Trigger Warning

Zhihao observa avec curiosité le bâtiment en face duquel elle se trouvait. Elle n’avait pas vu beaucoup d’agences héroïques japonaises jusqu’ici, mais les différences avec ce à quoi elle était habituée étaient flagrantes. Vue de l’extérieur, l’agence Unravel aurait pu passer pour un immeuble de bureau ordinaire, à condition de faire exception de l’enseigne bien sûr. Le contraste avec leurs équivalents chinois – souvent des édifices intimidants aux allures de forteresse, entourés d’un no man’s land de plusieurs mètres quand leurs propriétaires pouvaient se le permettre – était frappant. Plus autant qu’il ne l’était lors des premiers jours, heureusement : elle s’était alors plus d’une fois retrouvée à vérifier qu’on lui avait bien donné la bonne adresse.

Ce n’était cependant pas parce que l’immeuble était d’apparence anodine qu’il était dénué de mesures de sécurité, tout comme il ne fallait pas se fier à la première impression présentée par la maîtresse des lieux : personne ne pouvait se hisser aussi haut dans le classement héroïque sans posséder des compétences exceptionnelles, qu’importe son choix d’armes de prédilection.

Et en parlant de ladite maîtresse des lieux, il faudrait peut-être que la militaire arrête de procrastiner et se décide enfin à aller la rencontrer, les passants commençaient à la regarder bizarrement. Oui elle était nerveuse, et alors ?! Ce n’était pas tous les jours qu’on avait l’occasion de travailler aux côtés d’une héroïne du premier centile, et en qualité de représentante d’un pays étranger de surcroît ! Évidemment, le port de son armure empêchait les quidams de se rendre compte de la réelle raison de son immobilité, et leur imagination conjurait probablement des motifs plus sinistres.

Sans rien laisser transparaître de son trouble dans sa posture, la chinoise entra finalement dans le bâtiment et se dirigea vers la réceptionniste. Elle enleva à regret son casque dans un sifflement d’air pressurisé et tendit sa licence à l’employée.

« Bonjour. Lodestone, j’ai rendez-vous avec madame Unravel au sujet d’une enquête sur un possible trafic de Trigger ? »

C’était assez étonnant : des semaines d’inaction sur ce front et puis du jour au lendemain les pistes avaient commencé à se multiplier. D’abord La Forge, et maintenant cette série d’incidents à Hosu où des petits voyous sans envergure souvent déjà connus de la police locale s’étaient soudain mis à s’attaquer à des cibles plus importantes, avant de résister à leur arrestation à l’aide d’Alters anormalement puissants. Il n’en avait pas fallu davantage pour éveiller l’intérêt des chinois, d’où sa présence ici.

Nouvelle demi-semaine de travail à temps partiel. Contrairement à certains de ses camarades qui avaient changé de tuteur suite au stage, Léo était toujours chez Unravel, la numéro 67 du classement japonais. Ce jeudi matin, il était assis sur une chaise dans le bureau de l’héroïne, patientant en balançant ses jambes au-dessus du sol.

Le bureau faisait très administratif, sobre, sans vraiment de fantaisie ou de personnalisation. Un bureau, quelques chaises pour patienter ou parler en face à face avec la propriétaire, des placards coulissants en métal cadenassés, et une lampe à pied dans un autre. Il y avait tout de même un dragonnier dans un autre coin pour ajouter un peu de couleur, et le tout était encadré par des murs blancs et un parquet légèrement bleuté. Quelques classeurs et pile de papiers devant elle, Yowa Yoya faisait un peu de paperasse en attendant la collaboratrice du jour. La gestion de tous ces papiers était un peu la face cachée de la profession, qui se trouvait être assez repoussante pour les étudiants qui la découvrait. Mais le fait de travailler aussi régulièrement avec la police lui donnait peut-être davantage de tâches administratives qu’en aurait le héros moyen, si ce n’était que la lecture de nombreux rapports.

L’interphone sur le bureau se mit à sonner, Unravel appuya sur l’un des boutons de celui-ci, et la voix de la secrétaire fit savoir que Lodestone attendait au rez-de-chaussée.

« Merci, amène-la à la salle de la réunion au premier étage s’il-te-plait, fit-elle avant de retirer son doigt pour couper la communication. On y va », dit-elle ensuite à l’étudiant en levant la tête vers lui.

Léo se leva la seconde suivante, n’ayant attendu que ça. Unravel rangea les documents sensibles et ils quittèrent le bureau pour se diriger vers ladite salle de réunion. Il fallut moins d’une minute pour s’y retrouver et rencontrer Lodestone. Récemment arrivée depuis la Chine, elle semblait porter un intérêt sur les affaires liées au Trigger.

« Bonjour, Unravel, enchantée , s’annonçait-elle. Et voici Time Breaker », ajouta-t-elle en désignant le garçon à ses côtés.

Même si cela pouvait se deviner par son physique et la casquette emblématique de son école, elle ne précisa pas qu’il était stagiaire ou étudiant : pour les personnes extérieures à l’agence, cela ne devait pas faire de différence.

« Enchanté., dit-il en s’inclinant légèrement.
- Entrez donc. »

La pièce contenait principalement une table allongée entourée d’une dizaine de chaises, avec au centre une pieuvre téléphonique. Un petit ordinateur portable y était également placé, connecté à une télévision accrochée contre le mur. Unravel s’assit à cette place, et put commencer à introduire l’affaire à l’héroïne chinoise mais aussi au britannique qui n’était pas encore mis au courant des détails.

