La cicatrice de votre vie [PV Kass et Yoko]

Une nuit confortable. Alucard se mettait bien, dans cette résidence. Thready avait bien dormi, malgré la présence d’un psychopathe dans la maison. Mais si elle était encore ici, c’était bien parce que l’affaire n’était pas terminée. Une nouvelle journée commençait, et pour démarrer, elle vint d’abord voir l‘état de leur invité de marque. Déjà familière avec les lieux suite à la visite privée, elle rejoignit la pièce où séjournait le corps de Narita.

Il n’était pas là. Est-ce qu’il avait tiré au flanc ? Elle espérait tout de même qu’Alucard avait pris un minimum de précautions. Ce serait dommage qu’il file maintenant, avant que le sujet ne soit creusé jusqu’au bout. Elle pénétrait le hall pour essayer de trouver des traces, lorsqu’un bruit soudain se fit entendre.

* Toc toc *

Ça venait de la porte d’entrée. Ah, était-il tout simplement sorti prendre l’air. Sans hésiter bien longtemps, elle ouvrit la porte ? Celle-ci dévoilait… une dame ? Elle était plutôt et avait l’air un peu âgée, portant des vêtements assez traditionnels, avec un voile couvrant ses cheveux. Qu’est-ce que… ?

« Bonjour bonjour ! fit alors une voix enjouée qui sortait de ses lèvres.
- B… Bonjour ? »

Complètement prise au dépourvue, Yoko ne savait quoi répondre d’autre.

« Ah, la jeunesse est matinale, ça fait plaisir à voir ! Moi je suis marchande. De fruits et légumes ! Il en faut bien, en ce monde, les enfants ne se motivent pas assez à manger ce qu’il y a de meilleur pour eux... Alors je me suis lancé un défi, celui de faire aimer les fruits et les légumes à tout le monde ! Je suis la Héroïne du Potager, Vegetable Girl ! »

Spoiler:

La… quoi ? Une héroïne ? Du… potager ? On était tous le héros de quelque chose, probablement… La femme aux cheveux roses sourit bêtement, se forçant à fournir un minimum de réaction à cette pauvre personne perdue en montagnes.

« Girl, ça ça me rajeunit, oh oh oh ! Mais bref ! Je me baladais et je suis alors tombé sur votre demeure, je me suis dit que je pouvais aussi vous en faire profiter ! Ils sont tous frais de ce matin, directement depuis mon potager ! »

Mais pourquoi diable était-elle ici avec ses fruits à peine cueillis ? Elle ne devrait pas plutôt être au marché en train de les vendre ? Elle avait un panier sous le bras, et de celui-ci, elle sortit quelques tomates.

« Mes tomates sont les plus rouges que tu ne verras jamais ! Leur diamètre a été sélectionné pour un plaisir gustatif optimal, mais également pour le meilleur concentré en termes de vitamines ! Ensuite, pour les navets… »

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L’odeur du petit déjeuner en préparation se faisait sentir. Thready entra alors dans la cuisine, constatant la présence des deux colocataires de la nuit, sans tension visible. Tant mieux. Elle avait entendu l’interrogation de Banshee et, après avoir déposé sur la table un panier, y répondit.

« De manière simple, le bacon est du lard salé. Le lard correspond généralement à une partie graisseuse et épaisse du porc située sous la peau. Le lard peut en réalité désigner plusieurs parties du corps : d’abord le dos, ensuite la poitrine, puis enfin un morceau constitué essentiellement de graisse. Bien que ce soit un élément très privilégié dans le petit déjeuner des anglais, avec des œufs, le terme est originaire de l’ancien français, au début du XIIe siècle. »

Prenant une pause, elle constata qu’Alucard était bien en train de faire un petit déjeuner, et pas seulement pour lui. Elle recentra l’attention sur ce qu’elle venait de récupérer.

« J’ai des légumes frais ici. Tomate, kiwi, navet, et salade verte principalement. On pourrait faire un petit quelque chose avec ça. Ça ne fait de mal à personne au petit déjeuner. »

La créature d'All For One n'eut pas besoin de répondre à la question de ce qui ressemblait de plus en plus à un petit enfant en cavale. Thready envahit la pièce en un éclair et dispensa un cours de cuisine à leur hôte. Quelque chose sonnait faux avec cette question, et encore plus avec cette réponse. Soit la jeune femme était une véritable encyclopédie de cuisine sur patte, soit il y avait une anguille quelque part.

