La négociation pour les nuls [PV Mei]

Du peu que j'ai compris à son discours, 20 pourcents, c'était définitivement pas assez. Feignant un calme divin alors que je craignais en réalité pour ma vie, j'écouta avec attention tout ce qu'elle avait à me dire. Pas que j'en compris grand chose, à la vitesse qu'elle déballait son sac et avec le dialecte qu'elle utilisait, c'était à s'en donner mal à tête.

Je retins trois éléments de son discours :

1. Elle n'avait pas mordu à l'hameçon "noble cause".

2. Elle était dur en affaire.

3. Elle ne venait pas du coin.

Quand elle eut finalement conclus son discours, avec une demande de cinquante (CINQUANTE) pourcents du revenu, je m'écrasa derrière moi dans ma chaise, poussant un soupir. J'avais besoin de quelqu'un, ça c'était clair. Mais avais-je réellement besoin de cette gamine du Kansai qui surestimait sa valeur en tant que pigiste? En même temps, j'avais qu'à dire "Oui" et ce serait réglé... Hanabata payait relativement bien, je m'en tirerais quand même avec un bonne part de tarte...

Hmmm, que faire...

À moins que si...

- Madame Konu... Je... Comprends vos points.

Du moins, je pense que je comprenais ses points ? Certains n'étaient pas clair et je n'étais pas à 100% certain de ce qu'était des alibófi, mais j'allais jouer le jeu.

- Comme c'est notre première collaboration ensemble et que je ne sais pas exactement ce dont vous êtes capable dans les circonstances présente où j'ai besoin de vous, je trouve que 50% c'est... Beaucoup.

Voilà, je l'avais dit. Rapidement, je leva le doigt, pour éviter une autre crise. Je n'avais pas fini.

- Pour cette fois-ci je vous propose plutôt disons... 40%. Nous parlions d'un test tout à l'heure. Considérez ce contrat comme le test et, si c'est satisfaisant et que nous travaillons de nouveau ensemble, je serai complètement ouvert à une nouvelle négociation des conditions !

Est-ce que je grattais pour 10% ? Absolument que je grattais pour 10%, j'avais des comptes à payer !

- Et pour les repas, j'insiste, je les paierai

Mei adressait au détective un regard fort peu convaincu, presque réprobateur. Sourcil froncé, bouche tordue en une moue dédaigneuse. Pour peu, on aurait pu croire que c’était elle qui cherchait à l’engager et à le sonder. Elle eut une réaction visible quand il annonça qu’il trouvait son prix trop élevé, mais elle parvint à retenir sa verve assassine, le temps d’écouter la contre-proposition.

Quarante pourcents… Quarante pourcents… Mais surtout, le détective repartirait avec un à-priori positif de sa personne. Si elle forçait un peu, elle pouvait probablement obtenir le 50-50 rêvé, mais à ce prix là, il serait peut-être plus réticent à l’engager à nouveau. Une part plus basse, mais de meilleures relations. C’était le choix le plus intelligent à faire. Et puis, elle ne faisait pas vraiment ça pour l’argent, elle avait encore deux ans de marge avant de vraiment devoir s’en soucier. Elle aurait probablement accepté plus bas encore, si cela lui permettait de jouer les détectives. Mei sourit ouvertement en pensant à ça.

La jeune photographe se pencha vers son futur employeur et tendit sa main droite.

"Va pour quarante poursangts, té. Et si vous t’nez tant à me faire grâce du prix du r’pas, grand bieng vous en fasse."

Elle recula légèrement sa main, de façon préventive, avant d'ajouter :

"Et puis pensez pas queuh c’est parrse que j’vous serre la poigne qué j’meng contengtrait. Pas de contrat, pas d’photos. Mais j’vous fait confiance à c’sujet.’"

Pas question de travailler au noir. Mei savait que la profession était plus réglementée que ce que les badauds pouvaient penser, et elle comptait bien ne pas travailler sans contrat en bonne et due forme.

