To our fallen heroes [pv: Shiroma]

« T’as eu quoi ?! T’as eu quoi ? » « Bigshot. » « Comment t’as trop de la chance ! Je tombe toujours sur Geometric.. » « J’ai même eu Ingenium une fois. » « J’te crois pas tu mens ! Haha ! » « Tu crois qu’on peut encore tomber sur Factory ? » « J’ai vu des snap où des gens l’avaient eu mais ça doit être fake, c’est pas possible. » « Bah pourquoi pas ? Ca pourrait être un moyen de lui rendre hommage. » « Quoi en cassant la croute sur son dos ? T’es folle haha ! »

Les deux lycéenne s’éloignaient toutes les deux portables en main, le sourire aux lèvres et le pas léger. Il n’y avait pas si longtemps qu’avait eu lieu la catastrophe de Musutafu, pourtant, beaucoup de choses avaient repris leur cours normal, à commencer par ce centre commercial qui n’avait pas été endommagé. Kass accordait de loin un regard à l’écran digital. D’ici, il voyait les mentions au dos de l’appareil. « Quel héros vous ressemble ? ». Voilà ce qui était écrit avec les portraits en miniature d’une quinzaine d’héros de l’agence Ingenium. De l’autre côté, les visiteurs curieux passaient chacun leur tour devant la caméra pour générer le héros « leur ressemblant ».

Le premier jour où l’appareil avait été installé, la foule s’était pressée et une queue s’était naturellement formée d’enfants accompagnés de leurs parents et d’adolescents pour être confronté à l’algorithme. Puis, elle avait progressivement diminué. Aujourd’hui la surface publicitaire faisait partie du paysage du centre commercial et si quelques curieux s’amusaient encore parfois à passer devant, ce n’était plus la star du grand hall. C’était d’ailleurs les derniers jours de l’animation qui serait prochainement enlevée au profit d’une nouvelle.

Les héros, Kass s’était toujours juré de ne pas s’en mêler. C’était trop pour lui, ce n’était pas son monde. Toute son enfance, il n’en avait presque jamais entendu parler autrement que par quelques journaux venus s’égarer bien trop loin. Mais dans une grande ville comme Tokyo, c’était devenu inévitable. Il lui avait pourtant fallu pas moins de trois ans pour y être confronté. 3 ans et… elle.

Ai Ueyonabaru. Ou comme ils l’appelaient plus simplement « factory ». Il ne savait pas grand chose de cette femme si ce n’est ce que personne ne pouvait ignorer. Qu’elle avait perdu la vie au cours de cette bataille. Ils avaient presque le même âge. Et avec cette fin tragique, beaucoup de choses étaient remontées à la surface. Des choses privées qui n’auraient normalement pas gagné à être connues. Mais qui finalement… faisaient sens.

A nouveau, Kass ne l’avait jamais rencontré mais il éprouvait naturellement une forme de sympathie. Là où on ventait un acte héroïque, lui se serait demandé si elle aurait pu échapper à ce sort si elle n’était pas née ainsi. Et quelque part, ça lui restait en dehors de la gorge. Il n’y avait malheureusement pas grand chose qu’il puisse faire. Au moment où ce train était pris d’assaut, Kass était renversé par une voiture lors de l’évacuation.

Trois côtes cassées. Assez pitoyable pour celui qui n’avait finalement fait que fuir. Il était encore techniquement au repos mais la douleur s’étant bien atténuée, il avait besoin de prendre l’air. Et de passer chercher des produits à la pharmacie du centre commercial.

Kass rangeait ses mains dans ses poches, retenant un soupir. Il ne venait plus avec son casque comme il le faisait avant, comme si la musique n’avait plus le même effet sur lui et il n’aurait pas su expliquer pourquoi ? L’ex assistant social longeait la passerelle du premier étage après avoir pris l’escalator. Ses cheveux avaient bien poussé. Presque un peu trop pour que ce soit naturel. Il préférait donc les cacher dans un bonnet pour l’instant.

L’objectif semblait clair mais le jeune homme finit par s’arrêter quand il reconnu un son familier. Il s’arrêta, remarquant l’entrée de la salle ainsi que du premier regard, la borne d’arcade qu’il avait reconnu rien qu’à la musique. Il avait passé quelques après-midi dans des lieux comme celui-ci au lycée mais il ne pensait pas que cette borne serait ailleurs. Il restait planté devant l’entrée. Devait-il se laisser aller à un peu de nostalgie ?…

Shiroma était en attente de ses résultats. Il avait passé l'examen quelques jours auparavant et souhaitait se détendre. Shiroma se mit donc en route pour le centre commercial, où il aimait fréquenter la salle d'arcade.

