Tu te forces à trouver ça intéressant. Ça ne l’est pas vraiment, mais ton ennui ne se lit pas sur ton visage. Tu es une pro, après tout.
La mission de Rin continuait. Aujourd’hui, c’était au tour de Shiketsu d’être passée au crible. Plus précisément, c’était au tour de Saha-Terra. La troisième personne interrogée depuis le début de cette quête. Héroïne professionnelle venue du Maghreb, elle avait rapidement été prise sous l’aile de Kurai Gensei et avait trouvé un poste stable en tant que professeure d’éducation physique et sportive à Shiketsu. Bien sûr, dans une école qui ne formait que des héros, cela impliquait surtout de les entraîner au combat, comme aujourd’hui. Une héroïne au profil atypique, donc, arrivée depuis peu… Et qui avait eu l’occasion d’échanger des coups avec All for One. Un profil de premier choix, donc.
Mais forcément, ses responsabilités d’enseignante passaient avant toute autre chose. Rin avait pris rendez-vous avec elle il y a de cela une semaine, mais elle était arrivée un tout petit peu en avance (mieux valait ça que d’être en retard), et la voilà forcée d’attendre la fin du cours. Elle n’avait pas encore salué Saha-Terra, et s’était juste assise sur un banc à l’autre bout du vaste terrain de sport. Elle regardait les élèves s’activer avec un entrain forcé.
L’agente de la Commission aurait cru pouvoir prendre des notes pertinentes sur la façon dont Saha-Terra menait son cours, mais elle était presque déçue de ne rien trouver à y redire. Elle était pédagogue et attentive à ses étudiants, et ses leçons étaient tout à fait aux normes. Rin barra quelques questions sur son formulaire. Pas besoin de questionner sa méthode, au moins, et il n’y avait pas à douter de la pertinence du choix de Gensei.
La sonnerie retentit enfin, et les apprentis héros retournèrent au vestiaire, certains jetant un regard curieux en direction de la jeune femme en costume qui les observait depuis tout ce temps. Rin rangea ses papiers, se leva et, toute souriante, alla à la rencontre d’Ayo Yowa.
"Bonjouuuur... Saha-Terra ? Nous avions rendez-vous. Je suis Suzuki Rin, de la Commission de Sécurité Publique Héroïque. Je suis également une héroïne professionnelle, sous le nom de Scrappy."
Elle tendit sa carte à l’enseignante tout en s’inclinant respectueusement.
Tu espères qu’elle aura la gentillesse de t’inviter à discuter ailleurs qu’au milieu du terrain de terre.
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Le cours d'aujourd'hui avait été épuisant, manipuler le terrain et créer des obstacles à plusieurs élèves en même temps me demande à la fois une concentration extrême et une grande endurance. Parfois j'aime à croire que mes exercices me renforcent moi aussi, mais je suis trop occupée à travailler sur les bilans physiques personnels de chacun d'eux que j'ai peu de temps pour me concentrer sur ma propre amélioration, pourtant j'en aurais bien besoin. Mon combat face au vilain des docks le prouve, je ne suis pas à la hauteur face à de réelles menaces.
Mais bref, il faut que je m'occupe de remettre ce terrain en ordre, reboucher les trous et lisser les obstacles pour le prochain groupe qui passe dans une heure… Mais ça me prendra moins de temps que ça non ? Pourquoi j'ai autant de temps libre ?
Autant en profiter pour me poser un peu. Je prend une grande inspiration et m'étire pour éviter les courbatures avant de me retourner pour aller chercher ma bouteille d'eau… Et finalement découvrir un visage souriant entouré de mèches blonde qui me fixe avec insistance ;
"Saha-Terra ? Nous avions rendez-vous. Je suis Suzuki Rin, de la Commission de Sécurité Publique Héroïque. Je suis également une héroïne professionnelle, sous le nom de Scrappy."
"Ah !"
Mon cœur manque de lâcher mais tout me revient en tête lorsque j'entends les mots "commission" et "rendez-vous" ! C'est aujourd'hui ? J'avais totalement oublié !
"Euh… Oui haha ! Je suis Saha-Terra enchantée !"
Je ne savais pas quoi dire.
Elle est tellement silencieuse ! Je ne l'avais pas remarquée ! Depuis quand est-elle derrière moi à m'observer ? Elle a vu mon cours ?