Le Trigger. Léo en avait déjà entendu parler, notamment par Tora lorsqu’il était en stage chez les Wild, Wild Pussycats. « Une drogue qui démultiplie la puissance des Alters et fait perdre le contrôle à ceux qui en prennent ». Maintenant qu’il y pensait, cela faisait déjà un an. Toutefois il n’en avait pas vu les effets de façon si directe, et supposait bien que c’était un outil qui pouvait devenir très puissant selon l’alter de l’utilisateur.

L’affaire du jour concernait un groupe de voyous qui avaient rencontré les forces de l’ordre plus tôt dans la semaine. Malheureusement ils n’avaient pas pu être maitrisés et ont réussi à s’enfuir. Bien que leurs alters étaient déjà connus, ils ont fait preuve d’une résistance imprévue. Unravel présentait une carte des alentours où étaient indiqués les lieux où ils avaient déjà été actifs auparavant -individuellement ou en groupe-, montrant le périmètre global dans lequel on pouvait les retrouver. Malgré les hautes suspicions, l’utilisation de Trigger n’a pas pu être officiellement confirmée.

« Cela fait le tour des informations que l’on a. Lodestone, puis-je vous demander votre expérience avec le Trigger en tant qu’héroïne professionnelle ? Avez-vous un mode opératoire particulier pour ce genre de cas ? »

Ce n’était pas forcément la première fois que Yoya faisait face à des brigands dopés au Trigger, mais peut-être y’avait-il des conseils à recevoir d’une spécialiste avant de se lancer à la recherche de ces voyous.

La militaire fut promptement invitée à suivre la réceptionniste jusqu’à la salle où aurait lieu la rencontre. Il s’écoula moins de trente secondes entre l’instant où elle remercia sa guide et celui où la fameuse Unravel fit son apparition, flanquée d’un jeune garçon arborant le couvre-chef caractéristique de l’une des deux académies héroïques les plus prestigieuses du pays. Le physique atypique de ce dernier n’éveilla chez elle que peu d’intérêt comparé à son pseudonyme : les apparences pouvaient aisément être trompeuses, et si la numéro 67 pensait qu’il avait sa place dans cette discussion, qui était-elle pour la contredire ?

« Lodestone. Enchantée. » les salua-t-elle à son tour, en s’inclinant plus bas que ne l’avait fait Time Breaker. Cela pouvait paraître un peu formel mais représentait déjà un progrès par-rapport à l’attitude habituelle de ses compatriotes et collègues, que leurs homologues japonais qualifiaient parfois d’ « excessivement guindés ».

Emboîtant le pas à ses hôtes, Zhihao entra dans la salle de réunion et prit place afin d’écouter le briefing délivré par l’héroïne au yoyo. À part des informations plus détaillées sur le profil de ces criminels et les lieux qu’ils avaient tendance à fréquenter, il n’y avait pas grand-chose de nouveau depuis le topo que ses propres supérieurs lui avaient fait, mais il était toujours utile de vérifier que tout le monde était bien à la même page. Dommage que la police n’ait pas réussi à mettre la main sur une seringue usagée ou mieux, à arrêter l’un des malfaiteurs pour faire une analyse sanguine, cela aurait pu permettre de confirmer leurs soupçons, toutefois il était compréhensible que les gardiens de la paix aient été pris au dépourvu par ce surcroît de puissance. Quant aux seringues, ce n’était pas étonnant non plus : il n’était pas difficile pour un utilisateur de Trigger d’avoir accès à un moyen plus sophistiqué – et laissant moins de traces – d’administrer la substance, à condition d’être prêt à payer un peu plus cher.

« Cela fait bientôt un an et demi que j’affronte des utilisateurs de Trigger en tant qu'héroïne, près de huit ans si je compte la période précédente. » répondit la chinoise lorsqu’elle fut interrogée sur ses compétences en la matière. « Tous mes collègues y sont confrontés tôt ou tard, la substance est un fléau majeur dans notre pays ; c’est même l’une des premières causes de mortalité dans le métier. »

Elle n’allait pas leur narrer tout son CV par le menu à moins qu’ils n’en fassent la demande, mais cela devrait suffire pour établir qu’elle savait de quoi elle parlait.

« Pour ce qui est du mode opératoire, il repose sur deux principes très simples : ne jamais sous-estimer un utilisateur de Trigger et si possible le neutraliser avant qu’il n’ait le temps de s’administrer la substance, autrement les choses deviennent beaucoup plus compliquées. En cas d’échec, on avise généralement en fonction des forces et des Alters en présence ainsi que de l’environnement pour tenter soit une neutralisation rapide pour minimiser les dommages collatéraux, soit de faire durer l’affrontement jusqu’à ce que la drogue cesse de faire effet. »

Unravel devait certainement déjà savoir tout cela mais puisqu’elle avait son stagiaire ou sidekick avec elle, il était probable qu’elle traite cet échange comme un moment pédagogique. Zhihao continua donc d’exposer ce qui était pour elle la procédure standard, amendée afin de respecter les sensibilités japonaises : tout d’abord, réunir le maximum d’informations sur les Alters des suspects ainsi que ceux de leurs ascendants afin d’avoir une meilleure idée de ce qu’elle pourrait se retrouver à combattre si la situation devait dégénérer. En effet, le Trigger ne se contentait pas toujours d’amplifier l’Alter, il pouvait également éveiller des traits dormants ou causer l’apparition de facultés émergentes.

