Traque, course-poursuite et rock'n roll [Sarah]

Voilà qu’elle questionnait ses ordres et refusait d’obtempérer. Qui l’eut cru.

"C’est d’abord une question de respect de procédure. Et c’est aussi lié au fait qu’il y avait un léger décalage entre ses deux projections, ses poings ne sont pas arrivés sur nous exactement au même moment. Je pense qu’il ne peut pas tirer les deux simultanément, donc si on le menotte et qu’il essaie de faire feu… Il va avoir bobo."

Elle le prenait pour un débutant, terrible ces héros trop sûrs d’eux.

"Et c’est pas en lui menottant les pieds qu’on va l’empêcher de tirer avec ses poings de toute façon. Le but des menottes c’est pas d’empêcher la fuite ni même la résistance, c’est de le coincer avec un bout de ferraille chiant même s’il se tire."

L’équipe de récupération arriva à ce moment. Des braves gars. C’était dommage que les criminels un peu malins et avides de chaos les prenaient pour cible. Souvent, les super-criminels étaient transportés par un fourgon escorté par un héros pro, mais en l’occurrence les quatre loustics qu’ils traquaient n’étaient pas des super-criminels, mais des criminels avec des super-pouvoirs. Apprendre la différence avait causé moult maux de tête à Noah lors de ses années à l’académie.

L’inspecteur se remit en tenue de combat en grommelant. Son approche avait déjà eu du succès par le passé, c’était dommage d’être tombé sur un taré. Holster réajusté, gilet et manteau renfilés, il était prêt pour la dernière cible. S’il pouvait en finir avec ces bêtises avant 14h, il en serait ravi. Il se dirigea vers Mindfeel en fronçant du nez à la vue de sa cigarette allumée. Quel gâchis. Et pour ce qui était de leur vitesse...

"Bof, à vrai dire il serait peut-être plus pertinent qu’on ne se presse pas. Les gens vont commencer à aller manger, comme prévu. Si on arrive à toute berzingue sans se mêler à la foule affamée, on risque de perdre la cible pour le coup."

Luttant contre son dégoût de la cigarette il s’avança au niveau de Sarah et lui montra son téléphone portable, ouvert sur une application de cartes. Noah pointa du doigt la destination qu’Aristide leur avait indiquée plus tôt ce matin, la dernière.

"Kaaso Usoh n’a pas d’Alter, mais c’est un tueur. Le seul aujourd’hui avec du sang sur les mains, d’ailleurs. Pour la petite histoire, il avait percuté quelqu’un avec sa voiture en rentrant du travail. Une mamie a vu la scène, alors il est sorti du véhicule et l’a balancée contre un muret en pierre, lui brisant la nuque sur le coup. Un jogger a débarqué dans la rue à ce moment, alors il l’a étranglé à mort. Il était en train de s’attaquer à la porte d’un voisin qui avait tout vu depuis sa fenêtre quand un héros est arrivé et l’a neutralisé. L’ironie cruelle, c’est que la victime de l’accident de voiture s’en est tirée."

Sinistre histoire. Il rangea son téléphone portable. Noah faisait confiance à Mindfeel pour avoir retenu le trajet. Et de toute façon, lui il l’avait mémorisé et elle pouvait lire dans son esprit au besoin.

"En somme, quelqu’un qui ne prévoit pas de tuer mais qui est prêt à le faire. Si ses quelques mois à l’ombre n’ont pas apaisé sa soudaine folie meurtrière, il risque probablement d’être le seul des criminels à tenter de nous faire la peau. Heureusement, on est balèzes."

Il se saisit de son casque militaire.

"Il se serait dirigé vers un immeuble en cours de rénovation. Le bonhomme travaillait dans la construction, y’a fort à parier qu’il connaisse le coin et sache quand et comment s’y déplacer pour ne pas se faire repérer par les ouvriers. En bref, on doit entrer dans l’immeuble sans se faire voir par sa personne et à partir de là, Lincoln, faudra que vous scanniez le bâtiment avec votre Alter pour détecter une émotion anormale. On progresse en faisant signe aux ouvriers de faire comme si de rien n’était et voilà. Bien sûr, on ne va pas pouvoir encercler les lieux, on risquerait de faire naître chez la cible des envies macabres. Dirigées vers les autres, ou vers lui-même, qui sait, mais en tout cas c’est à éviter."