Mince. Comment j'ai pu zapper ce rendez-vous ? La Commission de Sécurité… j'ai plus la suite, mais c'est la plus haute instance héroïque au Japon, et ils veulent me poser des questions. Je n'ai pas trop compris ce qu'il voulaient savoir, ni pourquoi moi, mais je me suis dis que c'était important.
Et ça me stresse.
"Asseyez-vous, je vous en prie !"
Dis-je en levant un siege terrestre de fortune juste derrière le derrière de l'héroïne, plutôt fière de mon tour de passe-passe, avant de me rendre compte que ce n'était peut-être pas nécessaire. De plus, ça ne sera pas confortable. Et ça va salir son pantalon. Elle est en costard cravate et je suis en tenue de sport, j'aurais dû m'habiller non ?
Aah ! Si j'avais mis ma tenue héroïque - ce que je fais la plupart du temps en cours -, j'aurais au moins eu l'air sérieuse ! Quelle déveine !
Passant une main dans mes cheveux je lâche un rire nerveux avant de lui demander :
"Alors ? Qu'est-ce que vous voulez savoir ? Ah. Vous allez me dire que c'est à vous de poser les questions non ?"
Je panique. En même temps, y'a quelque chose dans son visage qui me fait flipper.
Tu reconnais ce sursaut. Tu l’as déjà vécu. Et tu l’as vu en action, si souvent. C’est le sursaut de quelqu’un surpris, qui avait oublié son rendez-vous. La preuve, elle est en tenue de sport.
Rin se figea pendant une demi-seconde lorsque la terre s’éleva derrière elle. Est-ce qu’elle allait vraiment faire ça ? En plein air, là ? Bon. Au moins, ça la changeait. Et on était en juillet, il ne faisait pas froid, loin de là.
Rin essayait de se convaincre elle-même, en pensant à ça. En réalité, l’agente de la Commission était terriblement agacée par ce siège de pierre. Elle était assise sur un banc depuis tout à l’heure, et ce dernier était bien plus confortable que la roche nue.
Enfin. Si c’était ainsi qu’on accueillait à Shiketsu… À Rome, faire comme les Romains. Rin sourit en s’asseyant, et, comme si c’était normal, se mit à sortir quelques papiers de sa valise.
"J’ai pu regarder votre cours, c’était très intéressant. Vous avez l’air de bien vous en sortir, et il semblerait que les élèves vous apprécient."
La période était celle des stages des classes A. Les étudiants que Rin avait vu étaient donc ceux des B. Elle avait une question à ce sujet, un peu plus tard. Mais pour l’heure, elle allait rester sur l’essentiel.
"Je mène actuellement une enquête portant sur les héros et étudiants un peu particuliers de notre pays. Rien de dramatique, voyez ça comme un simple compte-rendu de votre situation ! Il n’y a pas de "bonne réponse", nous cherchons simplement à nous assurer que tout se passe bien, alors répondez comme vous le sentez."
Le sourire, toujours, alors qu’elle sortait un stylo et commençait à écrire sur une feuille devant elle.
"Vous enseignez depuis un peu plus d’un an, désormais, et cela va faire trois ans que vous êtes arrivée au Japon. Est-ce que vous estimez être intégrée au pays ? À son système héroïque, bien sûr, mais à sa vie courante, également… Et à celle de l’école, bien entendu."
Tu ouvres sur du lourd. Mais c’est parmi les questions les plus importantes que tu peux poser. À vrai dire, toutes les questions que tu poses ne sont que des variations de celle-ci. "Est-ce que vous êtes intégrée au Japon ?" Et le reste n’est qu’enrobage.
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Finalement, la représentante de la commission s'assoit sur le siège improvisé sans protester, elle semble même plutôt à l'aise dessus… Quel soulagement. J'aurais pu lui proposer d'aller en salle des profs… Là-bas il y a des canapés, du café… Et j'aurais pu me changer. Mais elle semble bien décidée à commencer l'interrogatoire ici-même.
Je n'ai vraiment pas envie de la contrarier. Et si elle se mettait à me laisser de mauvaises appréciations ? Ça serait grave ? Genre "N'avait pas prévu d'endroit pour le rendez-vous" ou "Avait oublié le rendez-vous."... Elle a une tête à s'attacher à ce genre de détails. Je ne la sens pas. Je ne sais même pas ce que je risque avec elle !
