Filature Croisée [PV Chizuko & Maririn]

-Je me demande si...

Celeste n'osait pas trop commencer son entraînement. Pourtant, la motivation était là mais bon... Les crises cardiaques qu'elle avait subi ne lui donnaient pas envie. Cela dit, le moment serait idéal pour tester : il n'y avait aucun criminel à l'horizon, les rues étaient calmes et si elle reculait, personne ne pourrait la voir depuis l'avenue en contrebas.
Bon, quand il fallait y aller, il fallait y aller ! Elle recula, elle et son boom box avant de faire quelques étirements. Ses bras, ses jambes, ses doigts, son cou. Un petit manège qui lui permettait de ne pas se prendre de court.

-Alright... Let's go !

Elle lança une nouvelle musique sur son appareil avant de faire apparaître ses habituels bras de gorille.

-Maybe i should take in the two before i go all out...

Elle résorba les bras pour cette fois faire apparaître une queue de kangourou dans le bas de son dos. Et déjà, alterner entre ces deux capacités ne lui avait pas fait du bien au coeur, il avait raté un battement durant le minuscule interstice de transition.

-Dammit...

Mai allez, il fallait essayer ! Deux grosses transformations à la fois ! Elle ferma les yeux, prit de grandes respiration... et tenta de faire réapparaître ses immenses bras simiesques. Et dès l'instant où le changement atteignit le bout de ses doigts, elle se sentit vaciller des deux côtés, perdant petit à petit l'équilibre. Son coeur s'emballait, son cerveau ne recevait pas assez de sang....

-Oh my fucking go-

Son genou s'écrasa au sol alors qu'elle fit disparaître ses deux capacités animales. Elle voyait flou et avait la tête qui tournait. Elle en avait des nausées. Elle essaya tant bien que mal de se remettre sur pieds et de respirer lentement et profondément. Inspirant par le nez, expirant par la bouche... Encore... et encore, jusqu'à ce que son état soit stable.

C'était rageant.

Dans le passé, elle avait déjà essayé ce tour dans un instant critique, l'avait tenu pendant à peine cinq minutes et avait fini à l'hôpital avec un risque de mort définitif...

-Fuck... Fuck !

Toi aussi tu la...hein? Je me retourne pour regarder miss déguisement louche, comme si la fixer allait rendre plus clair ce qu’elle venait de dire. Mais vu son état, y’a pas de doute.

“Ah bah ça…”

Naturellement, dans ce euh...domaine, c’est assez rare de croiser des collègues, surtout en pleine “opération”. ‘Fin, comme le but c’est d’être discret tout ça, généralement si quelqu’un qu’on rencontre comprend ce qu’on fait c’est qu’on a merdé.  Ce qui en dit long sur nos compétences, à toutes les deux. Même si, je le maintiens, son costume était complètement fautif !
Donc c’est pas VRAIMENT de ma faute, hé !

“Naaan, je la suis pas, c’est juste que…”

Un mensonge par réflexe, mais face à une telle situation je ne trouve aucune excuse. Et puis… y’en-a-t-il vraiment besoin?

“...Ouais, bon, d’accord. J’ai vu un truc sur elle ce matin, ça m’a intriguée. Pis j’ai pas de photos sur elle, faudrait que j’arrive à en prendre une bien. Mais à sauter partout comme ça j’arrive pas à bien cadrer. Déjà que j’aime pas me contenter du téléphone, me faudrait au moins un bon shoot. Et toi, pourquoi est-ce que tu...”

Tout en parlant, j’observe un peu plus ma camarade qui, une fois le choc de la chute passé et le masque retiré, me dit quand même vachement quelque chose. Ah mais oui !

“Hé mais attends ! Je t’ai déjà vue ! T’es pas dans le club de journalisme toi? Hiiin, je comprend. Ça cherche des scoop? Héhé…”

Quant à comment je le sais… Disons que savoir quels gens sont dans quels clubs fait partie des trucs importants à noter dans mon journal. Et ce club particulièrement, quand on est une photographe fouineuse comme moi, est très important à connaître !

