Vague à l'âme [PV Nikita]

Il prenait son pied. Mais son manque d’expérience le fatiguait sûrement plus rapidement qu’un habitué. Et la proposition de Nikita tombait à pic.

« Oh, bien sûr ! »

Il était ravi d’entendre cette proposition. Avec ce que lui avait dit Takiiro-sensei, il craignait d’être obligé de diriger la matinée à chaque étape. Le temps qu’il sorte de l’eau, planche sous le bras, Nikita installait un petit coin pique-nique. Léo secouait sa touffe de cheveux -qui était détachée, ce qui était plutôt rare- avant d’aller s’asseoir. Il allait sortir la bouteille d’eau de son sac au moment où le première année lui proposa la sienne.

« Ah, c’est gentil, mais j’avais déjà pris la mienne » répondait-il sans réfléchir, lui souriant pour lui remercier de son geste.

Après coup il se disait qu’il aurait peut-être dû faire comme s’il n’avait rien préparé. On peut être déçu de se faire refuser un acte de générosité, que ce soit de façon justifiée ou non, et il se disait qu’il était bon d’encourager ce genre d’initiative. Mais était-ce bien honnête de profiter d’une bouteille d’eau offerte quand on en avait déjà une dans son sac ? Peut-être. Elle était offerte après tout, et ce n’était que de l’eau. Mais tant pis, c’était fait.
Par contre.
Le petit cake choco là, il avait l’air de mettre bien. Après un regard à Nikita, il prit une petite part avant de taper dedans à pleines dents.

« Il est bon ! »

Il avait déjà mangé un petit quelque chose avant de venir mais il ne disait pas non à une prolongation.
Bon, maintenant qu’ils étaient posés (et que la bouche était vide), c’était peut-être le moment d’aborder le sujet.

« Tu t’en sors en cours pour l’instant ? »

Léo avait déjà sa bouteille, du coup on avait un litre extra pour se rincer le visage ou les mains, j’allais pas cracher sur ça. 


Depuis la plage, le bruit des vagues semblait bien différent de celui que l’on peut entendre depuis la mer. Je ne sais pas si c’est une question de proximité ou de contexte, mais depuis l’eau, le bruit semble bien plus chaotique et menaçant alors qu’ici il était carrément relaxant. 


Je fermai les yeux pour profiter du moment, un sourire étirant mes lèvres.


« Il est bon ! »


Mon attention quitta la brise matinale pour se diriger vers mon camarade.


“C’est mon grand père qui m’a appris à le faire”


Sur quoi je saisis un morceau à mon tour. La mer, ça  creuse.


J’en étais tout juste à ma troisième bouchée au moment où le sujet sensible fut abordé.


« Tu t’en sors en cours pour l’instant ? » 


Rien qu’à la mention du mot “cours” mon estomac manqua de se retourner et toute once d’appétit me quitta instantanément. Je lançais à Léo le regard le plus misérable possible essayant tant bien que mal de lui communiquer silencieusement qu’il venait en quelque mots de ruiner ma matinée. 


On avait vraiment besoin de parler de ça? Sérieusement?


Je fini par déglutir difficilement avant de lâcher un soupir un peu plus long que nécessaire. 


“ Eh, ouais… les cours ça va. J'ai un peu de mal avec le japonais parfois, mais ça va."


Le problème c'était plutôt avec les autres élèves. J'avais un peu le sentiment d'être tout seul dans un pays étrange sans repères, sans amis et parfois c'était très pesant.

Je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire de ma vie et sans motivation, faire face aux difficultées pouvait se révéler un peu complex.

Aïe. Question à problème, a priori. Ça aurait été bien simple qu’il lui dise directement ce qui n’allait pas. En tout cas sa réaction donnait déjà une première information : il sentait lui-même que quelque chose n’allait pas ou pourrait être mieux. Ou en tout cas, la situation actuelle, où il communiquait peu ou pas avec les autres élèves et séchait quelques cours ne lui convenait pas complètement.

Léo prit une autre bouchée et finit ce qu’il avait en bouche avant de reprendre en y allant un peu plus franchement.

« Désolé d’avoir tué l’ambiance. En tant que senpai j’espère toujours que les première année s’en sortent bien, et cherche à les aider si je peux. »

Ce qui restait vrai. Ça lui semblait terrible qu’un élève puisse ne pas se sentir bien durant ces trois années, tant elles sont déterminantes.