Ensuite, se servir de ces renseignements et les comparer aux effectifs à disposition pour décider s’il valait mieux attendre que lesdits suspects soient séparés les uns des autres ou tous ensemble pour procéder au coup de filet, en n’oubliant pas de les empêcher de communiquer avec leurs congénères dans le premier cas. Enfin, les suivre jusqu’à un endroit isolé – ou à défaut s’arranger avec les services de police pour évacuer les environs sans donner l’alarme à ses cibles – avant de lancer une attaque-surprise.

« Idéalement, nous aurions également des informations sur la qualité de la drogue utilisée, ce qui a des répercussions importantes sur le niveau d’amplification de l’Alter, sa durée et la sévérité des effets secondaires. Le mode d’administration de la substance est tout aussi important. Hélas, nous n'avons aucun renseignement pour l'un comme pour l'autre, mais l'élément le plus problématique serait sans doute l’attaque-surprise elle-même. »

Répondant aux questions d’Unravel, Lodestone commençait à parler de son expérience avec le Trigger. Elle semblait s’y connaître, mais en même temps, de ce qu’elle disait, ça ne pouvait en être autrement en Chine. Le fait que ce soit une des premières causes de mortalité pour le métier de héros surprit Léo.

Puis elle expliqua comment appréhender tout ça, rien ne surprit l’étudiant dans la suite du discours. Il espérait que ses compétences puissent être efficaces pour neutraliser un criminel avant qu’il ne se plante avec une seringue. Il était vrai que gagner du temps jusqu’à ce que les effets s’estompent était aussi une possibilité, il devait la garder en tête. On n’y pense pas forcément quand on est pris dans l’action. Globalement, malgré sa nature prudente, cette sensibilisation sur le Trigger ne lui a clairement pas fait de mal.

Coudes sur la table et mains jointes, l’héroïne au yo-yo avait écouté sans dire un mot. Ce que Lodestone lui avait dit croisait ce qu’elle savait. Comme elle l’avait souligné, leur manque d’information était un gros problème et demandera prudence. Elle porta à nouveau le regard vers l’écran.

« Je propose d’attaquer d’abord les vilains les plus isolés. Ce sera plus simple et on peut espérer acquérir des informations avant de s’attaquer aux plus gros morceaux. »

Quant à la méthode d’approche…

« On ne sait pas encore où les trouver au bâtiment près. Mais autant que possible, je suis dans l’idée de privilégier la surprise. Ils ont déjà refusé de se rendre par le passé, et suivant le mode d’administration, il serait dangereux de leur redemander gentiment. Toutefois, une immobilisation pourrait suffire, je préfère éviter le combat s’il n’y a pas de résistance. »

Une méthode d’approche qui n’était plus tout à fait celle de la police mais qui semblait nécessaire là où ils en étaient. C’était un sujet à prendre au sérieux pour éviter que le Trigger atteigne un impact aussi fort que sur le territoire chinois. S’ils laissaient à l’un d’entre eux l’occasion de se piquer le cou, c’était fichu. Ils n’avaient pas d’alter de détection de mensonge, impossible d’évaluer l’honnêteté d’un bandit qui prétend se rendre.

« Est-ce que cela vous convient ? »

La crainte que l’héroïne nippone refuse d’avoir recours à une attaque-surprise se révéla finalement infondée. Tant mieux, car sommer les criminels de se rendre ne ferait que leur donner du temps pour se préparer au combat et s’injecter la substance. Il y avait néanmoins un hic : afin de pouvoir prendre leurs cibles au dépourvu, encore fallait-il savoir où les trouver. En Chine, Zhihao aurait pu compter sur son accès aux multiples réseaux de surveillance employés par le gouvernement – qui non seulement espionnait les gens par caméras et drones interposés mais écumait également les réseaux sociaux, s’introduisait dans les ordinateurs personnels et pouvait transformer n’importe quel téléphone en micro-espion avant de laisser de puissantes IA passer toutes ces données au crible –, mais le Japon était plus réticent à employer des méthodes aussi dystopiques pour traquer des délinquants de bas étage, Alters dopés ou non. Il leur faudrait s'armer de patience et espérer que les renseignements déjà fournis par la police les mèneraient bien aux malfaiteurs.

« Cela me convient tout à fait. » répondit-elle lorsqu’Unravel acheva d’indiquer la marche à suivre. « Du moment qu’elles ne portent pas de protection, je peux taser deux cibles simultanément à une vingtaine de mètres, assez vite pour ne pas leur laisser le temps de réagir. Tant qu’ils ne détectent pas l’embuscade, cela devrait créer une ouverture amplement suffisante pour vous permettre de les immobiliser. »

La militaire s’interrompit un instant pour ouvrir l’une des poches de sa veste et en sortir sa police d’assurance, un boîtier électronique dont dépassaient plusieurs courtes antennes.

« Au cas où nous ne parviendrions pas à les neutraliser de suite, je propose que nous nous servions d’un brouilleur comme celui-ci pour les empêcher d’alerter leurs camarades, ou éviter qu’ils ne leur administrent la substance s’ils ont réussi à se procurer un système d’injection pouvant être activé à distance. La portée est ajustable et peut aller jusqu’à 200 mètres, mais il faudrait toutefois éviter de s’en servir à proximité d’une zone peuplée et prévoir un moyen de communication alternatif pour nous-mêmes. »

Zhihao n’avait pas besoin d’une machine pour produire un tel brouillage, elle pouvait très bien le faire elle-même, mais elle savait d’expérience qu’il valait mieux réserver cela pour le plan B. Essayer de faire trop de choses en même temps était une mauvaise idée et il y avait toujours la possibilité qu’elle soit mise hors-combat, ce qui laisserait leurs adversaire libres de prévenir leurs congénères.