“J’en ai p’tet un. T’as vu le moment où elle a été dans la ruelle? Elle a passé un coup de fil là. T’imagines, pour qu’elle se mette à l’écart comme ça, y’a p’tet un truc croustillant à apprendre? Héhé… et comme mon alter est parfait pour ça, si j’arrivais à chopper le téléphone une minute ou deux…”

Et la suite, je pense qu’elle a compris. Je jette un oeil dans la direction de Boom Beast, histoire de pas la perdre et….Ah !

“Mince, elle a bougé ! Vite faut pas qu’on la perde !” dis-je en attrapant la manche de la stalkeuse avant de m’aventurer dans la rue.

“Elle était par là ! ‘Doit pas être bien loin, ‘fin j’espère. Va falloir grimper sur les bâtiments pour la repérer. Allez vite vite vite !”

Bon, à agir comme ça c’est clair qu’on perd un peu en discrétion mais…
...c’est trop cool de trouver une collègue.

« Haha.. mais, c’est carrément ça… ! »

Ne rien laisser transparaître, ne pas la laisser lire en toi. Cette partie sombre de ton histoire, de ton passé était enterré dans le jardin sous une plaque de béton. Il n’y avait pas besoin qu’elle le sache, que quiconque dans ta nouvelle école le sache. Heureusement, le journalisme était une bonne couverture et après avoir évité de tout déballer trop vite, je prenais sur moi pour reprendre le cours de notre filature. La question migrait rapidement sur un autre sujet et face à la possibilité de fouiner dans le téléphone de Boom Beast, je n’étais pas tout à fait à l’aise.

« Tu as le droit de faire ça ? J’veux dire on peut pas utiliser nos alters en dehors de l’école. »

Les règles étaient là pour être respectées. Je voulais la voir en action, la voir sauter d’immeubles en immeubles et défier le crime de cette ville. Mais fouiller dans ses affaires personnelles ? Bon, forcément, ça me rendait curieuse. Mais quel serait le prix à payer pour en avoir fait autant ? Est-ce que cela reviendrait à passer du côté obscure de la force ? Si on étaient toutes les deux à Yuei, c’était impossible. Mais est-ce que cela allait m’empêcher de passer du temps avec une compatriote sous prétexte qu’elle était peut-être chaotique neutre ? Absolument pas.

Je suivais, trop curieuse pour ignorer et puis de toute façon, même sans rentrer dans ses affaires, ça restait super cool à voir. Et partager ça à deux ne pouvait que rendre les choses encore meilleures ! Je l’aidais à scruter les environs, sautant plusieurs fois sur place pour me donner un peu plus de hauteur et être capable de trouver l’héroïne d’un peu plus loin. Etonnamment ça ne marchait pas. Mais cette fois, par chance, il y avait une issue de secours collée au mur, de quoi grimper facilement. J’attrapais les premiers barreaux de l’échelle, faisant signe à ma camarade.

« Par ici ! »

Puis arrivée en haut, je l’attendais sur la plateforme logée à 1 mètre en dessous du niveau du toit. Et.. elle était là ! Elle était juste là ! J’agrippais le rebord du toit avec mes doigts. Mais mon engouement retombait bien vite alors que je murmurais, pour moi ou pour ma partenaire, inquiète.

« Je crois que quelque chose ne va pas… »

Avoir tenté ça lui avait donné l'impression de s'être épuisée pour la journée. Note à elle-même : ne pas entraîner ses limites pendant les heures de boulot, c'était une idée de merde. Elle tâcha de se rappeler des exercices donnés par son médecin traitant. Elle resta parfaitement droite, inspira pas le nez, expira par la bouche... leeeentement. Une fois, deux fois, trois fois. Malgré cela ses pas avaient tendance à un peu vaciller, même si l'effet diminuait au fur et à mesure. Une fois l'héroïne de nouveau stable, elle se posa en tailleur en se frottant les yeux.

-Thanks mom, of all things you coulda give me, you chose heart problems... That's... great...