"J’ai pu regarder votre cours, c’était très intéressant. Vous avez l’air de bien vous en sortir, et il semblerait que les élèves vous apprécient."
Sa phrase vient mettre un terme à mes questionnements et me soulage un instant, je lui réponds avec un léger sourire et un faible merci.
Déjà un bon point non ?
Juste après, elle m'explique rapidement que sa visite n'est qu'un simple "compte-rendu" de ma situation… Rien de très sorcier non ? J'ai juste à répondre à des questions. Je demande ça à mes élèves tous les jours ! Je devrais pouvoir le faire.
Cependant quelque chose m'interpelle dans sa phrase… Mais je n'ai pas le temps de lui demander qu'elle attaque directement avec une question, munie d'un stylo et d'une feuille, prête à noter tout ce que je dis.
Mon intégration ?
"Euh…"
Je reste un instant silencieuse, hésitante.
"Oui ? Enfin… Oui je pense !"
Je m'arrête, un oui ça suffit non ? Comment pouvais- je répondre autrement ? Oui, je suis bien au Japon. Voilà, ça aurait été plus cohérent déjà !
"Avant d'entrer à Shiketsu, j'étais juste une jeune héroïne pas très connue… Mais j'ai vite pris mes marques. Surtout ici, au lycée. J'ai vite appris la langue, je me sens à ma place... Mon origine n'a jamais vraiment joué dans mon intégration ici… Si c'est bien ça que vous sous-entendiez par "héroïne un peu particulière" ?"
Ouf, j'ai réussi à me débloquer un peu, j'ai même pu caser ma question ! Mais immédiatement, mes yeux fixent son stylo et un frisson me parcourt le dos alors qu'il s'apprête à bouger :
Tu te dis qu’elle a de la chance d’être tombée à Shiketsu. C’était un cadre plus cosmopolite que Yuei, jusque dans les membres de son personnel.
Rin notait, en effet, tout, sans regarder sa feuille. Sous une forme tellement abrégée que ses écrits étaient compréhensibles d’elle seule, mais elle notait tout. Son stylo ne s’arrêta de danser sur le papier que lorsque Saha-Terra lui posa la question. Est-ce que c’était vraiment si bizarre, de prendre des notes ? Elle était là pour ça, après tout.
"Et bien… Oui. J’ai une bonne mémoire, mais je vois tellement de monde, vous savez, je préfère prendre des notes, pour être sûre de ne rien omettre."
Scrappy plongea sa main dans la poche intérieure de sa veste et en sortit un petit boîtier noir.
"J’ai un dictaphone, aussi. Vous préférez que j’enregistre l’audio ? Ça ne fait aucune différence, pour moi."
Mensonge imperceptible. Elles étaient à l’extérieur, c’était pour ça qu’elle n’avait pas sorti le dictaphone directement. Normalement, elle faisait la prise de notes et l’enregistrement vocal simultanément. Mais en plein air, elle avait peur que son dispositif capte trop de vent ou de sons annexes. Toutefois, cela la servait. Saha-Terra ne semblait pas particulièrement à l’aise. Lui donner un choix trivial comme celui-ci pouvait aider à la faire se sentir plus en sécurité.
C’était le genre de technique qu’on utilisait en interrogatoire criminel, mais de toute façon elle n’interrogeait jamais de criminels, autant faire en sorte que cela serve à quelque chose.
"Si vous vous sentez intégrée, c’est fantastique. N’hésitez pas à faire appel à nous si vous vous sentez discriminée d’une quelconque façon. Mais vous savez, ce n’est pas seulement en raison de vos origines que je suis là aujourd’hui."
Son air se fit plus sérieux alors qu’elle marquait un temps d’arrêt.
"Vous avez affronté All for One. Tout le pays vous a vu à l’œuvre. Qu’est-ce que vous pouvez me dire à ce sujet ? Le combat et ses retombées, comment l’avez-vous vécu ?"
Elle n’aimait pas elle-même raviver les souvenirs de la Bataille de Musutafu. Mais sans ce conflit, elle ne serait pas là, de toute façon. Inutile de détourner le regard.
Toi, tu n’étais pas à Musutafu. Tu as juste aidé au nettoyage, après coup. Ton travail, c’est de préparer en amont et de corriger en aval. Pas d’agir sur le coup.
