La nuit, tous les bars sont pris [pv: Noah]

Oh, ne réalisait-il pas son erreur d'avoir choisi ce CD. Quoi que, avec le peu d'informations qu'il avait sur les autres spécimens, cela serait peut-être revenu au même. Ou été pire ? Il se demandait si pouvoir lancer un cd de cette manière était vraiment considéré comme un skill. Non pas que tous les skills étaient utiles mais celui-ci paraissait bien désuet. En soit, voir une voiture avec un lecteur cd était déjà incroyable.

Il pensait tomber sur un flic tout ce qu'il y avait de plus commun, avec ses conneries et son envie de chercher la merde. Il tombait sur un flic sadique qui lui laissait choisir la manière dont il allait souffrir. et cette souffrance s'appelait donc Pop Ninja. Il avait connu des tortures, celle-ci était d'un tout autre niveau. Et il ne pouvait dire ce qu'il y avait de plus douloureux. Ecouter ce bordel qu'il osait appeler de la "musique" ou voir sa tête bouger comme s'il y avait le moindre rythme sur lequel s'exclamer ? Il était scandalisé car jamais l'affront n'avait été tel.

Il aurait envisagé de se jeter par la portière mais il y avait cette tendance chez les flics à mettre la sécurité enfant pour la banquette arrière de leur voiture. Et il n'aurait pour rien au monde face à Columbo subit l'humiliation de devoir essayer d'ouvrir une portière et que cette dernière ne coopère pas. Plus les explications sur l'origine de cet enfer suivaient plus il comprenait d'où venait le mal, l'origine du mal et plus il se demandait par quel miracle le flic en était sorti indemne. Si on pouvait appeler ça indemne. Mais une cinquantaine ? Il n'osait l'imaginer et il n'avait certainement pas l'intention de le subir. Alors au diable la sécurité. Il savait que le rôle des fauteurs de trouble était sur la banquette arrière, pour beaucoup y avoir été mais face à ces violences policières il devait réagir.


Un petit avertissement pour que Columbo n'ait pas un accident de voiture, il n'aurait pas particulièrement non plus aimé que sa sortie se fasse par le par-brise. Il se redressait donc, accrochant ses doigts à l'arrière des dossiers, passant sa tête entre ces deux puis élançant une jambe pour se glisser au-dessus du frein à main et du levier de vitesse jusqu'à finir sur le siège passager. Une fois en place, il savait ce qui lui restait à faire, à savoir, atteindre le bouton qui couperait cette atrocité qu'il ne subirait pas plus longtemps.


Donc oui, les passages étaient très fréquents mais suffisamment détestable pour qu'ils ne veuillent pas lui offrir le mug du meilleur gardé à vue. Quoi que cela finirait peut-être par arriver mais il y avait plus important. Et forcément, Miki ne laissait pas passer cette faute atroce de goût et trifouillait donc la radio pour passer sur une chaine, cherchant quelque chose d'acceptable.

Comment ça "J’arrive" ? Oh.

Il était arrivé. Noah se retint de commenter ce déplacement de Samantha, ou même de l’empêcher physiquement de se mouvoir jusqu’au siège passager. Il y avait quelque chose chez cet homme qui donnait envie de le laisser agir à sa guise. Une foule de détails subtils, la forme de son visage, son odeur, son attitude… L’inspecteur ne reconnaissait pas là les effets d’un Alter de contrôle mental, c’était trop délicat pour qu’il s’agisse de ça, mais quand bien même le phénomène n’était pas surnaturel, cela ne le mettait pas pour autant à l’aise. Être mal à l’aise mais laisser couler quand même. Voilà un paradoxe curieux s’il en était. Le policier était-il si faible d’esprit que ça ? Ou bien voulait-il voir jusqu’où son passager était capable d’aller, peut-être pour le plaisir mesquin de gonfler son temps à l’ombre ?

Il n’en avait lui-même aucune idée. Ce dont il était sûr, toutefois, c’est que le charisme d’un homme, aussi écrasant soit-il, avait ses limites. Et elles venaient d’être franchies à l’instant où les doigts fins de Samantha s’étaient mis à triturer les boutons de l’autoradio. Il se permettait même d’affirmer que les goûts de l’inspecteur étaient ouvertement criminels.

"Mais c’est pas possible ça, tu peux demander, sinon !"