Celeste n'avait pas le meilleur passif concernant sa mère. Elle avait quitté le cercle familial lorsque la ratonne était encore toute petite et cette dernière lui en avait toujours voulu pour ça. Son père travaillait tout le temps donc on avait là une enfant qui avait dû se construire seule dans la rue avec des gens peu recommandables. A se demander comment elle avait fini héroïne.

Boom Beast observa autour d'elle en se grattant la tête. Il lui semblait qu'elle s'était éloignée de son chemin de ronde et-


-Mh ?

Elle fit mine de rien mais elle avait remarqué des petits doigts ainsi qu'une mèche blonde dépasser de la direction dont elle venait...
Son intuition de plus tôt  ne l'avait donc pas trompée au final... ? Ces suiveurs l'avaient-ils vue s'entraîner ? Ou ses séquelles ? Dans tous les cas... voilà qui rendait la journée plus intéressante.
Boom Beast dut se retenir de pouffer de rire, elle devait paraître au plus naturelle. Elle se leva, s'étira avant de s'exclamer :

-Bon allez on y retourne ! Je vais finir de longer le quartier et j'vais me rentrer !

Elle avait fait en sorte d'être au mieux audible. Elle changea ses jambes en celles d'un guépard et commença à courir, sautant de toit en toit, boom box dans la main.
Car la question était la suivante : A quel point ces stalkers étaient déterminés et jusqu'où comptaient-ils la suivre ?
En tout cas, s'ils parvenaient à la rattraper, elle pourrait un peu se moquer d'eux... ou s'ils s'étaient vraiment bien débrouillés, leur donner une info croustillante, qui sait...

-C'mon, show me what you got...

....Mince. Ça c’était le pire qui puisse arriver. Enfin… elle aurait pu nous repérer et nous attraper remarque. Donc le deuxième pire, disons. Quoi qu’il en soit la super est en train de nous filer entre les doigts à toute vitesse et y’a pas grand chose qu’on puisse faire pour changer ça.

“Aaah ! Non non non !”

J’ignore si l’alter de ma compatriote nous serait utile, mais même si c’était le cas il n’y a aucune chance qu’elle accepte vu sa réaction à ma proposition précédente. L’envie d’abandonner me percute comme un camion, alors j’invite ma camarade à redescendre, dépitée:

“On pourra pas la suivre via les toits… il nous manque sa vitesse et si on se précipite s’trop dangereux.”

Venant tout juste de faire une chute d’un de ces mêmes immeubles, et elle de la subir, je suppose qu’on a ni l’une ni l’autre envie de s’y risquer à nouveau. Y’aura peut-être pas le même rattrapage la prochaine fois.

Un peu déçue, je commence à descendre quand mon regard capte quelque chose en contrebas… deux personnes viennent de rentrer dans une boutique. Mais ce qui m’intéresse vraiment, c’est qu’elles ont laissé leurs vélos à l’entrée. Sans antivol.
Un éclair de génie me traverse.

“...En fait tout n’est peut-être pas perdu. Tu sais faire du vélo j’espère !”

Mon doigt pointe les deux véhicules tout prêt qui nous attendent, comme un signe du destin ou je sais pas trop quelle image philosophique. Quoi que ce soit on peut juste pas laisser cette occasion passer ! Ce serait trop bête, après tout ce qu’on a fait, après les risques qu’on a pris !
J’ai fait une chute de trois étages au nom de cette filature, pas moyen d’abandonner maintenant !
Bien sûr, étant donné la réticence visible de force blonde à enfreindre la loi, j’en rajoute un peu pour essayer de la convaincre:

“On aura peut-être pas d’autres occasions, il faut qu’on tente notre chance ! Imagine on croise plus jamais Boom beast en ville après ça? Imagine les regrets chaque fois qu’on verra un vélo et qu’on pensera à ce qu’on aurait pu découvrir? Je sais pas toi, mais moi je refuse de vivre avec ça sur la conscience !”

Je prend les devants, m’approchant des véhicules non-gardés, avant de me retourner pour en remettre une couche:

“...Pis c’est juste un emprunt. On leur rend dès qu’on a finit, si on est efficace leurs proprios s’en rendront même pas compte !”

