Blaguarre [Feat Ayo]

Son Altesse impériale le prince impérial Jiyūhito faisait des tractions, torse nu, sous le soleil. Ses oreilles, embourbées dans des écouteurs sans fils, ne lui diffusaient rien d'autre que du Kendrick Lamar depuis maintenant vingt minutes.

Le début de la journée s'était révélé barbant au possible. On avait interdit au jeune homme de suivre sa classe dans une sortie au musée de l’héroïsme parce qu'on voulait le garder "sous la main" pour une petite cérémonie. La tradition du jour voulait que, à la nuit tombée, les enfants de l'empereur fassent brûler une horrible mixture à l'air libre dans l'un des temple de la ville. Le père de Jiyūhito, individu sérieux au possible, n'était pas du genre à rigoler avec les vieilles traditions. Son deuxième se devait d'être là, et ceux même si ça impliquait de se battre contre vents et marées. Autant dire que le service de sécurité impérial avait mit en place quelques précautions qui s'incarnaient, entre autre, dans la présence d'un clone nishimura au coté du jeune homme. Ce dernier était plus qu'habitué à l'existence de ces résidus d'Alters mais il ne pouvait s'empêcher de demander ce qui passait dans la tête des adultes de son entourage, qui semblaient passer leur temps à tenter de le localiser au mètre près dans un lycée aussi sécurisé que celui de Shiketsu. Il était dans un lycée héroïque pour l'amour du Japon, pas dans une école maternelle !

Soudainement, juste comme ça, les bras du jeune décidèrent que lui faire lâcher la barre au milieu de la vingtième traction était la meilleur chose à faire.

Le dos nu de Jiyūhito heurta le sol avec une vitesse surprenante. Le jeune homme se releva en grognant. Il avait du sable rouge plein les cicatrices, ce qui en faisait ressortir l'aspect grossier. Les terrains de sports étaient vides à cette heure, personne n'avait donc eu l'occasion de le voir se péter la gueule ce qui, avouons le nous, ne lui faisait ni chaud ni froid. À part Nishimura 30, qui était bien trop occupé à scruter la zone avec ses yeux de renard pour avoir remarqué la chute de son VIP, l'endroit était désert. Les clones de la sécurité étaient vraiment quelque chose d'autres. Lorsqu'on leur donnait un ordre ils le suivaient avec un enthousiasme maladif, mais ils se comportaient comme des stoïciens sous crack lorsqu'il s'agissait de remarquer quoi que ce soit d'autre.

Le Prince impérial aurait bien repris l'exercice en se mettant aux pompes claquées, il fallait bien garder la forme après tout, mais des bruits de pas le ramenèrent sur la planète Japon. La distraction de la journée venait d'entrer sur les terrains de sport.

Saha-Terra était une héroïne libyenne remarquablement bien gaulée : Jiyūhito avait eu le temps de le remarquer lorsqu'elle enseignait des cours écrits. Restait que la jeune femme n'incarnait pas qu'une gaijin bien foutue ; c'était également une combattante hors paire, capable d'écraser complétement le prince impérial entre ses gros muscles si il ne faisait pas attention à lui. Son Alter de manipulation du sol était une horreur tactique, une hérésie humaine jetée sur la face de mère nature pour lui apprendre à croire qu'elle était au dessus de la femme moyenne. Il se montrait difficile à prévoir, difficile à contrer, impossible à battre pour quelqu'un de son niveau.

L'adolescent, très excité à l'idée de peut être se battre avec un professeur capable de le tuer en quelques secondes, en oublia complétement le fait qu'il avait "oublié" un petit passage du règlement intérieur : personne n'avait le droit de s'entrainer torse-nu.

"Excusez moi Sensei vous allez quelque part ? Non, très bien ! Ça vous dirait de m'utiliser histoire de profiter un peu du beau temps ?"

Nishimura 30, qui se demandait très franchement ce qui se passait du haut de son petit cerveau, se rappela soudainement que Jiyūhito devait arriver plus ou moins "intact" à la cérémonie de ce soir.

"Votre Altesse, je me dois de vous rappeler que..."

"Silence numéro 30 ! Sensei, en vrai, ma vie elle manque carrément de piquant ! S'entrainer seul toute la journée c'est chiant à crever. Je stagne. Je suis comme une mare d'eau trouble qui refuse de se soumettre à la douce pluie d'été. Vous auriez pas un peu de temps pour, genre, me taper juste un peu ?"

