Traque, course-poursuite et rock'n roll [Sarah]

Il y eut un clac, puis un blam, un clic, un argh et demi, un pshhhhhh et enfin un pof. Peu de temps séparaient ces onomatopées fort distinctes. Noah n’eut pas le temps de hurler "MAIS VOUS FOUTEZ QUOI ?" que sa vision fut obstruée par la fumée. Ses yeux se remplirent de larmes. Était-ce à cause du gaz ou à cause de son état d’esprit dans l’instant présent, nul n’aurait pu le dire. Il lutta pendant de longues secondes avant de retirer prestement son imper et de le plaquer contre ce qu’il estimait être le bas de la porte se trouvant derrière lui. Mieux valait que le propriétaire et son fils ne se rendent compte de rien. Et tant pis si derrière c’était lui qui se retrouvait enfumé.

Fort heureusement, le gaz relâché par l’héroïne s’avéra être à dissipation rapide. Ce qui rendait encore plus étrange le fait de l’utiliser en premier lieu. L’inspecteur aux yeux rouges s’avança à travers la fumée légère, passa l’embrasement de la porte ouverte par la criminelle, et se retrouva face à Mindfeel. Handoru gisait au sol, un mince filet de sang s’échappant de sa bouche.

"Elles sont vraiment faibles les Japonaises, c'est terrifiant. Dans ma jeunesse elle encaissaient bien mieux que ça. Vous en pensez quoi inspecteur bouche qui tombe ?"

"Rheu, rehuh, ueeeeeerk, arrkkrkkr, pwah. Ah ! MERDE ! Ack ! J’en pense que je vous déteeeeuheuehssete !"

Les borborygmes paniqués de Noah dissimulaient mal sa colère. Tant bien que mal, il se pencha et redressa l’évadée, afin de l’empêcher de respirer les nuées nocives alors qu’elle était inconsciente. Il s’éloigna du gros du gaz, lui passa les menottes, pour la forme, et appela un fourgon d’une pression sur une touche de son portable. En temps normal, il serait revenu au poste lui-même avec sa prise, c’était la procédure et c’était toujours plaisant. Mais là, il avait envie d’en finir le plus rapidement possible. Il avait le sentiment que, s’il rentrait au commissariat, il serait tenté de s’enfermer dans les scellés et de ne pas en ressortir avant que Mindfeel n’ait quitté le pays.

Il alla récupérer son imperméable, vérifia que le gaz ne s’était pas répandu dans le reste de la demeure, puis referma la porte ouverte par l’alter d’Handoru. Le mur redevint uni au moment ou il le referma sur lui-même. Il était désormais face à Mindfeel et son masque à gaz. Son masque à gaz. Lui qui pensait qu’il s’agissait là d’un accessoire, à la Snipe. Mais non, madame balançait du gaz sans aucune raison valable sur les suspects. Heureusement que la nature l’avait doté de quelques centimètres en plus par rapport à elle. Il n’aurait probablement pas osé dire quoi que ce soit si la blonde l’avait dépassé d’une tête.

"Écoutez-moi bien, Mindfeel ! Quoi que vous en ayez à foutre, sachez que c’est mon opération. Vos méthodes de bourrin n’ont rien à faire au Japon, mais surtout elles n’ont rien à faire dans mes enquêtes, surtout lorsque votre comportement est passable d’avoir une influence sur ma putain de paye ! Vous saviez que y’avait un putain de gosse à même pas une porte de là et vous avez lancé votre jouet merdique sans sourciller, au regard de la loi comme de la morale vous êtes un cas perdu. J’ai pas envie de bosser avec vous et y’a des chances que j’en aie pas besoin non plus. Alors voilà, la prochaine fois que vous faites preuve de violence excessive ou que vous lâchez une de vos merdes gazeuses sans que je ne vous l’ait demandé, je peux vous assurer que j’encouragerai bien fort la victime de votre caca nerveux à porter plainte et croyez bien que mon témoignage au tribunal fera que ni vous ni la cohorte de guignols suréquipés que vous avez amené avec vous depuis votre Outer Heaven du pauvre ne serez autorisé à foutre un pied au Japon, que ce soit pour combattre le crime, le commettre ou pour ACHETER UN PUTAIN DE SANDWICH."

Cela faisait bien 7 ans que Noah ne s’était pas énervé ainsi. Il en tremblait légèrement. Mindfeel avait fait remonter de mauvais souvenirs. Ceci couplé à son dégoût des alters du calibre de celui de l’agent d’Aegis… Le policier en avait gros sur le cœur. Et le voilà, brandissant un index accusateur vers le masque à gaz orné d’une perruque blonde, à quelques mètres de leur cible inconsciente.

Leur première cible sur quatre.

Les dernières répliques de la tirade de Kyanseru disparurent aussi vite qu'elles étaient venue. Tout ce qu'il restait de cette formidable explosion de colère était son corps tremblant et un doigt : un doigt patriarcal, accusateur... Le doigt rédempteur d’Abraham lui même ! Plus Sarah regardait l'inspecteur, plus la paternité avec le vieux zélote biblique était évidente : cette barbe mal rasée, ces cheveux mi-longs mal brossés, ce regard de fou furieux... Elle se trouvait bien devant un patriarche hébraïque dégénéré, un Moise du pauvre, capable de lui hurler dessus pour avoir gazé une évadé avec un dispositif aussi inoffensif que rigolo. Cet homme avait de l'allure quand il le voulait, mais là tout de suite il se montrait désespérant. Plus Mindfeel le voyait en action, plus elle comprenait le dédain des agents de terrain envers sa personne. Ce genre de mec était vraiment le tue l'amour dans n'importe quel job décent.

"C'est la première fois qu'on me hurle dessus pour une grenade aussi inoffensive, surtout face à une évadé. Vous tremblez. Vous voulez un doliprane ?"

La main de la jeune femme disparut momentanément dans une petite pharmacie, juste assez longtemps pour en sortir quelques gélules. Ce type était vraiment incroyable ! N'importe quel héros ayant plus de deux de QI aurait ralenti la cible avant de porter son coup, encore plus lorsque, comme elle, il n'avait pas de solide mutation anti -bobo ! Un coup de couteau bien placé, et pouf : plus de Mindfeel ! Elle avait vu bien assez de gens se faire massacrer à coup "d'armes improvisés" pour laisser passer quoi que ce soit, encore plus chez les évadés. Ces gens là étaient les pires ! Ils étaient traqués comme des bêtes par la société, et les proies sous stress ne se laissaient jamais faire aisément... Ce qui la surprenait vraiment avec l'inspecteur, c'était le décalage entre son intelligence et ce qu'il prêchait. Quelque chose ne tournait pas rond chez lui ! Il y avait une composante viscérale dans les émotions du bonhomme. Il n'aimait vraiment pas sa camarade, pas pour ce qu'elle avait fait mais pour ce qu'elle était. Il n'était pas à l'aise devant les gens comme elle ! Un traumatisme ? Un racisme inavoué ? Une peur des femmes ? À ce stade, rien n'était à exclure.