"J’ai des légumes frais ici. Tomate, kiwi, navet, et salade verte principalement. On pourrait faire un petit quelque chose avec ça. Ça ne fait de mal à personne au petit déjeuner."

"Pourrais je avoir les légumes ? Merci."

Thready ne fit pas sa difficile et lui tendit son panier remplit de légumineux. Le Vampire ne savait pas comment elle avait mise la main dessus mais il se doutait que cela avait un rapport avec l'activation de la sonnette. On restait dans un coin plus campagnard que Tokyo, il était donc possible qu'un paysan local est décidé de se faire un peu d'argent via le porte à porte. Il était également possible qu'un tueur à gage ce soit saisi de l'occasion pour leur faire avaler quelque chose de létal. Dans les deux cas le sujet serait vite réglé : Alucard avait un bon paquet de liquides anti-poison stockés juste à coté du savon et du liquide vaisselle. Il versa quelques gouttes d'une substance mauve sur les légumes avant de les rincer à l'eau froide. L'absence complète de réaction lui indiqua qu'il était libre d'en faire ce que bon lui semblait, il commença donc à couper les tomates en sifflotant. Personne ne reculait devant une bonne salade, surtout pas lui. Il ne lui fallut que quelques minutes pour préparer deux assiettes supplémentaires assortit d'un accompagnement léger. Rien ne valait un bol de salade pour forcer Banshee à manger. Le bourreau savait que l'on pouvait apprendre beaucoup sur quelqu'un en l'observant découper sa viande, et le terroriste ne faisait pas exception à la règle. Restait que pour ne pas connaitre le bacon en 2160 il fallait sortir d'une sacré grotte planqué au fin fond du Moyen Orient.

"Cuisiner pour les autres... Voilà quelque chose que l'on ne me laisse pas beaucoup faire de nos jours."

Il fallait l'admettre, pour l'heure, Ein avait globalement renoncé à son plan. Il n'avait pas particulièrement l'intention de tuer l'un des personnages en présence, ce n'était pas le moment. Oui, même le vampire. En soit, tant qu'il avait mieux à faire, planait un vent de sureté. Et cette chose, c'était manger, même s'il n'était pas tout à fait certain de ce dont il s'agissait ou encore de savoir si c'était bien parfaitement comestible. Il n'envisageait pas se faire empoisonner, cela n'aurait eu aucun sens après l'avoir laissé allongé plusieurs heures. Il pouvait donc agir avec une certaine tranquillité, bien loin de se douter de l'agression que subissait la femme à l'extérieur. Une agression qu'Ein aurait pris avec bien moins de sang froid.

Ah, il avait en effet entendu sonner mais cela ne lui paraissait pas de son ressort. Il s'en fichait. Ou du moins, il ne s'en souciait pas tant qu'il ne voyait pas débarquer dans cette pièce une horde de collaborateur douteux. Il ne fallait pas trop lui en demander. Deux étaient déjà largement suffisant pour ses nerfs. En particulier quand l'un était cette chose et l'autre parlait pour trois. Tiens, justement, voilà que la deuxième revenait.

Pourquoi perdre du temps à cuire quelque chose ? N'y avait-il pas dans cet endroit plus facile à faire ? Même Kass était plus efficace quand il s'agissait de se nourrir, trois minutes au micro-onde de manière générale. Le masque devait à sa manière aider à l'intégration, il pouvait sembler décalé mais la mine constamment agacée d'Ein n'était pas meilleure affiche. Maintenant il n'avait peut-être pas besoin d'entendre un résumé aussi long non plus. De la viande de porc. Cela aurait largement suffit.

Mais quitte à être là, Ein observait. Kass n'avait que très peu vu sa mère cuisiner des dires de son père que la place d'un homme n'était pas dans la cuisine. A côté il n'avait jamais pu couper correctement du bois ou donner de son temps pour tous ces durs labeurs du village. Dans ces conditions, le mieux à faire pour lui avait été de "ne pas déranger les autres". Il aurait peut-être mieux valu le renvoyer dans la cuisine. En l'espèce, il avait beau avoir des connaissances très réduites, à quelle occasion les kiwi étaient-ils devenus des légumes ? Ne parlons même pas des tomates. Bon après, tout, il n'étaient pas à cela prêt et il devenait inquiétant de se rendre compte qu'il puisse prêter attention aux dires de la dame. Comportement typique de Kass.