Une pierre superbement polie, aux courbes parfaites et aux faces luisantes : c'est tout ce que je suis capable de faire après plusieurs heures de travail. Tout en marchant, j'observe sans vraiment observer l'oeuvre qui flotte au creux de ma paume et luit sous ce soleil éclatant qui me rappelle ma contrée natale.
Je ne suis plus capable de créer ces formes exquises d'autrefois, plus depuis ce qu'il s'était passé. Je fronce les sourcils en balayant hors de mon esprit les images des souvenirs qui ne cessent d'essayer de revenir, depuis cette longue nuit, mon alter avait pris une forme bien plus brute et bien plus solide, à l'image de ma carapace.

Mais alors que mes pas me guident machinalement vers le terrain d'entrainement, la voix de son Altesse impériale le prince impérial Jiyūhito me tire subitement de mes pensées moroses.

"Excusez moi Sensei vous allez quelque part ? Non, très bien ! Ça vous dirait de m'utiliser histoire de profiter un peu du beau temps ?"

Mes yeux, quittant la pierre, se posent alors sur le corps musculeux et suintant de transpiration de l'élève le plus inoubliable de la classe B de Shiketsu. Mes paupières battent rapidement la cadence alors que j'essaye d'arranger les nombreuses questions qui se bousculent dans mon crâne. A commencer par... Quesque ?
Ma poker face habituelle se brise légèrement et je ne peux m'empêcher d'afficher ma surprise devant le corps de mon élève.

"Votre Altesse, je me dois de vous rappeler que..."

"Silence numéro 30 ! Sensei, en vrai, ma vie elle manque carrément de piquant ! S'entrainer seul toute la journée c'est chiant à crever. Je stagne. Je suis comme une mare d'eau trouble qui refuse de se soumettre à la douce pluie d'été. Vous auriez pas un peu de temps pour, genre, me taper juste un peu ?"

Mon statut de prof et d'héroïne m'a toujours tenue à traiter mes élèves de la même façon, peu importe qui ils sont ou comment ils se comportent... Mais Jiyūhito Kyokan-no-Miya, fils cadet de l'empereur du Japon, est plutôt dur à ignorer.
Lorsque j'ai découvert son histoire pour la première fois, je n'ai pu m'empêcher de m'identifier à lui et depuis, j'ai fais de mon mieux pour lui donner une expérience scolaire la plus normale possible. Je suis sûrement la mieux placée pour savoir qu'il ne faut pas le traiter différemment ou chercher à aborder le sujet.

Et puis, le fait d'être un héritier légitime doit déjà être un poids suffisamment lourd à porter. Et c'est donc pour cela qu'il ne va pas échapper au blâme pour s'être baladé torse nu sur le terrain d'entraînement de Shiketsu.

"Te... taper ?"

Cependant, son étonnante rhetorique n'a pas suffit pas à cacher son étrange demande et moi, je n'arrive pas à cacher ma gêne face à cette situation embarrassante.
Non, il m'a simplement demandé un combat d'entraînement, c'est tout.
Je regarde autour de lui et mes yeux se posent sur son survêtement de sport, traînant dans la terre.

"Tu sais très bien que le règlement t'interdit de t'entraîner torse nu Jiyūhito..." Dis-je en durcissant ma mine peu crédible.

Mais alors que je m'apprête à le renvoyer aux vestiaires, j'hésite un instant, me rappelant mes entraînements sous le soleil Lybiens avec mon mentor. A l'époque, je désirais plus que tout devenir une héroïne, j'étais prête à m'entraîner des jours entiers simplement pour me sentir vivante et oublier mon passé... Je ne sais pas ce que ressent ce garçon, mais lui interdire de s'entraîner ne me plaît pas... Et puis j'ai besoin de me changer les idées moi aussi.

Je lui adresse un sourire malin et pointe son t-shirt du doigt tout en faisant tourner quelques pierres de mon autre main :

"Alors habille-toi et nous pourrons commencer."

"Sweeeeeeeeeat. Merci d'accepter de me lapider Sensei !"

Jiyūhito, excité comme une puce à l'idée de vivre un entrainement un peu plus passionnant que ce à quoi il s’attelait, se dirigea tel une tornade vers les vêtements qu'il avait abandonné sur le sol. Le jeune homme avait parfois du mal à comprendre les nécessités vestimentaires de Shiketsu, ou de n'importe quelle autre institution pour ce que ça voulait dire. Il aimait bien être torse nu, en short, ou dans des habit suffisamment larges et amples pour lui permettre d'être le plus confortable possible. Lorsqu'il bougeait son corps il aimait bien être libre de ses mouvements, et qui disait liberté disait mort à l'industrie du textile. Quand à la fameuse casquette de l'école il se contentait de la mettre lorsque c'était nécessaire. Il préférait largement son bandeau de milicien impérial, emblème politique qui ne le quittait jamais.