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Déjà que la voir noter tout ce que je dis me met mal à l’aise, la voilà qui sort maintenant un dictaphone ! C’est pas vrai ! Soit elle ne comprend rien à ma détresse, soit elle est intentionnellement sadique. Je pencherais plus pour la deuxième option. Toujours debout, je me dandine légèrement en passant frénétiquement ma main dans mes cheveux déjà bien ébourriffés :
“Non, non… Vous embêtez pas ! Le stylo ça me suffit. Enfin, ça suffira ! Tout ce que je raconte n’est pas forcément important de toute façon…”
Réponds-je en bégayant. Est-ce qu’elle note aussi mes hésitations et mes problèmes de langage ? Mon japonais est quasi-parfait maintenant mais je sais que je m'emmêle parfois dans les expressions et les mots.
“Si vous vous sentez intégrée, c’est fantastique. N’hésitez pas à faire appel à nous si vous vous sentez discriminée d’une quelconque façon.”
Je soupire, un peu soulagée. Bon si ce n’est que ça l’interrogatoire, ce n’est pas si terrible. Je me sens définitivement bien ici, en prof. J’aime ce que je fais et les élèves me le rendent bien car ils ne rechignent pas à accomplir mes exercices qui ne sont pourtant pas toujours très faciles.
“Mais vous savez, ce n’est pas seulement en raison de vos origines que je suis là aujourd’hui."
Et soudain, le visage de madame Suzuki prend un air encore plus sérieux qu’avant, me figeant sur place, je pensais qu’elle avait déjà atteint son maximum. Qu’est-ce qu’elle va bien pouvoir me demander encore ?
"Vous avez affronté All for One. Tout le pays vous a vu à l’œuvre. Qu’est-ce que vous pouvez me dire à ce sujet ? Le combat et ses retombées, comment l’avez-vous vécu ?"
A l’instant où elle prononce son nom, ma mine s’assombrit. All for One. Je ne pensais pas que quelqu’un viendrait m’interroger au sujet de ce combat, puisqu'il a été vaincu par All Might. Je n’ai jamais réfléchi à ce que je pourrais dire sur ce combat, à vrai dire, je ne voulais plus y penser… Mais je sais mieux que quiconque à quel point il est difficile d’échapper aux mauvais souvenirs.
“C’était atroce.”
Dis-je alors d’une voix plus forte et assurée qu’avant, relevant la tête. Je ne pouvais pas montrer ma faiblesse et ma peur à cette agente du gouvernement. Comme je ne pouvais pas le montrer à ceux qui m’ont vu combattre ou à mes élèves. Je lève ma main devant moi :
“Quand il m’a forcée à utiliser mon alter…”
Il m’a brisé tous les os de mes bras. J’ai observé des tonnes de terre sortir de sous le bitume pour partir s’écraser sur mes alliés. C’est une vision horrifique.
“J’ai compris à quel point un alter peut devenir dangereux. Surtout entre de mauvaises mains.”
Je serre le poing.
“Et je souhaite que mes élèves n’aient jamais à affronter une entité aussi dangereuse que lui. Je ferais tout ce que je peux pour cela.”
Avec le développement des alters des nouvelles générations, de plus en plus d’alters puissants feront leur apparition. Surement plus puissant que ceux d’All for One ou All Might…
“Et c’est pour cela que l'on a besoin de héros.”
J’esquisse un sourire en pensant aux exploits qu'ont déjà accompli nombre de mes élèves, bien motivés à prendre la relève.
“Et je suis convaincue que la génération post-All Might saura aussi bien défendre le Japon que lui.”
Un peu rassurée, mon stress reprend le dessus et je recommence à me gratter le cuir chevelu :
“Désolée… Je ne sais pas si j’ai bien répondu à la question.”
Ding ding ding, bonne réponse, mademoiselle Saha-Terra. Bien sûr, toi tu lui diras qu’il n’y a ni bonne ni mauvaise façon de répondre, mais tu sais bien ce qu’il en est en réalité.
Rin écoutait attentivement la déclaration de Saha-Terra, tout en rangeant son dictaphone dans sa poche d’une main et en continuant de prendre des notes de l’autre. Elle ne quitta son air concentré et solennel que lorsque l’héroïne se mit à montrer des doutes quant à la qualité de sa réponse.