Ouf, ça avait passer. Pas que j'en avais douté, non, absolument pas ! J'étais un pro de la négociation depuis que j'étais tout petit, mes parents n'ayant jamais pu me refuser la moindre sucrerie ! Mais j'avais quand même eu chaud un peu, je devais l'avouer.

J'avançai ma main dans le but de serrer celle de ma nouvelle "associé" et en même temps, la rassurer sur ses craintes. Je n'étais pas un voleur et je connaissais très bien l'importance d'avoir une preuve écrite de ce sur quoi on est d'accord. Après tout, c'est un peu grâce à ça que j'avais mangé tant de chocolat dans mon enfance.

Passons.

- Bien entendu ! J'avais déjà préparé un... Ébauche, disons, de contrat. Plus qu'à remplir quelques trous et le tour est joué!

Je sorti de ma fiche un contrat en bonne et due forme, où il n'y avait que quelques champs à remplir. À soir le paiement (où j'inscrivis rapidement "40%", avant qu'elle ne change d'avis), le nom de la photographe (que je n'entra pas moi-même, me doutant que "Konu" n'était pas son vrai nom de famille... Limite, je doutais du "Mei"...) et nos signatures. Je lui tendis la feuille afin qu'elle puisse lire ce qui y était inscrit.

- Si vous pouvez juste écrire votre nom lisiblement là... Et signer ici... Je le reprendrai pour signer à mon tour ensuite...

Pendant qu'elle regardait l'objet important, je sorti le dernier document présent dans la fiche, soit un prospectus du parti Heartseeker. Le même modèle que celui que la photographe aurait à distribué.

- Le rassemblement est dimanche dans deux semaines, dans l'après-midi. Vous avez donc assez longtemps pour vous familiarisez avec le parti... D'ici là, si vous avez des questions, je reste bien sûr disponible... Le jour même par contre... Pendant le rassemblement, j'ai euh... Un empêchement familiale, je ne pourrai donc pas vous répondre, mais je vous écrirez dès que je serai libre.

Tout était dit je crois ? À moins que si elle avait d'autres questions, bien sûr...

Arrangement trouvé, mains serrées, contrat signé. Des négociations rondement menées, en somme. C’était un air triomphal qui s’affichait sur le visage de Mei, alors qu’elle se saisissait des nouveaux documents, après avoir rendu le contrat au détective.

"Pas de soucis et pas d’questions, m’sieur Tantei. J’penseurai à vous transmettre la note pour le repas."

Désormais calmée, elle arrivait à dissimuler son accent de mieux en mieux à chaque instant. Elle était plus prête que jamais.

---

Trois semaines plus tard, Mei était à nouveau devant l’agence d’Arata Tantei. Sauf que cette fois, elle portait sur elle un lourd bagage. Non pas qu’elle comprenait réellement la portée des informations qu’elle avait rassemblées. Non, ce qui pesait lourd, c’était le fait de voir son travail être jugé par un expert dans son domaine. C’était un peu comme lorsqu’elle avait montré ses photos à Mme Rasperezapis, sur le Sea Phoenix.

Bien sûr, dans aucun de ces deux cas elle n’avait été face à un autre spécialiste de la photographie. Rasperezapis était journaliste, et Tantei détective… Mais voilà, si avec ses photos elle obtenait le respect de suffisamment de pros dans divers domaines, alors elle serait sûre de pouvoir se frayer un chemin vers ce qui l’intéressait vraiment : la photographie héroïque.

C’est pleine d’espoir et de métrage qu’elle passa la porte.

"Bonjour monsieur Tantei ! J’pense que c’que j’ai vous intéressera."

Sans gêne, et avec moins de formalités que lors de sa première visite, Mei s’installa d’elle-même dans la chaise des invités. Tout en fredonnant, elle sortit de son sac une pochette à élastiques, sur laquelle avait été marqué "Travail secret" au stylo. Elle la posa sur la table, de même que l’appareil photo qu’elle avait autour du cou.

"Ça s’est passé sans aucun souci, j’ai fait comme vous avez dit."

La jeune fille ouvrit la pochette et en sortit un petit papier. Un ticket de caisse, visiblement.

"Tout d’abord, mon repas. Pour que vous puissiez ajouter ça à ma paie."