Quelques secondes suffirent au jeune homme pour enfiler son t-shirt, recouvrant ainsi ses cicatrices sale d'une nouvelle couche de tissue, et pour se retourner vers son professeur. Il se stoppa un instant et, d'un mouvement vif, expira longuement par tout les orifices. Une énorme nuée d'abeille suivit la marche et l'air autour du jeune Prince se retrouva saturé d'une mare d'insecte de plus en plus opaque. Jiyūhito passa la main sous sa narine, juste assez vite pour vérifier ou en était ses reverses de miel, et se mit à sautiller sur place. Les insectes, de leur coté, s’éloignèrent de leur partenaire pour former une masse grouillante non loin de là. L'Alter de Saha-Terra jouait sur les projectiles, il n'était donc pas question de rassembler tout le monde au même endroit. Au premier lancer de rocher les abeilles se sépareraient en petits groupes d’assaut juste assez nombreux pour faire des dégâts mais pas assez massifs pour être des cibles évidents. Un hit and run à échelle humaine en quelques sortes. Le deuxième fils de l'empereur, de son coté, voulait jouer sur son explosivité. Il était apte à la bagarre, et le moins que l'on puisse dire c'est que ce genre de distractions physiques étaient une des raisons pour lequels il avait décidé de devenir un héros pro.

Après tout, ce n'était pas tout le monde qui avait la possibilité de se fracasser contre une combattante libyenne aussi fortiche.

"Vous commencez quand vous voulez hein."

"Sweeeeeeeeeat. Merci d'accepter de me lapider Sensei !"

Je lui répond par un sourire peu inspiré tandis qu'il court s'habiller. Jiyuhito est totalement surexcité. Est-ce le fait de pouvoir taper sur un prof ou tout simplement de pouvoir se battre ?  J'ai toujours eu du mal à le cerner sur ce point. Il est évident que sa forme physique est impressionnante pour un jeune de son âge et encore plus dans son cas... A son âge, l'affrontement était aussi une façon pour moi de décompresser et de me dépenser.

Alors que des nuages bourdonnant se forment tout autour de lui, je me rend compte que je n'ai jamais vraiment eu l'occasion de tester ses capacités en combat et que je ne le connais que très peu au final. J'espère que cet entraînement m'en révélera un peu plus.

"Vous commencez quand vous voulez hein."

Son appel impatient me rappelle subitement à la réalité, il s'est mis en place rapidement.
Sans me faire prier, je prend à mon tour une position de combat en essayant d'abandonner mon sourire de prof complaisante.
Ma posture, simple et sans faille, ressemble fortement à celle des karatékas : des appuis solides et une main en avant, qui soulève déjà une pierre de taille imposante.
Cette pose me facilite grandement la manipulation de mon alter tout en optimisant ma rapidité d’exécution et ma souplesse.

J'ai hâte de voir de quoi il est capable et d'observer sa façon d'utiliser son alter. Ses abeilles peuvent se montrer rapides et agiles, c'est tout ce qu'il faut pour contourner mon alter... Je me demande à quel point il les contrôle.

"Allons-y." Dis-je avec sérieux.

Et, dans un mouvement de paume sec, j'envoie d'un coup ma pierre droit vers son visage.
C'est un tir préventif, pour tester ses réflexes, sans la force nécessaire pour l'inquiéter. Après tout ce n'est qu'un combat d'entraînement, je ne compte pas le blesser alors essayons d'abord de voir s'il peut m'atteindre...

La jeune femme ouvrit le combat. Jiyūhito n'avait pas de temps à perdre. Il se propulsa vers le coté gauche tandis que son escadrille d'abeille africaine virait sur le flanc droit. Un rocher vola vers le visage du prince impérial qui, sans perdre une seule seconde, se propulsa à quatre pattes sur le sol avant de se re-propulser debout, droit vers son professeur.

Saha-Terra était un glass-canon.

Elle était capable de frapper fort, très fort, en très peu de temps. En ce regard, elle ressemblait à une pièce d'artillerie. Une grande puissance de feu certes, mais un besoin crucial : sans distance, l'Alter de la libyenne ne lui donnait pas grand avantage. Jiyūhito comprenait bien que son professeure pouvait pilonner une zone, que cette zone n'avait aucune chance de survie sur le long terme, et qu'il avait intérêt à rester mobile et agile. Ses propres déplacements comme ceux de son "escadron" d'insecte se devaient d'être aléatoires, changeants, imprévisibles. Il ne voulait pas rester dans une ligne de mire clair plus de temps que nécessaire : il fallait bouger, et vite. Le jeune homme devait Blitzkrieg, comme le disait les allemands. On ne passait pas sous le feu de la ligne Maginot, on contournait par la Belgique.