Boarf, il restait mignon. Et puis, c'était un bon sujet d'étude !

"Prenez du paracétamol. Sérieusement. Votre cerveau ressemble à une tête de veau sauce ravigote, donnez lui un peu d'air. C'est pas bon pour votre rythme cardiaque en plus."

La jeune femme fourra les pilules dans la main du policier avant de se recentrer sur les alentours. La gueulante de l'autre hiboux n'avait pas eu l'air d'avoir grand effet sur le voisinage. Soit les gens s'en foutaient, ce que l'alter de Mindfeel laissait fortement suggéré, soit personne ne les avaient entendu. Dans les deux cas, la zone restait sûr. Le regarde de l’héroïne se recentra finalement sur l'évadée. Elle n'avait pas reprise conscience, et c'était tant mieux. L'inspecteur l'avait déplacée pour une raison que lui seul comprenait, et il avait crût bon de lui remettre une deuxième couche sur les mains. Très bien. Pourquoi pas. Il devait avoir la trouille de la perdre si il lui mettait une dose aussi élevée. S'en était presque mignon.

"Menotter la cible une deuxième fois c'était dans le plan ou j'ai loupé quelque chose ? Boarf. Je vous fait confiance de toute façon."

Les sirènes d'un fourgon se faisaient entendre à quelques rues de là. Parfait. Mindfeel et monsieur grognon allaient pouvoir passer à autre chose. Une petite voix chuchota à la jeune femme qu'elle ferait mieux d'aller chercher son véhicule, histoire de ne pas perdre de temps, et c'est exactement ce qu'elle fit. Elle retrouva son véhicule sans grand soucis, laissant son "collègue" gérer ses compatriotes, et se dirigea vers la scène de l'interpellation à petite vitesse. C'était intéressant comme travail finalement. Elle avait perdue l'habitude de travailler avec des saintes-nitouches. L’héroïne se demanda soudainement ce que penserait le brave inspecteur des possibilités offensives de la Lawhammer avant de se raviser. Il valait mieux éviter la taquinerie ou il allait essayer de l'empêcher de manger des sandwichs. Elle ce contenta donc de ce stopper non loin d'autisto et de l'attendre, encore...

Les Japonais ! Incapables d'êtres lents au lit, inaptes à êtres vifs sur le terrain... Ils en devenaient hallucinant !

"Bon, vous montez ou je vous donne un autre doliprane ?"

Mindfeel était vraiment insoutenable. Elle avait réponse à tout, mais pas de répartie. Parler avec elle, c’était retrouver le même sentiment que d’envoyer une bonne réplique à un enfant en primaire, pour se retrouver face à un mur insurmontable qui répondait juste "Ta gueule hihi", dans un mélange de non-compréhension et de refus pur et dur d’accorder un poids quelconque aux mots prononcés à son encontre.

Elle lui proposait un médicament, cette insupportable demoiselle. Il voulait s’assurer qu’elle lui avait tourné le dos avant d’enfiler une pastille dans sa gorge, mais réalisa que dans tous les cas, elle pourrait le ressentir d’une manière ou d’une autre, et avala donc un comprimé, un air de défi dans les yeux. Voilà, il faisait exactement ce qu’elle lui demandait de faire. Ça lui apprendra.

"Menotter la cible une deuxième fois c'était dans le plan ou j'ai loupé quelque chose ? Boarf. Je vous fait confiance de toute façon."

"Je ne vois pas de quoi vous voulez parler."

Il tenait dans ses mains la paire de menottes supplémentaire que, dans son agacement, il avait enfilé à la criminelle. L’inspecteur avait fait usage de son alter pour les récupérer aussitôt que Sarah les avait mentionnées. À ce stade, il s’agrippait vraiment à n’importe quelle occasion de ne pas perdre la face.

La cavalerie arrivait. Noah laissa s’échapper un soupir de satisfaction avant d’aller se saisir de l’évadée. Mindfeel était déjà partie devant, le laissant se charger de ses collègues. Alors qu’une Vierge de Fer manipulée par deux agents spéciaux était amenée vers lui et sa proie, il profita du temps de flottement loin de l’héroïne pour sortir son téléphone et rapidement se connecter au Hero Network. Le choc de la découverte de son alter l’avait tant bouleversé qu’il ne l’avait pas fait plus tôt, d’autant qu’à cause de leur moyen de transport, il n’en avait pas la possibilité physique.

Il obtint rapidement les informations dont il avait besoin. Il verrouilla son smartphone, juste à temps pour s’adresser aux agents de récupération.

"Dépêchez une deuxième unité sur ma position d’ici dix minutes. Effectuez immédiatement le transfert de celle-ci à Kyoto si vous le pouvez, quitte à forcer un peu, n’hésitez pas à sauter une ou deux étapes. Si l’administration a envie de me crier dessus pour ça, ma porte est ouverte."

Il se redirigea vers la mentaliste, prenant tout son temps. Il était sûr que ça l’agaçait. La blonde l’attendait et se fendit d’une pique gratuite. Au fond de lui, il espérait que, même si elle ne le montrait pas, elle allait l’écouter, ne serait-ce qu’un peu. Il enfila son énorme casque noir et s’assit à l’arrière du véhicule.

"En route Lincoln, la justice n’attend pas. Vous avez déjà capturé une antilope en vrai ?"

Oui, à partir de maintenant, il l’appellerait Lincoln. Elle prenait un malin plaisir à lui coller des surnoms idiots, pour lui rendre la pareille il allait se contenter de son nom de famille stupide.

"J'ai déjà tué une antilope. C'était un animal stupide."