Elle le fit glisser de l’autre côté du bureau et se remit à farfouiller dans sa pochette. Elle en sortit plusieurs photos, développées, de Leon Koshino, ainsi qu’un papier froissé, soigneusement placé dans une pochette plastique.

"Et donc not’ lascar… Agissait plutôt normalement, la plupart du temps. Mais il avait ce bout de papier sur lui, entre autres. J’pense que c’est une piste."

Sur le bout de papier en question était marqué, dans une écriture impeccable "DETNERAT 23H30". Mei avait beau être une novice en matière de travail de détective, elle savait bien que les gens sans Alters gênants n’avaient pas besoin des services de Detnerat… Et surtout pas à une heure si tardive. Bien sûr, si le pro le souhaitait, elle avait d’autres pièces à conviction en stock...

Le concert avait été... D'un ennuie complet. Bon, oui, j'étais toujours content de voir mon petiot en action et il semblait s'être bien amusé, mais le seul autre moment que j'avais trouvé un minimum intéressant, c'est quand l'un des gamins s'était enfoncé sa clarinette dans le nez. Pas de blessé grave heureusement. J'avais aussi remarqué de loin Chikara, l'héroïne North Star avec qui j'avais déjà eu l'occasion de discuter. Je l'avais salué d'un petit geste de la main. C'était l'une des rares de sa profession que j'appréciais un peu.

Bref, j'étais de retour au bureau et j'attendais impatiemment l'arrivé de mon "employée" qui devait venir me faire un rapport en ce beau matin. Alors que j'étais debout en train de me faire un café, la jeune dame entra justement dans la pièce et alla s'installer au bureau pour commencer à déballer son sac.

Je terminai de me servir, prépara une seconde tasse puis vint la rejoindre, déposant le contenant de breuvage chaud juste devant la Mei, alors qu'elle sortait ses photos de Koshino. C'était des images de qualités, clair, mais absolument pas incriminant. Par contre, le bout de papier était très intéressant.

- Detnerat...

Qu'est-ce que je savais d'eux? Ils étaient l'une des plus grande compagnie du pays, ils avaient des branches à peu près dans tout le pays, dont l'une pas très loin d'ici, à Hosu. 23H30. Qui se présente dans les bureaux d'une entreprise à une heure si tardive? Hmm... C'était une piste, ça c'était sûr et il devrait l'explorer.

La touche du sac en plastique était très mignonne.

- C'est un très bon début ! Et plus que ce à quoi je m'imaginais ! Mais... Comment tu as récupéré ce bout de papier? S'il l'avait sur lui...

Lui avait-elle carrément piqué en plein jour? Ou avait-elle attendu qu'il le jette dans une corbeille pour la fouiller? J'espèrais que c'était le second option...

- Et sinon... Autre chose dans ta super-fiche?

Il semblait y avoir encore plusieurs papier à l'intérieur de celle-ci. D'autres trucs de croustillant, ou de simples notes? J'étais impatient de le découvrir !

Mei était beaucoup de choses, mais elle n’était pas une pickpocket. Non pas qu’elle aurait éprouvé des remords à faire les poches d’une cible, dans ce cas de figure. Mais elle n’était tout simplement pas entraînée à l’exercice, et préférait ne pas tenter le diable.

"J’ai fouillé dans la poubelle. C’tait pas glorieux, mais j’ai bieng vu qu’il avait regardé à gauche et à droit’ avant de le j’ter. Je m’suis dit que ça d’vait être important."

Mei avait trouvé ça un peu idiot de la part de sa cible, d’ailleurs. S’il tenait vraiment à se débarrasser d’un bout de papier comme ça, il aurait pu le manger. Elle, elle l’aurait mangé, en tout cas. Après, peut-être que monsieur Koshino n’était pas de cette école. De ce qu’elle avait vu de lui, il semblait assez propre sur sa personne. Pas le genre à boulotter des papiers. Et vu le monde, il aurait été compliqué d’y mettre le feu.

Mais le détective en voulait plus. Et il avait raison d’en demander. Mei se fendit d’un large sourire satisfait tout en plongeant dans son dossier.