Et à propos de congénères et de prévention, il faudrait peut-être qu’elle s’informe sur les capacités de Time Breaker, puisque celui-ci participerait vraisemblablement à l’opération. Elle savait déjà ce qu’Unravel pouvait faire mais n’avait pas reçu de dossier concernant son apprenti, même si son pseudonyme à lui seul obligeait à le prendre au sérieux ; un manque à rectifier au plus vite.

« Par contre, je dois vous avouer que je n’étais pas au courant de la présence de Time Breaker. » dit-elle en se tournant à moitié vers l’intéressé, de sorte à s’adresser à ses deux interlocuteurs en même temps. « Auriez-vous la bonté de m’éclairer sur vos talents ? Une forme de chronokinésie, je présume ? »

Les instructions d’Unravel convenaient, tant mieux. Lodestone avait visiblement un alter adapté à l’immobilisation à distance, ce qui se révélera pratique. Ça devait forcément l’aider dans la lutte quotidienne contre cette drogue. Était-ce parce qu’elle avait cet alter qu’elle s’y concentrait ou bien était-ce une coïncidence bienvenue ?

L’héroïne japonaise tiqua un peu à la proposition du brouilleur. Elle préférait avoir le contrôle sur toutes les technologies qui seraient utilisées. Ce n’était pas uniquement une question de confiance, mais aussi de principe, était la personne en charge de la réussite de la mission. Et puis de toute façon :

« En effet, un brouilleur permet de s’assurer d’autres problèmes. Toutefois nous avons déjà l’équipement nécessaire. La mission s’effectuera en partie en coopération avec la police, alors il conviendrait qu’on utilise les machines qu’ils proposent et dont ils se sont assurés de l’efficacité. »

Il était très possible que la police aime moyennement que les héros étrangers viennent avec leurs technologies quand ils ont déjà ce qu’il faut. L’arrivée d’Aegis de façon générale avait déjà bien fait débat. En tant que référence mondiale dans le domaine de l’héroïsme, les japonais ne sont pas forcément ouverts à l’idée de se laisser complètement guider par des étrangers.

« Il est vrai que je n’en ai pas parlé. La police sera avec nous quand on en saura plus, après qu’on ait commencé à neutraliser quelques vilains individuellement. Elle gardera tout de même une distance et se chargera principalement d’assurer la sécurité des civils proches. »

Puis Lodestone porta un regard à Léo, qui n’avait dit mot depuis qu’ils s’étaient assis. Time Warp, c’était vraiment un alter qui pouvait être long à expliquer s’il entrait dans les détails. Mais étaient-ils nécessaires ici ? Unravel tourna la tête vers lui, le laissant répondre comme il le souhaitait.

« Mon alter permet d’accélérer et ralentir le temps, soit dans une petite zone, soit juste pour moi. Et si je le fais dans une zone -pour accélérer par exemple- je peux aussi faire quelque chose de différent pour une personne à l’intérieur, comme la ralentir. Et puis je peux aussi l’arrêter mais j’ai encore un peu de mal à maîtriser ça. »

Heureusement qu’il a souvent eu à faire cette exercice. Il se souvient que les premières fois il ne savait pas aller à l’essentiel et bégayait en présentant les Individual Influences et perdait son auditoire. Et depuis son arrivée à Shiketsu, ce pouvoir évoluait régulièrement… il se demandait à quoi il finira par ressembler.

« Bien, si c’est bon pour vous, nous pouvons y aller » , déclara Yowa en reportant son regard sur leur partenaire.

Si ses paroles précédentes n’avaient donné lieu à aucune objection, la suggestion de se servir du brouilleur fut elle refusée – ou plutôt amendée – par Unravel. Il était vrai que Zhihao s’était un peu emportée et qu’elle avait ce faisant outrepassé son autorité, en plus d’avoir tenu des propos que certains pourraient interpréter comme une remise en question de la compétence des gardiens de la paix nippons, même si ce n’était pas son intention. Elle hocha donc la tête pour montrer qu’elle avait compris et remit l’objet en question dans la poche dont il était sorti.

« Mes excuses, j’ignorais si la police avait l’habitude d’employer ce genre de matériel dans des affaires comme celle-ci. »

Une ignorance compréhensible dans la mesure où, comme La Forge le lui avait fait remarquer, le Trigger était très peu utilisé au Japon et que la procédure habituelle pour la police lorsqu’elle était confrontée à des Alters dopés semblait être de déléguer la majorité de la tâche aux héros avant de passer les menottes aux criminels une fois ceux-ci neutralisés. Et comme l’infinie diversité des héros se traduisait par une toute aussi grande variété de leurs modes opératoires… Enfin, ce n’était pas comme si elle perdait quoi que ce soit au change : il y avait de fortes chances que les machines utilisées par la police locale soient les mêmes que celles employées en Chine. Il n’y avait pas un million de compagnies vendant de l’équipement homologué pour l’emploi par les forces de l’ordre, après tout.