Sarah alluma le moteur de sa moto sans grande conviction. Elle avait l'air préoccupée, et le moins qu'on puisse dire c'est que son esprit n'était pas dans le rose. Elle n'aimait pas affronter des gens plus rapide que l'humain moyen. Son Alter n'était pas offensif pour un sou, elle en avait juste fait une utilisation intelligente, et il ne lui permettait pas de gérer des menaces pareille sans risques majeurs. Son style de combat se basait sur les armes à feu. Quand quelqu'un courait trop vite pour qu'un tir parfait lui arrache la moitié du crâne il devenait une vraie plaie, et ce n'était pas l'aide de l'inspecteur grognon qui allait la sortir des héros comme elle de cette situation. Courser le suspect était une horrible idée. Il allait falloir trouver autre chose.

Le pied de la jeune femme poussa doucement son véhicule sur le bord de la route. Elle s'inséra dans la circulation sans grande manifestation de son incroyable maîtrise des deux roues et se dirigea vers la planque du suspect numéro deux. Elle n'avait aucune envie de montrer sa présence aux curieux par une succession de manœuvre aussi risqué qu'excitante. L'évadé était trop dangereux pour jouer au chat et à la souris. Se faire entendre, c'était déjà mettre un pied dans la course poursuite. Avec un peu de chance, ils lui tomberaient dessus après une douche ou une sieste et elle n'aurait pas besoin de lui casser une jambe devant un inspecteur de police aussi offensé qu'inutile. Enfin bref...

"Je comprendrai jamais pourquoi vos huiles m'ont refusées mes tranquillisants. Ça me force à innover, et je suis fainéante. Dommage pour le suspect. On va devoir lui sauter dessus avant qu'il puisse sprinter, peut être même lui casser une jambe ou quelque chose comme ça..."

Kyanseru ne l'aimait pas. Pas grave. Si elle ne lui plaisait pas il avait juste à quitter son job. Elle n'allait pas se laisser marcher dessus par un petit inspecteur japonais qui ne connaissait rien du terrain et qui allait certainement se faire dessus devant le premier vilain un temps soit peu violent.. Bon, elle était vache, elle le savait. La psyché du sujet était ferme, résolue, malgré une tendance un peu bizarre à partir dans les tours pour des raisons inconnues. Elle lui rappelait ce gamin à l'orphelinat, celui qui avait vu son héros de père se faire exploser le crâne par Raging Buffalo lors d'un braquage de banque à l'ancienne. Lui aussi avait du mal à supporter les émotions fortes. Peut être que le beau Noah était traumatisé, peut être pas, elle s'en foutait un peu à vrai dire. La seule chose qui lui importait c'était qu'il ne se mette pas sur son chemin.

Le périphérique pointa le bout de son nez plus vite que ce que Mindfeel aurait espéré. C'était parfait. Elle allait pouvoir se taper un monologue sans que l'autre mâle ait la possibilité de lui répondre, parfait pour une petite mise au point. La jeune femme se stoppa au dernier feu rouge avant la voie rapide. Elle retira discrètement sa mitaine gauche et réaffirma la prise de ses bras tatoués sur le guidon. Elle pouvait amplement conduire à une main si elle restait à une vitesse raisonnable. Sur le périphérique la vitesse était raisonnable, surtout si son passager continuait de lui caresser les abdominaux par peur de chuter devant un camion.

Le feu passa au vert. L'héroine lança son véhicule sur la quatre voie et laissa mollement chuter sa main faible sur le bord de la cuisse de l'autre imbécile. Elle avait des points à mettre sur les « i » si elle ne voulait pas baffer son collègue Japonais avant la fin de l'opération.

"Laissez moi mettre quelques trucs au clair Kyanseru. Vos héros ont tendance à mettre leurs vies en danger pour des cacahuètes. Moi pas. Un mutant qui sprint aussi vite que notre évadé peut prendre des otages quand il le souhaite. Tout ce qu'il lui faut c'est trouver quelqu'un sur son chemin. Il contrôle le tempo, pas nous. Vous lui donnez un flingue, une lame ou une bouteille de saké et il peut massacrer tout ce qui se trouve sur son chemin sans grosses difficultés. "Mais Mindfeel, on est au Japon ici, nos criminels ne sont pas des déchets psychotiques comme les vôtres !" me rétorquerait l'imbécile qui me sert de contre exemple. Non. Juste non. Cet homme est recherché pour trois tentatives de meurtres, je suis en droit de m'attendre à du létal. Si il commence à devenir ingérable je tire, que ça vous plaise ou non."

La première sortie montra le bout de son nez et Lincoln pilota son véhicule hors du périphérique. Zone industrielle, nous voilà ! Ah ah, quelle blague... Elle détestait les usines ! Ça lui rappelait le Mexique, les cartels et les embuscades qui puaient la sueur, le sang et la roue. Elle était faites pour le grand air elle, pas pour vivre dans un enfer de machine tout droit sorti d'un film des années quatre vingt. Une zone industrielle... C'était une planque bizarre pour un mutant herbivore. L'instinct ne devait pas jouer une grande part dans la vie de cet homme. Ou peut être que si justement, et qu'il se planquait dans un coin ou les flics ne viendraient pas le chercher. Quoi qu'il en était, elle pouvait maintenant s'adresser à son passager avec une bonne vieille méthode humaine : les cordes vocales !

"Qui sait, peut être que je vous sauverai la vie au pass..."

Un piéton se sentait soudainement très mal à l'aise.

Minfeel stoppa sa phrase de sidekick afro américaine pour jeter un coup d’œil. Le suspect, caché sous un petit sweat bien coupé, la regardait avec un air tellement effrayé que s'en était comique. Il était là, sur le bord de la route, avec un sac plastique remplit de burger et une tête digne d'une peinture de la renaissance. La jeune femme stoppa son véhicule. Le mutant regarda l’héroïne, puis l'inspecteur, puis l’héroïne, puis la moto. Il prit une grande inspiration et détala, laissant au sac plastique fourré à la malbouffe le soin s'effondrer sur le sol avec un médiocre petit « splortch ». La jeune femme n'eut pas le temps de noter cet affront aux coutumes de ses ancêtres. Elle alluma les sirènes, une envie de meurtre dans les yeux. Elle détestait son karma, elle détestait sa vie, elle détestait ce pauvre connard de mutant qui ne pouvait pas s'empêcher de sortir pour se goinfrer.
Dire que cette opération venait tout juste de commencer...

Le deuxième trajet en moto était plus agréable que le précédent. Bien qu’il ne l’admettrait jamais ouvertement, Noah s’y habituait. La taille réduite du véhicule rendait leur progression bien plus fluide que celle d’une voiture. Et surtout, la jolie Sarah était bien plus inquiétante et bien plus potentiellement létale que n’importe quel deux-roues, même celui-ci qui était, à bien regarder, probablement équipé d’armes.