Car le terrorisme n'était pas non plus d'une patience extrême, l'arrivée de la nourriture lui permis d'oublier ce son de cauchemar qu'était le sifflotement d'une chose qui ne devrait pas même exister.

"N'importe quoi d'autre aurait suffit."

Un simple avertissement en prévision du cas où il devrait à nouveau s'alimenter ici.

Le contenu de son assiette était varié. Et face à cela, même si en effet il devait manger, il y eut bien un instant de réflexion et de flottement sur la manière dont il devait s'y prendre. Il avait déjà vu Kass manger et cela ne devait pas être forcé. Il y avait même une forme de familiarité au moment de saisir les couverts pour démarrer. En analysant la chose, le "bacon" était inconnu au bataillon et les légumes avaient eu droit à un bain violet. Hnm.. Que choisir hein ? Maintenant qu'il avait le couteau à la main, il allait commencer par le bacon qui n'eut pas tout à fait la texture qu'il imaginait. Cassant par endroits, plus solides à d'autres ?

Il dut renforcer la prise sur sa fourchette pour ne pas faire sortir le morceau de viande de son assiette et encore, son couteau le faisait bien bouger de gauche à droite. Ce n'était pas tout à fait comme il l'imaginait mais finalement il avait bien un morceau découpé. Un morceau qu'il était difficile de planter avec une fourchette. Car pour ne rien améliorer, avec l'habitude des baguettes de Kass, Ein tenait couteau et fourchette de deux poings fermés comme un écolier qui n'avait pas encore été corrigé par ses parents. Finalement dans un élan de génie, il parvint à se servir du couteau pour pousser le petit bout de viande sur sa fourchette pour commencer à la rapprocher de son masque.

Sauf que non, quelque chose n'allait pas et Ein fut forcé de s'en rendre compte. Il portait un masque, fruit d'une illusion certes. Mais il imposait celle-ci aux autres car il se l'imposait à lui-même. Il ne pouvait pas transgresser ce qu'il montrait. Il eut donc un mouvement inverse jusqu'à reposer l'ensemble des outils de manière désordonnée sur l'assiette. Il savait ce qu'il lui restait à faire et n'avait aucun complexe à le faire. Il vint donc de sa main droite saisir le bas de son masque, le décalant légèrement de droite à gauche comme pour le détacher de son socle, provoquant un faible claquement avant de le faire glissement le long de son visage, découvrant progressivement son menton, ses lèvres et jusqu'à son nez avant de lâcher ce masque posé à mi-chemin entre son crâne et son visage, l'ombre dissimulant encore ses yeux, le tissus noir ne couvrant pas au-delà de sa mâchoire.

Ce ne fut qu'une fois cette opération réalisée et sans le moindre intérêt pour le public (il mangeait après tout). Qu'Ein put reprendre la fourchette sur laquelle tenait encore le morceau de bacon pour diriger vers sa bouche, l'entrouvrant et faisant disparaître l'aliment et commençant à mâcher. Presque comme quelqu'un de normal finalement ? (On dit souvent que quand c'est silencieux, c'est que c'est bon).

Alucard acceptait volontiers ces nouveaux légumes. Enfin, volontiers… disons que dans un premier temps, il acceptait l’idée. Il montra bien vite qu’il était préparé face à tout problème, et qu’il comptait bien s’assurer de ne pas cuisiner une bombe. Il était équipé pour ça, comme s’il affrontait le danger de mort tous les jours.

Le voir s’investir autant dans la préparation d’un repas, jusqu’à siffloter tranquillement, procurait à Yoko un sentiment un peu étrange. Elle ne l’imaginait pas vraiment ainsi, surtout en se faisant appeler le « bourreau ». À moins que les humains aussi, il les découpe en chantonnant ? Écartant cette dernière pensée de son esprit, elle trouvait cela très agréable. Elle savait bien que l’Alliance n’était pas faite que de dégénérés, mais elle aimait tout de même voir que certains semblaient savoir se satisfaire de plaisirs très simples et humains.