Ce plan était bien sûr basé sur l'assomption que Ayo Yowa était une brêle au corps à corps. C'était faux, et Jiyūhito le savait. Si Saha-Terra était bien une pièce d'artillerie elle était également entourée par une sacré bande de soldats, et le moins qu'on puisse dire c'est qu'ils s'étaient bien retranchés. La libyenne avait un physique désirable parce que, sans être exceptionnel au niveau de l'esthétique, il était inhumain : le prince Impérial aurait pût cuire un œuf au plat sur ses abdos, et l'aspect général de ses muscles laissait présager le fait que la jeune femme pouvait lui coller une sacré raclée. C'était une héroïne professionnelle : elle avait travaillée son corps à corps, comme tout ses confrères, et elle dépassait largement le jeune homme en endurance, en précision et, par dessus tout, en expérience du terrain.

Restait que Jiyūhito misait sur le fait que le corps à corps était le moins développé des multiples talents de Saha-Terra, et qu'il aurait peut être l’opportunité de lui coller deux ou trois jabs avant de mourir sous une prise de catch spécifique aux femmes du moyen orient.
Quelque chose dans sa tête lui chuchota qu'il devrait hurler, pour l’intimidation brute, mais il y avait plus à faire. Il se contenta donc de siffler, ce qui permit aux abeilles de comprendre qu'il voulait mettre son Sensei au sol.

Le jeune homme se préparait. Il allait réussi à prendre l'avantage de la vitesse pour le moment, et il n'allait pas le lâcher. Il comptait se planter devant la jeune femme, lui asséner nombres de coups légers avec les bras comme les jambes histoire de monopoliser l'attention et attaquer avec ses abeilles, par la droite ou l'arrière.

Saha-Terra résisterait à ça, le jeune prince de sang le savait. Tout ce qu'il voulait s'était se mettre à l'épreuve : se coordonner avec ses insectes n'étaient pas une mince affaire, et ce genre d'exercice était parfait pour s'y entrainer.

Jiyuhito plonge sur le côté, se séparant de sa masse d'abeilles, puis esquive mon projectile avec une agilité animale, sans aucune difficulté. Je suis surprise, ses réflexes sont plus poussés que ce à quoi je m'attendais, l'élève est comme un félin affamé, ses sens sont en éveil, son regard fixé sur sa proie et, en une fraction de seconde, il avait réussit à réduire la distance qui nous séparait l'un de l'autre.

Mes yeux passent de lui à son alter et ma vision s'amincit, sa stratégie est claire : il veut me pousser à combattre au corps à corps. Son atout est son physique, moi même je ne sais pas à quel point il est endurci et, malgré mes entraînements, l'affronter avec mes poings, c'est limiter mon alter. Je ne peux pas faire parfaitement les deux à la fois.
Je place mes mains en avant et plusieurs pierres se soulèvent du sol, il a esquivé ma première attaque avec succès, je peux donc passer à la vitesse supérieure.

Cette fois-ci, je n'attaque pas d'un simple mouvement de la main, j'utilise mes bras afin que mes pierres démarrent très rapidement et prennent des courbes espacées. Les attaques partent régulièrement dans l'unique but de ralentir Jiyuhito et son alter, elles ne sont pas très puissantes, justes assez pour le forcer à esquiver.
En quelques secondes j'avais déjà troué le terrain et pourtant je sens que je me bride encore un peu trop pour cet entraînement.

A quel point a-t-il besoin de se défouler ? Prend-t-il cet entraînement au sérieux ? L'observer ne fait que me rappeler mes sentiments de l'époque, j'aimerais retrouver cette fougue et cet esprit combatif qui luisent dans les yeux de ce garçon.

Le niveau venait de monter d'un cran. Jiyūhito s'y attendait mais ça ne voulait pas dire qu'il était capable de suivre le mouvement. Parfois les limitations de votre corps suffisent à faire échouer une bonne stratégie. Le jeune Prince esquiva un rocher, deux rocher, et se bouffa le troisième dans le flanc ce qui l'envoya valdinguer vers la gauche. Plutôt que de résister à l'impact il décida de l'accepter, et se laissa tourner sur lui même comme une véritable toupie dans le vent.

Les pirouettes acrobatiques lui donnaient le temps de réfléchir.

Saha-Terra le testait : elle envoyait des rochers régulièrement, avec juste assez de force pour propulser son étudiant et l'empêcher de se déplacer comme il le voulait. Pour mettre des Jabs dans quelqu'un il fallait d'abord s'en approcher et, lorsque votre adversaire s'amusait à faire tourner des roches en arc de cercle, ce n'était pas une mince affaire. Il n'arriverait pas à couvrir la distance seul. Peut être que, en vérité, les abeilles étaient les seuls atouts capables de diriger le jeune homme vers un succès modéré.