"Ce n’est pas une évaluation, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, si c’est ce qui vous vient, alors c’est très bien. Je me permets, au nom de la Commission, et du pays, de vous remercier infiniment, une fois de plus, pour vos actions ce jour-là."
Elle était sincère, quand elle disait cela. Rin était patriote, prête à mourir en un éclair pour son pays, mais elle n’était pas aussi profondément héroïque que d’autres. Contre All for One s’étaient dressés de nombreux héros étrangers, Saha-Terra en tête. À sa place, Rin aurait clairement fait profil bas, sous prétexte que ce n’était pas son pays qui était en danger.
Et puis, de façon plus pragmatique, les réponses de l’enseignante étaient "bonnes" dans le sens où elles pouvaient facilement être tournées de sorte à servir la politique actuelle du pays. Oui, on avait besoin de héros. Elle trouvait qu’un Alter pouvait être dangereux entre de mauvaises mains ? Et bien cela faisait une munition que l’État pouvait utiliser contre les dangereux démagogues qui prônaient la libération des Alters. Bien sûr, les pros aux Alters libérés avaient un certain biais, mais ça, si on ne voulait pas que ça se voie sur le sondage, c’était tout à fait possible.
La bureaucrate se permit un franc sourire avant de passer à la suite. Une chance pour elle, son interlocutrice, en plus d’avoir pris de l’avance sur certaines de ses questions, lui avait fourni un moyen de transition parfait.
"Vous parlez de l’après All Might, de vos élèves… Vous avez une partie des effectifs en stage, en ce moment, si je ne m’abuse."
Un "si je ne m’abuse" de politesse. Elle savait parfaitement que les classes A de Shiketsu étaient en stage actuellement.
"Certains de vos étudiants ont eu à agir sur le terrain à Musutafu. Qu’est-ce que vous pouvez me dire sur eux ? Nous savons que quelques élèves ont quitté les cursus héroïques, à travers le pays, après ça, mais également que le nombre de dossiers envoyés n’a pas diminué. Comment vont vos élèves ?"
Tu es une jeunette, Rin. Encore loin de la retraite. Quand ces gosses deviendront des pros, tu seras soit morte, soit encore en service. Alors il faut que tu en saches le plus possible sur les futures générations. Non pas que Saha-Terra soit old-school, d’ailleurs. Elle aussi, faisait partie de la génération post-All Might.
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Se voulant peut-être rassurante, Scrappy m'assure que je ne peux pas mal répondre à une question, mais sans le lui montrer directement, je n'arrive pas vraiment à être convaincue.
Le gouvernement japonais est très strict envers ses héros, nous sommes la figure de proue de la justice du pays, on ne peut pas faillir, la confiance des citoyens envers nous en dépend. Donc j'ai plutôt l'impression que ma collègue est là pour vérifier que je n'ai pas vrillé suite à mon combat contre All for One.
Mais nous n'allons pas plus loin sur le sujet et elle se met alors à parler des mes élèves, pour la plupart partis en stage, avant de me demander des nouvelles, notamment de ceux ayant pris part au combat.
"Oh, ils s'en sortent bien. La plupart de ceux qui ont participé au combat se sont très bien battus."
Alors que je repense à mon affrontement avec le vampire de l'alliance, je lève un siège de terre juste sous mes fesses pour m'asseoir à mon tour. Le sien semble bien inconfortable, est-ce que je l’aurais fait exprès inconsciemment ? Ce n’est pas mon genre, mais elle me perturbe tellement, je ne suis plus sûre de rien.
“Mais il y a certaines choses que les jeunes de leur âge ne devraient pas avoir à affronter, même s’ils se prédestinent au métier de héros. Certains membres de l’alliance égorgent des enfants sans hésiter.”
Dis-je avec une grimace, repensant au cadavre retrouvé à quelques mètres de l’endroit où on l’a affronté, avec Iku. Entre mes doigts, lévite une petite pierre au bords lisses que je fais tournoyer de manière aléatoire. Je la fixe le regard vide, repensant à mon passé de nomade, et le massacre de ma famille, il y a certaines images qu’on ne peut pas effacer.
“Ils sont doués et passionnés, mais ce sont aussi des adolescents, qui se découvrent encore et veulent vivre leur vie à leur façon.”