« C’est déjà cool si les cours se passent bien malgré tes lacunes en japonais ! »

Shiketsu accueillait certains étudiants qui avaient fraîchement emménagé au Japon et apprenaient encore la langue. Comme Nikita du coup, mais c’était aussi le cas avec Aslinn l’année passée. Les professeurs faisaient de petits efforts pour s’assurer que tout le monde puisse suivre au mieux leurs cours. Par contre, forcément les étudiants eux, ils parlaient ensemble comme ils parlent tous les jours, et c’était sûrement plus compliqué quand on avait du mal avec le japonais. Il voyait un premier lien avec ce que lui disait Takiiro-sensei.

« Le japonais ça finira par venir. J’ai une amie dans ma classe qui était dans le même cas que toi.

Bon, elle avait des facilités d’apprentissage de langue mais c’était pour l’exemple. S’il venait de l’étranger, comme elle il n’avait pas forcément quelqu’un qui parlait japonais chez lui, qu’il vive seul ou bien avec sa famille.

Pratiquer une langue juste pour la pratiquer ce n’est pas forcément drôle mais… juste en parlant comme on fait là c’est sympa je pense ! Moi ça fait quelques années que je suis ici mais je viens d’Angleterre donc j’avais du mal à m’adapter aussi quand je suis arrivé. Je faisais du sport le week-end et ça me donnait des occasions de parler souvent avec des enfants de mon âge et sans que ce soit dans le contexte de l’école. Ça m’a beaucoup aidé.

Mais peut-être qu’il commençait à s’égarer ? Son kohai ne lui avait rien demandé sur le sujet.

« Bref ce que je veux dire c’est que moi je suis partant pour prendre d’autres cours de surf chez toi ! Et… »

Il baissait les yeux vers le gâteau.

« Tu pourras m’apprendre un jour aussi ? Je dois souvent faire à manger pour moi et ma petite sœur mais je ne suis pas très bon en pâtisserie et dessert… Enfin, si je n’en demande pas trop. Peut-être qu’on pourrait aussi inverser les rôles une fois si tu veux que je t’apprenne des choses ! »

Il cherchait tellement à placer des occasions de se retrouver qu’il commençait à se sentir un peu égoïste dans les propositions. Ça n’intéressait pas forcément Nikita de faire des plats avec du bacon. Mais c’était plus facile d’inviter quelqu’un à partager ses centres d’intérêt plutôt que de faire en sorte que quelqu’un s’intéresse aux nôtres.

La proposition convenait tout à fait à Nikita, et exprimait lui-même être partant pour en apprendre à son tour de Léo ! Il en était ravi, et ça devait se voir. Et un peu soulagé aussi.

Il s’ouvrait un peu plus, parlant de sa vie sur un bateau. Ça devait être très particulier. Il comprenait l’affinité aux sports aquatiques du coup. Par contre ça venait avec d’autres problèmes, il avait probablement été longtemps isolé. Ça pouvait être un problème pour se développer. Il restait surpris d’entendre qu’il prenait des cours de danse et avait aussi fait du go en club. Ça permettait déjà une certaine sociabilisation. Mais c’était dommage que ça ne s’applique pas aux camarades de classe.

Mais la suite le surprit encore davantage. Se sentir forcé d’être ami avec quelqu’un ? Il ne l’avait tellement jamais ressenti que ça ne lui était jamais venu à l’esprit. Et pouvait-il même considérer avoir tant de choses en commun avec Star ?

« Je ne sais pas comment étaient les gens que tu as connu à l’école avant Shiketsu, mais je me suis jamais posé la question des notes, je ne pense pas que ce soit ça qui fait qu’on s’intéresse ou non à une personne. Je n’ai pas eu le sentiment que des personnes sont devenues amis avec moi à cause des notes… Et à l’inverse j’avais parfois le sentiment que des personnes ne m’aimaient pas trop à cause de ça. Peut-être que ça crée des groupes oui. »

Il s’arrêta un bref instant pour rassembler ses pensées, plaçant un doigt sur son menton.

« Si ce ne sont pas les notes, il y aura de toute façon toujours quelque chose pour rapprocher ou écarter des personnes je pense. C’est sûr que ce n’est pas le critère le plus marrant. Mais c’est peut-être parce que tout le monde ne parle pas assez de ses passions à l’école, alors que le niveau scolaire est l’une des seules choses que nos camarades savent de nous. Je pense qu’on peut avoir plus de choses en commun avec les autres qu’on ne le croit. »

Bien sûr, ce n’est pas applicable pour chaque pair d’étudiants.

