Faut t’y faire, Rin. Elle est nulle cette question. Arrête de la poser, surtout aux marginaux, ils savent qu’il n’y a pas de bonne réponse.
La fausse blonde fit une moue embarrassée en voyant l’hésitation de la lybienne. Vraiment, est-ce qu’elle était la seule à avoir des envies quelconques pour le pays ? Ce n’était même pas une question si politique que ça. "Augmenter mon salaire" était une réponse valide. Mais justement, voilà que Saha-Terra retournait le petit jeu de l’interview contre elle. Et elle, elle en pensait quoi ?
"Moi ?"
C’était très rare qu’on demande à Rin son avis sur… Quoi que ce soit. Elle avait la liberté de poser les questions qu’elle voulait, mais ses propres réponses n’étaient pas vraiment prises en compte. Aucune de ses missions ne relevait de sa propre initiative, tout découlait de ses supérieurs hiérarchiques. La plupart du temps, ça lui convenait, mais l’idée de s’exprimer un peu n’était pas désagréable, quoiqu’un peu déstabilisante.
Elle reposa sa tête contre sa main et regarda vers le ciel quelques secondes. Pour faire semblant de réfléchir. Si elle était surprise par la demande d’Ayo, ses idées pour le Japon, elles, n’avaient pas à être improvisées. Elle y pensait sans cesse. Surtout quand elle menait ces interviews à l’utilité douteuse.
"Et bien… Je pense qu’il faudrait unifier les écoles héroïques, déjà. Je pense qu’à ce stade, la petite guerre des noms de lycée fait plus de mal qu’elle ne sert à motiver les élèves à coup de rivalités. Répartir le budget de dingue de Yuei et Shiketsu pour en faire profiter un peu tout le monde, et en profiter pour homogénéiser les méthodes d’enseignement."
En somme, rendre les jeunes héros plus faciles à contrôler pour le gouvernement. C’était le non-dit de cette idée. Rin essaya de se balancer sur sa chaise, oubliant que cette dernière était en pierre, et se contenta de doucement s’avachir contre la table de pierre.
"Mmmmmh… Je pense aussi qu’on pourrait être un peu plus stricts avec les justiciers sans licence. J’ai vu des boutiques sauvages vendre des masques du Maraudeur, et ça m’énerve vraiment. Il faut empêcher que ces gens deviennent des icônes, ça ne fait du bien à personne."
Pour sa dernière idée, Scrappy afficha un sourire en coin.
"Et bien sûr… Augmenter mon salaire de 300%."
Et puis dégager la plupart des héros étrangers sauf “les bons”, assassiner en secret les représentants d’Aegis sur le territoire, faire de chaque héros un réserviste des forces de défense du pays, contrôler le déploiement de chaque super en mettant fin au système d’agences privées, et faire que Hanazawa, Yotsubashi et tous les autres bobos pseudos-gauchos technocrates bien-pensants arrêtent de sous-entendre, voire pire, de dire ouvertement, qu’il est possible de vivre sans forcément brider les Alters de chacun. Mais ça, tu ne vas pas le dire à Saha-Terra.
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La représentante de la commission fait mine de réfléchir pendant une poignée de seconde avant de me sortir une beau speech sur sa manière de voir les choses… Elle a sûrement dû y réfléchir bien avant moi. En même temps, elle doit poser ces questions à tous les héros qu’elle interroge…
En tout cas, la fonctionnaire émet l’idée d’unifier les écoles héroïques et de durcir les lois envers les justiciers de l’ombres…
“Hmm… Ça ferait beaucoup d’élèves au même endroit, et donc une cible de choix pour l’alliance des vilains. De plus, Shiketsu et Yuei ont des méthodes de travail bien différentes, il faudrait trouver un moyen de les mélanger. Ce n’est pas infaisable mais difficile.”
Et puis, est-ce qu’ils auraient toujours besoin de moi ? Je n’ai pas encore totalement fait mes preuves en tant que professeure, si une union des écoles était faite, je pourrais y perdre mon travail… Ça serait vraiment triste, j’aime beaucoup ce que je fais. Est-ce que je serais seulement capable de redevenir une héroïne professionnelle comme les autres ?
Alors que mes pensées s’égarent de nouveau, je cligne des yeux pour me recentrer, ce n’est pas près d’arriver de toute façon, ce n’est que l’avis de… d’un tout petit rouage de la commission, pas un changement imminent.
“Tu trouves vraiment que vous n’êtes pas assez durs avec les justiciers hors-la-loi ? J’ai vu qu’une adolescente de l’âge de mes élèves avait pris de la prison pour avoir assassiné des criminels violents en utilisant son alter… Si ça ce n'est pas suffisant…"
Dis-je en haussant les épaules.