Quand il sentit la main de sa partenaire du jour se poser sur sa cuisse, Noah eut un soubresaut. Il en eut un second lorsque la voix de la blonde résonna dans sa tête. Quelle horreur cette saleté d’alter. Il avait beau avoir pris connaissance de cette fonction quelques minutes plus tôt sur le Hero Network, toujours était-il que c’était surprenant.

Mindfeel lui balança un laïus sur la raison de la violence derrière ses méthodes. Les agents d’Aegis avaient clairement vu des choses terribles, à en voir la manière dont la logique de l’héroïne allait directement vers la pire situation imaginable. Un évadé qui trouve un flingue après moins d’une heure de cavale, ça n’arrivait à peu près jamais, au Japon. Noah remercia intérieurement All Might, dans ce qui ressemblait à une prière. Il avait beau ne pas apprécier les héros, c’était rudement pratique d’avoir le meilleur d’entre eux sur le sol nippon. Il se chargeait des poids lourds et laissait les criminels intéressants à l’inspecteur. Des miettes goûtues, en somme.

L’œil de Noah se posa un peu partout lorsqu’ils pénétrèrent dans la zone industrielle. Enfin, ils pouvaient communiquer. Néanmoins, au vu du silence mortifère qui y régnait, ce n’était peut-être pas forcément pertinent. L’inspecteur s’inquiétait même du ronronnement à peine audible de la moto. Dans un lieu aussi peu fréquenté, ce genre de sons...

"Qui sait, peut être que je vous sauverai la vie au pass..."  

"Chut."

Noah l’avait repéré depuis quelques secondes déjà, mais c’est lorsque la femme tatouée posa son regard sur l’homme-antilope que ce dernier lâcha ses nuggets et se mit à piquer le sprint de sa vie après une demi-seconde d’hésitation qui parut infinie au trio.

"Merde le burgeeeeeeeeeer !"

Démarrage en trombe de Mindfeel. Le suspect évoluait à toute allure dans l’allée dégagée. L’intercepter serait complexe. Mais pas impossible. Noah regarda loin devant, puis devant lui. Il s’empara de son pistolet chargé aux balles de caoutchouc et l’arma. Avec ce genre de munitions, la physique des balles était un peu plus complexe à gérer. Mais ce que beaucoup, même au commissariat, tendaient à oublier, ou préféraient ignorer, c’était que Noah était incroyablement bon au tir. L’antilope privilégiait le milieu de la route. C’était parfait. Il leur restait bien 200 mètres avant que le fugitif ne soit obligé de bifurquer. C’était largement assez. La moto de Sarah talonnait le criminel, mais l’inspecteur savait pertinemment qu’elle en avait encore dans le ventre.

"Dépassez sur la droite puis faites une queue-de-poisson. Laissez de l’écart, il ne doit pas se bouffer la moto."

Aussitôt dit aussitôt fait, le véhicule accéléra comme jamais tandis que Sarah le faisait contourner le suspect. Noah se prépara mentalement. Encore cinq secondes. Quatre. Ils étaient au niveau du suspect, qui ne risquait pas un regard sur le côté ou en arrière. Trois. Ils l’avaient dépassé. Deux. La distance de sécurité avait été établie. Un. Le virage qui fit déraper la moto sur plusieurs mètres en ligne droite, la plaçant perpendiculaire à l’angle de la rue.

Zéro.

Noah sauta du véhicule en marche, l’arme à la main. Il n’eut pas le luxe de pouvoir voir la mâchoire de l’antilope se décrocher pendant son envol. Il fit feu deux fois. Un coup par jambe. Il n’avait ni le temps ni le besoin d’effectuer deux tirs par cible. Il savait qu’il avait touché. Et avant de se vautrer et de probablement perdre l’usage de ses propres jambes, il effectua un retour arrière spatial. À peine une demi-seconde. Juste histoire de légèrement flotter en l’air. Il le refit, deux-trois fois, histoire de perdre sa vélocité, avant de se laisser retomber de la hauteur d’une petite marche.

Le criminel était au sol, à moins d’un mètre de lui. Il avait fait mouche. Bien qu’il ne s’agissait que de balles anti-émeutes, ce genre de choc frontal pour un sprinteur, ça ne pardonnait pas, c’était l’équivalent d’un croche-pattes de plusieurs km/h. Reiyou Kamoshi avait bouffé le goudron et gémissait par terre. Il s’était probablement écorché les genoux, sans compter sur l’impact des balles, qui devaient avoir laissé des ecchymoses instantanées. Noah retira son casque noir et passa les menottes au criminel sans défense avant de chercher Mindfeel du regard.

"Merci Lincoln, vous avez géré sur ce coup !"

"De rien beau gosse. Toujours un plaisir de fracasser des hérétiques."

Kyanseru lui lança un regard digne d'un chiot coincé dans la litière du chat. La jeune femme éclata d'un rire tellement franc, tellement honnête, que sa moto faillit en perdre l'équilibre. Cet homme était vraiment tordant, bien plus que le Japonais moyen ! Elle l'aimait bien en fait. C'était un jouet incassable, à défaut d'être quelqu'un de sociable.

"C'est une blague, pour la paperasse."

L’héroïne descendit de son véhicule et se dirigea vers le suspect. Le mutant la regardait comme si elle était l'incarnation de Satan sur terre, quelque chose qui allait lui faire tellement mal qu'il en regretterait d'être vivant. Sa courbe psychique se montrait instable, presque comme quelqu'un sous drogue douce... Rien de vraiment surprenant pour ce profil. Ce criminel était un lâche, et son instinct de proie tout droit hérité du cervidé ne devait pas l'aider lorsqu'il s'agissait d'être courageux. Ce genre de pisse au lit n'avait aucun second degré. On était loin des maitres de l'ironie qu'elle avait croisée lors de ses arrestations au Mexique.

Pour une antilope, il s'était bien ramassé la gueule quand même. Elle aurait honte à sa place.

"Je n'aime pas trop l'angle que prend votre psyché citoyen. Vous êtes intoxiqué ?"

La jeune femme se baissa vers l'évadé, qui la regardait toujours

"Pas la peine de me regarder comme ça. Je ne mange pas d'antilope mutante. Mordez dans cette chose."