Bien, elle pouvait maintenant profiter d’un petit déjeuner sain et équilibré. Manger en face de quelqu’un au physique tel que celui de Banshee restait assez perturbant, mais elle faisait mine de ne pas y être affectée. À force, elle commençait à devenir excellente dans le leurre de ses propres émotions. Mais ce n’était pas que l’apparence le problème. Il mangeait réellement comme un gamin qui n’avait jamais tenu de couvert. Et à y réfléchir, ça ne la surprenait pas que ce soit réellement le cas. Et le voir bouger son masque pour pouvoir manger en bonne conscience était aussi quelque chose, surtout quand on avait vu ce même casque « grésiller » la veille. Un numéro de mime qui se voulait très réaliste. Bref, Thready n’allait pas admirer un décivilisé tenter de manger comme un citoyen normal pendant toute l’heure du repas. Elle aussi avait besoin de se rassasier. Elle alternait les aliments un peu au hasard, avec des bouchées pas bien grandes, prenant son temps pour mâcher et déguster ces aliments naturels. Finalement, ces végétaux de « Vegetable Girl » valaient le détour, elle devait le reconnaitre. Bien étrange femme, mais pas sans qualité. Elle avait réussi son coup, Yoko la recontactera peut-être à l’occasion.

Ce petit déjeuner était très appréciable, mais qu’en était-il de la mission ? Allait-on finir par faire de Banshee un homme honorable ? Haha. Y avait du boulot. La question que se posait Yoko, c’était comment réveiller Narita. Il restait davantage concerné, et il sera sûrement difficile d’établir un quelconque accord sans lui. Elle jetait parfois quelques regards à Alucard. Avait-il quelque chose en tête ? Est-ce que le repas faisait partie du plan ?

Alucard en apprenait de plus en plus. Banshee ne savait pas comment se servir d'une fourchette.

C'était déjà bizarre à son époque, les Japonais ayant appris à s'en servir bien avant son arrivée sur le territoire, mais pour quelqu'un de l'âge de son hôte c'était plus qu'anormal. Le Japon était un pays conservateur, mais il n'était pas refermé sur lui même pour autant. Un jeune homme aussi chrétien que Narita avait dût apprendre les bases du protocole occidental ! Et puis, il y avait la manière dont il avait jugé la Viande posée devant lui... Maintenant que le Vampire s'était assis il pouvait observer ça de premier plan, et la vision se montrait très intéressante. L'incompréhension du jeune homme devant la nourriture cuite n'était pas naturelle. Plus il l'observait, plus il se demandait si il n'avait pas affaire à un déviant mental. Le garçon était primal dans tout les sens du terme. Son agressivité, son manque de considération pour l’hygiène et sa manière de répondre aux autres n'avaient rien d'humain, et les psychopathes classiques se camouflaient bien mieux que lui en société. Le bourreau avait l'impression d'observer une erreur biologique, un primate coincé dans le corps d'un jeune homme, et celà ne cessait de le surprendre. L'adulte fragile de leur dernière rencontre n'avait pas laissé sa place à une autre personnalité, comme il l'avait supposé, mais à quelque chose de bien plus animal... Peut être que cela n'avait rien à voir avec son Alter ? Peut être que Samada avait blessé le Japonais beaucoup plus efficacement que ce que la créature d'All For One croyait, laissant une coquille vide en lieu et place de Kass Narita... Son patient n'avait aucune hémorragie interne, sa base en médecine et son instinct de prédateur lui assurait cela, mais certains dommages ne saignent pas. Pouvait-il vraiment ramener Kass Narita sur le devant de la scène ? Il n'en avait aucune idée. Une chose restait clair : il pouvait toujours tenter la rubrique des chats écrasés et sortir les éléments les plus suspects de la vie du petit employé Japonais. Sa route s'était tracée sous tellement de cadavres... C'était à se demander comment un garçon aussi fragile pouvait cacher une si grande armoire !

Qui sait, peut être toucherait-il une corde sensible ?

"Parle moi du docteur Kazuya."