Je me trompe peut-être, je ne suis pas vraiment calé en loi ou en justice populaire, mais je doute que beaucoup de jeunes puissent s'identifier à ce genre de destin tragique.
L'idée qu'une ado finisse en prison me dérangera toujours. C'est à cet âge là qu'ils peuvent apprendre à changer, les enfermer ne peux pas les changer, seulement les radicaliser encore plus.
Les justiciers sans licence sont souvent des âmes égarées, à la recherche d'une vengeance ou d'un changement dans la société. Ce ne sont pas des figures de justice auxquelles le citoyen lambda peut facilement s'identifier comme les héros.
"Je suis arrivée dans ce pays avec un lourd passé et un certain désintérêt du monde héroïque… Et pourtant quelqu'un m'a guidé et m'a donné les outils pour réussir et être la personne que je suis aujourd'hui."
Je soupire en repensant à mon père adoptif que je n'ai pas vu depuis de longs mois maintenant… Je ne me rappelle même plus dans quel pays il opère actuellement.
"Je pense qu'au lieu de réprimer ces héros de l'ombre, on devrait leur donner une chance… Du moins à certains."
Petit souci de barrière de langue, ou tu n’as pas été assez claire. Tu ne parlais pas de mettre les apprentis héroïques littéralement dans le même lycée. Juste de les rassembler sous la même bannière, dans deux lieux différents. Avec toutes les implications budgétaires qui s’ensuivent.
La remarque sur les lycées n’était, au fond, pas très importante. L'opinion d’Ayo Yowa sur les justiciers illégaux, en revanche, l’était. Sans le savoir, la libyenne venait d’augmenter considérablement le danger qu’elle représentait pour le gouvernement. Non pas qu’elle semblait être du genre à organiser un coup d'État, mais c’était une opinion dissidente de plus dans la nature, et qui venait d’une héroïne populaire et influente au sein de son établissement.
"Je comprends. Vous n’êtes pas la seule héroïne à le penser, à vrai dire. Mais ceux qui font ça… C’est un vrai casse-tête pour nous, à la Commission."
Rin reposa sa tête sur sa paume, avec un air agacé sur le visage. Tant de problèmes juridiques actuels et passés lui revenaient en tête. Certains des cas les plus célèbres étaient même devenus des questions et des sujets d’examens pour le test d’entrée au sein de la Commission.
"Si on est trop durs avec eux, on passe pour des méchants qui empêchent des gens bienveillants de suivre leur cœur, si on est trop laxes c’est la profession héroïque qui perd du prestige, et ça encourage les civils à s’y mettre… Et ça ne donne rien de bon, les mouvements massif de justice populaire comme ça."
Rin se redressa un peu, son visage devenant plus avenant, et elle pointa Saha-Terra de ses deux index, avec un certain entrain dans la voix. Il y avait un point sur lequel elles se rejoignaient, après tout.
"Par contre je suis d’accord pour ce qui est de donner une chance à certains. Vous connaissez North Star ? Elle faisait dans la justice illégale, avant. Aujourd’hui elle a purgé sa peine et elle fait un excellent travail. Pareil pour Le Guide, que vous connaissez."
Enfin, à la différence près que Rin aimait bien North Star, et qu’elle détestait Le Guide et tout le ramassis de fanatiques qui lui cirait les souliers. Un de ces quatre, elle aimerait bien ’“accidentellement” faire fuiter sur internet l’identité de la femme-hologramme, pour le plaisir de casser un des mythes fondateurs de sa petite secte.
"C’est surtout sur l’aspect du merchandising illégal et de la diffusion de leurs interventions, que je veux qu’on mette le hola. Éviter à ce qu’ils deviennent vraiment trop populaires et emblématiques. Les fans du Maraudeur nous donnent un mal de chien depuis son arrestation. Ils portent des masques comme le sien, et utilisent sa popularité de niche pour faire n’importe quoi."
Il n’était pas très politiquement correct de se revendiquer “fan” du Maraudeur, encore moins que des autres vigilants. Il y avait un monde entre arrêter des criminels et les tuer. Et un autre monde entre les tuer et les manger. Les quelques illuminés qui trouvaient ça efficace comme moyen de dissuader les vilains potentiels n’étaient que des polémistes de bas étage. Le genre de types avec des opinions poubelles à qui des crétins comme Ban Shokushu donnaient une plateforme sans hésiter.
Le regard de Rin s’assombrit de nouveau et se porta au loin, alors qu’elle tapotait la table de pierre du bout de son doigt, pensive.
"Ceux qui tuent… C’est ceux qui tuent, pour lesquels on ne devrait rien laisser passer."