La jeune femme n'eut même pas le temps de sortir un test salivaire que l’herbivore vomit la moitié de son déjeuner, une petite quantité de liquide gastrique et ce qui ressemblait à de la bile. Plus il la regardait, plus ses yeux s'agrandissaient. Si il continuait comme ça il allait se les exploser. Mindfeel posa sa main sur la tempe de l’imbécile, et ses soubresauts se stoppèrent aussi vite qu'ils étaient venus. Il fallait vraiment avoir un petit cerveau ou être un junkie pour se ruer sur la fumette en cavale. Voilà qui expliquait pourquoi il avait fixé les forces de l'ordre dans rien dire pendant quelques longues secondes. Mindfeel était ravie. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas croisée la douce senteur du mélange adrénaline-cannabis chez un homme de cet âge.

"Un herbivore qui fume de l'herbe. Honnêtement, ça ne devrait même pas être illégal. Regardez le vomir, on dirait juste un animal qui se purge le gosier. "

Dire que l’héroïne pensait laisser les problèmes de drogues derrière elle lorsqu'elle avait quitté le Mexique... et ce con ne savait sans doute même pas la fumer proprement en plus ! Les Japonais étaient vraiment des singes !
Plus le temps passait, plus son boulot lui donnait envie de se tirer une balle.

"Non je déconne. Collons lui l'amende de sa vie."

Pourquoi fallait-il que, quand ils commençaient tout juste à être sur la même longueur d’onde, l’héroïne timbrée commence à parler de fracassage d’hérétiques. Voilà quelque chose qu’il n’avait pas souvent l’occasion d’entendre. Le Japon de ce siècle n’avait jamais été aussi peu croyant. L’inspecteur n’était pas sociologue pour un sou, mais force était de reconnaître qu’All Might avait remplacé Dieu dans l’imaginaire collectif. La question ne l’intéressant pas forcément, il ne s’était pas renseigné sur le rapport à la religion au-delà des mers nippones. Et voilà que sa négligence venait lui jouer des tours au moment où il s’y attendait le moins. Il ne savait pas quoi répondre. Sa confusion paniquée devait se lire sur son visage autant que dans son esprit, puisque Mindfeel se mit à se tordre de rire avant de le rassurer : tout ceci n’était qu’une blague.

Mouais.

"C’est comme quand Vincent dit à Heather que lui ce n’est pas des monstres qu’il voit et que juste après il dit que c’était une blague mais que l’ambiguïté est..."

Son marmonnement auto-protecteur venait de refaire surface. Il n’avait pas envie de faire face à ce genre de blagues idiotes. Mindfeel s’occupait du bestiau. Il n’avait pas la force de lui demander de ne pas brutaliser la cible, et de toute façon, cette dernière était déjà au sol et menottée. L’inspecteur s’écarta, au trot, retraçant le chemin parcouru par la moto sur la fin du trajet. Il cherchait quelque chose, au sol.

Encore un peu plus loin, toujours plus loin… Ils avaient parcouru une sacrée distance, mine de rien. Le véhicule comme le criminel avaient une sacrée capacité d’accélération.

Il arriva finalement devant le sac plastique étalé au sol. Il n’avait heureusement pas plu, et le tout était sec au possible. Le burger écrasé contre le béton gisait à côté, tandis que quelques nuggets s’étaient répandus sur le sol, éjectés de leur habitacle de carton par l’impact sur le pavement. Avec la précision et la délicatesse d’un membre de la police scientifique, il se pencha, ramassa le sac plastique du bout des doigts et le souleva du sol avec un grand sourire.

Quand il revint au niveau de l’héroïne et de sa cible, cette dernière baignait dans une flaque de vomi. Ce qui n’empêcha pas l’inspecteur de dévorer ses nuggets qui étaient encore, heureusement, chauds. Sarah s’adressa à lui, avec une certaine malice dans l’attitude.

"Un herbivore qui fume de l'herbe. Honnêtement, ça ne devrait même pas être illégal. Regardez le vomir, on dirait juste un animal qui se purge le gosier. Non je déconne. Collons lui l'amende de sa vie."

"Boah. C’est pas à nous de gérer ça. C’est à eux."

Des sirènes se firent entendre, toujours plus proches. 10 minutes pile, la grande classe. L’équipe de récupération prenait le relais à compter de maintenant, ne restait plus que deux cibles.

"Vous voulez des nuggets, Lincoln ?"

Tout en disant cela, Noah jeta dans sa bouche le dernier nugget dans sa bouche et écrasa la boîte et le sac plastique en une petite boule compacte.

"Déjolé, chais mal calculé."

Son regard hagard était posé sur la jeune femme alors qu’il mâchait mollement. C’était tout ce qu’il avait trouvé pour se venger du coup de la grenade. C’était peu glorieux, pour ainsi dire. Mais c’était tout ce qu’il avait.

Les renforts prirent contact avec Noah tandis que d’autres soulevèrent l’homme-antilope groggy.

"Envoyez une unité dans le quartier de Corellio d’ici 10 minutes. Et jetez ça à la poubelle."

Il donna à un agent pris par surprise son sac plastique avant de se diriger vers Sarah.

"La prochaine cible est Ken Suishin, notre bonhomme aux fulguro-poings. Un receleur, mais pas consommateur à ma connaissance. Il est porté sur la bagarre toutefois, préparez-vous."

Il enfila son imposant casque noir avant de se diriger vers la moto.

"Aristide nous a indiqué l’avenue des restos du quartier Corellio. Il reste une vingtaine de minutes avant que ça soit l’heure du déjeuner et que les lieux se remplissent. Le quartier est à une demi-heure de route."

Il s’assit à l’arrière, résigné, mais pourtant plein de volonté.

"Vous savez ce que ça veut dire, roulons."

Kyanseru n'avait vraiment peur de rien.

Non seulement sa gourmandise le poussait à manger des nuggets achetées, touchées et salivé par un junkie, mais il se permettait en bonus de traiter ses collègues comme de la merde... L'agent au sac plastique regardait son supérieur comme si il venait de faire caca sur la table du salon, mais ce dernier ne pouvait possiblement remarquer son dédain. Il était trop occupé à enfiler son casque au ralenti comme un Tom Cruise du pauvre ! L'inspecteur était tout de même une sacré tête de con... Sa capacité à vomir des plans complexes couplée à sa tendance à faire n'importe quoi sur le terrain accouchait d'un mélange aussi choquant qu’invraisemblable, en particulier pour ses pauvres collègues... Plus Mindfeel le regardait, plus elle comprenait l'aversion du chauve de tout à l'heure pour son "supérieur". Si il traitait vraiment tout les cols bleus comme sa poubelle personnelle, il n'était pas sur le bon chemin pour devenir la star de « patron incognito » !