« Mais pour répondre, oui, j’ai de très bons amis à Shiketsu, et ce n’est pas une question de résultats. »

On ne parle pas beaucoup de nos passions à l’école? C’est possible, ouais. Avant, pour moi, c’était l’inverse. Où que j’allais, le seul sujet que j’avais avec les gens c’était ma vie, mes passions. A Shiketsu je n’ai jamais parlé à qui que ce soit de ma vie avant Shiketsu. Du coup je n’ai jamais parlé de mes passions non plus vu que les deux sujets sont liés. Comment tu expliques mon appétence pour les sports nautiques sans parler de ma vie sur un voilier, ou de la quantité indécente de bouquins que j’ai lu sans révéler à quel point j’étais isolé quand j’étais petit. Et mon japonais un peu nul alors que j’ai pour seule nationalité la nationalité japonaise?

Je lui jette un regard alors qu’il mentionne ses amis. Ses bons amis.

Les héros sont amenés à travailler en équipe, que ce soit avec des sidekicks ou avec d'autres héros. On fait souvent des exercices en groupe, mais ça doit être bien plus marrant avec des gens avec qui on s’entends bien.

J’ai déjà travaillé aux côtés d’une héroïne. Cela n’avait rien d'héroïsme et tenait plus de l’ordre de l’artistique, mais ça avait été une super expérience et maintenant que j’y pense je me dis que j’aimerais bien avoir des gens comme elle dans mon entourage.

- C’est cool. Merci de me parler de ces trucs. Tu me donnes une perspective que j’avais pas.

Le soleil commence à chauffer, ce serait bien de rentrer dans pas trop longtemps.

- Hum… Comme je suis le plus vieux de ma classe j’ai aussi un peu de mal avec ça. J’aimerai bien discuter plus avec les deuxième et troisième année, comme toi quoi, mais… J’dois avouer que ces histoires de Senpai et tout ça me refroidissent un peu. Tu penses que ce serait okay si j'essayais de socialiser un peu avec les classes supérieures ?

Ou se serait mal vu par mes profs, mes camarades et tous les membres de Shiketsu essentiellement.

Léo était ravi de la réaction qu’avait Nikita à ce qu’il lui disait, et qu’il y répondait sincèrement. Il espérait que ça l’aide dans son quotidien à l’école. Il but un peu d’eau avant de saisir une autre part de gâteau.

Vint la question de se sociabiliser avec ses senpai. Le britannique n’avait pas tant passer de temps avec les élèves d’année supérieure quand il était en première année. En fait sa classe lui suffisait, donc il ne se ressentait pas particulièrement ce besoin. Il accordait un temps de réflexion à tout cela avant de répondre.

« Je pense que ça peut être intéressant. Ça ne peut être qu’une bonne chose de créer des liens, que ce soit en tant que futurs collègues ou juste camarades qu’on voit tous les jours. Juste que les gens ne montrent pas tous la même sociabilité donc on se ramasse parfois, mais bon. »

Il ne fallait pas être naïf là-dessus, ce serait mentir de dire que le premier senpai qu’il va aborder au pif sera forcément un bon ami. Mais il y avait quand même un problème dans cette proposition.

« Je pense quand même que c’est plus important que tu fasses cet effort-là avec ta propre classe, tu les vois plus souvent et tu vas partager plus de choses avec eux, que ce soit des entraînements ou des sorties. Ce n’est pas marrant d’être isolé dans les activités de groupe. Une de mes amies de ma classe avait 17 ans quand elle a rejoint Shiketsu et ça n’avait pas posé problème. »

Pause le temps de mordre à nouveau dans la pâtisserie et de finir de la mâcher

« Moi je pense qu’on peut toujours trouver une personne avec qui on s’entend bien dans sa classe. Passer de zéro personne à une ça change déjà beaucoup. »

Bien qu’il n’avait pas trop ce problème, il avait bien noté l’impact que ça avait sur Star à l’époque. Même si elle aurait eu besoin de plus encore, au moins elle n’essayait plus de sauter par la fenêtre.

« Tu peux peut-être commencer par ceux des classes supérieures si ça te semble plus simple pour un premier pas, pour te sentir plus à l’aise dans l’école de façon générale. »