Everybody was Kung-Fu Fighting [PV Iku]

Iku était décidément une fille bien compliquée. Ou du moins plus compliquée qu’Aslinn. L’Irlandaise avait tendance à ne pas trop réfléchir à ce genre de choses. Elle faisait des petits mensonges sans trop y réfléchir. Elle menait des études héroïques sans trop y réfléchir. Tout le contraire d’Iku. Au final, Tozutsami avait l’air bien malheureuse tandis qu’elle, était assez contente de sa situation. Mais c’était intéressant de réfléchir à tout cela. Avait-elle vraiment été prête toute sa vie ? Son père voulait devenir héros mais était trop malade pour passer les examens requis. Elle ne considérait toutefois pas qu’elle portait son rêve en elle. Au contraire, elle avait affirmé plusieurs fois par le passé qu’elle voulait être différente du modèle héroïque que son père voulait être.

Il y avait eu des hauts et des bas, à bien y réfléchir. De jours où elle avait renié le métier de héros. D’autres où elle ne pensait qu’à cela. Ce n’était pas aussi simple que d’y avoir pensé toute sa vie. Il n’existe pas de véritable rêve que l’on poursuit toute sa jeunesse.

Aslinn s’avança vers Iku et alla se placer à côté d’elle, dos au même mur.

"Quand j’étais petite et que je disais que je voulais être héroïne, on ne me croyait pas. Et au bout d’un moment j’ai arrêté d’y croire aussi. Je veux dire, c’est normal. Certains peuvent manipuler le temps, d’autres ont des super pinces et moi j’avais..."

Ses cheveux de laine se mirent à pousser, passant de son carré court sportif à longs, atteignant son bassin.

"Ce truc."

Elle ricana un coup. Un rire un peu jaune. Quand elle se mettait à parler de son passé, elle réalisait parfois qu’elle n’avait pas autant fait la paix avec son alter qu’elle ne voulait le faire croire.

"Après avoir passé le test pratique de Yuei et m’être ratée en beauté, j’ai dit à mon petit frère que je ne pouvais pas être une héroïne."

Elle se revoyait, dans sa chambre, le visage enfoncé dans son coussin, n’ayant pas adressé un mot à ses parents depuis son retour.

"Il m’a dit… Que même si j’abandonnais l’héroïsme, je serais toujours son héroïne à lui. Une semaine plus tard, j’ai passé l’examen de Shiketsu et… Me voilà !"

C’était là une retranscription assez imparfaite des mots d’Oscar, mais l’idée passait. L’Irlandaise n’avait pas le luxe de pouvoir traduire pertinemment des mots anglais tenus par un autre, là tout de suite.

"Je pense qu’on choisit pas d’être héros en vrai. C’est les autres qui décident. Et c’est cool en vrai que tu sois aussi impliquée alors que c’est pas ton choix depuis toujours. T’es passionnée. Et puis tu lâches rien, même si c’est pas agréable."

Elle rit, plus sincèrement cette fois, tout en haussant les épaules et en regardant sa camarade.

"Enfin, je suis pas super forte avec les mots et je pense que je pourrais pas te convaincre mais… Voilà, je radote aussi mais si tu veux de l’aide dans quoi que ce soit, les cours, la bagarre, la vie, demande !"

Même avec Léo et Melody, elle n’avait encore jamais eu de conversations de ce style sur la nature de l’héroïsme. C’était triste, comme manière d’amener le sujet, triste comme conversation, bien plus que n’importe discussion qu’elle avait pu avoir avec ses autres amis. Mais peut-être qu’un peu de tristesse était nécessaire pour ne pas oublier l’empathie. Et l’héroïsme, du coup.

Elle acceptait son aide en combat ! Aslinn était aux anges, elle qui idolâtrait son père professeur d’arts martiaux, c’était l’occasion pour elle de se mettre dans le rôle de l’enseignante. L’Irlandaise avait déjà en tête quelques prises à enseigner à Iku. Et puis des coups de poings. Bon sang, la seule chose à l’égal de la force brute de la brune, c’était la médiocrité de ses coups de poings. Bien sûr, ça elle le gardait pour elle pour le moment, mais elle savait déjà par quoi commencer lorsque leurs entraînements privés commenceraient. C’était vraiment du gâchis d’être capable de soulever quelqu’un à bout de bras mais de ne pas savoir utiliser cette puissance démesurée pour envoyer un direct correct. Pour les cours elle était contente aussi, même si concrètement, elle sentait qu’elle allait surtout l’aider en anglais et en littérature classique… Et l’inviter à ses séances de révisions avec Léo pour ce qui était de toutes les autres matières. Pour la vie, elle était un peu moins confiante. Quand elle l’avait dit, elle avait en tête de se mettre autour d’un thé et de parler ensemble de la dernière émission télé, de la coupe de cheveux ridicule d’un prof ou d’un béguin de lycée, mais l’expression et les mots d’Iku laissaient plutôt penser à un soutien de vie… Plus en profondeur. Ce pour quoi Aslinn se sentait moyennement qualifiée, d’autant plus au vu de sa pseudo-performance actuelle.