Ce point-ci étant réglé, il était temps d’écouter l’explication de l’apprenti-héros. Et quelle explication ! Comme l’indiquait son pseudonyme, le jeune homme était effectivement un chronokinésiste, et si son Alter était aussi puissant et flexible qu’il le décrivait, sa présence leur conférerait un avantage tactique certain. Ce n’était pas pour autant une raison pour baisser sa garde, bien sûr…

Unravel donna ensuite le signal du départ pour se rendre sur le terrain, probablement après avoir fait un détour par le commissariat ou avoir passé un appel afin de s’assurer que leur groupe soit bien coordonné avec la police. Zhihao abandonna son siège et suivit le mouvement, tout en posant une dernière question : « Comptez-vous vous mettre à la recherche d’une cible en particulier ou vous attaquer à la première qui montrera le bout de son nez ? »

La militaire était curieuse de voir de quelle façon les deux autres évolueraient dans les recoins mal famés d’Hosu lorsque leur mission requérait la plus grande discrétion pour éviter que leurs cibles ne s’enfuient ou pire. Ils ne devraient pas avoir beaucoup de mal à passer inaperçus : pas de mutations ou autres traits physiques particulièrement mémorables, costumes pouvant aisément être dissimulés sous des vêtements civils… Zhihao, elle, serait forcée de passer par les toits, le port de l’armure ne se prêtant guère au jeu du déguisement. La protection était à ce prix.

Ils allaient pouvoir passer à l’étape suivante. Lodestone n’avait pas de contestation, si ce n’était une dernière question.

« On aura la réponse dans un instant » , répondit l’intéressée.

Elle se leva et sortit de la pièce, suivie par Léo. Empruntant l’ascenseur, le groupe se dirigea vers la sortie du bâtiment, non sans faire un arrêt à l’accueil. Unravel s’adressa à la secrétaire.

« On l’a bien reçu ?
- Yep yep. ♪ »

Elle prit sur le côté de son bureau un ensemble de quelques feuilles agrafées ensemble et le tendit à l’héroïne, supporté par une plaque de bois.

« Le rapport de la police sur les utilisateurs de Trigger dont il est question récemment. »

Ou plutôt, un des rapports, ce n’était pas le premier bien sûr.

« Un instant je vous prie » , fit-elle en s’adressant à Lodestone.

Elle s’adossa à un mur pour feuilleter son contenu, une jambe pliée avec pied reposant également contre le mur. Heureusement, à l’exception de son bureau où elle était supposée être assise sur un fauteuil, les murs de l’agence étaient généralement un peu foncés. Elle avait tendance à facilement prendre cette position quand elle réfléchissait ou patientait, et c’était assez salissant. En fait, les murs de l’accueil étaient plutôt clairs au début mais avaient finalement changé la tapisserie car ses chaussures finissaient par laisser des traces pénibles à nettoyer.

Le document contenait des informations très actualisées sur les activités des vilains concernés. Fraîches d’aujourd’hui, la police avait réussi à en localiser approximativement, et éventuellement à savoir ce qu’ils prévoyaient pour la journée. Heureusement que tous les citoyens à problème n’étaient pas aussi prudents que l’Alliance des Super-Vilains ou la Moriarty’s Menagerie. Bref, ces informations pouvaient être rapidement périmés, mais ils avaient ce qu’il fallait pour commencer.

« Nous allons pouvoir commencer par un duo. Il faudra récupérer un maximum d’information pour la suite. Nous allons prendre la voiture, ce sera un peu long à pied. »

Le trafic dans Hosu était rarement clément, mais en cette heure de la journée ça restera le mieux.
L’ascenseur fut à nouveau emprunté pour aller cette fois-ci au sous-sol. Le groupe put embarquer dans une voiture noire et blanche, avec Unravel au volant et Time Breaker sur le siège passager.

« Seiya Sakanoue et Shinsuke Kabeyama. Ils ont été aperçus il y a une heure dans un quartier un poil excentré du centre-ville. Pas de signe d’hostilité pour l’instant. Voici une photo de chacun d’eux. »

Elle tendit la photo à Léo et rangea le reste des documents dans la porte. Le premier était un peu grand et mince, arborant un air un peu mesquin. Le second était de taille similaire mais plus épais, ayant plutôt l’air… « bête » ? Il y avait une sorte d’absence dans ses yeux. L’apprenti se tourna vers l’arrière pour passer les photos à leur partenaire, tandis qu’Unravel avait déjà commencé à manœuvrer pour sortir du garage souterrain, non sans allumer la radio.

« Ici Unravel. Début de l’intervention pour arrêter Seiya Sakanoue et Shinsuke Kabeyama. Me confirmer leur localisation actuelle et me faire signe pour toute nouvelle information à leur sujet. »

Des communications courtes et claires, Léo s’y était habitué. Pas de s’il-te-plait, pas de merci, pas de paraphrase. Juste l’essentiel, afin de fluidifier un maximum le réseau.
Un tel effort d’organisation était toutefois rarement déployé, mais la police sollicitait au maximum ses ressources cette fois-ci, déterminée à en terminer.

