc je dois en faire un peu plus ! Pas que ça me dérange, j’ai toujours trouvé que je m’impliquais pas assez dans son éducation, avec le boulot et tout ça tout ça…

Je jettai un coup d’oeil en direction des gamins qui s’amusait à quelques pas de nous. Personne d’autre que nous ne semblait avoir engagé la discussion, ça devenait gênant à la longue.

- C’est le papa de Mitsukeru qui s’occupe de ses rencontres habituellement, j’Imagine? Parlez moi de ça, un père impliqué

C’était une question piège. Vu l’âge de la petite, je me doutais qu’elle avait dû accoucher en prison. Et rater les rencontres car elle purgeait sa peine et rien d’autre. Que le père soit dans le décor ou non m’importait peu, mais remplir mes fiches sur les héros pas net avec des informations croustillantes, ça, ça valait le déplacement…

...Et la réussite scolaire de Ren aussi, bien sûr.

Comme je le croyais, j'avais frappé directement dans une corde sensible. Et, à vrai dire, je m'en sentais presque mal. Oui, c'était une héroïne, le fléau de l'humanité incarné. Mais, comme je me l'étais déjà dit plusieurs fois depuis quelques minutes : Aujourd'hui, c'était avant tout la maman de Mitsukeru, pas la proprio de l'agence X²... Je recula un peu ma chaise, appuyant celle-ci sur l'équilibre précaire de ses deux pattes arrières seulement, comme j'en avais pris l'habitude lorsque je réfléchissais, assis à mon bureau. Par réflexe, je porta ma main a ma poche pour y sortir mes cigarettes, mais, alors que j'en tenais une à mi-chemin entre le paquet et ma bouche, je me rappela d'où j'étais.

Pas sûr que le personnel scolaire apprécierait.

Je rangeai le tout d'où ça venait et chercha le courage de répondre quelque chose d'encourageant à la dame. Pas dans mes habitudes de faire un "pep talk" aux héros et héroïnes de se monde...

Je poussai un soupir, avant de commencer

- Être parent, c'est probablement l'occupation la plus difficile du monde... Aucun métier ne s'y approche. Toutes les décisions que l'on prend doivent venir du cœur et de nul part ailleurs.

Ren était ma plus grande fierté, de loin. La chose la plus importante à mes yeux. J'avais toujours été un homme de carrière, que ce soit pendant mon passage dans la police, ou depuis que j'avais ma (ou plutôt mes) propre entreprise. Mais pour le gamin, j'abandonnerais tout ça. En un clin d'oeil. Je comprenais donc parfaitement comment un parent qui a été séparé pendant aussi longtemps de son enfant en bas âge pouvait se sentir...

- Pendant certaines périodes, je passe tellement de temps au bureau... J'y dors même... Je ne peux pas dire que je suis un père très présent pour le gamin... Mais peut-importe ces périodes où on ne se voit pas beaucoup, il est toujours très heureux de m'accueillir à la maison et notre lien n'en est jamais moins fort... Et je suis sûr que c'est la même chose pour Mitsukeru.

Maintenant, tu peux arrêter d'être une héroïne et vraiment travailler pour un monde meilleur construit sur de bonnes bases?

Hum, non, c'était peut-être pas le moment que je dise ça.

Au loin, les gamins s'amusaient encore, alors que nous attendions toujours notre tour pour passer dans le bureau de la prof. Intérieurement, je maudissais Emi de m'avoir placé dans cette situation fortement inconfortable. Assurément, elle savait que l'une des camarades de classe de notre fils était la fille d'une justicière. Et elle savait aussi à quel point je ne portais pas ce corps de métier dans mon coeur... Bon, elle ignorait tout de mes activités nocturnes, mais je ne cachais rarement mes opinions politiques à la maison... Et je savais qu'elle les partageait, à un certain niveau...

Comme à chaque fois que je ressentais un peu de stress, d'impatience, ou tout simplement de manque de nicotine, ma jambe droite était prise de tremblement. Je posai ma main dessus, question de la calmer un peu. C'est qu'elle me posait toute une colle la dame. Je commençais lentement mais surement à me sentir mal à l'aise au vue de comment la situation se développait.