Jiyūhito stoppa sa dégringolade avec une roulade plus que correct avant de se redresser d'un petit bond gracieux. Il ne fallait pas perdre de temps : rester sur le lieu de l'impact c'était risquer une contre offensive handicapante, et l'étudiant ne voulait pas se faire coincer sur place. Terminer sous une masse de roche était un vrai risque lorsqu'on affrontait la libyenne, et personne n'avait besoin de perdre un combat parce qu'une horrible combattante à distance l'avait recouvert sous une masse de cailloux.

Personne sauf Cool Gorilla, bien évidemment.

"Beuah."

Le garçon prit note de la petite douleur qui se développait sur son flanc gauche et fonça. Il siffla, et l'énorme masse d'abeille qui jouait à "esquive rocher" depuis quelques secondes se sépara en une multitudes de groupes de vol qui foncèrent sur l’héroïne terrienne aussi rapidement que possible. Il fallait diversifier les cibles : une pièce d'artillerie comme cette femme était capable de frapper un grand nombre de cibles en même temps mais, pour viser quelques choses, il fallait savoir ou elles se trouvaient. Les insectes étaient suffisamment petit pour se glisser là ou on ne les attendaient pas. Il ne fallait absolument pas les sous estimer : plus les choses étaient petites, plus elles avaient de chance de manger de l'humain au petit déjeuner. On pouvait esquiver un ours, on ne pouvait pas s’écarter de la trajectoire d'une bactérie.

Le plan était le suivant : laisser les petits groupes d'abeilles attaquer la jeune femme à coups de piqueries classiques, profiter de la panique pour s'approcher, caler autant d'attaque au corps à corps que possible. Non, mieux... Le jeune homme allait tenter de plaquer son professeure au sol, puis lui rouer le visage de coups de poings. Ayo au sol, c'était moins de risque de se prendre un rocher en provenance du dessous sur les parties génitales, ou sur n'importe quel endroit du corps en vérité. Il pris une grande inspiration et se lança.

Peut être qu'il arriverait à affirmer sa puissance légendaire sur sa professeures après tout.

Mes attaques ont beau avoir l'effet voulu, je reste impressionnée par les esquives de mon élève, pour un jeune dont l'alter n'influences pas ses capacités physiques, il est tout à fait à la hauteur. D'ailleurs son alter n'allait pas tarder à me poser problème, j'ai beau faire tournoyer mes roches autour de moi pour ralentir Jiyūhito, ses abeilles se meuvent avec fluidité pour garder une distance précise avec moi, comme si elles attendaient un signal précis pour lancer l'offensive.

Un rocher touche finalement sa cible qui encaisse le coup avec grâce avant de se remettre à esquiver... A quoi joue-t-il ? J'avais ralenti la vitesse du projectile juste avant l'impact pour éviter tout danger mais là, sa stratégie me laisse perplexe, plus il perd de temps à éviter, plus il s'épuise... J'espère qu'il ne compte sur un affaiblissement de ma part, cette posture défensive me coûte très peu d'énergie, il perdra la couse d'endurance avec certitude.

Soudain, alors qu'il se réceptionne après un bond agile, il sifflement s'échappe de ses dents et la masse d'insecte s'active soudainement, se séparant en plusieurs groupes avant de fondre sur moi.
Je grimace légèrement, je ne peux pas les stopper à coups de rochers volants, elles sont trop fines... Quand à mes boucliers habituels, ils ne fonctionneront pas non plus.
Je n'ai pas le temps de réfléchir qu'une vague d'insecte me frappe de plein fouet, visant mon visage. Je lève les bras par réflexe et ferme les yeux, quelle plaie, je sens déjà les abeilles s'attaquer à ma peau et je serre les dents pour atténuer la douleur.

Alors que d'autres groupes se joignent à la fête, je fais rapidement monter de la terre pour couvrir la peau de mes avant-bras et en rajoute un couche sur ma main droite pour l’agrandir en une sorte de grande extension rocheuse.
Dans un mouvement brusque je frappe devant moi, créant un violent courant d'air qui repousse les insectes un instant, il ne faut pas que je les laisse approcher de nouveau. Je jette alors un coup d’œil autour de moi pour repérer où se trouve le prince impérial mais il est déjà trop tard.

"Ouff !"