Il lâcha brièvement le levier de vitesse pour asséner une tape sur la main baladeuse de Samantha. C’était la goutte d’eau. Un air terriblement vexé sur le visage, Noah mit lui-même fin à la musique du lecteur et passa sur une radio diffusant de la musique classique. Il ne voulait pas que les tripotages hasardeux du passager le conduisent par la force des choses à activer une communication de la police. La musique classique était un choix sûr, c’était un genre apprécié des snobs et Samantha venait de prouver que son niveau de snobisme était fort élevé. Les accords lents d’un clavecin résonnèrent dans la voiture, prenant la place de la voix passée sous multiples filtres audio de Carly Rae Jepsen.

"Ah ! C’est le machin dans Barry Lyndon."

Noah était bien entendu incapable de reconnaître la sarabande d’Haendel d’une autre façon. Mais son ignorance lui permettait d’être ô combien fier de l’identification du morceau. Il se concentra sur la route, non sans s’adresser à son passager au sujet de son choix de mots fort agressif.

"Mais t’es sérieux de juger comme ça les goûts des gens, sinon ? Je sais que t’exagère quand tu parles de me mettre en taule pour ça, mais quand même, elles savent que t’es aussi prétentieux, tes conquêtes ? L’art c’est l’art, merde."

Tout était "de l’art" dès lors qu’il s’agissait de défendre nos propres goûts, et Noah en était la preuve vivante. Comme si brandir ce terme bateau comme un bouclier allait faire de ses penchants ludiques objectivement calamiteux des inclinaisons louables.

Miki était plutôt chanceux dans cette situation, il était libre de ses mouvements là où plus d'un flic lui aurait violemment passé les menottes pour se venger de son comportement déplacé et finalement se rendre compte qu'il n'en serait que plus insupportable. Avec son nombre d'arrestations, l'américain avait d'avantage voyagé en voiture de police qu'en Über dans sa vie. Il aurait potentiellement apprécié la course gratuite si celle-ci ne se bornait pas à une destination constante pour laquelle il n'avait aucune affection. Mais à nouveau, il appréciait l'effort.

Les enfants le comprenaient très tôt, le siège passager était toujours plus attirant que la banquette arrière et cette conception s'appliquait même à un malfrat. Il avait bien suggéré à la police de traiter leurs pensionnaires avec plus de respect mais cela n'avait jamais eu l'air de particulièrement leur plaire. Clairement, les flics n'avaient jamais la patience de se mettre à la place des personnes qu'ils oppressaient. Miki encore une fois, faisait ce qu'il lui plaisait. Il faisait toujours ce qui lui plaisait. Personne pour lui dire le contraire ainsi que le premier à se permettre tous les écarts.

Alors même s'il avait quelque peu l'habitude des protestations, cette tape sur la main, il la vivait comme une sorte de trahison. Il se figeait dans son geste, accordant à son conducteur le regard d'un enfant qui n'aurait jamais pensé que son père était capable de le gifler jusqu'à lors. Peut-être était-ce car son père n'avait jamais eu aucun remord à le gifler et qu'au contraire il n'aurait oas songé à lui donner une tape sur la main. C'était confus, surtout quand le châtiment corporel venait d'un type certainement plus jeune que lui. Un psy à l'institut lui avait parlé d'une défiance à l'autorité liée à un rejet de sa filiation paternelle mais il n'y croyait pas vraiment.

Il eut une nouvelle surprise, même s'il aurait du s'y attendre. Les flics avaient cette mesquinerie de faire les choses dans votre dos et car il n'avait pas aimé cette bouillie de son il lui foutait de la musique classique ? Miki n'avait rien contre la musique classique, qu'on se le dise. Certaines étaient très entrainantes et la musique avait bien du commencer quelque part. Mais il ne pensait pas non plus que car elle était ancienne, elle était nécessairement ce qui se faisait de mieux. Un peu comme Star Wars épisode 4,5 et 6 qui étaient clairement moins bien que les 1,2,3. Il n'allait pas critiquer la manière d'identifier des musiques. Ayant grandi dans le terroir américain il ll lui avait fallu attendre ses 16 ans pour comprendre que Moby Dick n'était pas un bouquin cochon.

Et contre toute attente, il prit assez personnellement le reproche que columbo lui fit. Car, il pouvait comprendre ce qu'il ressentait. Peut-être s'était-il montré un peu prétentieux et peut-être que le gamin était fréquemment jugé pour ses goûts catastrophique. Lui aussi avait l'habitude d'être jugé pour ses préférence culinaires. Ils étaient un peu pareils en ce sens. Et ce n'était... pas facile à reconnaître car la musique qu'écoutait ce flic lui aurait presque donné des frissons d'angoisse. Ce jour était à marquer d'un pierre blanche.


Il ne le dirait pas deux fois. Mais surtout, il avait autre chose en tête car même si cette musique avait sa place dans un contexte, dans des décors, dans un film, dans cette voiture elle cassait un peu l'ambiance.