Elle contint un soupir de soulagement en entendant que sa camarade était entrée en contact avec un psy. Voilà, elle laissait le gros du travail aux professionnels, elle se chargerait de son côté d’apprendre à la brune à parler anglais, se détendre un coup, et donner des coups de poings digne de ce nom.

Et de manière générale, Aslinn aimait beaucoup les psys. L’air morose de Tozutsami toutefois, laissait entendre que cette affection n’était pas forcément partagée. Avec un certain entrain dans la voix, la bouclée commenta les derniers propos de la brune.

"Oh ! Super idée ! J’en ai eu un hyper tôt à cause d’un sale truc qui m’est arrivé quand j’étais toute p’tite. Mister O’Brian, son nom c’était. Je l’ai revu régulièrement au début de la primaire… Et puis pendant tout le collège je le voyais souvent, c’était pas super simple cette époque. Et puis je le voyais quand il se passait des trucs importants dans ma vie genre le brevet, mes règles, mon ratage pour Yuei… Ah et une dernière fois juste avant de partir au Japon. Il était chouette. My lil’ bro l’a vu une ou deux fois."

Aslinn n’avait pas connu cette période d’appréhension qu’ont une grande partie des individus vis-à-vis des spécialistes de la santé mentale. Grâce au fait qu’elle en avait commencé extrêmement jeune, tout d’abord, mais également parce que ses parents, son père en particulier, qui avait croisé un certain nombre d’enfants à problèmes lors de sa carrière et qui avait lui-même été sujet à des dépressions violentes, voyaient cela comme tout à fait normal. Bien sûr, la compétence de Harry O’Brian y était pour beaucoup également. Elle ne pouvait qu’espérer qu’Iku tombe sur un psy aussi compétent et doux que l’Irlandais sans Alter qui avait pris soin d’elle.

"Je vais pas te mentir, ça me soulage que tu fasses ça, j’ose jamais recommander aux autres d’y aller. C’est un peu gênant pour certains je crois. Oh, well. Il va se charger de t’aider sur les machins compliqués et moi… Je me charge des trucs sympas et des discours encourageants."

Tout en retirant ses lourds gantelets rembourrés, elle se décolla du mur pour faire face à Tozutsami en allant se mettre dos à celui d’en-face. L’armure de Shrimp Knight était impressionnante mais peu pratique pour ce qui était de tourner la tête et faire face à quelqu’un. Le sourire de l’Irlandaise était radieux. Elle avait le sentiment qu’elles était arrivées à un résultat. Bien sûr, un résultat peut-être un peu superficiel, en profondeur rien n’avait trop changé. Mais elles étaient amies, maintenant. Et c’était une première pierre à un édifice qui pouvait atteindre des sommets impressionnants. Et maintenant…

"Hé, Tozu-chan."

Ses gants pendouillaient au bout de ses doigts couverts de sueur. Elle l’avait dit elle-même, son idée c’était plutôt de rester sur des thèmes… Légers, pour le moment.

"T’as déjà vu m’sieur Takiiro sans son petit chapeau ? J’ai entendu des Premières dire qu’il avait un seul cheveu, là-dessous."

Parler de tout et de rien, si elle le souhaitait, avant d’aller se changer et ranger au vestiaire leurs tenues moulantes et leurs plaques d’acier. C'était peut-être ce qu'elle pouvait faire de mieux à l'heure actuelle.

C'était… C'était quelque chose. Iku devait avoir les yeux écarquillés alors qu'elle dévisageait Aslinn. Les occidentaux, c'était définitivement autre chose. Est-ce qu'elle avait vraiment eu des problèmes aussi durs aussi tôt, ou est-ce que les occidentaux allaient chez le psy pour un rien ? C'était presque intimidant. En un sens, elle lui mettait la pression ! Iku avait l'impression que si elle n'allait pas mieux grâce à ça, ce serait sa faute ! Autant dire qu'elle ne savait pas comment réagir à cette révélation aussi soudaine qu’inattendue sur le passé de son amie. Elle ne regrettait pas d'avoir parlé de son psy mais elle aurait préféré que le sujet reste sur les cours, au moins ça c'était facile.

"Ou… Ouais, faisons ça !"

En tout cas c'était un sacré poids retiré de sa poitrine. A part Kioshi, elle n'en avait parlé à personne. Ce n'était pas comme si elle cachait quoi que ce soit, elle… n'avait juste pas eu d'occasion d'en parler. Et elle avait un peu honte. Mais qu'Aslinn le prenne aussi bien, c'était un soulagement. Et maintenant que c'était dit, elles purent revenir à des sujets plus légers, et Iku put retrouver un sourire plus franc alors que les deux adolescentes se décolaient du mur et prenaient la direction du dortoir.

"Tu penses qu'il a des cheveux ? Ce serait trop bizarre, il a une peau squameuse, comme les grenouilles ou les poulpes ! Ça a pas de poil, un poulpe ! Enfin c'est son alter, donc c'est pas incompatible je suppose. Il est toujours humain. Mais un seul ? Ce serait vraiment le summum du ridicule, le pauvre, je comprendrais qu'il le cache sous son chapeau. Sinon il pourrait le couper, ou l'épiler..."