Enfin, ça c’était sur le papier. En soit, certains héros et policiers avaient déjà pris des vies, et on continuait de les laisser exercer leur métier. Comme pour beaucoup de choses dans la société héroïque, c’était une affaire de cas par cas.
Toi, tu penses qu’il faudrait faire de ces anciens super-vilains une force spéciale, à part, sous le contrôle de la Commission. Blackwatch, North Star, Le Guide, Main de Cristal, Le Maraudeur… Tous autant qu’ils sont, dans un escadron séparé des héros classiques, avec un frein sur leurs produits dérivés, des costumes-uniformes, et des noms de code sans le moindre prestige, comme “Numéro 3”. Tout pour limiter l’affect que leur porte le peuple.
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Je baisse les yeux en écoutant Scrappy me donner son avis, bien plus élaboré et réfléchi que le mien, ce qui me fait vite me sentir idiote d’avoir parlé avec mon cœur. Elle a raison, on devrait faire en sorte d’éviter de glorifier des figures comme le maraudeur pour éviter que des personnes non-formées au combat d’alter essayent de créer leur propre justice en suivant leur exemple.
Cependant, quand elle essaye de me rassurer en m’expliquant qu’elle est d’accord avec moi pour donner une seconde chance, elle me cite deux noms totalement inconnus. North star et Le guide ? Je suis censée les connaître ? Oups, alors soit j’ai oublié, soit je suis trop enfermée dans ma bulle. Depuis que je travaille comme enseignante, je consacre beaucoup plus de temps à mes élèves, leur progression, la préparation de leurs exercices et à façonner des terrains d’entraînement. Finalement, je n’ai plus trop le temps de me consacrer à l’action sur le terrain, depuis mon combat avec le gorille géant et mon intervention lors de l’attaque de l’alliance, je ne sors presque plus pour accomplir des interventions, seulement si ça concerne mes élèves.
La dernière phrase de la représentante de la commission me fait finalement frissonner :
"Ceux qui tuent… C’est ceux qui tuent, pour lesquels on ne devrait rien laisser passer."
Dit-elle, les yeux dans le vide. Qu’est ce que ça signifie ne rien laisser passer ? Et puis ceux qui tuent, mais dans quelle mesure ? Arf, ce n’est vraiment pas un sujet pour moi, je serais incapable de punir qui que ce soit, encore moins de façon définitive, j’ai l’impression de ne pas avoir le droit de juger le passé des autres. Si certains se sont retrouvés dans l'illégalité, parfois il a une raison logique ou légitime qui les enferment dans ce choix qui n’en est plus vraiment un… Je suis surement bien trop clémente, avec des gens comme moi à la tête de la commission le monde serait sans aucun doute gouverné par des vilains depuis longtemps.
Je n’ai pas les épaules pour assumer ce genre de responsabilités et je suis bien contente que certains les aient pour le bien de la société.
“Si ça peut te rassurer, je suis incapable de tuer.”
Entre mes doigts, la pierre qui lévite prend alors la forme d’un caillou pointu. Mon alter pourrait facilement se muer en un outil capable de transpercer des organes ou casser des membres, mais rien que l’idée de l’utiliser de cette façon me donne envie de vomir. Personne ne devrait pouvoir enlever une vie, personne ne devrait avoir le droit de choisir de briser une existence ou non.
“Même face à des raclures immondes comme le bourreau de l’Alliance.”
En vérité, la seule raison qui pourrait me pousser à tuer un adversaire, c’est si c’est la seule solution pour sauver la vie d’un de mes élèves. Comme j’aurais tué Alucard Dracula s’il avait attenté à la vie d’Iku… Ou je serais morte en essayant. Je ferme les yeux, effaçant avec difficulté les scènes sanglantes auxquelles j’ai trop fait face dans ma vie. Je soupire et ajoute :
“J’ai toujours pas foiré le test ? Tu comptes pas m’embarquer hein ? J’ai des cours à donner encore.”
Dis-je en rigolant à moitié, essayant de détendre l'atmosphère. Cependant, Scrappy n’est pas du genre à trop apprécier le second degré, j’espère que j’ai pas fais une bêtise en la provoquant. Autant vite changer de sujet, il y a quelque chose, que j’ai envie de lui demander, même si je ne lui fais pas encore totalement confiance.
“Dis, tu connais mon mentor ? Le héros qui m’a amenée au Japon, Breeze.”
Mon père adoptif m’en a peu dit sur son rôle exact auprès de la commission, mais peut-être que Scrappy a déjà entendu parler de lui. Est-ce qu’il leur a déjà parlé de mon passé ?