Si il avait tenté un truc comme ça avec un privé d'Aegis, on lui aurait répondu d'aller se faire enculer...

"C'est une bonne chose que le quartier ciblé soit en contrebas."

Le GPS était clair : il n'était pas possible de descendre sur zone en moins de vingt minutes. Les routes se trouvaient bondées et les voies rapides étaient inadaptées pour la conduite sportive, en particulier si vous vouliez éviter un massacre. Ce n'était pas étonnant : le quartier Corellio était connu pour son âge, son attrait touristique, et ses restaurants Japonais aussi répugnants que typiques. Ce n'était clairement pas un endroit pour manœuvrer avec un bolide comme la Lawhammer ! Si Sarah voulait arriver à temps, il allait falloir réfléchir en dehors de la boite... Il allait falloir adopter une conduite plus... "héroïque" ?

Voilà quelque chose que Kyanseru n'allait pas apprécier.

La jeune femme démarra son véhicule et se dirigea lentement vers sa destination. Nul besoin de se presser, elle avait trouvée un raccourci ! Elle n'était pas certaine que l'estomac de l'inspecteur allait survivre mais c'est lui qui lui avait demandé d'être à l'heure, alors elle s'en foutait. Il n'avait qu'à pas jouer au beau gosse ténébreux devant ses collègues. La jeune femme tourna à droite, rentra dans un parking gratuit en hauteur, et stoppa sa moto devant un sacré pan de falaise. Seul une barrière de sécurité séparait les voitures du gouffre... Ce qui était bien avec les vieux quartiers, c'était la taille de leur immeubles. C'était égalitaire, harmonieux, avec quelques remous sur le trajet mais rien de bien méchant lorsque votre véhicule était calibré pour les sorties en montagnes. Il suffisait juste de presser un petit bouton, et...

"Pas le choix... Kyanseru, si vous voulez arriver à temps, accrochez vous."

L’héroïne fit vrombir son moteur. Les suspensions de sa moto se réveillèrent, le véhicule se releva soudainement avec un petit bruit ridicule, et deux pinces en métal vinrent saisirent les pieds du passager avec une force désignée pour « les suspects qui faisaient des histoires » ! Lynx aurait grogné face à cette utilisation de la sécurité enfant, mais Kyanseru n'était pas vraiment un adulte. C'était une petite chose fragile, et les petites choses fragiles se cassaient en deux lorsque l'on commençait à faire des pirouettes sur les toits Tokyoïtes. La jeune femme, revigorée, retourna son sadique visage vers son partenaire afin de lui annoncer la bonne nouvelle. C'était l'heure du grand saut !

"Accrochez vous ou mourrez."

La moto fonça, emportant avec elle une héroïne hilare et un inspecteur terrifié.

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Ken Suishin était l'incarnation du prolo asiatique. Cette manière qu'il avait de se baisser pour mater discrètement le cul d'une serveuse était tellement typique des asiatiques libidineux que l'américaine se demanda si elle n'était pas en train d'halluciner. Son Alter lui confirma que non, cet imbécile heureux rêvait bien du fessier de sa compatriote, et elle se rappela soudainement qu'un taulard dans son genre n'avait pas croisé de représentant du beau sexe depuis un petit moment. Était ce vraiment pas plaisir que l'homme s'était adossé à une terrasse en plein milieu de sa cavale ou attendait-il quelqu'un ? Dans les deux cas il était plutôt bien camouflé. Sa tête n'avait plus grand chose avec la photographie fournit par Kyanseru. Une moustache avait poussée, sans doute grâce au soin d'un coiffeur à l'Alter un peu particulier, et des lunettes cachaient plutôt efficacement son profil de pilier de bar. La jeune femme pouffa. Elle avait l'impression de dévisager une version bodybuildé d'un salary-man japonais. Son partenaire lui jeta un regard perplexe mais elle l'ignora. Ils étaient tout les deux cachés derrières une poubelle, comme des enfants de 6 ans, et ils regardaient un homme adulte mater le cul d'une serveuse. C'était vraiment le travail le plus particulier au monde.

"Je suppose que vous avez encore un plan génial derrières les fagots. Je suis toute ouïe. Surprenez moi."

Il ne s’attendait pas à une solution si extrême à leur souci de temps. Alors que la moto volait de toit en toit, Noah commença à songer au sermon qu’il allait servir à Sarah… Puis il réalisa qu’en tant que super-héroïne, ce genre de choses était tout à fait permis, tant qu’on était prêt à payer de sa poche les éventuels dégâts matériels causés par ces voltiges sur les toits. Et bien sûr, quand on avait une gigantesque organisation héroïco-militaire derrière soi pour payer les frais… C’était probablement à cause de cet accoutrement militarisé que l’inspecteur avait pendant un instant considéré cette virée en haute altitude comme illégale. Voir un type en costume moulant coloré se pencher sur la ville depuis un perchoir, telle une gargouille bariolée, ça ne choquait personne à Tokyo. Mais une femme avec un gilet pare-balle, c’était plus rare. Il se dit que Mindfeel devait probablement entendre des bribes de ses pensées et que, de son côté, elle considérait probablement que l’abondance de héros en combi serrées par rapport à ceux en tenue tactique était signe que le Japon était un pays stupide.

Mais bon. Il devait bien admettre qu’une fois la frayeur initiale passée… C’était plutôt agréable de se déplacer ainsi. On voyait la ville sous un autre angle. Néanmoins, il ne comprendrait jamais les héros qui opéraient à cette altitude en permanence. Pour un trajet, d’accord, il comprenait. Mais pour opérer sur le terrain ? Les alters volants n’étaient pas si répandus ou pratiques lors d’un crime lambda. Pour comprendre un criminel et pour résoudre une affaire, rien ne valait le fait d’avoir les pieds sur le bitume, à hauteur d’homme. Et d’ailleurs, ils s’en rapprochaient, du bitume.

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Aucun intérêt, ce Ken Suishin. Les trafiquants de drogue qui opéraient en solitaire et qui n’étaient pas consommateurs avaient rarement des profils intéressants. Quand au recel, il occupait la troisième place dans l’esprit de Noah, catégorie "Types de crimes les moins intéressants au monde", juste derrière le vol à l’étalage et les infractions de nature administrative.

En somme, un homme barbant, qui faisait de ses premières heures après sa libération des heures barbantes.

Heureusement qu’il avait des poings-fusée.

