Un jour de plus en 1-B (LIBRE) [FINI]

Cette fois-ci, elle serait la première assise à sa place. C’était l’objectif de la manchote, cette matinée et toutes les autres. Un objectif qu’elle avait toujours échoué, à sa grande honte. Sa physiologie particulière lui faisait faire des siestes fréquentes, ne dépassant pas les 10 minutes, tout au long de la journée, au lieu des périodes de sommeil classiques d’un être humain. Et en dépit de ses demandes, aucun de ses employés n’osait réveiller la maîtresse des lieux lorsqu’elle était plongée dans l’une de ses siestes. Elle faisait de son mieux pour ne pas avoir à dormir pendant ses périodes de cours, mais le résultat était que, bien souvent, ses siestes s’accumulaient durant la matinée, sans qu’elle ne puisse vraiment les contrôler. Pendant qu’elle s’habillait, devant son petit déjeuner, et bien sûr dans la voiture familiale, qui restait garée devant le lycée jusqu’à ce qu’elle se réveille.

Et au final, si elle n’arrivait jamais en retard, elle n’arrivait jamais la première non plus. Et alors qu’elle faisait coulisser la porte de la classe, elle ne put que réaliser que, ce matin aussi, elle avait échoué à quelques minutes près.

"Bakeryu."

Alcidia regardait l’araignée comme elle regardait tout le monde. Avec beaucoup de sévérité, un peu de mépris, un peu d’agacement. Les sourcils légèrement froncés, immobiles dans leur angle aigu. Les yeux de glace qui semblaient vouloir transpercer ceux de ses interlocuteurs.

Contrairement à la mutante, la transformiste avait son bureau vers le devant de la classe. Deuxième rangée, première colonne, juste derrière Linnea Aadland, classée par ordre alphabétique japonais. Elle n’avait pas à se soucier de questions de taille comme sa camarade, mais si elle pouvait, elle choisirait de changer de place pour se retrouver au troisième rang, de préférence à la deuxième ou troisième colonne. Quelque chose d’instinctif la poussait à se retrouver, littéralement, au milieu de chaque groupe quand elle en avait l’occasion.

Et justement, Alcidia allait toujours graviter vers autrui, même lorsqu’il ne s’agissait que d’une seule personne. Sans prendre la peine d’aller déposer ses affaires à son bureau, elle se dirigea immédiatement vers le coin où sa camarade de classe avait tissé sa toile. En la voyant ainsi, seule arrivée avant tout le monde,une question germait dans son esprit, immédiatement.

"Est-ce que tu vises la place de déléguée ?"

Qu’est-ce qui pouvait pousser ainsi quelqu’un à arriver si tôt, à part ça ? En tout cas, c’était pour cette raison qu’Alcidia faisait cet effort. C'était une façon comme une autre de se mettre en avant et prouver son sérieux, pour elle.

Alcidia se contenta d’hocher la tête, presque imperceptiblement, en écoutant sa camarade, sans une once d’émotion sur le visage. Puis, lorsque l’araignée eut fini, elle commenta d’un simple :

"Parfait."

Elle était sincèrement soulagée. À Yuei, beaucoup briguaient la position de déléguée, cette dernière faisant très bonne figure sur un CV héroïque. Une rivale de moins, c’était quelque chose de strictement positif, pour la manchote.

Mais voilà, ce n’était pas tout, d’avoir le champ libre pour se présenter. Elle devait convaincre les autres de voter pour elle, maintenant. Et au vu de sa personnalité dure d’approche, ce n’était pas tout à fait gagné. Elles avaient encore du temps avant le début des cours, peut-être pouvait-elle essayer d’amadouer Hanna, tout d’abord.

"Question suivante."

Mécanique, un peu froide, du grand Alcidia, en somme.

"Est-ce que des gens ici te traitent mal, ou différemment, à cause de ta morphologie ?"

Cash, comme ça. Bien sûr, l’impératrice avait en tête d’offrir son aide à l’araignée, de se poser comme étant quelqu’un de fiable sur qui se reposer. Mais elle ne réalisait pas que sa question était peut-être un peu trop directe, sans parler du fait qu’elle maintenait le contact oculaire avec une certaine intensité. D’autant plus qu’il s’agissait plus ou moins de la première fois qu’elle adressait la parole à Hanna. Alcidia était de l’avis que tous les problèmes, quels qu’ils soient, devaient être affrontés de front. L’idée que les autres n’aient pas forcément cette envie ne lui venait même pas à l’esprit. À quoi bon ?