L'épaule musclée de mon élève heurte mon estomac avec violence manquant de me faire recracher mon repas de midi. Comment est-il allé aussi vite ? Je ne l'ai pas vu venir... Je bascule en arrière pour m'écrouler dans la poussière et, avant que je ne comprenne ce qui m'arrive, un coup sans aucune retenue heurte ma joue avec force.
Un filet de bave éclabousse le sol et je manque de tourner de l’œil tandis que Jjiyuhito, à califourchon sur mon abdomen, s'apprête déjà à enchaîner ses coups.

Quelle violence ! Je ne pensais pas qu'il allait y aller si fort !
Je relève mon bras gauche qui se recouvre instantanément d'une épaisse couche de terre, le poing de Jiyuhito s'écrase sur ma carapace qui se fissure sous l'impact. J'expire fort pour  reprendre mon souffle et soulève avec mon second bras de quoi me protéger pendant un instant de ses attaques en formant une sorte de bouclier tenu par mes avants-bras...

"Je dois admettre que m'as surprise..." Dis-je, le souffle court. "Cependant, tu aurais dû m'immobiliser pendant que tu le pouvais."

Je ne pouvais m'empêcher de lui faire la leçon, certes il cherche à se défouler mais ça doit rester un entraînement héroïque et je compte bien faire en sorte qu'il ressorte de son combat meilleur. En cherchant à frapper à tout prix et laissant mes bras libres, il m'a laissé l'opportunité de me ressaisir et d'utiliser mon alter, contre un autre adversaire ça aurait pu passer mais pas contre moi.

Et, comme pour illustrer mes propos, je riposte immédiatement avec mes poings renforcés qui lorsque je frappe, éparpillent la terre pour la jeter dans son visage, me permettant de le perturber. Il voulait que je le frappe ? Le voilà servi ! J'espère qu'il s'est préparé à ma phase 2.

Le poing de Saha-Terra percuta Jiyūhito de plein fouet. Ce dernier dût se retenir pour ne pas dégueuler de la bile sur le visage de sa professeure. Il venait soudainement de prendre conscience de quelque chose de très important.

Entre son niveau et celui de la libyenne, il y avait un fossé technique majeur.

La première galoche de son adversaire venait de fracasser les côtes du garçon. La seconde, qui volait vers son visage, rencontra la main gauche du prince impérial qui réussi à stopper le poing dans son avancé mais ça ne sauvait absolument pas la situation. Les yeux du jeune homme se remplissaient de terre, et un petit filet de sang se mettait à couler d'entre ses dents impeccables. Tout son corps était contracté pour retenir le poing de son opposante, une menace tellement tangible que même les revers de droit de son entraineur de boxe habituel semblaient être de la pisse de chat en comparaison. Ayo frappait fort, fort et dur.

Jiyūhito prit un moment pour apprécier la douleur que la situation lui offrait avant de se remettre au travail.

Le jeune homme prenait conscience du fait qu'il avait fait une erreur. Saha-Terra avait raison (ce qui n'était pas surprenant se dit-il, c'était la prof') : il aurait dût lui plaquer le visage sur le sol et lui ligoter les bras lorsqu'il en avait eu l'occasion, et cela quitte à fracasser le dos de sa cible à coups de pieds joints. Ce qu'il avait fait était imprudent, non pas parce que c'était inefficace en situation réelle mais parce qu'il se battait contre une tueuse diplômée. Il avait assumé que la libyenne serait affectée mentalement par son assaut de lycéen, ce qui n'était bien évidemment pas le cas. On n'apprenait pas à une héroïne de cet âge ce que c'était qu'un petit casse couille.

Ce n'était même plus une question de gagner à ce stade. Il fallait juste observer ce que la jeune femme faisait et apprendre d'elle, rien de plus.  

Les abeilles, qui s'était regroupée en un temps record, fonçait vers les vêtements de la jeune femme. Elles essayaient de passer par toute les ouvertures possibles, de s'infiltrer dans les vêtements pour piquer "au sang" et non pas s'acharner sur une masse de terre défensive. Elles étaient en cela plus que pratique. Il fallait reprendre un semblant de contrôle sur la situation, et la libyenne ne pouvait pas avoir des yeux partout. Jiyūhito inspira avec force avant d'expirer tout aussi violemment. Une énorme masse de miel s'expulsa de ses narines et fonça droit vers la tête de son enseignante. Quelques centilitres de morves et de sang avaient suivi le mouvement, mais on ne faisait pas d’omelettes sans casser des œufs.

Une Ayo aveugle c'était une personne que l'on pouvait rouer de coups pour quelques minutes de plus. Une Ayo sucrée c'était quelque chose que l'on ne voyait pas tout les jours, et ça ferait une anecdote à raconter à la cantine de Shiketsu.