Kazura. Il n'avait rien oublié de cet homme. Celui dont il estimait à un point qu'il était bon pour Kass et qu'à un autre il aurait eu un effet néfaste. Peut-être en meilleure forme quand il le rencontrait régulièrement mais peut-être aussi rendu dépendant à un traitement de faveur ? Kass avait-il toujours été aussi faible ou était-ce du à l'intervention d'une tierce personne qui lui laissait entendre que tout allait s'arranger ? Difficile à dire, la réflexion n'était pas le domaine de prédilection d'Ein, surtout dans ce domaine.

Kazura était aussi la seule personne qu'il aurait tué de ses mains ? Tous semblaient se débrouiller seuls avec une intervention plus ou moins distante mais cette fois là il était directement intervenu. Il pensait bien faire, que Kass en serait inconsciemment moins affecté mais les conséquences avaient peut-être étés inverses.

Le monstre était très bien renseigné pour venir chercher à cet endroit là. Et bien sur, si s'alimenter restait une priorité, il n'en restait pas moins dans l'optique de trouver une solution à ce problème qui rongeait Kass. Il ne paraissait pas plus surpris que cela d'entendre ce nom cela dit. Il n'avait pas été plus affecté que cela par sa mort et il était d'avantage conscient du fait que par la manière dont il prononçait ce nom, le vampire ne faisait que le lier à la mort du psychiatre. Une forme de mise en accusation ? Seulement si Ein le niait mais à quoi bon dans de pareilles circonstances.

"Il en savait trop."

Ein était en réel décalage avec la réalité mais s'y accrochait suffisamment pour savoir quand un personnage devenait dangereux pour sa subsistance. Ou au contraire quand un autre, aussi détestable fut-il ne semblait pas représenter un danger immédiat. Oui, il pensait bien au vampire. La fille ne montrait pas un tel investissement après tout. Mais la corde sensible était chez Kass et même sans être directement affecté, il pouvait le sentir. Il posait donc sa fourchette, presque, pensif ? 



"Mais utile."

Tiens, pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ? Il aurait pu s'il en avait eu l'occasion sauf que Kass estimait ne pas en avoir les moyens, s'était retrouvé sur une liste d'attente avant de finalement disparaître des fichiers. Car pour Ein, ces psychiatres étaient aussi dangereux. Et portant... Cette fois il tourna son visage masqué vers le monstre qui l'interrogeait. La question d'avant était trop difficile mais peut-être l'un des deux saurait-il cela.

"Il faut un docteur Kazura."


Et peut-être que si le monstre ne connaissait pas de Kazura, la fille en connaîtrait un ? Il ne tardait d'ailleurs pas à se tourner vers elle à son tour.

Le petit déjeuner à présent entamé, le bourreau reprit le questionnaire qui avait été un peu laissé en plan la veille. Il posait une question habile, au sujet du docteur Kazura. Sans connaitre les causes exactes, il était déjà quasiment établi que Narita était atteint d’une forme de trouble psychologique. Dans ce genre de cas, un docteur est souvent la personne la plus proche de la "victime" du trouble. Peut-être la personne la mieux placée au monde pour mettre la lumière sur le mystère qui entourait cet homme. Mais l’interrogation d’Alucard tout comme la réponse à laquelle il eut droit permettait à Thready de déduire la terrible manière par laquelle la relation s’était terminée. La personnalité fragile de Narita n’aurait peut-être pas été de cet avis, et une personne dont l’objectif serait d’apaiser ou supprimer ce trouble était forcément néfaste pour la personnalité la plus dangereuse. Malgré tout, il reconnaissait qu’il avait été utile.

C’était étrange, il s’était stoppé pour affirmer cela, semblant réaliser cela à l’instant. Et pour ne pas s’arrêter là, il demanda alors un docteur Kazura… Des idées semblaient se contredire ici. Qu’est-ce qui lui faisait soudainement changer d’avis ? Bien sûr, peut-être que ce second docteur finira tué aussi, mais il était peu probable que Banshee en demande un aujourd’hui juste pour mettre fin à ses jours par la suite. Il doit en sentir un réel intérêt en ce moment. Peut-être que lui-même n’est pas sûr de ce qu’il veut vraiment. Là encore, Yoko aimerait avoir l’avis de "l’autre Narita" sur la question. Il était impensable d’avoir un tueur en série instable qui pourrait se débarrasser de n’importe quel membre de l’Alliance sur un coup de tête.