"Bien sûr. Ce sont ceux comme toi qui ne sont pas intéressés, qui constituent l’exception."

Délégué à Yuei, ce n’était pas la même chose que délégué dans un lycée quelconque. C’était avoir réussi à obtenir la reconnaissance de ses pairs eux-mêmes choisis par le corps enseignant. C’était avoir obtenu de l’élite qu’elle nous choisisse à sa tête. Un concept alléchant, quand on avait les ambitions de la manchote.

"Dans le monde professionnel, les élèves de Yuei comme nous ont l’avantage par rapport aux autres. Mais pour se différencier des autres de Yuei, il n’y a que deux voies. Le festival sportif, et le poste de délégué."

Elle avait levé deux doigts pour illustrer ses propos. Inutile de dire qu’Alcidia estimait ne pas avoir une chance très élevée de tirer son épingle du jeu dans le festival sportif. Son Alter pouvait peut-être s’avérer intéressant dans les phases préliminaires, mais l'événement se terminait toujours par des combats. Son point faible.

"Je ne sais pas encore si j’aurais une carrière héroïque, mais ça reste un bon point dans mon parcours."

Elle avait haussé les épaules en disant cela. Peut-être qu’elle estimerait satisfaisant son aperçu du monde héroïque après 3 ans d’études, ou peut-être qu’elle officierait quelque temps en tant qu’héroïne avant de démarrer sa carrière politique. Mais dans tous les cas, avoir été responsable de sa classe serait un point extrêmement valorisant. Ne serait-ce qu’en tant qu’anecdote de dîner mondain.

"Tu ne devrais pas t’embêter à arriver en avance comme ça juste pour "ne pas gêner", tu sais. Si les autres ne s’habituent pas à ta présence dans les couloirs, ça sera pareil sur le terrain."

Impossible de décerner au ton de l’impératrice s’il s’agissait d’un conseil amical empreint d’un discours positif sur le fait de s’assumer… Ou si c’était un reproche.

Hanna l'écouta parler sans l'interrompre, c'est vrai que se mettre en avant en devenant délégué de classe à Yuei, devait intéresser la plupart des autres élèves, en particulier ceux n'ayant pas confiance en leurs performances, durant le festival.

L'araignée ne s'attendait pas à briller elle non plus ceci dit, mais elle n'avait pas non plus l'objectif d'être la star de l'école ni celle du festival, espérant juste réussir à se faire repérer grâce à son alter.

D'après ce qu'elle disait, Alcidia n'était pas sûre de faire carrière dans l'héroïsme, c'était plutôt étonnant venant d'une élève de cette académie, Hanna pensait, sûrement naïvement, que tous les étudiants étaient résolus à emprunter ce chemin.

L'alter de la candidate n'était pas sans faille, mais semblait pourtant être assez prometteur, surtout en matière de sauvetage maritime ou en environnement froid.
Enfin bon, de ce qu'elle avait montrée en cours et en entraînement, Alcidia avait sûrement bien réfléchie à la question.

La, peut-être, future déléguée lui conseilla de ne pas s'embêter comme elle le faisait à éviter la foule.

-Oh euh, je sais, tu n'es pas la première à me le dire, les professeurs me le disent souvent eux aussi.
C'est juste que ça me rassure aussi,, mais tu as raison, je dois passer outre… Sauf que tous les matins je flippe et je refais pareil que la veille.

L'araignée soupira et essaya de changer de sujet.

-Alors tu n'est pas sure à cent pour cent de vouloir être une héroïne ? Si c'est pas indiscret, ce serait quoi tes autres projets ?

"Je suis sûre à cent pour cent de ne pas finir héroïne, oui."

Elle disait cela comme si c’était une évidence, comme si tout le monde suivait son compte Twitter. De toute la classe, Kae Nakanishi était sans nul doute au courant, pour avoir été dans le même collège, mais le reste de la 1-B n’avait pas encore fait la connaissance d’Alcidia et de ses aspirations futures.

"Ce que je vise, c’est la Diète. Je serais la première femme Première Ministre."

C’était un objectif… Enfantin, quand on prenait du recul. Le pouvoir le plus haut du Japon, rien de plus, rien de moins. Mais Alcidia ne prenait pas de recul. Elle avait la tête en plein dedans, et ne désirait pour rien au monde reconsidérer ses ambitions.