Bon, cette dernière affirmation est peut-être “un peu” abusée. Mais hé, hein, il faut ce qu’il faut.

C’était probablement la décision de ma vie. Evidemment, la suivre sur les toits… c’était pas possible. Il fallait faire autrement et y aller à pieds n’était pas tant une meilleure option. Mais voler des vélos… Tout mon corps se raidissait à cette idée. Je savais, je savais que ce n’était pas bien ! Il n’y avait que les criminels qui volaient ! On risquait de finir ne prison ou pire ! C’était contre mes principes, contre tout ce que je voulais devenir.

Mais… Ma complice avait raison. On ne pouvait pas abandonner comme ça ce qu’on avait commencé, ces vélos étaient un signe et soudain, je me revoyais, l’été dernier bravant toutes les pentes par une chaleur caniculaire pour délivrer le courrier. Cet entrainement n’avait pas été vain et c’était le coeur en feu que je remontais les manches de mon pull trop grand, ces dernières retombant presque aussitôt jusqu’à mes paumes. J’enfourchais la première bicyclette avec toute mon expertise.

« On le fait ! »

J’avais rarement été aussi sure de ma vie. Les vélos seraient rendus à leurs propriétaires mais il ne fallait pas traîner car si on voyait encore Boom Beast sauter de toits en toits, ce ne serait pas longtemps le cas. Je démarrais au quart de tour, la force placée dans la pédale faisant presque vriller la roue arrière, comme s’il s’agissait d’un engin à moteur.

Ce n’était pas seulement pour nous qu’il fallait le faire mais aussi pour cette héroïne. Elle n’avait pas l’air d’aller très bien sur le toit et ce n’était absolument pas car je voulais la voir de plus près ou lui demander le shampoing qu’elle utilisait ou même si elle voyait quelqu’un. Tout ça, c’était parfaitement secondaire. Même s’il était vrai que je n’aurais pas vraiment été dérangée par l’idée qu’elle puisse vouloir se confier sur le sujet.

La route n’était pas trop fréquentée, ce qui ne nous empêchait pas de devoir éviter quelques passants. J’usais et abusais de la sonnette pour nous créer un passage. Plus loin, le rassemblement était plus dense. C’était un choix difficile mais on ne pouvait pas risquer de blesser quelqu’un. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’on puisse encore la suivre.

« Gauche ! On passe de l’autre côté! »

Dérapant à l’entrée de l’allée, je contournais l’immeuble cible, espérant encore pouvoir la voir une fois dans la rue adjacente. Mais où était-elle ?!

Celeste continuait sa course effrénée sur les toits mais en tournant la tête vers la rue, elle se rendit compte que... ces deux-là avaient piqué des vélos ?! Mais jusqu'où étaient-elles motivées ?! Oh non... l'héroïne allait devoir les réprimander, quel dommage. Elles étaient chaudes mais au lieu d'essayer de palier à leur désavantage avec les moyens du bord, elles avaient choisi la voie de la facilité...

Non...
Non !
Elle allait les forcer à ne pas s'appuyer là-dessus !

Elle devait réfléchir à comment faire en sorte que le vélo ne soit plus une méthode viable pour être rattrapée... Et en peu de temps parce qu'il fallait que les propriétaires des biens ne soient pas trop loin, mais pas trop près non plus. Il fallait garder une bonne distance pour que les stalkeuses lâchent leur vélo, ne soient pas rattrapées en étant trop proches et que la police ne soit pas appelée en étant trop éloignées...

-Okay... now !

Au lieu de continuer à longer la rue principale comme elle le faisait jusque là, elle chercha une ruelle la plus encombrée possible pour que rouler à l'intérieur ne soit juste pas jouable. A priori, à ce stade, les deux adolescentes devaient laisser tomber les vélos et la poursuivre à pieds dans la ruelle vu que l'héroïne se dirigeait vers l'intérieur du pâté d'appartements.
Passé un moment, elle s'allongea sur le rebord du toit, tendant attentivement l'oreille. Elle restait au plus bas car elle devenait impossible à repérer à un angle de vue en contre-plongée. Cela lui permettrait de faire ralentir les deux stalkeuses au moment où elles réaliseraient qu'elles ont perdu la ratonne de vue.