Même "Britney Spears récent" lui irait à ce stade. Quelque chose de connu, de populaire, avec la radio, ce ne devrait pas être trop difficile, tant qu'il ne s'agissait pas d'un de ses CD il ne devait pas y avoir beaucoup de risques. Il se tenait bien en échange et évitait de trafiquer la radio, même s'il ne se privait pas d'essayer le bouton sensé baisser la vitre.


Il s'était montré bien élevé, il s'était excusé alors qu'il avait fait l'objet de violences policières, il pouvait bien le déposer chez lui plutôt que de l'emmener au post non ?

C’était une agréable surprise que de voir un délinquant ainsi se reprendre et admettre qu’il avait tort. Noah était, lui, très certainement incapable de faire preuve d’une telle maturité. Fort heureusement pour lui, il était incapable de prendre du recul et, donc, de réaliser que c’était problématique d'avoir presque 30 ans et d'être psychologiquement incapable de dire "J'aurais pas dû, c'est vrai". Noah Kyanseru n'avait jamais mis les pieds dans une salle de thérapie.

Et il n’était pas non plus capable de discerner la manœuvre de Samantha dans une telle situation, tant et si bien que lorsque ce dernier lui demanda si il y avait plus récent, Noah ne se posa pas de question et, de trois pressions sur les boutons, se cala sur une radio qui avait pour habitude de diffuser les derniers hits du pays. De la j-pop quelconque se diffusa à travers le véhicule. C’était d’une banalité musicale crasse, mais c’était une bonne musique de fond.

"Content ? Oh, et ne t’embête pas avec la vitre, le système est défoncé depuis qu’un mutant a mis une patate dedans."

C’était une histoire vraie, le mutant en question avait été menotté par Noah et, dans un dernier acte de provocation, avait fait pousser un troisième bras au milieu de son torse avant d’asséner un coup de poing magistral dans la porte. C’était déjà un miracle que la portière fonctionnait encore, mais le fait était que la vitre ne se réglait plus, laissant Samantha face à un bouton inutile, tout juste bon à cliqueter faiblement. Bref, c’était juste agaçant.

La deuxième demande du captif était… Encore bien plus osée que tout ce qui avait suivi avant. Noah ne gratifia même pas le playboy d’un regard alors qu’il lui répondait.

"Je sais pas où t’habite et de toute façon on est presque arrivés au commissariat."

Simple, efficace, percutant. Il indiquait du bout du doigt le haut bâtiment du commissariat, à une petite centaine de mètres après ce feu rouge. Mais il manquait quelque chose à cette justification.

"Ah et c’est la loi et, euh, mon travail."

Oui, l’espace d’un instant il avait presque oublié son métier, métier qui normalement occupait ses pensées d’une façon obsessive à chaque instant de sa vie. Vraiment, l’homme-gazon avait mis le doigt dans des engrenages complexes, résultant en un décalage complet de la machine à bosser qu’était Noah Kyanseru. Exposant tous les travers du flic qui, décidément, ne savait pas réellement interagir avec les gens, trop habitué aux criminels bêtes et méchants et aux cadavres immobiles et silencieux.

Il avait hâte de s’en débarrasser.

Il y avait toujours mieux que de la j-pop mais en effet la musique n'était pas au centre de cette situation même si elle avait bien été un sujet de conversation. Cela-dit, cette histoire de fenêtre qui ne s'ouvrait pas avait de quoi le décevoir. Il n'y avait rien de bon à être flic et visiblement ça ne s'améliorait pas avec le matériel mis à leur disposition. Si encore ils avaient les moyens que donnaient certaines villes américaines à leurs véhicules de fonction. Au moins ça avait de la gueule. Mais cette fenêtre ne s'ouvrait pas ? Il y avait de quoi être vexé sur un autre point.


Il n'y avait donc pas de traitement de faveur ? Miki était jaloux quelque part, il aimait être traité différemment, être le centre de l'attention, se jouer de la situation. Savoir qu'il n'était pas le premier à le faire était toujours décevant à entendre. Il devait donc se surpasser.

Casser le rétroviseur pour laisser sa plume sur cette voiture n'était pas non plus une idée percutante. Il devait y avoir mieux à faire mais quoi ? Columbo n'allait pas le ramener chez lui. Miki connaissant trop bien le chemin du commissariat, il savait par conséquent qu'il lui restait peu de temps pour trouver le meilleur moyen de marquer cette voiture. Une cicatrice qui ne devait pas être suffisamment importante pour donner lieu à un remplacement mais qui devait être suffisamment marquante pour que ce poulet ne puisse pas l'oublier. Quelque chose d'assez personnel ?