Je me retiens de dire ce que je pense du nombre élevé de vigilant de cet âge, madame crayon a sûrement toutes les stats en tête. Et puis, je suis encore jeune, mon entraînement n’est pas si loin derrière, je sais ce que ça fait d’avoir envie de tout envoyer balader, ça paraît plus simple que toute la pression qui pèse sur nos épaules.
D’ailleurs, j’y avait pas trop pensé mais… Scrappy n’a pas l’air si âgée non plus. Je passe une seconde à la dévisager, avec ses manières et son style j’ai vite assumé que c’était une vieille très ancrée dans le système mais… En vérité, en regardant en détail son visage je me rend compte qu’elle a sûrement presque mon âge !
“Euh… Scrappy ?”
J’hésite une seconde à poser une question personnelle à une membre du gouvernement avant de laisser mon instinct me guider :
“Quel âge as-tu ?”
Dis-je, sortant d’un coup de toutes mes marques de politesse pour m’adresser à elle plus directement. Elle me met toujours mal à l’aise, mais peut-être que je me sentirais mieux si je la trouve plus sympatique… non ? Avant qu’elle ne s'énerve, j’essaye de désamorcer rapidement la situation, arborant un sourire amical tout en continuant de jouer avec ma pierre d’une main et une de mèches de l’autre :
“Euh… Tu n’es pas obligée de répondre si tu n’en a pas envie hein.”
Tu aurais aimé qu’elle cite des exemples précis parmi ses élèves, mais tu peux comprendre qu’une enseignante doive se montrer impartiale et ne prenne pas le risque de faire du favoritisme. Tant pis, ça aurait facilité ton travail. Ou du moins l’aurait accéléré.
C’était une bonne chose que les jeunes s’avéraient être prometteurs. Et une très mauvaise chose, comme Saha-Terra le soulignait, que certains aient eu à faire face à des horreurs comme les événements de Musutafu. Lorsque la libyenne mentionna l’enfant égorgé, l’habituellement stoïque Rin eut un frisson visible et son visage se décomposa.
Ooooh, elle l’a vu aussi, alors ?
Rin l’avait sorti de la poubelle. L’enfant à moitié dévoré. Oui, elle n’avait pas eu à se battre, le jour de l’attentat. Mais passer derrière pouvait être tout aussi choquant et épuisant. Les blessés, les cadavres, les dégâts… Ça avait été une très mauvaise semaine. Fort heureusement pour Rin, Saha-Terra avait changé de sujet, d’un coup.
En temps normal, Scrappy aurait répondu rapidement avant de rediriger rapidement la conversation vers l’entrevue. Pas cette fois. Le souvenir de l’enfant mort la bouleversait trop. Elle allait profiter de l’occasion pour se recentrer un peu. Ses épaules se relâchèrent.
"J’ai 23 ans. Un an de moins que vous."
Rin sourit et se frotta l’arrière du crâne, un vague air d’embarras, simulé et avenant, sur le visage.
"Je comprends que ça surprenne, je dois me montrer très sérieuse et parler d’une certaine façon, pour mon travail. Mais vraiment, si vous voulez me parler moins formellement, faites-le, ça ne me dérange pas."
La bureaucrate fit tourner son stylo en équilibre sur son doigt, avec la facilité et le naturel de quelqu'un qui faisait cela souvent. Bien sûr, elle avait l'habitude des stylos. C'était avec cela qu'elle travaillait, pour la paperasse comme pour le combat.
"Notre pays est… Très porté sur l’administration, les conventions sociales rigides, et la politesse. Je ne sais pas comment ça se passe en Lybie, je n’ai jamais eu l’occasion de visiter, mais j’espère que vous n’êtes pas trop étouffée par notre façon de faire les choses."
Tu dis ça, mais la rigidité japonaise te plaît tellement. Tu as grandi dedans, dans l’un des milieux les plus rigides qui soit, par ailleurs. C’est confortable, pour toi. Bien sûr, parfois, tu n’arrives pas à respirer… Mais c’est un défaut qui vient de toi, pas du système, de toute évidence. Quoi de plus confortable et apaisant qu’une machine bien huilée qui fonctionne toute seule et expulse d’elle-même les pièces défaillantes ?