"J’ai plein de plans, mais je rappelle que le bonhomme est un chaud de la baston. Pas armé, heureusement, mais il a un alter bien bourrin qui ne sert pas qu’à cacher de la coke dans ses avants-bras."

En disant cela, il avait retiré son gilet pare-balle ainsi que son grand manteau marron avant de les poser précautionneusement à côté de lui, derrière les poubelles. Il était désormais en chemise, chemise qui commençait à être atteinte par la sueur. C’était une journée mouvementée. Il sortit de l’une de ses poches un élastique pour cheveux et attacha sa toison sombre en une queue-de-cheval avant de tirer sur un côté de sa chemise pour la faire ressortir de son pantalon. Il desserra sa ceinture d’un cran et considéra un instant ses pistolets avant de les laisser enveloppés dans son manteau, ne glissant dans sa poche arrière que son insigne. Il réfléchit un instant et fouilla à nouveau dans ses poches pour en sortir un mouchoir et un flacon de colorant rouge. Il déchira le mouchoir, le trempa dans le flacon et le roula avant de se le fourrer dans le nez, donnant l’impression qu’il avait reçu un mauvais coup dans le pif quelques temps plus tôt.

Il ressemblait désormais à un gros naze. Il décida que le gros naze qu’il était devenu s’appelait Damo Suzuki, surnommé "Dynamite Suzuki" dans le milieu. Il s’enfonça plus profondément dans l’allée, ignorant le regard de Sarah, et se redressa avant de se diriger vers la rue principale, afin d’adopter une allure naturelle et de finaliser son personnage. Il marchait avec les mains dans les poches et un air fatigué, avec toutefois un rictus de camé en coin. L’inspecteur s’avança en direction de la terrasse et fit mine de repérer Suishin. Il leva la main et s’adressa à lui, alors qu’il n’était qu’à 3 mètres de sa personne.

"Hey !"

Plus tard, il s’avéra que Suishin n’avait absolument pas vu à travers le costume de Noah ou deviné qu’il était en danger. Non, il était juste nerveux et en recherche de conflit à ce point. Sans même se lever, le criminel tendit son bras en direction de l’inspecteur. Un sifflement se fit entendre puis une mini-détonation, et l’avant-bras de Suishin fut catapulté droit devant lui, volant en direction de l’entrejambe de Noah.

Lorsqu’il reçu le choc, l’inspecteur eut l’impression que son heure était venue. Il vit en noir et blanc, puis tout blanc, puis tout noir, puis il utilisa son alter afin de restaurer l’état antérieur de son corps et ainsi réinitialiser sa douleur. Juste à temps, il s’apprêtait probablement à vomir. Recroquevillé sur lui-même, il ne voyait que le poing propulsé, gisant au sol. Il eut le réflexe de le toucher du bout des doigts avant qu’il ne soit rappelé par une force quelconque à son propriétaire, qui était en train d’effectuer un sprint à travers la rue principale. Noah se redressa, son corps intact mais son esprit toutefois fort affecté par son traumatisme, et se lança à la poursuite de sa cible, sans regarder derrière lui.

"Plan B, Mindfeel !"

Sarah avait du mal à y croire. C'était ça le plan de Noah Kyanseru, génie tactique à l'intelligence considérable ? Se déguiser en mauvais vendeur de babouche et aller aborder une cible violente et terrorisée avec un "Hey !" ? Voilà qui l'avait bien servi ! Les couilles de l'inspecteur venaient de découvrir une nouvelle notion du plaisir, l'évadé était en train de tenter de prendre la poudre d'escampette, et les civils des alentours se retrouvaient coincé dans une mise en scène aussi stupide qu'un gag des Monty Phyton... Heureusement pour la Loi et l'ordre, la plainte psychique du policier ne se prolongea pas. Une simple activation de son Alter lui remit les couilles en place, et le voilà qui repartait à la chasse ! Revenir dans le temps était vraiment pratique pour se remettre les organes en place : si l'homme avait voulu se faire de l'argent facile il serait devenu assistant chirurgien, pas flic.

"Plan B, Mindfeel !"

"Parce que il y avait un plan A bien évidemment... héhéhé..."

La jeune femme déboula de derrière les poubelles en maugréant, terrorisant au passage un enfant qui jouait non loin. Elle avait envie de taper quelque chose, et cet évadé de malheur avait des airs de punching ball géant. Quelque chose de sombre et puissant lui chuchotait de lui tirer dans les jambes, mais on était au Japon pas au Mexique. Il y avait des règles d'engagements, des avertissements à faire, des "arrêtez vous ou je tire" à placer ! Mindfeel n'avait pas de micro, elle allait donc devoir hurler. En Japonais. Elle espérait que son blabla n'était pas trop incompréhensible après son long séjour en dehors des iles, mais il allait falloir faire avec !

"Ken Suishin ! Arrête toi ! C'est terminé, tu viens de frapper un inspecteur dans les couilles ! Rend toi ou... ou je fait tomber le marteau de la justice sur ton âme de décadent !"

Le criminel sauta par dessus une barrière de sécurité, jeta au sol un serveur qui lui barrait la route, et s’engouffra dans une ruelle. Visiblement, il n'en avait pas grand chose à faire. La jeune femme tourna la tête vers son camarade avec un air désespéré.

"Ça ne va pas marcher n'est ce pas ?"

Décidément, les Japonais étaient incapable de comprendre lorsqu'ils étaient en danger ! Les deux membres des forces de l'ordre déboulèrent dans la ruelle, monsieur fulguro-poing en ligne de mire. Sarah n'aimait pas les courses poursuites. Ça se finissait toujours en fusillade, que ce soit à coup de pétards ou d'Alters, et c'était le meilleur moyen de tomber sur des renforts adverses. Peut être que Ken était vraiment seul, mais ça lui paraissait improbable... Un évadé ne se baladait pas dans les rues à cette heure dans les rues sans aucune garantie, sans aucun renfort, c'était complètement stupide !

Frapper Noah dans les couilles était complètement stupide.

La jeune femme cessa soudainement de considérer le criminel comme quelqu'un de dangereux et décida qu'elle avait mieux à faire que de courir après un débile pendant toute la sainte journée.  

"Arrête toi ou je te massacre les jambes à coup de..."

Suishin fit chuter une poubelle sous les pieds de l'héroïne pour toute réponse. Cette dernière remercia silencieusement son Alter d'avoir capté son pic d'agression et l'esquiva sans aucune difficulté. L'homme n'était pas très loquace pour un criminel en fuite, et il commençait à se lasser de courir lui aussi. Suishin était un criminel. Il savait que la meilleure défense s'était l'attaque ; il se décala donc sans dire un mot avant de pivoter vers l'arrière en moins d'une seconde, poings en avant et sourire en coin. Son cerveau hurlait le contentement d'un homme qui pensait avoir contourné son ennemi. Sarah compris immédiatement et se mit son cerveau en position.