Alors qu'il se dirigait vers la salle, il remarqua un appareil qu'il n'avait pas vu auparavant. C'était l'une de ces attractions temporaires dont la majorité des gens raffolait, et cette semaine, elle était basée sur l'agence d'Ingenium et de ses partenaires. Sans doute en hommage à Factory, pensa Shiroma. Les gens faisaient la queue pour savoir à quel héros/héroïne leur ressemblait.

Shiroma aperçut deux lycéennes, en train de flâner téléphone en main tout en s'éloignant de l'attraction. Il les ignora et se diriga vers la salle.

Mais alors qu'il s'exécuta, il vit un jeune homme, la vingtaine sans doute. Il était planté sur place devant la salle d'arcade.

"Vous aussi, vous vous intéressez aux bornes d'arcade? "

Vous aussi, vous vous intéressez aux bornes d'arcade?

Tiré de sa tête. Ce n’était pas une chose qui lui arrivait souvent mais qui semblait plus courante à présent qu’il n’écoutait plus de musique en extérieur. Peut-être qu’il avait l’air plus accessible maintenant qu’il n’y avait rien pour entraver son ouïe. Il préférait imaginer ça à l’autre option qui aurait été que d’autres personnes avaient essayé de lui parler sans résultat car il ne les auraient pas entendues. Typiquement le genre de situation qui le ferait plier sous les regrets de sa propre incivilité.

Mais avant toute chose, était-ce bien à lui qu’on parlait ? Il releva la tête, comme si la personne lui ayant adressé la parole était face à lui, avant de réaliser l’absurde de cette possibilité et de regarder à gauche, puis à droite, rencontrant le regard d’un adolescent ? C’était donc bien lui qu’on interpellait ? Contact visuel oblige. Ah, peut-être se trouvait-il tout simplement dans le passage. Il n’y avait pas pensé étant donné la taille de l’entrée. Il s’écarta donc de quelques pas sur le côté, un peu gêné.

« Ah, heu… oui. En quelques sortes. Plutôt quand j’avais v… ton âge. »

Il l’avait presque vouvoyé. Mais Kass devait apprendre à s’affirmer un peu plus. Après-tout il avait lui-même été un ado et en plus de ça, il avait été assistant social et des ados, il en avait vu passer. Avec un peu de chance, il espérait que celui-ci n’en soit pas un à problème. Il n’aurait pas à s’en occuper de toute façon mais de manière générale, ce serait plus facile à vivre pour lui. Il fit un signe de main indiquant l’intérieur de la salle d’arcade.

« La voie est libre. »

Il s’était écarté de son chemin donc maintenant il ne devait plus y avoir d’obstacles ? Kass avait vingt-et-un ans maintenant, il était à coup sur trop vieux pour venir ici sans avoir l’air bizarre, il en était persuadé maintenant. Ce qui était un peu ironique quand il pouvait enfin se permettre quelques parties sans craindre pour sa fin de mois.

Cet homme avait l'air sympathique. Pas le plus sociable, mais il avait l'air gentil. L'occasion de se faire un ami? Peut-être. Surtout dans cette nouvelle ville. Certes, il pouvait potentiellement se faire des amis à Yuei, quand il serait admis, mais bon...

Shiroma aimait les puzzles. Surtout les jeux de puzzle, en arcade. D'un coup, il eut l'idée de proposer, à ce parfait inconnu, une partie, sur un coup de tête. Pourquoi pas ? Et si l'argent était un problème, il allait payer. L'occasion de se faire un ami, lui aussi passionné (ou tout du moins intéressé) par les bornes d'arcade. Il n'avait rien à perdre, right?

"Ca vous dit, une partie... Hmm... Comment vous vous appelez?"

Shiroma espérait que sa tentative marcherait. Il n'allait pas le manger, non plus ?

Son nom ? Cette interaction allait déjà bien plus loin que ce qu’il aurait pu envisager et forcément, il avait un peu de mal à savoir comment réagir à partir de là. Il aurait normalement paniqué un peu plus, se serait probablement interrogé sur les motivations de ce garçons, se serait demandé s’il faisait partie de ces adolescents qui leurraient des adultes dans des positions douteuses pour leur soutirer de l’argent. Même si Kass dans ce contexte aurait plutôt eu l’âge d’être son grand frère et qu’il n’avait clairement pas l’attirail de la bonne victime d’une escroquerie. Donc peut-être que la question était sincère ?

Un choix par défaut, il ne voyait que cela. Ca ou la pitié que Kass aurait pu inspirer mais il avait fait attention au choix de son manteau ce matin avant de partir. Il ne devait donc pas avoir l’air si désespéré que cela. En théorie. Alors peut-être que celui en face de lui n’avait tout simplement pas d’autre alternative. Et… il pouvait vivre avec ça. Être un second choix ne l’avait jamais dérangé, c’était toujours mieux que de ne pas être dans l’équation et discuter un peu ne lui ferait pas de mal. Car depuis quelques jours, depuis cet accident, Kass avait la sensation de tourner au ralenti.