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J'avais vu juste, elle est même plus jeune que moi ! Cependant, ses réponses ne me rassurent pas vraiment, la représentante du gouvernement reste très sérieuse et, même si elle m'encourage à parler normalement et être plus à l'aise, je sens que ce ne sera pas réciproque.
J'ai l'impression qu'elle essaye d'obtenir ma confiance dans l'unique but que je lui réponde plus vite et plus naturellement, et sûrement pas pour sympatiser.
"Notre pays est… Très porté sur l’administration, les conventions sociales rigides, et la politesse. Je ne sais pas comment ça se passe en Lybie, je n’ai jamais eu l’occasion de visiter, mais j’espère que vous n’êtes pas trop étouffée par notre façon de faire les choses."
Ou une autre façon de demander "est-ce que vous vous êtes bien adaptée à notre pays ?". Un peu déçue, je baisse les yeux pour regarder mes pieds. Elle est bien différente de mes élèves plein d'entrain et de rêves. Même les plus taciturnes d'entre eux ne me dépriment pas autant que parler avec elle.
"Non…Mais les dunes du Sahara me manquent. Seule en plein désert, je pouvais surfer comme je le souhaitais, dans la direction que je voulais, sans me soucier de qui que ce soit. C'était un sentiment incroyable."
Je relève la tête pour regarder le ciel, il fait beau aujourd'hui, mais les températures sont bien loin d'atteindre celles de ma terre natale. Mon pays me manque, mais je n'ai plus de vie là-bas, j'aime le nouveau départ que j'ai pris au Japon.
"Je te souhaite de vivre ce genre de sensations un jour."
Non pas que je sous-entende qu'elle n'en a jamais vécu… Mais j'en doute fort. Je soupire, continuant de jouer avec le cailloux flottant au creux de ma main et pes yeux se posent alors sur sa fiche où elle continue d'écrire chaque mot que je prononce :
"On en est où dans ta fiche de questions ? Il en reste encore beaucoup ?"
Et dire que j'ai imaginé que je pouvais faire ami-ami avec un robot. Quelle naïve je fais.
Ça a l’air stylé, son truc que tu pourras jamais faire.
Rin avait beau ne pas être sportive, l’idée de voler à travers le désert avait quelque chose d’attirant… Tant qu’elle pouvait se reposer rapidement, et au frais, après une telle expérience. Un peu rêveuse, elle leva les yeux au ciel en essayant d’imaginer à quoi pouvait ressembler un surf des sables.
"Ça a l’air fantastique, oui. Mais bon, mon Alter ne me permet pas ce genre de plaisirs."
Elle restait pragmatique dans ses rêveries.
Et voilà que, déjà, l’étrangère voulait mettre fin à l’entrevue. Elle ne le demandait pas explicitement, mais c’était tout comme. Elle semblait lasse.
Shokanuru avait témoigné du même agacement et de l’envie d’en finir, lorsque l’agente avait parlé de sa fille. Rin s’en voulait, elle avait commis une erreur, mais où ? En mentionnant la Libye, peut-être ? Elle avait parlé des dunes du Sahara… Était-elle nostalgique ? Rin nota dans un coin de sa tête qu’il s’agissait d’un bouton sur lequel il ne fallait pas appuyer.
Rin fit mine de survoler sa liste de questions, un pur acte de comédie, et prit la parole sur un ton tout à fait détaché.
"Bof non. Je m’adapte, de toute façon. Je vais sauter la partie sur vos performances sur le terrain, tout le monde sait déjà que vous êtes exceptionnelle."
Inutile de questionner sur sa réussite quelqu'un qui avait tenu tête au plus grand super-vilain ayant jamais existé. D’autant plus qu’Ayo Yowa travaillait dans son école avant de travailler sur le terrain, la question manquait de pertinence. L’agente de la Commission allait donc directement passer à la dernière question.
"Une dernière question, donc. Oh, et, je tiens à dire que tout ça, ça marche dans les deux sens. Si vous avez des questions pour moi, ou pour la Commission, je serais ravie d’y répondre, ou de transmettre."
Tout en disant cela, elle rangeait son matériel. Feuille glissée dans la pochette, stylo glissé dans sa poche intérieure. Lorsqu’elle formula sa question, elle avait les mains vides. C’était une façon de faire comprendre qu’elle n’allait pas utiliser cette réponse contre Saha-Terra. Forcément, c’était plus marquant avec un dictaphone qu’avec une feuille.