Je levai un sourcil quand elle mentionna que son boulot lui permettait de passer beaucoup de temps avec sa fille. Je n'aurais pas cru que la profession de héros était la meilleur pour concilier travail et famille, mais je gardai mes réflexions pour moi. Après tout, "officiellement", je n'étais pas au courant de comment elle gagnait sa vie.

Je la laissa parler un peu, elle semblait avoir besoin de se vider le coeur et écouter sans dire un mot, c'était une bonne partie de mon métier, après tout. Glaner des informations sans en laisser trop sortir de mon coté. Et, sans prétention, j'étais plutôt doué dans ce que je faisais.

Ren était un enfant actif, très expressif, qui démontrait sa joie (et sa colère, accessoirement) de façon très claire et ce depuis son plus jeune âge. Si il avait un besoin, ou s'il voulait nous faire passer un message, il n'hésitait pas à le faire, j'étais donc très peu familier avec le genre de problème que Chikara m'exposait.

Et c'est là. C'est là qu'elle enfonça le clou. Le clou du malaise. Ma jambe s'était remise à rebondir de plus belle et ma main posé ne la ralentissait même plus.

Est-ce que Ren me disait qu'il m'aimait? Oui, parfois. Quand je le mettais au lit, quand c'était moi qui allait le porter à l'école, quand... Souvent, en fait.

Il me fallait cette cigarette au plus vite.

- Il... Il n'y a pas deux enfants pareil et il n'y a pas deux relations parents-enfants pareil... Ce que Ren me dit ou ne me dit pas ne devrait pas influencer comme vous vous voyez votre relation avec Mitsukeru... Si vous avez été séparé pendant un moment, c'est normal que ça ne soit pas parfait encore, mais donnez lui le temps et ça viendra...

Je fis une petite pause, cherchant s'il y avait quelque chose à ajouter. Malgré l'âge de Mitsukeru, elle était plutôt "nouvelle" dans le domaine...

- Et surtout, laissez vous le temps. Comme toute relation, c'est avant tout la confiance qui prime, donc soyez là pour elle et un jour, elle s'ouvrira à vous.

Arata Tantei, psychologue spécialisé pour les héros. Ça m'irait bien quand même.

Mon malaise avait sans doute été un peu trop apparent, puis qu'à mon tour, je pu voir la gêne dans les agissements de mon interlocutrice. Sans doute se disait-elle qu'elle était aller un peu trop loin dans ces questions? C'était le cas, en effet, mais bon... J'aurais peut-être pu me montrer un peu plus compréhensif avec elle.

Ma jambe commença à se calmer un peu. L'envie de nicotine commençait à passer et je reprenais le contrôle. Quel exemple je faisais, dans ce lieu rempli d'enfant. Je croisais des doigts pour que ni Ren, ni Mitsukeru, ni aucun de leurs petits camarades de classe ne tombe jamais dans l'enfer de la cigarette. Ce truc pouvait mettre à mal même l'homme à la plus grande volonté d'acier. Et provoquer de sacré brulure, lorsqu'utilisé à mauvais escient...

Je grattai un peu ma barbe naissante. J'allais relancé la conversation, je cherchais seulement un nouveau sujet moins... Crève-coeur... Mais je me fis devancé par l'héroïne, qui me demanda si j'avais d'autres enfants. C'est vrai que dans ce contexte scolaire, l'inspiration de discussion ne pouvait pas venir de beaucoup d'endroits...

- Non, Ren est fils unique... Emi... Ma femme. Elle en aurait voulu d'autres. Elle vient elle même d'une grande famille et aurait voulu la même chose pour Ren, mais des... Circonstances. Un peu d'instabilité, lié à mon euh... Précédent emploi, ont fait que le timing n'a été le bon que quand il était déjà tard, déjà pour un premier, donc bon...

Pendant mes derniers milles chez la police, on aurait jamais envisagé d'avoir des enfants. Quand j'ai quitté, nous avons eut Ren, mais le temps nous a vite rattrapé. Et à notre âge, avoir un nouvel enfant...