...
...
...
Des pas...
Des voix...
Le tout correspondait à leur gabarit...
C'était le moment !

Elle se plaça pile sur le côté, changea ses pieds en pattes de gecko, se laissa tomber très rapidement avant d'accrocher ses orteils au murs pour se retrouver tête à l'envers juste en face de la brune du duo. Elle afficha un sourire arrogant en croisant les bras.

-Bah alors ? On suit les héroïnes ? Tu veux être ma Mary Jane peut-être ? A ce moment-là, faut que tu m'embrasses ! Rentre dans l'rôle !

C'était un de ses tours les plus récurrents pour surprendre ses poursuivants. Elle aimait beaucoup cette référence et ça faisait systématiquement sursauter l'interlocuteur avec un air déboussolé ! Elle adorait ces réactions !

J’avais déjà fait du vélo quand j’étais plus petite, y’a quelques années. Bon, ce serait gros de dire que j’étais entraînée pour ce genre d’utilisation mais… y paraît que ça s’oublie pas. Par contre la journaliste me surprend carrément, moi qui avais peur qu’elle se défile à l’idée d’emprunter des vélos… c’est finalement elle qui prend la tête ! Héhé, ça me dérange pas, comme ça on pourrait presque dire que c’est elle qui m’a embarqué dans cette idée.
...Presque.

En tout cas ça a plutôt bien marché jusqu’à l’histoire de cette foule. L’héroïne s’éloigne et nos véhicules si utiles deviennent maintenant une contrainte.

“Pas le choix on lâche les vélos !”

Abandonnant nos fidèles destriers, on pénètre en vitesse dans la ruelle, espérant ne pas avoir perdu la cible, ce qui semble mal engagé à première vue… jusqu’à cet instant, du moins. Cet instant où elle nous est tombé quasi-littéralement dessus, la tête en bas, avec cette étrange référence que je connais très bien. Surement une sorte de provocation, un moyen de nous désarçonner afin de mieux nous réprimander après, quelque chose comme ça.

Ouaip’.
...J’ai déjà parlé de mon côté impulsif?
Y’a des moments comme ça, des occasions, de courts instants où mon esprit cesse de penser et se perd dans le moment, profitant d’une opportunité incongrue car elles n’arrivent souvent qu’une fois dans une vie. Je suis certaine qu’un psy aimerait étudier et décrire pendant des heures les raisons qui me poussent à agir de cette façon précise en ce moment précis.

...Et ce serait sympa parce que j’apprécierais beaucoup qu’on m’explique pourquoi j’ai fait un pas en avant et pourquoi j’ai répondu premier degré à la provocation en embrassant effectivement l’héroïne qui se prend pour spider-man. Juste un baiser lèvres à lèvres, pendant quelques étranges secondes qui semblent hors du monde, durant lesquelles mon corps agit en pilote automatique, alors que ma conscience est comme partie en vacances.

Jusqu’à ce qu’elle revienne et constate qu’il a suffit qu’elle tourne le dos un instant pour que tout parte en vrille, et maintenant elle me regarde en mode : “Meuf, je peux pas partir le temps de trois battements de coeur sans que tu fasses n’importe quoi?”

“...Alors en fait.” lui répondrais-je si cette discussion avait lieu.

Mais y’a bien un truc qui a lieu par contre, et le cerveau maintenant rebranché se pose une petite question : Qu’est ce que je fous?

“....Waaaaaaaaa-”

Mon cri, poussé au moment où je m’éloigne brièvement de la ratonne-gecko-araignée, est encore plus fort que celui de la précédente chute de l’immeuble. Si ce n’est qu’il ne fût pas stoppé par l'atterrissage soudain sur une personne mais par le solide mur derrière moi: “aaaaghnaïe !”

Ma main vient frotter l’arrière de mon crâne, endolori, mais il y a des blessures plus profondes qu’un léger choc cérébral:

“...Nan mais ça va pas de faire ça?! Je….j’ai...euh...Hein !”