J'ai beau l'avoir averti sur une erreur minime, Jiyuhito n'a pas eu tout faux, loin de là même, son attaque millimétrée et intelligente m'a surprise et je me retrouve maintenant en position de faiblesse alors qu'il y a quelques instants, je le tenais à distance sans trop de difficulté, testant tranquillement ses capacités d'esquive...
Et maintenant, écrasée par son poids et harcelée par ses abeilles, le bras de fer que je mène avec mon élève n'est clairement pas en ma faveur et pour le moment je suis incapable de renverser la situation.

Je pose mes yeux sur mon élève, son visage est couvert de poussière, du sang coule de ses lèvres mais son regard est ferme et concentré, ce prince impérial n'a rien d'un prince lorsqu'il se donne à fond, c'est une vrai furie. Il ne veut pas gagner, il veut juste se battre... se battre jusqu'à ne plus avoir de jus. Mais je ne m'inquiète pas pour autant, il n'est pas devenu hystérique, c'est simplement un jeune un peu tempétueux, comme j'ai pu l'être à son âge.

Soudain, il inspire fortement. Un sifflement ? Non, je l'ai déjà vu faire ça lors d'un entraînement... Il oserait ?
Mon bras droit étant coincé dans la prise solide du garçon, seul mon bras gauche, toujours recouvert par ma terre, vient rapidement couvrir mon visage mais, trop tard. Un flot de miel chaud s'écrase sur le côté droit de mon visage, recouvrant totalement mon œil.  

"Bien tenté." Dis-je dans un murmure.

Si je n'avais pas réagit à temps, il aurait pu m'aveugler totalement et prendre définitivement l'avantage... Il ne cesse de m'impressionner.
Plus le combat avance, plus je sens sa motivation changer quelque chose en moi, faisant monter cette adrénaline que je ressentais lors de mes entraînements dans le sable rugueux... J'en esquisse presque un sourire.

Mais je ne ralentis pas pour autant. Dans un mouvement de réaction instantanée et inattendue, je relève mon bras protecteur encore recouvert de miel et frappe son menton avec ma carapace terreuse, le faisant basculer en arrière. Sa prise se desserre un instant et j'en profite pour lancer un enchaînement de quelques coups précis dans son visage et son abdomen dans l'unique but de le repousser sans le blesser.
Cependant, le miel recouvrant mon œil droit et les attaques incessantes des insectes me ralentissent à chacun de mes coups, chaque parcelle libre de ma peau est agressée, le miel colle et me brouille vision... Il a utilisé son alter avec intelligence, je me demande maintenant comment il va essayer de concrétiser ses efforts.

J'arrive finalement à lever une épaule du sol, si je continue ainsi je devrais pouvoir réutiliser une grosse attaque avec mon alter... Comment va-t-il réagir ?

"Bien tenté."

"Héhéhé..."

Jiyūhito était terrorisé.

Ce mouvement de tête n'était pas humain. On ne décalait pas son visage aussi rapidement lorsqu'on était quelqu'un de normal. Lorsqu'on était quelqu'un de normal on ne survivait pas à une attaque pareil, on hurlait "Au mon dieu, du miel, je suis fait comme un rat !" avant de se soumettre à la volonté de celui qui venait de transformer votre visage en tartine. C'était du bon sens à ce stade, mais Saha-Terra avait dévoré le bon sens depuis longtemps. Elle se contentait désormais d'être une mauvaise parodie de double face, avec du miel sur la tronche à la place des brûlures, et de dévisager le prince impérial avec un œil de plus en plus intéressé.

Jiyūhito nota dans un coin de sa tête qu'il avait peut être une touche et passa à l'étape supérieur de son plan.

Il n'avait pas réussi à aveugler efficacement la libyenne, qui commençait à se libérer. Le temps jouait contre lui. Il ne pouvait pas la maintenir au sol indéfiniment, pas de cette manière là tout du moins, et il risquait très fortement de se prendre une attaque plus sérieuse si il restait dans cette position. La situation était complexe, mais pas insolvable : les abeilles, qui harcelaient toujours la peau d'Ayo, n'obtenaient pas beaucoup plus de résultats que des insectes ennuyeux sur une moustiquaire. Si ça faisait mal, l'héroine professionnelle semblait s'en moquer. Jiyūhito comprenait. Lui aussi ne se laissait pas stopper par les petits  bobos, au grand désespoir de sa famille qui passait son temps à lui rappeler qu'il était mortel. Bref, pincer son professeure n'allait pas mener à grandes choses. Ce qu'il fallait, c'était pousser sa stratégie actuelle encore plus loin.