Malheureusement, le cercle de contact de la vilaine était quasiment limité à l’Alliance et quelques numéros stratégiques. Et il n’y avait pas quelqu’un qui lui venait qui pourrait prendre un tel poids sur ses épaules. Forcément, après avoir été jeté au cachot, ses relations avaient été comme réinitialisées, il n’était pas envisageable qu’elle se tourne vers des personnes bienveillantes qu’elle fréquentait de l’époque où elle faisait des études à Yuei. Elle espérait ici qu’Alucard avait une solution à proposer.

C'était donc ça le mobile du meurtre ! Kazuya semblait avoir été un excellent psychologue. L'homme avait certainement mis le doigt sur ce qui n'allait pas chez Narita. Il avait mis Banshee en évidence. Ce n'était pas étonnant : l'alter de son patient correspondait parfaitement à ce qui avait été utilisé lors des attaques terroristes qui avait secoué Tokyo. Le criminel l'avait tué pour éviter les conséquences de ses actes, tout simplement, mais on ne pouvait pas fuir ses responsabilités en permanence. Les gens que vous avez fait souffrir finissent toujours par vous rattraper : le Vampire comprenait cela mieux que quiconque. Il jeta un regard en coin vers sa collègue avant de reporter son attention sur son "prisonnier". Cette créature était primaire, dangereuse, mais elle était également d'une grande naïveté...

N'importe quel criminel un minimum intelligent savait que s'ouvrir chez un psychologue était très mauvais pour les affaires.

"Les gens utiles finissent toujours par en savoir un peu trop."

Que faire de Narita ? Le garçon n'était pas un danger pour sa mission. Lui et Thready pouvait parfaitement se contenter de le laisser partir. Un peu de chaos dans les rues ne faisait pas de mal, et le jeune homme semblait parfaitement qualifié en la matière. Restait le fait que cette option était, dans les faits, un petit gâchis... Il était préférable d'avoir un ascendant sur ce terroriste : il n'était peut être pas taillé pour le Ligue, ou pour le travail en groupe de manière général, mais le pousser dans certaines directions pouvait faire de lui un allié inestimable. Les hallucinations qu'il générait étant de véritables couteaux suisses, il serait dommage de se passer d'un tel atout.

La solution consistait sans doute à couper la poire en deux.

"Thready et moi pouvons te trouver un docteur Kazuya, mais il va nous falloir un peu de temps. Tu es libre de partir, ou de rester ici."

Le bourreau sorti un vieux téléphone jetable de sa poche. Retenir le jeune homme ici plus longtemps serait contre productif. Il ne savait rien d'utile, il ne produisait rien de particulièrement excitant et le temps avait le potentiel de faire grandir son ressentiment. Lui faire comprendre que la Ligue pouvait être un allié était déjà un grand pas en avant, alors mieux valait ne pas pousser trop loin.

"Tu sais comment utiliser ça ?"

Bien qu'il s'y soit un peu plus ouvert, Ein n'était en aucun cas dans un climat de confiance avec le vampire. Il restait une abomination et ce n'était que le poids des intérêts dans la balance qui lui donnaient l'envie de l'écouter. De toute façon il n'avait pas grand chose de plus à faire à part de reposer son corps et ce dernier était habilement fait. L'entendre et s'alimenter par la même occasion paraissait compatible. Certes, c'était son premier repas, c'était aussi son premier repas "en compagnie".

Si la fille était plus silencieuse, elle n'en restait pas moins une source d'attention. Il était rare que des déchets se tiennent aussi près dans y risquer et elle qui la veille semblait avoir beaucoup à dire était soudain bien plus silencieuse, donnant une allure de complot à ce qui se tramait face à lui.