Miki s'y connaissait peut-être un peu trop à force. Mais il y avait bien cette histoire d'attacher le "délinquant" aussi pour sa propre sécurité. Sécurité dont le flic était responsable à partir du moment où il l'arrêtait. S'ils avaient un accident, Columbo serait responsable.


L'ambition d'un monde fait d'ordre était trop difficile à tenir ? Il faisait le choix de la facilité mais prétendait respecter la loi. Voilà qui était bien moins admirable. Miki n'avait pas à se plaindre de ce laxisme opportuniste, il n'aimait pas être sur la banquette arrière. Avec le taux d'alcool dans son sang, n'importe qui d'autre peinerait à tenir debout. On lui ferait sans aucun doute passer un de ces tests. Il pouvait donc théoriquement s'uriner dessus sur le siège de l'hypocrite sans que ce ne soit vu comme un "outrage à agent". Ca manquait un peu de classe, certes, pourtant c'était très certainement une chose que le flic n'oublierait pas de sitôt.

"Le bonhomme n’était pas installé, je l’ai plaqué contre la voiture, lui ai passé..."

Il s’interrompit. Pourquoi ressentait-il le besoin irrépressible de se justifier devant ce type ? Samantha avait une espèce de don absurde pour le titiller de la plus parfaite des manières. Il le faisait avec un flegme absolu, conférant à ses provocations délibérées un détachement et une innocence factice insupportable.

Mais il ne pouvait pas le laisser gagner, malgré tout. Quelque chose typiquement puéril, compétitif, stupide, bref, quelque chose de très masculin, empêchait Noah de ne pas finir son anecdote. Il devait prouver à ce type qu’il avait tort parce que… Voilà.

"Passé les me..."

"La loi dit pas aussi de menotter un type quand tu l'arrêtes ?"

Les menottes. Il avait oublié les menottes. Il n’avait pas arrêté de penser à des menottes et de parler de menottes, mais l’autre cinglé couleur menthe s’était gentiment assis tout seul dans la voiture et il avait oublié de lui mettre les menottes.

Il devait improviser, et vite.

Aucune réplique de film ne lui venait.

Il était fichu. Noah était incroyablement mauvais en tac-au-tac lorsqu’il perdait le contrôle d’une situation.

"La loi, euh, précise que passé un certain niveau de compétence au combat, les inspecteurs ayant plus de 100 affaires réglées à leur actif ont la permission de ne pas mettre les menottes aux détenus."

La "bonne" réplique lui vint juste après cette pathétique improvisation et un blanc d’une demi-seconde.

"Tes menottes, c’est moi, Samantha."

Hum, ça sonnait moins sexuel dans ma tête, se dit l’inspecteur alors qu’il prenait le dernier tournant avant le parking du commissariat. Il commençait un peu à se détendre. Son calvaire était bientôt terminé.

"Bon, on arrive. Attention en sortant d’Opty, la portière de ton côté a du mal à se fermer."

Noah ne réalisait pas, en divulguant le surnom de sa voiture ("Opty" pour "Optimus", évidemment),  qu’il fournissait une arme supplémentaire dans l’arsenal de son passager, qui cherchait un moyen de marquer son passage d’une marque indélébile. Il pouvait désormais être sûr que son action aurait de l’effet. Optimus était la voiture de Noah depuis qu’il avait reçu sa première paie, et bien que marquée par les années, il y tenait beaucoup. Bien sûr, il ne l’entretenait pas activement, ç’aurait été trop d’efforts et témoigné d’un attachement dépassant le superficiel (Noah n’aimait pas vraiment les voitures, mais il aimait l’idée d’aimer les voitures). Mais il lui disait qu’il l’aimait fort, et cela était suffisant à ses yeux.

Jusqu’où était-il susceptible d’aller ? Est-ce que l’inverstissement en valait la peine ? Une terrible décision à prendre pour Miki dont dépendrait certainement l’avenir du siège passager. Toutes les cartes étaient en même temps de son côté. Columbo ne l’avait pas menotté, l’avait laissé monter (ou n’avait pas continué de protester).

Finalement, il avait été plutôt décent pour un flic, si on oubliait le fait qu’il l’ait en effet ramené au commissariat. Ou sa musique. L’américain avait les idées plutôt claires mais savait parfaitement qu’avec son taux d’alcool dans le sang, il serait au moins en dégrisement pour la nuit et à minima en observation. Alors tant qu’à faire, autant avoir l’expérience globale. Et il était temps pour lui de faire un cadeau à son escorte. Qui n’avait jamais eu d’accident ? Il en avait eu des plus embarrassants.