"Si vous deviez changer quelque chose au Japon, qu’est-ce que ce serait ? Tout ce qui vous passe par la tête. Les lois, les droits, l’ambiance..."
Rin avait retravaillé la question, depuis la dernière fois qu’elle l’avait posée, à North Star. Plus claire, quoiqu’un peu moins libre, elle espérait faire naître un engagement plus fort avec cette nouvelle tournure.
La mention du gosse dans la poubelle, ça t’as vraiment mise mal, t’as perdu en sérieux. T’auras besoin d’une clope, après ça.
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"Ça a l’air fantastique, oui. Mais bon, mon Alter ne me permet pas ce genre de plaisirs."
Je relève les yeux pour les poser sur le visage peu émotif de la fonctionnaire, qui semble peu animée par mes souvenirs, elle et moi avons certainement une définition totalement différente de “lâcher prise”. Est-ce qu’elle garde son costard même chez elle ? Ça ne m'étonnerait pas tant que ça... J’ai du mal à l’imaginer avec un pyjama. C'est une image marrante cependant, je vais peut-être continuer.
"Bof non. Je m’adapte, de toute façon. Je vais sauter la partie sur vos performances sur le terrain, tout le monde sait déjà que vous êtes exceptionnelle."
Un frisson me parcourt alors que je baisse les yeux, gênée. Je n’aime pas me faire complimenter de la sorte, surtout qu’elle ne dit ça que pour me flatter, avoir affronté All for One ne fait pas de moi une experte du terrain et en plus je n’ai pas vraiment brillé. A chaque fois que quelqu’un m’en parle… Je ne peux m’empêcher de me remémorer la douleur que j’ai ressenti quand il a utilisé mon alter contre mes propres alliés, quand son pouvoir a transpercé ma peau et que mes os se sont brisés… Je n’appelle pas ça une performance.
Mais bon, au moins elle souhaite abréger l’interrogatoire non ? Elle aussi veut en finir vite, elle a compris que ça me mettait mal à l’aise ? Elle est pas si robotique que ça finalement, j’espère que ça ne va pas lui être reproché par ses supérieurs… Même si elle n’est pas très chaude ou rassurante, je ne pense pas qu’elle soit totalement insensible non plus. Je ne veux pas juger un livre à sa couverture.
Elle m’annonce alors une dernière question tout en rangeant son stylo dans sa veste, malgré qu’elle ai tout noté jusqu’ici, je ne sais pas si c’est censé être rassurant, mais ça ne marche pas trop avec moi. Et c’est alors qu’elle me demande :
"Si vous deviez changer quelque chose au Japon, qu’est-ce que ce serait ? Tout ce qui vous passe par la tête. Les lois, les droits, l’ambiance..."
Mes sourcils se soulèvent et je la fixe, un peu surprise.
“Changer quelque chose… au Japon ?”
Je répète, parce que je n’arrive pas vraiment à réaliser qu’elle vient juste de me demander ça. En fait ses questions c’est vraiment une enquête de satisfaction comme celles qu’on reçoit dans nos spams après avoir visité un magasin ou acheté un vêtement sur un site… Sauf que là elle me parle du Japon. Un léger sourire se dessine sur mon visage alors que je suis amusée par la question :
“Je… je dois vraiment répondre à cette question ? Je veux dire, je ne me sens pas légitime de… Enfin, la politique c’est pas vraiment mon truc vous savez.”
Sans que je ne la contrôle, ma main s’était remise à gratter frénétiquement dans ma chevelure. Non mais, qu'est-ce que je peux vraiment répondre à ça ? Depuis que je suis ici, j’ai trouvé ma place assez tranquillement, j’ai galéré un peu à trouver un logement au début oui, mais je n’ai pas eu trop de problème avec mon visa, mon mentor s’étant porté garant… Et puis Mr.Gensei m’a très vite fait confiance pour m’accorder un place à Shiketsu, tout s’est déroulé sans vraiment de problèmes… Je ne sais pas trop quoi dire.
Mes yeux se posent alors sur mon interlocutrice et je lui demande :
“Et toi… Tu en penses quoi ?”
Peut-être qu’elle pourrait m’éclairer un peu, non ?