En tous cas, il n'avait jamais perçu la chose de la sorte. Les gens utiles finissaient toujours pas trop en savoir ? Son expression aurait bien légèrement évolué s'il n'y avait pas eu ce masque et son ombre pour cacher jusqu'à ses lèvres qui prenaient une nouvelle bouchée de ce plat. Car si cela était vrai, c'était problématique. Est-ce que cela voudrait dire qu'un nouveau Kazura donnerait lieu à la même situation ? Combien de temps avait-il mis à comprendre la situation, deux ans ? Il faudrait donc changer de Kazura tous les deux ans ? Kass était un sentimental sur ce point, pas certain que le fait de changer régulièrement de psychiatre à cause de la mort de ce dernier soit une idée qui puisse lui apporter un quelconque réconfort. Il faudrait donc poser la question de l'après même si dans un premier temps une transition donnerait le temps vers un mode plus viable, durable.

Et peut-être qu'il allait trouver cette dernière ici ? Il y avait de très bonnes raisons de rester, de chercher la coopération, de ne pas refuser toute alliance et si les choses n'avaient pas été désespérées la question ne se serait pas même posée. Néanmoins, parti comme c'était, Kass ne tiendrait peut-être pas jusqu'à la fin de l'année. Il fallait que les choses s'améliorent, Rapidement. Un Kazura n'était que la première étape.

"Je reste."

Pour le moment. De toute façon il faudrait déjà que Kass soit capable de voir Kazura pour cela donc un peu de temps peut être acceptable même si Ein ne sera certainement pas très patient. De plus, il ne sait pas précisément où il se trouve, ne serait pas capable de sortir sans son masque et ne serait pas en état pour se déplacer sur une longue distance. Cette affaire était donc close. Ou presque. Son regard se posa sur le téléphone.

"Oui."

En théorie, il avait vu faire et Kass n'avait pas les moyens pour les modèles récent. Sa culture des vieux téléphones était donc assez fournie. Il saurait s'en servir. Ce serait donc un moyen de communiquer. Et s'il fallait mettre les choses au clair, il le ferait. De toute façon, à ce stade, cela finirait par se savoir.

"Cet accord est passé avec moi."

Cela aurait pu paraître un peu étrange comme propos mais il y avait une condition très claire qu'il devait relever à ce sujet, surtout si les relations devaient se profiler. Ils avait besoin d'un Kazura et s'ils pouvaient le lui obtenir, il pourrait faire preuve de bonté. Néanmoins,

"Kass n'en saura rien."

Il ne s'agissait pas là d'une manière de préserver leur secret, de limiter l'impact de cette rencontre et ceux qui seraient parti au "contrat". Mais c'était là surtout une mise en garde. Sur plusieurs choses, déjà, qu'il ne faudrait pas tenter d'interagir avec Kass et ne pas non plus s'attendre à ce qu'il fasse ce que l'on demandait d'Ein. Mais surtout que dans le cas contraire, il pourrait s'agir du noeud d'un nouveau problème.

"La contrepartie ?"

Car Ein avait beau être naïf, il savait bien, venant de la part de cette créature, rien ne serait gratuit. Et il n'attendait pas d'avantage de bonté venant de la fille. Kass pensait au bien en chaque personne et ne tirait pas de leçons de ses désastreuses expériences. Ein, oui.

La "chose" tentait de cacher son jeu mais Alucard pouvait lire ce qui se cachait derrière ses petits yeux masqués : du désespoir. Il n'avait aucune idée de ce à quoi il avait affaire, si cette condition était une maladie psychiatrique, le contre coup d'un Alter ou la marque d'un psychopathe extrêmement versatile mais il était certain d'une chose : cet personne n'avait aucun contrôle sur le monde qui l'entourait. Elle était, de fait, complétement à l'ouest. Rien, dans les règles les plus basiques de toute société humaine, ne semblait faire sens pour lui. Plus la discussion se poursuivait, plus le vampire accordait une certaine crédibilité à l'hypothèse de la violence gratuite en ce qui concernait les attaques de Banshee. Cette personne ne comprenait rien aux relations humaines. Il fallait lui expliciter les choses les plus naturelles, comme on le ferait avec un animal domestique ou à un très jeune enfant.

C'est pourquoi le bourreau de la ligue leva son sourire le plus courtois et annonça, dans le plus grand des calmes :

"Service donné, service rendu."

Il n'y avait rien de plus basique que cette règle. Pilier des interactions humaines, elle était la base de la société mondiale tout entière. Le reste n'était que du décors, du superflu qui pouvait et allait changer avec le temps. Seul cette règle, commune à tout les Hommes, restait universellement intemporelle.