Un passage par le bureau de la réceptionniste plus tard, et la chinoise eut la réponse à sa question : ils allaient sauter sur l’opportunité que la police leur présentait. Elle passa le trajet jusqu’au garage où les attendait le véhicule d’Unravel à s’interroger silencieusement sur l’intelligence de leurs cibles ; pensaient-ils vraiment pouvoir se promener en public si tôt après leur forfait, comme si de rien n’était ? Un tel excès de confiance était un symptôme typique chez nombre de petites frappes qui avaient pour la première fois accès au Trigger. C’était généralement le meilleur moment pour les cueillir, lorsque l’ivresse du succès initial leur faisait croire qu’ils étaient invincibles mais qu’ils ne disposaient pas encore de l’expérience nécessaire pour tirer pleinement avantage de leurs Alters amplifiés.

Zhihao ne se formalisa pas d’être reléguée à l’arrière de la voiture alors que Time Breaker prenait la place du passager. Elle laissa à l’apprenti-héros le temps de mémoriser les visages des criminels tandis que le véhicule s’engageait dans les rues légèrement congestionnées d’Hosu, en profitant elle-même pour passer en revue leurs casiers judiciaires ainsi que les informations du registre national des Alters les concernant.

Seiya Sakanoue, 23 ans. Sa capacité spéciale, Dishwater, lui avait valu de décrocher un boulot dans un restaurant, dont il avait été viré ensuite pour s’être servi dans la caisse. Il pouvait produire de l’eau savonneuse, en quantité à peine suffisante pour s’en servir pour faire la vaisselle – d’où le nom et l’offre d’emploi. Une fois sous l’effet de la substance par contre, son débit surpassait aisément celui d’une lance à incendie, et il s’était révélé capable de rendre une ruelle entière impraticable en quelques secondes, rendant le sol si glissant qu’il était impossible de faire un pas sans se casser la figure et générant suffisamment de mousse pour obstruer le champ de vision des policiers. Il était celui qui avait couvert la retraite du groupe, empêchant les gardiens de la paix de se lancer à leur poursuite ; sa neutralisation rendrait la fuite de ses camarades d’autant plus difficile.

Le deuxième était cependant plus dangereux : Shinsuke Kabeyama, 31 ans, connu pour un certain nombre de petits délits et d’agressions mineures, possesseur d’un pouvoir appelé Breathtaking. Un don qui, à l’état naturel, empêchait sélectivement les gens dans un rayon d’un peu moins d’un mètre autour de lui de respirer tant qu’il retenait lui-même son souffle. Le surcroît de puissance apporté par la drogue avait drastiquement agrandi son champ d’action, en plus de lui conférer une mutation de type poisson-porc-épic. Les joies du Trigger et de sa capacité à éveiller des traits dormants qui ne se manifestaient pas en temps normal et pouvaient parfois produire de redoutables synergies avec l’Alter principal… Dans le cas présent, cela lui permettait de rester beaucoup plus longtemps en apnée et le dotait de capacités défensives et offensives supplémentaires sous la forme de piquants qui, non contents d’être enduits de tétrodotoxine, pouvaient même être projetés à distance. Plusieurs policiers en avaient fait les frais et étaient encore à l’hôpital dans un état critique ; si les ambulances avaient été ne serait-ce qu’un poil plus lentes, Kabeyama serait devenu un meurtrier.

« Je suppose que nous chercherons à neutraliser Kabeyama en priorité et que s’il arrive quand même à s’injecter la substance, je devrais attirer son attention pour éviter qu’il ne vous cible ? » demanda-t-elle après un temps d’attente suffisant. Elle ponctua son propos en tapotant sa protection, plus couvrante et plus résistante que ce que portaient les deux autres héros. Elle n’avait pas l’habitude de jouer les tanks, mais elle devrait sans doute s’y résoudre ; de quoi cela aurait-il l’air si elle laissait un de ses collègues prendre le risque de finir comme un amateur de fugu malchanceux ?

La voiture s’immobilisa peu de temps après, l’équipe étant arrivée à proximité du dernier endroit où le duo avait été repéré. Au lieu de se terrer comme des rats dans les quartiers louches, les criminels avaient choisi d’aller se balader dans un quartier commerçant – pour dépenser leurs gains mal acquis peut-être –, ce qui compliquait la tâche des héros. En effet, la réaction des passants fut immédiate en reconnaissant Unravel, et la casquette caractéristique de Time Breaker attirait également son lot de regards. Paradoxalement, c’était la soldate en armure intégrale qui intéressait le moins les badauds… même si elle était sans doute plus visible de loin. Impossible de faire une filature ou de tendre une embuscade dans ces conditions, les mouvements de la foule ne manqueraient pas d’alerter les voyous s’ils s’approchaient d’eux à moins de cent mètres et si Kabeyama paniquait, il pourrait faire un carnage.

« Voilà qui me conforte dans ma décision de passer par les toits. Vous me rejoignez, ou est-ce que nous nous séparons pour le moment ? »

Bon courage à l’autre héroïne et à son apprenti s’ils choisissaient la deuxième option ; il leur faudrait probablement trouver un recoin hors de vue où enfiler discrètement une tenue moins remarquable, et avec cet attroupement qui leur collait aux basques...

D’une manière ou d’une autre, les deux criminels avaient un alter qui, sous Trigger, embêtait Léo. Sakanoue rendait le sol impraticable, ce qui était assez gênant pour que Léo puisse appliquer son alter, sa mobilité étant assez horizontale. De la même façon, s’il utilisait son alter sur lui-même pour approcher plus rapidement Kageyama, il allait aussi plus rapidement se trouver à bout de souffle. Et ce serait aussi s’exposer face à cet alter dangereux. Il allait peut-être devoir rester à distance.