Prise de panique, c’est une autre chose qui m’inquiète ensuite -comme si c’était pas suffisant-. Je me tourne vers ma complice, qui a forcément assisté à ce qui vient d’arriver:

“...Dis-moi que t’as pas pris de photo.”

… C’est… C’était quoi ça ? Je fixais la scène, sous le choc. Je n’avais pas rêvé ? Ca venait bien d’arriver ? Des années de pratiques, à imaginer, observer et créer des scènes. Certaines paraissaient comme une évidence, d’autres étaient plus osées. Les ships se tissaient, de détissaient et me mettaient soudain face à une réalité. J’avais fait fausse piste depuis le début. Ce n’étaient pas que les héros. Bien sur, il était facile d’associer deux têtes triomphantes et majeures dans une histoire de coeur mais ce que j’avais sous les yeux, c’était… le vice absolu, l’amour interdit mais aussi la poule aux oeufs d’or.

Le feu dans mes joues n’avait probablement rien à envier à la chaleur dégagée par la situation. Je n’étais pas jalouse de ne pas avoir reçu le baiser, je n’étais qu’une spectatrice comblée qui soudain relativisait bien le vol des vélos ou tout autre comportement un peu frauduleux qu’on aurait pu avoir. Je ne recommençais à bouger qu’au moment où ma chanceuse complice m’interrogea sur une photo ? Pourquoi aurais-je pris une photo ?

Je baissais les yeux, remarquant soudain mon téléphone dans ma main, levé en un instant sans même que j’en ai eu conscience et gravé dans l’écran, un moment scellé pour l’éternité.

« Heu… non ? »

Un mensonge mais il fallait bien ça pour préserver ce qui serait un jour un monument. J’éteignais l’écran, cachant mon téléphone dans mon dos de manière fort peu suspecte. Je la protégerais au prix de ma propre vie si nécessaire. Et déjà, alors que je me rendais compte de ma maigre crédibilité, je faisais un pas en arrière.

« Vous…. Vous connaissez ? »

Peut-être, peut-être pas, j’essayais simplement de changer de sujet, de les distraire. Pour sauver la photo, je devais la transférer vers mon ordinateur, me l’envoyer par mail et quel meilleur moyen que de commencer par prendre mes distances. Cette photo n’était pas seulement parfaite, elle était aussi trop compromettante pour exister, trop pour que ma promesse de ne pas la partager puisse suffire. Je faisais un pas de plus avant de subitement pointer mon doigt en direction de la ruelle derrière elles.

« Une trompette !! »

Diversion créée, je me remettais à courir comme si ma vie en dépendait. Je ne les laisserais pas faire, je ne les laisserais pas nuire aux futures générations qui auraient besoin de découvrir ce que le véritable fan service était. C’était aussi pour leur bien à toutes les deux et ce même si elles ne le savaient pas encore.

Spoiler:

Il y a eu très peu de fois où j'ai pu me retrouver dans une situation sur laquelle le contrôle m'avait totalement échappé. Evidemment, ça arrive principalement pendant mes missions ! Un ennemi trop fort, je me fais repérer pendant une infiltration et autres échecs plus ou moins humiliants. Tant d'erreurs auxquelles n'importe quel héros est naturellement confronté ! Moi comprise ! Et y a certains moments, je remets en question l'intégralité de ma profession... Comment en suis-je arrivée là ? Ai-je bien fait de suivre mon manager ? D'accepter ce voyage au Japon même ? Les questions fusent, s'accumulent, deviennent de plus en plus floues pour aboutir sur cette interrogation :

"Qu'est-ce que putain de quoi ?"

Pendant des secondes qui me semblent interminables, je sens une chaleur et une douceur sur mes lèvres alors qu'en visuel, je vois le bas d'un menton tremblant. J'ai dit que les secondes sont interminables ? Je reformule : LE TEMPS S'ARRÊTE ! J'en suis à un stade où je comprends ce qui m'arrive... donc je rougis. Mais je comprends pas DU TOUT ce qui m'arrive.
Quand enfin, la sensation s'arrête et que l'autre recule, on peut dire que ce que j'avais de concentration est parti en vacances et que ma capacité à maintenir mes transformations a choisi les Bahamas !