C'était, en vérité, la seule tradition humaine : la nécessité de la réciprocité.

L'homme centenaire se remit à fixer son interlocuteur.

Voilà ce qu'il cachait derrière ce masque, en vérité : quel que soit la cause de cet état, elle tirait sa source d'une maladie plus profonde. Le possesseur de ce corps, quel que soit son véritable nom, passait son temps à se mettre hors humanité.

Il n'y avait, dans ce monde, rien de plus dangereux pour l'esprit que cette négation.

"Tu ne nous as pas demandé de te ramasser dans la rue, de te soigner et de t’amener ici. Je vais donc considérer que tu ne nous dois rien pour ça. Pour le reste, par contre, ce n'est pas la même chose. Si nous t'aidons, nous nous attendons à la même chose en retour."

Le bourreau de la Ligue continua son exposé en tentant de le réduire à l'essentiel. Il fallait parler à cet homme sauvage dans un langage simple, quelque chose qu'il pouvait comprendre. Si il ne comprenait pas la notion d'échange, toute coopération était de fait impossible.

La Ligue avait l'habitude des fous, mais elle n'aimait pas beaucoup les irresponsables.

"Je ne pense pas que tu m'apprécie beaucoup mais nous avons au moins un point commun : la société nous traque, en permanence. Nous avons plus intérêt à nous serrer les coudes qu'à nous battre."

Yoko, qui restait étonnamment silencieuse, observait toujours la discussion avec un regard perçant. Peut être qu'elle comprenait instinctivement cet être inconnu qui venait de débarquer dans leur champs des possibles, peut être pas. Dans les deux cas elle voyait certainement la même chose que le Vampire. Banshee pouvait être utile, surtout si on lui confiait la bonne tâche.

Rien de tel qu'un être vivant en dehors de toute considération éthique pour faire assassiner quelqu'un qui se voyait comme intouchable.

"Avons nous un marché ?"

Par chance, la notion d'échange n'était pas totalement étrangère à Ein. Il avait beau ne pas en avoir eu besoin jusqu'alors, s'était principalement servi, ce n'était pas le cas de Kass. Kass qui se se faisait fréquemment dépouiller en choisissant des échanges de "mauvais échanges" ou en donnant sans attendre en retour. Mais dans la vrai vie, celle qu'il subissait, un appartement, de la nourriture ou des médicaments, aucune de ces choses n'était gratuites. Ein avait bien dérobé des médicaments mais ne pourrait pas faire de même avec le reste ou pas de manière efficace. De plus, il n'était pas suffisamment développé pour se permettre des activités complexes. Tous les risques n'étaient pas bons à prendre.

Même si son attention se concentrait sur la créature, il n'ignorait jamais totalement la femme impliquée avec lui. Mieux valait se souvenir des visages de ceux avec lesquels il ferait affaire. Il ne comptait pas les multiplier.

Ein notait bien qu'il n'aurait rien à rendre pour compenser sa présence ici, il l'interprétait comme un geste "commercial" visant sa coopération ou peut-être tout simplement qu'ils avaient déjà tiré quelque chose de sa présence pendant qu'il se reposait. Mais les spéculations étaient loin d'être sa spécialité. Il laissait volontiers ça à Kass.

Pour autant, avait-il envie de se serrer les coudes sous prétexte qu'il était "recherché" ? Ce n'était pas le fait d'être recherché qui avait fini par poser problème. Mais quand bien même son envie de "purger" cet endroit était réel, l'option paraissait meilleure, plus logique. Et c'était dire pour une entité aussi impulsive. Ein finissait de manger, posant les couverts qu'il avait eu tant de mal à utiliser et baissant et rabaissant son masque pour correctement couvrir son visage. Ils n'avaient peut-être pas les mêmes intérêts mais les solutions restaient identiques. 



"Nous avons un marché."





Un oui n'aurait peut-être pas suffit dans ce genre de situation mais il n'en dirait pas d'avantage non plus. Il fallait une réponse suffisamment claire. Ein ferait ce qu'on lui demanderait de faire, à condition d'avoir la juste contre-partie pour faciliter la vie à Kass. Il n'avait de toute manière pas grand chose à perdre.