« Kass… Et… tu es ? »

Il ne disait pas non pour la partie, même s’il ne savait pas vraiment de quel jeu parlait. Et oups, il avait oublié de répondre. Cette situation avait de quoi le rendre un peu nerveux après tout, au point où il se frotta légèrement la nuque, embarrassé.

« Et… Pourquoi pas ? Tant que c’est pas une de ces machines qui touchent au cardio. »

Autant reconnaître dès maintenant que ce n’était pas son fort. Il avait déjà été un peu humilié devant Jae-sun sur une de ces dance-machine mais il le connaissait. Mieux valait éviter de se ridiculiser devant un parfait inconnu. Pas qu’il manquerait d’occasions de le faire mais au moins attendre une dizaine de minutes peut-être ?

Kass? Ce nom lui semblait familier. Sûrement une connaissance durant son enfance ou un nom entendu à la télé. Shiroma répondit à sa question.

"Shiroma."

Shiroma réfléchit à un jeu, puis vit la machine à touristes et pensa aux récentes actualités : un jeu en hommage aux héros morts en service (et par extension pendant la bataille de Musutafu), porté en jeu d'arcade par des développeurs indépendants.

"Ca te dit quoi une partie de Street Fighter XLII Remake: The Return of the Hero?"

Ca allait être relié à la récente bataille de Musutafu, un honnête hommage moins attrape-touristes que la machine qu'il avait vu plutôt. Et beaucoup plus fun surtout, lui qui était venu seul. Il s'était mis à tutoyer Kass, car il faisait de même, et c'était comme ça que Shiroma pensait.

Kass ne connaissait pas toutes les bornes d’arcade, seulement les plus anciennes. D’autres étaient apparues dans les deux dernières années et nécessairement, il n’avait pas eu l’occasion de s’y coller. A entendre le nom, il savait déjà à quoi s’attendre et visiblement Shiroma lui proposait un jeu de baston ? Il sourit faiblement, hochant la tête.

« Pourquoi pas. »

La bonne humeur n’était pas tout à fait là mais il comptait bien se changer les idées. Faire quelque chose qui le sortirait un peu de cet état d’esprit légèrement morbide même quelques instants. Ou du moins, c’était son intention. Car après quelques pas suivant le long tapis central, se présenta la fameuse borne. Et… elle n’était pas tout à fait comme il se l’imaginait.

« Que… »

Une blague ? Une mauvaise blague ? Kass adressa un regard inquiet à l’adolescent qui l’accompagnait, cherchant à déterminer si le malaise était réciproque. Il avait la sensation de se tromper, il devait forcément se tromper. Mais après s’être rapproché pour lire de plus près le descriptif sur le côté de la borne, il comprit que c’était bien ça. Et… Pour être franc, il avait rarement vu quelque chose d’aussi mauvais goût.

« Tu… Tu joues à ça, toi ? »

Etait-il le seul ici à se rendre compte à quel point c’était mal ? Ils n’avaient forcément pas d’autorisations, sans quoi il n’y aurait pas de « Foctary » dans le descriptif. Il n’y avait pas deux mois que cette bataille avait eu lieu, que des gens étaient morts, que d’autres étaient encore en train de se remettre et il y avait des couillons pour faire un jeu mettant en scène cette bataille sous la forme d’une licence de combat célèbre ?

« Je sais pas ce qui est le plus choquant. Que ça existe, ou que la salle d’arcade l’ai foutu là. »

Kass était rarement verbal et se parlait plutôt à lui-même. Mais ça n’allait pas, ça n’allait pas du tout et il ne pouvait pas envisager que soit normalisée cette insulte à la mémoire des personnes qui avaient souffert ce jour là. Shiroma était un ado, il ne voyait peut-être tout simplement pas ce qu’il y avait de mal là-dedans. Lui, ne pouvait pas l’ignorer.

« Je dois trouver le manager. »

Quelques minutes passant, le japonais revenait, accompagné d’un manageur crachouillant son agacement. Pourtant cette machine posait vraiment problème. Du moins, jusqu’au moment de la montrer car il n’y avait… rien. Pas de machine, pas d’adolescent, juste un espace vide et une prise pour brancher un nouvel appareil, laissant Kass troublé et un manageur sur le départ.

« Qu’est-ce qu'il me raconte ce gamin, si quelqu’un en a profité pour piquer dans la caisse tu vas m’entendre !… »

Qu’était-il en train de se passer ?