"L’héroïsme, c’est juste pour connaître en profondeur un des aspects les plus essentiels du Japon actuel. Pour ne pas être déconnectée de toute cette facette de la société."

Bien sûr, la manchote, en tant que bourgeoise ultra-privilégiée, était déjà déconnectée de tout un pan colossal de la société, sans le réaliser. Mais elle ne pouvait pas prendre en compte un monde dont elle ignorait plus ou moins l’existence dans ses calculs. Et puis…

Il y avait son autre objectif. Alcidia ouvrit les lèvres comme pour continuer à s’exprimer, mais aucun son ne sortit. Elle ne souhaitait pas en parler pour le moment. Contrairement à ses ambitions politiques, elle avait déjà été reprise et moquée pour son désir d’enquêter sur All for One et son rapport à ses parents. Chat échaudé craignait l’eau froide. Et quand bien même elle osait en parler, elle ne pouvait pas être totalement certaine qu’Hanna n’était pas, indirectement, à la solde des partisans de feu AfO. Mieux valait ne pas baisser sa garde. Elle se contenta de croiser les bras en silence.

Le poste de premier ministre ? Rien que ça ! Eh ben elle n'avait pas froid aux yeux.

C'était un autre poste qui n'intéressait pas du tout l'araignée, même sans parler de la timidité importante auquel elle comptait remédier, c'était bien trop de responsabilités et puis avoir le nez dans de l'administratif toute la journée à faire des faux sourire, non, vraiment pas.


On aurait dit qu'Alcidia voulait continuer d'exprimer ses motivations, mais se ravisa, elle ne voulait sûrement pas en parler, en tout cas pas avec Hanna, cette dernière s'abstint d'insister pour en savoir plus, bien consciente qu'elle n'était pas la personne a inspiré confiance aussi vite.


-Oh premier ministre, c'est impressionnant et ambitieux comme projet, j'espère que tu y arriveras, tu as l'air d'être quelqu'un d'assez réfléchie pour réussir dans la politique.

C'est très courageux de ta part, surtout après la révélation et la mort de All for one, ça doit être compliqué de gérer tout ça pour les politicien.


Hanna avait baissée un peu les mains, les gardant dans la même position, mais ne lui cachant plus le visage.


-En tout cas je comprends pourquoi le poste de déléguée te tente tant que ça, c'est un premier pas dans la gestion et la politique de gérer la classe et les relations avec les autres classes.

Si ça peut t'aider, je voterai pour toi aux élections.

Et euh...si...si je peux me permettre de te donner un conseil... Tu devrais peut-être essayer d'être...Comment dire euh... Je suis mal placée pour dire ça, mais...Plus abordable avec les autres.

Il y a surement plus de chances qu'ils votent pour toi, si tu discutais avec eux.

Lorsque l’araignée baissa les mains, le regard de glace de la manchote était braqué sur son visage gris. Plus férocement encore qu’avant. La vague irritation froide envers l’univers entier, avec laquelle Alcidia avait l’habitude de regarder tout le monde, avait été remplacée par une véritable haine. Ce n’était pas la faute d’Hanna. Elle avait juste prononcé les trois mots magiques. Ou plutôt maudits. Le nom d’All for One n’était pas à prononcer à la légère devant l’impératrice.

Elle aurait sans doute questionné et invectivé sa camarade de classe si cette dernière n’avait pas continué de parler. Pour montrer son soutien et lui apporter des conseils, qui plus est. Est-ce que c’était de la condescendance ? Bien sûr que non, mais ça, l’apprentie héroïne ne pouvait pas le voir. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’Hanna avait mentionné l’homme qui avait ruiné la vie de ses parents, avant de lui offrir de l’aide sur sa façon d’interagir avec les autres. Un enchaînement qui ne pouvait pas être bien reçu par la manchote, qui posa avec une certaine dureté la paume de sa main sur le bureau de la brune.

"On discute, là."

Sèche, incisive, plus que depuis le début de leur conversation. Elle n’avait pas remercié l’araignée, et ne comptait pas le faire de sitôt. Elle voulait d’abord régler le dernier problème soulevé. Comble de la tragédie, Alcidia ne souhaitait pas particulièrement mettre mal à l’aise sa camarade. Ses questionnements étaient sincères. Elle ne comprenait vraiment pas en quoi elle était difficile d’approche.

"C’est quoi le souci, hein ? Je suis venue te parler, en quoi est-ce que ça n’est pas abordable ?"