La proposition de Lodestone restait intéressante. Ils avaient besoin de quelqu’un qui se mettent en avant, et ses protections lui permettaient sûrement d’éviter de se faire transpercer la peau par ces dards.

« Ça me semble être une bonne idée. »

Unravel semblait imperturbable dans sa conduite, elle ne bougeait aucun muscle si ce n’était ceux de ses bras, et écoutait et répondait à ses passagers sans le moindre changement d’expression sur son visage.

L’héroïne arrêta la voiture vers l’entrée du quartier. Difficile de ne pas attirer l’attention, toutefois ça pouvait être considéré comme de la simple patrouille pour les civils. Mais peu importe comment c’était vu, les deux cibles pouvaient être mises au courant de leur présence. Lodestone suggéra alors de passer par les toits pour être plus discret. Ce qui était aussi à considérer.

« Faîtes comme vous le souhaitez, de notre côté nous connaissons les quartiers. On saura s’approcher sans problème.
- Unravel. »

L’héroîne japonaise avait commencé à tourner les talons avant de se faire interrompre par l’étudiant.

« Est-ce que je peux suivre Lodestone ? Je pense pouvoir l’aider. »

Elle réfléchit quelques secondes. Léo était sous sa responsabilité. Mais si elle avait des sidekicks à sa disponibilité elle ne les forcerait pas à la coller aux baskets. Time Breaker avait une licence temporaire et travaillait chez elle au même titre qu’un autre employé, ce n’était pas un stagiaire. Et le peu qu’elle avait analysé de l’héroïne chinoise la laissait croire qu’elle pouvait lui faire confiance.

« Accordé.
- Merci » , répondit-il poliment.

Elle s’enfonça dans une ruelle, les laissant tous les deux. Il sortit son yo-yo et chercha un coin où il pouvait l’accrocher pour grimper. D’un coup de poignet après l’avoir fait tournoyer quelques secondes, il l’envoya en l’air afin qu’il s’enroule autour d’une rambarde du toit d’un bâtiment pas bien haut, et commença à grimper. Puis dans un deuxième temps, il l’envoya au sommet du bâtiment voisin. Avec ça, ils étaient à la hauteur moyenne des bâtiments de la zone.

« Comment vous comptiez les approcher, vous pouvez sauter directement dessus depuis cette hauteur ? »

Il voulait savoir à quoi il devait s’attendre pour garantir le succès de l’opération.

« Si j’arrive à m’approcher suffisamment sans être vu, je pourrais utiliser mon alter pour faciliter votre approche et l’immobiliser. Unravel attendra sûrement que Kageyama soit maîtrisé, et pourra directement maîtriser Sakanoue une fois que ce sera fait. »

Ce dernier devrait logiquement porter son attention sur son collègue à ce moment, laissant une opportunité en or à l’héroïne au yo-yo. De son côté, Léo se préparait à utiliser la forme ultime de la Time Room, la Stop Room. Il ne pouvait la maintenir longtemps et il ne pouvait la faire à longue distance. Mais s’il arrivait à y piéger Kabeyama juste avant qu’il ne s’injecte du Trigger, tout devrait bien se passer. Et si jamais il ne pouvait l’empêcher mais parviendrait tout de même à l’affecter en suite, son alter Breathtaking serait coupé de l’extérieur et n’affectera pas les alentours, permettant à chacun de respirer normalement le temps de clore l’opération.

« Est-ce que vous pensez que c’est mieux d’attendre de voir leur méthode d’administration ou le risque n’en vaut pas la chandelle ? Je me dis que c’est peut-être la meilleure occasion de l’apprendre mais en même temps… »

Il avait peur que la question semble absurde mais il voulait s’assurer de l’avis d’une professionnelle. Si ça dégénérait, des vies étaient en jeu.

Time Breaker fut le seul à accepter la proposition de la chinoise, Unravel préférant se reposer sur sa connaissance du terrain pour passer inaperçue. Zhihao écouta leur échange sans mot dire, puis se mit en mouvement à sa conclusion, repérant bien vite un renfoncement à l’abri des regards d’où elle put s’agripper magnétiquement à l’armature du mur le plus proche afin de gagner les toits. L’apprenti-héros ne tarda pas à la rejoindre, s’étant servi d’un yo-yo – drôle de choix d’équipement, mais pas le plus bizarre qu’elle ait jamais vu – comme grappin.

« Je peux leur sauter dessus s’il y a suffisamment de métal à proximité pour ralentir ma chute, oui, mais je préfère éviter ce genre de prise de risque. Si je prend de la hauteur, c’est surtout pour pouvoir voir sans être vue. » répondit-elle à la question du jeune homme à la casquette. Elle continua son explication tout en bondissant de toit en toit, toujours avec l’assistance de son Alter : « Normalement, dans ce genre de missions, je me rapproche graduellement du niveau du sol après avoir repéré les cibles, en évitant de me retrouver dans leur champ de vision et en attendant qu’elles se retrouvent à l’écart des civils pour frapper par derrière. L’attaque en piqué, c’est plutôt si je n’ai pas d’autre possibilité pour me dissimuler. »

Le duo continua sa progression, sans oublier d’observer périodiquement la rue en contrebas, scannant la foule à la recherche des visages des criminels. Time Breaker émit ensuite une nouvelle suggestion, une stratégie similaire à celle que la militaire avait elle-même proposé à Unravel, ce qui aurait pour résultat de soumettre les criminels à trois attaques-surprise successives, venant d’autant de directions différentes.