Ce qui me ramène à la réalité, c'est donc le lourd fracas du sol contre le haut de ma tête alors que je tombe comme une araignée à qui on a coupé sa toile.

-GAH !-

Mais là... bah je reste un peu dans cette position. J'entends pas grand chose, j'ai juste la sensation qui se répète sur ma bouche comme un vieux vinyle rayé. Genre... il y a VRAIMENT quelqu'un qui vient de m'embrasser après CETTE blague ?!

-... Huh ?

Je me dis qu'il serait peut-être temps de me relever mais je crois que je vais... attendre un peu. Au moins mes sens reviennent un peu à eux. J'entends un certain nombre de phrases mais je crois que mon cerveau droit a du mal à les enregistrer. Elles rentrent par une oreille pour immédiatement ressortir par l'autre et...
Attendez, qu'est-ce qui vient de se passer, déjà ?! J'arrive même pas à répondre à mes propres questions !

-What the...

Ah ça y est, je recommence à fonctionner à peu près correctement. Si... je la connaissais ? Ma réaction a l'air de vouloir dire "OH VIEILLE BRANCHE TU M'AS MANQUE ESPECE DE VIEILLE ROULEUSE DE GALOCHE !" ?! C'est... ce que j'aurais voulu dire si j'en étais pas encore au stade de me relever maladroitement.

-... Fuck ? Non ? Enfn je... je... crois pas... ?

MAIS IL VA RECONNECTER LES CÂBLES, LE CIBOULOT ?!
Bon..., un, deux... un, deux... un, deux...
Je sens que mon coeur a besoin d'un check-up, là. Attendez... elle a parlé de photo juste avant, non ? Euh... une trompette ? Où ça ? Attendez, pourquoi elle s'en va ? Eh oh, me laisse pas toute seule avec la Mary-Jane premier degré là !
Argh... ça y est je suis de retour dans mon corps et je le sens bien mon coeur qui déraille. Mes exercices de respiration, vite... Une fois... deux fois... trois fois... quatre fois... C'est bon, ça me prend à peine quinze secondes normalement.

...
...
...
Ca... m'a l'air d'aller mieux. Ca m'a pris trente secondes au lieu de quinze mais ça va mieux.

-Dites donc vous deux... si vous pensez pouvoir me filer entre les pattes... vous vous fourrez le doigt dans l'oeil !

Reprends un sourire confiant Celeste, t'es pas atteinte !

“Hein, quoi, comment ça une tromp-”

...Bordel. Evidemment, comment j’ai pu me faire avoir par une diversion aussi grossière? Cet...instant très étrange m’a fait perdre tous mes moyens ! Mais quoi qu’il en soit, cette photo, elle...elle va en faire je sais pas quoi mais faut pas qu’elle le fasse. Pis j’ai pas envie que quelqu’un ait une photo compromettante de moi !
...C’est donc ça que ça fait?

Faut absolument que je la rattrape, alors je me met à courir après elle, puis m’arrête d’un coup pour regarder la super. Elle vient de tomber et s’est p’tet blessée et... c’est vraiment correct de partir comme ça? Je veux dire, ‘fin… Waaah mais à quoi je pense? C’était un stupide accident, pas une déclaration ou quoi !
Si elle est si super elle aura qu’à se redresser toute seule tiens !

Du coup je retourne à la poursuite de Maririn, mais la traîtresse a pris pas mal d’avance et faut dire que mon souffle est...pas mal coupé. Ou c’est juste la blondinette qui a révélé un pouvoir caché qui la rend soudainement rapide et endurante? Quoi qu’il en soit, le temps que j’arrive jusqu’à la cache de la poursuivie je suis complètement essoufflée et elle a eut bien trop de temps à mon goût.

“T...tu...tu...tu l’as pas gardée, h-hein?...”

Haletante et à moitié écroulée par terre, je m’approche lentement de la semi-journaliste en cherchant du regard l’appareil contenant la terrible preuve.

“O-on est partenaires de crime, n-non, tu...tu vas pas faire ça?...”