Derrière elle, sans qu’Alcidia ne le remarque, quelques élèves de la 1-B commençaient à entrer dans la salle de classe.

Quand la potentielle future déléguée posa la main sur le bureau et s'exprima de façon semblant violente, Hanna couina tout doucement en faisant un léger mouvement de recul, malgré sa taille imposante, l'étudiante essayée de se faire toute petite, se demandant ce qu'elle avait dit qui aurait put vexer sa collègue.

Étant donné que son champ de vision était opposé à celui d'Alcidia, l'araignée put voir que certains autres élevés commençait à arriver, ce qui ne faisait qu'augmenter sa gène, craignant qu'elles attirent l'attention et donc les regards.


-D...Désolé je ne voulais pas te vexer…

L'araignée ayant gardée des pattes en contact avec le bureau, elle prit quelque micro secondes pour tenter d'analyser les vibrations qu'émettait son interlocutrice, même si ce n'était pas vraiment son fort, ça venait instinctivement.

Alcidia ne semblait pas tremblait ou même forcer sur sa main outre mesure, c'était dur a percevoir, mais ses battements de cœur semblaient également assez calmes et régulier. Ça ne ressemblait pas à de la colère...

Hanna déglutit doucement et se décida enfin à répondre, espérant que la jeune fille aux cheveux bleus devant elle était effectivement calme, si l'araignée s'était trompée dans son analyse, elle savait bien qu'elle risquait de passer un moment très désagréable.


-Ce..ce... Ce que je voulais dire c'est que...comment dire… Je ne pense pas que tu le fasses exprès hein...Mais je...Quand tu parles tu parais très autoritaire…

Enfin.. .ça n'engage que moi...Mais... Je pense que les gens ne viennent pas trop te parler parce que tu apparais...Inaccessible, impressionnante ? Comme si tu étais trop bien pour que j'ose t'adresser la parole...

Enfin je suis mal placée pour dire ça...

La piscivore d’à peine un mètre soixante-dix qui faisait tressaillir la "prédatrice" de presque trois mètres de haut et autant de large. On aurait pu croire que la petite bête allait manger la grosse. Alcidia écouta sa camarade, sans la couper, sans hocher la tête, sans cligner des yeux.

Elle prit deux secondes pour bien intégrer ce que l’araignée lui disait. Ou peut-être une seconde et demie. Non. Plutôt une demi-seconde avant de réagir aussi sec.

"Je parle normalement. Si les autres ne veulent pas venir me parler, tant pis pour eux."

Sur la table, ses doigts se serrèrent en un poing fermé, inconsciemment. De toute évidence, la gentillesse et les précautions d’Hanna n’avaient pas suffi pour atténuer le coup à l’orgueil qu’avait pris Alcidia avec cette remarque. Même si l’araignée ne lui voulait aucun mal, c’était plus fort qu’elle, elle vivait la moindre remarque sur sa façon d’être comme une attaque directe portée à ses ambitions et ses aspirations futures.

"Je ne peux forcer personne. Ceux qui, sans me connaître, se font leur idée dans leur tête, sur moi, sur mes parents, ça ne m’intéresse pas."

L’impératrice repensait à son humiliation, auprès de l’animateur radio. Auprès de Kae. Auprès de ceux qui la regardaient mal dans la rue. Elle aurait des pattes d’araignée et la peau grise qu’elle passerait plus inaperçue qu’actuellement, avec comme seul vrai signe distinctif les casseroles de sa famille. Son visage s’était durci, encore plus que ce qui était théoriquement son maximum. Ce fut le moment que choisit un de leurs camarades de classe récemment entré dans la pièce pour s’approcher du duo et s’adresser à Hanna, une expression un peu inquiète sur le visage. Sans doute était-il préoccupé par le ton de la conversation, et par l’attitude des deux filles.

"Hé, tout va bien, Bakeryu ? Est-ce qu’elle…"

"Est-ce qu’elle t’ennuie ?", "Est-ce qu’elle va bien ?", "Est-ce qu’elle t’insulte ?". L’étudiant aurait pu finir sa phrase n’importe comment, mais Alcidia ne lui en laissa pas l’occasion. Elle se retourna d’un coup vers lui, sans que sa main ne quitte le bureau d’Hanna.

"Quoi encore ? On discute, ça ne se voit pas ?"

Un modèle d’amabilité et d'aisance d'accès, donc.