"La qualité est un peu moins bonne ici, c’est parce que c’est un arrêt sur une vidéo que j’ai prise, attendez, j'vous donne tout ça."

Mei sortit une nouvelle image de sa pochette, et la tendit au détective. Aussitôt, elle s’empara de son appareil photo, et après quelques manipulations, lança en boucle une vidéo d’à peine 3 secondes. Elle tendit l’appareil à Arata également.

"Sur l’image c’est un peu flou mais c’est pour que vous sachiez où r’garder. Vous voyez ? Là, à c’moment !"

La vidéo montrait un plan large, qui se resserrait d’un coup sur une sorte de tente, à l’écart du meeting. Dans l'entrebâillement de cette dernière, on y voyait Leon Koshino, dos à l’objectif, qui baissait rapidement sa main, depuis son front. Face à lui se trouvait… Quelqu’un. Impossible de dire qui. On n'apercevait qu’un bout de bras et une main. La main en question avait l’index tendu vers le ciel, et le pouce également dressé. Le tout formant une sorte de "L" majuscule.

Mei se mit à bredouiller, un peu gênée.

"Et euh, après ça j’me suis faite bousculer… Et j’ai pas pu en voir plus. Mais vous avez vu ? Moi j’pense que Koshino faisait ce signe bizarre à l’autre, là."

La petite photographe mima le geste, pouce contre le front. Elle réfléchit un instant, écartant le pouce de son front, puis le rapprochant, comme si elle cherchait à juger la réelle distance en fonction du maigre extrait vidéo.

"Et du coup bah il arrêt’ de le faire, et c’est à ce moment là que j’l’ai vu. Mais l’aut’ le fait angkor."

Elle n’avait absolument aucune idée de ce que cela pouvait dire. Mei avait passé toute la semaine à rechercher un éventuel sens à ce geste, mais aucun ne lui apparaissait satisfaisant. Même pour dire "T’as un truc là", la présence de l’index tendu lui apparaissait peu nécessaire. La jeune fille était persuadée qu’il s’agissait là d’une forme de salut.

"J'pense que c'est tout c'que j'ai d'intéressant... Mais au cas où j'ai apporté une carte SD 'vec tout' mes photos et vidéos d'la journée. Y'en a masse, mais vous pourrez peut-être y voir un truc que j'ai pas vu."

Ce signe... Oui, c'était flou, mais, comme me l'avait bien fait remarquer la jeune photographe, il y avait quelque chose là. Je n'avais encore jamais vu personne faire ce "mouvement", mais ma curiosité était piqué à vif.

Je fixai l'image pendant plusieurs secondes. Je crois que c'était le plus loin que Mr Détective et son agence pouvait pousser les recherches.

- Eh bien, madame Konu, je dois dire que ça dépasse mes attentes ! Je suis certain que le client sera très satisfait ! Peut-être ces infos auront-elles une signification pour lui qui nous est inconnu...

Sauf que je ne montrerais pas les photos au leader du parti Heartseeker. Non, quand j'irai voir Hanabata, j'aurais encore plus de viande à lui fournir.

Je sortis du premier tiroir de mon bureau un chéquier. Celui que j'utilisais pour les dépenses d'entreprise. Je commençai à gribouiller dessus tout en me parlant à moi-même.

- On avait dit quarante pourcents, donc ça fait... Oui, voilà... Plus le repas, donc... Oui, on y est. Voilà !

Je tendis le bout de papier en direction de la pigiste. Maintenant signé, celui-ci avait une valeur monétaire conséquente à ce que l'on avait négocié. Bon, je n'avais toujours pas reçu le paiement du client, mais j'étais confiant qu'il me paierait. Et s'il ne le faisait pas, je saurais le convaincre. C'était mon boulot après tout, creuser.

- Je crois que nos affaires s'arrêtent ici pour aujourd'hui, mais si j'ai besoin à l'avenir, votre nom est tout en haut de ma liste !

Maintenant, la prochaine étape était simple. C'était à Phantom d'entrer en scène et de faire une petite visite à nos chers amis de Detnerat...