Le jeune homme siffla. La masse d'abeille s'expulsa aussi vite que possible des vêtements de Saha-Terra pour reformer une masse qui fonça sur la partie valide de son visage. Objectif : resserrer la ruche en une masse tellement sombre que l’œil restant à la libyenne soit incapable de voir les coups venir ! Il ne fallait pas laisser la jeune femme reprendre le dessus. Jiyūhito lâcha le "bras de fer" que lui est son opposante créait depuis maintenant quelques secondes, se décala violemment vers la droite, et décida d'utiliser ses deux points pour lui fracasser le menton aussi fort que possible. Ça n'allait certainement pas arrêter une héroïne aussi balèze que cette gaijin mais, au moins, il allait pouvoir tester son crochet du gauche.

Lorsque ce combat a commencé, je n'aurais jamais pensé me retrouver dans cette situation. J'ai sous estimé l'envie d'en découdre de mon élève, et à cause de ça il a réussi à me plaquer au sol, à me coller quelques coups au visage et il a manqué de m'aveugler totalement… En vérité, il est passé à deux doigts de remporter cet affrontement en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire… Pour une prof censée maîtriser la situation, ça a faillit tourner au ridicule.

Mais je ne peux pas blâmer son enthousiasme et sa motivation… Il faut que je donne plus de moi même, il faut que je réponde mieux à ses attentes. Et alors j'aurais accompli mon devoir de prof.

Le bras de fer que nous menons maintenant depuis quelques seconde continue de tourner petit à petit à mon avantage et s'il ne réagit pas assez vite, je vais l'achever en quelques mouvements.
Il doit profiter de son avantage et de mes erreurs, il ne peut pas me laisser reprendre le contrôle de la situation.

Jiyuhito siffle soudainement et je comprends immédiatement que ses abeilles vont agir. Le poids sur mon corps se libère soudainement et les dizaines de piqûres répétitives cessent également… C'est un minuscule instant de calme au milieu d'une tempête de bourdonnements incessants mais un instant crucial.

De mon seul oeil valide, j'ai juste le temps d'apercevoir mon adversaire commencer à s'élancer sur le côté avant qu'une masse grouillante d'abeille ne s'écrase sur mon visage, coupant ma vision.
Il est vraiment malin, son alter devenait enfin réellement handicapant mais j'avais eu le temps de comprendre ses intentions… Il aurait dû profiter de ma faiblesse, encore une fois.

Enfin libre de mes mouvements, je relève subitement mon bras gauche pour ériger un rempart rocheux de dernière seconde. Je sens le pilier se soulever de terre avec vivacité pour heurter violemment l'étudiant et le séparer de moi.
J'avais réussi à remettre de l'écart entre lui et moi, il n'avait plus l'avantage.

"Ce n'est pas avec tes muscles que tu viens à bout d'un adversaire plus fort que toi."

Dis-je avec sévérité.
Il n'en est plus à sa première erreur, Jiyuhito est fort, il est fougueux mais il n'est pas assez concentré et en tant que professeur héroïque de Shiketsu, je ne peux tolérer un tel manque de sérieux de sa part : je veux voir un apprenti héroïque en action.

"C'est un entraînement, pas un combat de rue."

Il a réussi à m'aveugler totalement, ses abeilles me cachent la vision d'un côté et son miel de l'autre, je suis handicapée mais ce n'est pas suffisant, je peux palier à ce manque de vision avec mon alter en repérant ses mouvements avec ma terre. Et puis je vais gagner du temps pour esquiver ses abeilles et retirer ce miel… Ce n'est pas encore fini.
Un petit sourire se dessine sous mon masque bourdonnant et j'ajoute :

"A partir de maintenant on passe la seconde, tâche de faire mieux que ça."

Cette phrase que mon mentor me répétait sans cesse avait eu le don de m'agacer un grand nombre de fois. Comment faire plus que tout ce qu'on a déjà donné ? Maintenant que je me retrouve de l'autre côté, je peux affirmer qu'il y a toujours moyen de faire mieux, toujours moyen de dépasser ses limites. Yuei avait bien trouvé son slogan.

Pour accentuer mes propos et après avoir vérifié qu'il n'y avait personne, je lève mes bras et une grande enceinte rocheuse aux murs courbés se forme autour de nous deux. Je vais accélérer, au sens propre. Je pose ensuite mon autre main au sol, soulevant mon fameux surf. Ni lui, ni ses abeilles ne pourront me suivre et, s'il continue au même niveau, il sera a la traîne.
C'est mon devoir de ne pas le ménager pour qu'en échange il me prouve qu'il a du potentiel : s'il veut réussir l'entraînement, il va devoir y aller à fond.