Cet imbécile allait se prendre la baffe de sa vie, et il n'aurait que lui même à blâmer !

"Ça ne va pas marcher n'est ce pas ?"  

"Les Japonais lambdas n’en ont pas grand-chose à carrer d’être décadents, Lincoln."

Une douleur fantôme subsistait dans sa région reproductrice en dépit de l’annulation des dommages. La douleur psychologique n’était pas prête de disparaître, mais au moins il était capable de courir aussi vite que sa partenaire héroïque et que leur cible commune. Il esquivait sans trop de soucis les projectiles improvisés et autres chausse-trappes que leur envoyait Suishin. Le coup avait le mérite d’avoir poussé son attention à un niveau incroyablement élevé. Savoir que l’adversaire était prêt à viser une telle région justifiait une prudence inouïe.

Le fuyard finit par faire face, l’air incroyablement fier de lui-même. Il allait attaquer, c’était complètement évident. Les mains du policier cherchèrent ses armes, mais rien n’y faisait, il les avait laissées derrière la poubelle. Enfin, il saurait s’en sortir sans ça.

Les poings fusèrent, un pour chaque représentant de la loi, mais cette fois-ci, Noah connaissait leur vitesse de pointe. Aux aguets, il prépara sa main gauche. Lorsque le bolide ne fut plus bien loin de lui, il esquiva d’un mouvement léger de la tête tout en effleurant le poing de ses doigts. Cible verrouillée. Il se risqua à regarder à sa gauche pour voir si Sarah s’en sortait.

Elle s’en sortait rudement bien. Le projectile qui lui était destiné avait inexplicablement effectué un arc de cercle gracieux dans les airs et se dirigeait vers un Ken Suishin hébété. Le choc fut violent, le criminel chuta au sol alors que son poing droit continuait sa trajectoire rectiligne malgré le fait qu’il était rentré en collision avec son visage. Il y était probablement allé à fond pour ce tir. Mais le fait était qu’il commençait à se relever, faisant fi de son nez en sang. Noah soupira. Ils étaient trop loin pour lui mettre les menottes avant qu’il ne se relève complètement. Mindfeel allait probablement lui tirer sauvagement dans les jambes à balles réelles et…

Une idée lui vint. Il avait touché le poing-fusée, qui constituait techniquement une partie du corps de Ken. Et le "réacteur" ayant propulsé le poing ne s’était pas interrompu. Donc, s’il rembobinait la position, logiquement…

Suichin se retrouva soudainement droit sur ses appuis, comme s’il n’était jamais tombé au sol en premier lieu. Et, devant lui, se trouvait son poing droit, qu’il s’était pris dans le visage quelques secondes plus tôt, filant toujours droit. À nouveau, il se retrouva projeté au sol sous l’impact de son propre coup. Et encore. Et une dernière fois, lorsque Noah vit que ses yeux étaient clos alors qu’il entamait sa chute.

"Mince, il a perdu le contrôle de son Alter."

L’inspecteur s’avança au niveau de l’assommé et effectua une clé de bras en dépit de l’absence de poignets sur la cible. Puis, il effectua un retour arrière de l’état de l’individu, restaurant son visage ensanglanté à la normale, mais ne le réveillant pas pour le moment.

"Lincoln, vous pourriez aller chercher ses poings ? Je peux pas lui passser les menottes sinon."

"Mince, il a perdu le contrôle de son alter."

"Un drame, vraiment."

Alors comme ça les inspecteurs Japonais ne pouvaient pas utiliser leur Alters ?

Sarah pouffa. Elle n'était pas du genre à reprendre les gens sur des détails aussi stupide que "l’utilisation illégal d'Alter en légitime défense" ou le "vigilantisme", encore plus lorsqu'ils étaient déjà membre des forces de l'ordre. Un simple coup d’œil sur le visage du criminel lui indiqua que ce dernier n'était pas près de se relever. Elle et Noah l'avait assommé d'une manière simple mais efficace : personne ne se douterait de quoi que ce soit en lisant le rapport. Et puis, de toute façon, qui en aurait quelque chose du destin d'un type qui frappait les inconnus avant de leur parler ?

"Lincoln, vous pourriez aller chercher ses poings ? Je peux pas lui passer les menottes sinon."

"Pourquoi faire ? Faudrait mieux lui mettre aux pieds. J'ai pas envie de l'entendre sortir un combo rotatif en plein milieu du fourgon carcéral."

La jeune femme se tourna vers son "collègue". Qu'est ce qui pouvait bien lui passer par la tête parfois ?

"À moins, bien sur, que vous vouliez surprendre vos collègues."

Elle ne croyait pas si bien dire : le fourgon pénitentiaire se gara au bout de la ruelle sans trop de difficultés. Deux policiers de service posèrent le pied au sol et se dirigèrent vers la "scène de crime". Ils n'avaient pas l'air stressé pour un sou. Le premier discutait des crasses que lui faisait son fils, le second l'écoutait avec un air amusé. Juste des gens normaux qui faisait un métier difficile...

Un petit sourire se forma sur le visage de l'américaine. Si ils voulaient des anecdotes elle pouvait leur en donner !

"Attrapez ça. Faudrait pas les perdre."

Le premier agent attrapa ce que Sarah lui tendait sans trop se poser de questions avant de baisser les yeux. La jeune femme n'eut même pas besoin de le regarder pour entendre son cri d'horreur psychique. Elle pouffa comme une gamine avant de se diriger vers la poubelle ou elle avait garé sa moto. Heureusement pour eux, personne n'avait touché aux outils de travail de Kyanseru. Le gilet pare balle sentait désormais le porc crevé et le Shashimi passé de date, mais il valait mieux ça qu'une disparition en bonne et dût forme. Mindfeel souhaita bonne chance à l'armurier du commissariat et se cala sur sa moto, une cigarette à la bouche. Le Japon était un endroit si particulier... Calme et paisible la plupart du temps mais lorsque ça explosait des villes entières partaient en fumée en seulement quelques secondes. Les américains comme elles en savaient quelque chose.

"Pas la peine d'user de vos lèvres. Il va falloir que je vous fasse le trajet en cinq minutes ou une connerie comme ça non ?"