« L’idée a du mérite. Sakanoue et Kabeyama ne semblent pas particulièrement expérimentés ; avec le bon timing, il y a fort à parier qu’ils ne sauraient plus où donner de la tête, et nous pourrions mettre cette confusion à profit pour les neutraliser rapidement. Toutefois, le fait d’être le premier à passer à l’action vous exposerait à une contre-attaque. Avez-vous besoin d’être à découvert pour utiliser votre Alter, ou pouvez-vous vous en servir tout en restant caché ? »

Il s’agissait sûrement d’un excès de prudence de la part de Zhihao : son équipement lui permettait dans l’immense majorité des cas d’administrer un électrochoc à une vitesse telle que ses cibles n’avaient pas le temps de réagir, et entre les contractions musculaires involontaires et les effets de la décharge sur le système nerveux, celles-ci devenaient momentanément incapables de se mouvoir correctement, la durée précise de l’effet dépendant de la puissance qu’elle y avait mise. À moins qu’elles ne soient dotées d’une constitution qui les rendait résistantes à l’électrisation – ce qui n’avait pas l’air d’être le cas ici –, elle avait donc tout loisir de les re-taser autant de fois que nécessaire pour procéder à l’arrestation tout en les empêchant de s’injecter la drogue. En conséquence, il ne devrait pas y avoir de problème à laisser le jeune homme prendre les devants… sauf que ce n’était pas à elle d’en décider.

« Il vaudrait mieux que vous demandiez à Unravel, elle connaît vos capacités mieux que moi. » conclut-elle.

Autre point pertinent soulevé par l’étudiant de Shiketsu, la question du moyen d’administration utilisé par les criminels. L’approche n’était pas la même selon que la personne se servait d’une simple seringue ou d’un autre dispositif plus sophistiqué ou plus discret… Ce n’étaient donc pas les sources de migraines potentielles qui manquaient et, dans la mesure où la police n’avait pas retrouvé de seringues, il était probable que ces malfrats-là n’en utilisent pas.

« S’ils se servent d’une seringue, d’une pompe à insuline modifiée ou d’un bracelet-injecteur, l’électrochoc devrait les empêcher d’y avoir recours. S’ils ont opté pour une fausse dent avec une dose de Trigger à l’intérieur, par contre… C’est une information qu’il vaudrait mieux avoir à l’avance, oui. » opina la militaire, qui se mit à réfléchir à la façon dont ils pourraient l’obtenir. Elle scruta de nouveau le quartier marchand, étudiant la façon dont les commerces y étaient disposés, et constata avec satisfaction qu’une bonne partie d’entre eux jouxtaient l’une des nombreuses ruelles croisant la rue principale. La méthode classique devrait pouvoir marcher.

« Une fois que nous les aurons trouvés, je propose que nous les suivions jusqu’à ce qu’ils entrent dans un magasin. Si je descend sans me faire remarquer dans la ruelle attenante et qu’ils sont suffisamment près, je devrais pouvoir détecter le matériel qu’ils utilisent même à travers un mur. L’idéal serait d’être en communication avec un policier en civil qui puisse m’indiquer leur position précise. Unravel vous a-t-elle dit s’il y en avait ? Autrement... »

Son regard se porta sur le yo-yo de Time Breaker. Elle avait une petite caméra-espion dans l’une de ses poches ; pourrait-elle la transformer en caméra télescopique en la fixant à l’outil du jeune homme ?

« À moins que vous n’ayez une autre suggestion ? »

Cette utilisation du vouvoiement le perturbait un peu. À son âge, et encore plus à son âge physique, un nombre très très faible de personnes faisait ça. Il n’en avait que dans son école : Wakusei-sensei, Merutokin-sensei, et le directeur lui-même. Et dans le cas de ce dernier, ils se parlaient rarement directement.

Léo écoutait attentivement les réponses de l’experte sur sa stratégie, ses habitudes quand elle approchait des utilisateurs de Trigger. Tout lui paraissait clair et logique, il n’avait pas de précision à demander là-dessus. C’était par contre à lui d’en apporter, sur ses besoins pour réussir sa part du travail.

« Pour utiliser mon alter, ils doivent être dans mon champ de vision. Avec un bon angle je devrais pouvoir l’utiliser sans me faire repérer. Si on se sépare et que l’attention est portée sur vous un instant, ça devrait bien se passer. »

Lodestone proposa ensuite un plan plus précis. L’idée du magasin -ou équivalent- lui semblait au début contredire l’idée de les isoler pour les capturer, mais elle s’expliqua directement. Elle pouvait vraiment utiliser son alter pour détecter du matériel à travers les murs ? La versatilité d’un tel pouvoir était impressionnante. Une aide extérieure pour donner des informations sur leur position exacte pourrait être pratique, mais ça ajoutait une personne à coordonner. Il y avait peut-être plus simple ? Cette caméra de Lodestone… il y avait quelque chose à faire. Et, au regard qu’elle portait, ils semblaient penser à la même chose.

« Oui, on devrait pouvoir faire ça ! »

Descendre le yo-yo à hauteur d’une fenêtre sur le côté, ça devait se faire. Il fallait juste le bon spot.
Portant son attention sur la rue plus bas, quelque chose le tiquait. Il baissa un peu la tête, en plissant les yeux. Oui, c’était bien ce qu’il pensait.

« Ils sont là. »