L’ex-militaire au moeurs fragiles poussa un lourd soupire, de ces grognements frôlant l’éructation, typique des soulards, comme si soudain, l’alcool qui lui avait été si complaisant se décidait à atteindre son estomac comme son cerveau.


En effet, le fauteur de trouble aurait mieux fait de ne pas mentioner le nom de sa voiture qui était visiblement un mec ? Ca expliquait la connotation sexuelles des menottes. Eh bien Opty allait porter sa marque. Pour. Toujours. Et sur l’instant, il n’était pas peu fier de son stratagème. Au point de prendre les quelques secondes pour finir son affaire avant de venir saisir le cadre de la portière qu’il venait d’ouvrir pour s’extirper.


Si son salaire et ses supérieurs le permettaient. Mais même avec le meilleur nettoyage à sec, pourrait-il vraiment oublier que la hache avec laquelle il bâtisait un orphelinat a servi à tuer la famille des gamins ? Il se sentait à présent tel un génie du crime, allant jusqu’à déboutonner le haut de sa chemise et passer la main dans ses cheveux pour se donner l’air plus éméché. Il en profitait d’ailleurs pour jeter un coup d’oeil rapide à la tâche sur son pantalon. Pas de quoi le surprendre, le coût était calculé.


Il savait bien qu’ils en avaient en réserve, il avait déjà reçu une paire par le passé même si la raison était un peu différente. Les japonais étaient moins à cran sur les libertés fondamentales, en particulier derrière les barreaux. Par contre ils avaient une tolérance bien prononcée pour l’abus d’alcool. Il n’y avait qu’à regarder leur salaryman moyen. Aucun doute, il serait dehors au matin. Il avait donc une nuit pour les pourrir bien comme il fallait. Il se mettait déjà en marche vers le commissariat.


Mais de toute façon, il comptait bien l’accompagner jusqu’au bout, pas vrai ? Ah, mais n’était-il pas en train de lui envoyer un signal contradictoire ? Il pourrait se méprendre sur ses intentions et le but n’était pas là alors mieux valait préciser.

Pourquoi est-ce que sa soirée était merdique comme ça ? Est-ce que c’était sa punition pour ne pas avoir osé remonter au bureau alors qu’il n’avait rien à faire de sa soirée ? Est-ce qu’il avait uriné sur le siège auto du président des États-Unis dans une autre vie ?

Toujours était-il que sa voiture sentait la pisse, et que sa belle prise ressemblait désormais à une épave.

"Mais… Tu..."

Il était en pleine possession de ses moyens il y a 30 secondes ! C’était pas possible ! Personne n’allait le croire, désormais. C’était ça, l’Alter de Samantha, se transformer en sac à merde à volonté ?

Noah soupira profondément et resta un instant à contempler les quelques étoiles du ciel d’Hosu, assis à côté du jeune homme qui venait de se faire dessus. On entendait le bruit de la circulation lointaine, on sentait l’odeur de ce qu’il y avait à sentir. C’était vraiment une sale soirée pour l’élite de la police nippone. Dommage, la nuit était belle.

"Tend les mains."

Avec un cliquetis métallique et un geste assuré, Noah passa les menottes à la tête de gazon. Il était étrangement calme, malgré l’humiliation passive-agressive qu’il subissait depuis tout à l’heure. L’inspecteur avait vidé sa tête, atteint un état de zen temporaire afin de ne pas encastrer la tête du détenu dans la vitre.

Déjà qu’elle ne marchait plus.

"Reste assis… Je vais t’aider… Je suppose."

L’inspecteur quitta son siège et fit le tour d’Opissemus Prime avant d’ouvrir la portière pour Samantha. Il passa son bras autour de ce dernier pour l’aider à se lever. Était-il vraiment alcoolisé ? Noah décida qu’il valait mieux jouer le jeu, de toute façon. Mieux valait ça que d’admettre qu’un civil lambda lui avait métaphoriquement, et un peu physiquement, uriné dessus.

C’était vraiment une chouette nuit, si on omettait tout ça. Il faisait bon, le petit vent frais n'était pas désagréable. Tout en avançant clopin-clopant avec Sam, l’inspecteur inspira profondément dans le parking, purifiant ainsi son odorat de l’air vicié de la voiture. Il aurait besoin de beaucoup d’alcool, ce soir. D’abord pour oublier tout ça, ensuite pour mettre le feu à son siège passager. Il porta son regard sur Samantha, alors qu’ils s’apprêtaient à entrer dans le commissariat. Ses yeux noirs se plongèrent dans ceux d’émeraude de son partenaire de la soirée.

"No homo."

Ils allaient en tirer, une tête, au poste.