- On sait jamais, mais bon... L'horloge biologique tourne!

J'eus un petit rire. Je ne savais pas pourquoi je racontais tous ces trucs à une héroïne, mais malgré tout, elle semblait réellement sympa et ça faisait réellement du bien, parfois, de parler. À la limite, si elle n'avait pas été dans ce domaine, je m'aurais bien vu devenir pote avec la dame.

- Et vous? Comment vous parlez, j'imagine aussi que la petite n'a pas de frère et soeur, mais vous avez pas de projet d'aggrandir la famille, depuis votre sorti de p...

Je me tus d'un coup, mon visage devenant rouge vif en une seconde. J'avais gaffé. Ah comme j'avais gaffé. Comment t'allais rattraper ça maintenant, Bak'Arata? C'était impossible. Je devais juste... Faire comme si de rien était, recommencé ma phrase, poursuivre...

- Pas de euh.. Projet de... P'tit frère ou p'tite soeur donc?

So not smooth.

Bon, au moins, l'héroïne ne semblait pas avoir trop mal pris son léger "écart". En même temps, elle devait avoir l'habitude. Une héroïne ex-prisonnière, ça ne courrait pas les rues et ça ne manquait pas de défrayer les manchettes. Je me grattai un peu le derrière de la tête. Maintenant qu'elle savait que je savais, je me sentais mal un peu de ne pas lui donner un petit quelque chose en retour. Après tout, c'était ça qui me séparait de la plupart des héros. J'étais humain.

- Ouais, ta réputation te précède un peu, désolé... Mais je ne crois pas que n'importe qui t'aurais reconnu... C'est un peu mon métier, de me tenir informer. P.I..

C'était pas un secret, j'avais des publicités dans le plupart de torchon qui servait de journaux à cette ville. "Arata Tantei, je retrouve même ce que vous ne savez pas que vous avez perdu". Oui, mon slogan était pourri. Je le sais. On passe à autre chose, merci.

L'héroïne semblait plus détendu, depuis que le chat était sorti du sac. Ça avait eut l'effet contraire de ce à quoi je m'attendais donc. Elle me confia qu'elle n'était plus avec le père de la petite (ce sur quoi j'aurais parié mon maigre salaire) et qu'elle n'avait personne dans sa vie. L'agrandissement de la famille n'était donc pas dans les plans pour le moment. Je pouvais comprendre.

Maintenant qu'il n'y avait (presque) plus de secret entre nous, je pouvais me permettre de parler des "vrais" choses.

- C'est sur que, de ce que j'en vois d'un point de vue extérieur, héros ça semble pas facilité les relations sérieuses, vu les risques et tout non?

Elle me fit ensuite une remarque qui l'a fit bien rire. Et qui me fit sourire, je l'avoue. Par contre, les autres parents, visiblement un peu plus vieux jeu, ne semblait pas apprécié qu'on se tape la discut' si naturellement. Où ils étaient jaloux, j'aurais pas su dire.

- Je note, je note...

Apparemment, on avait encore un peu de temps avant que ce soit à notre tour, certains parents étirant leurs rencontres plus que nécessaire. Sans doute des parents dont la réussite de l'enfant n'était pas acquise et qui tentait de mettre la faute sur la pauvre institutrice. Un classique.

C'était le moment que je lui pose la question qui me brulait les lèvres depuis un moment. Depuis que je l'avais reconnu.

- Pardonne moi ma curiosité mais... Qu'est-ce qui pousse quelqu'un a soudainement faire confiance au système? Je connais pas tout ton histoire, mais de ce que j'en sais... Les héros ça n'a pas toujours été ta tasse de thé, mais tu faisais le boulot quand même non? Pourquoi avoir changé d'idée? J'imagine que tu as eu le temps de réfléchir mais...

Je laissa ma phrase en suspens. Je ne savais pas trop comment formuler ce que je voulais dire, sans trop en donner. Ah et puis tant pis. Je finis ma phrase dans un souffle.

- T'as pas l'impression de leur avoir donner raison et de leur offrir exactement ce qu'ils voulaient en t'envoyant en dedans, alors que tu voulais seulement aider?