Il avait beaucoup parlé, mais c’était le nécessaire. Ce dernier cas était probablement celui avec lequel ils devraient faire preuve de la plus grande prudence. Le policier s’apprêtait à enfiler le casque, mais un dernier détail revint à sa mémoire. Il porta son doigt sur la fossette sous son nez.

"J’oubliais. C’est Mirko qui l’a arrêté. Elle lui a foutu un coup de pied de tous les diables, ça l’a ouvert et depuis l’opération, la fossette de son nez est décalée par rapport au reste de son visage."

Il mit son casque sur sa tête et s’assit à l’arrière de la moto. Il savait que la situation était trop sérieuse pour qu’une plaisanterie soit pertinente, mais…

"Dommage que vous n’ayez pas tapé dans les nuggets, Lincoln. Vous allez avoir la dalle pendant la fin de l’opé."

Il ne pouvait pas s'en empêcher.

"C’est d’abord une question de respect de procédure. Et c’est aussi lié au fait qu’il y avait un gnagnagna entre ses deux gneugneugneu, gnagnagna gnagnagni gnougnougnu gnagnignou... Et c’est pas en lui menottant les pieds que...

Mindfeel leva les yeux aux ciels. Mon Dieu, protégez moi, cet homme était incapable de se taire !

Kyanseru était une véritable arme à feu. Ratata, ratatata... Ils ne savait pas comment s'arrêter ! Les mots sortaient de sa bouche comme des balles de 5.56. Pas un arrêt, pas un moment pour reprendre sa respiration, juste des mots. Sarah se demanda une nouvelle fois ce qu'il foutait dans la police et, pour la première fois depuis leur rencontre, la réponse lui sauta aux yeux. Son regard se recentra sur l'homme, sur sa bouche en mouvement, sur son visage mal rasé, et elle laissa ses émotions affluer dans son petit cerveau. Son cas lui semblait de plus en plus évident : L'inspecteur était un obsédé du contrôle. Il voulait diriger la discussion comme il embobinait les criminels : avec classe, retenu, et maitrise.

Cet homme voulait se sentir puissant et, chez lui, cette force se devait de passer par la déduction, l'aisance en conversation. Il voulait se sentir plus intelligent, meilleur que les autres. Lorsque cette sensation disparaissait, il paniquait : l'action qu'elle avait menée contre la cambrioleuse de tout à l'heure n'avait rien de si exceptionnelle, elle n'était même pas illégale ! Elle ne l'avait froissée que pour une seule raison : elle était inattendue. Noah Kyanseru ne supportait pas de perdre le contrôle, que ce soit de la situation ou de lui même. C'était la raison de sa distance avec elle. Son Alter incarnait son danger ultime, une véritable perte de contrôle sur patte, et il était incapable de le supporter. Si on rajoutait la face sociale qu'elle se créait, et bien... Cet homme était incapable de la gérer ! Elle avait l'impression de l'avoir mis à jour, alors que lui ne semblait pas capable de la conceptualiser. C'était un profil intéressant.

Si elle s'y prenait bien avec lui, elle pouvait l'amener à faire ce qu'elle voulait.

"Dommage que vous n’ayez pas tapé dans les nuggets, Lincoln. Vous allez avoir la dalle pendant la fin de l’opé."

Mindfeel ne pût s’empêcher de sourire.

Lorsqu'on parlait du loup, on en voyait la queue.

"Je suis une femelle. Mon débit de calorie est moins élevé que le votre."

Le jeune femme coinça sa cigarette entre ses dents et se positionna sur son véhicule. Le moteur démarra sans grand bruit et les deux compagnons d'infortunes se dirigèrent vers la prochaine intervention. Noah Kyanseru... Si Aegis avait besoin d'un policier pour couvrir quoi que ce soit, elle savait qui manipuler.

L'agent de Police venait de mettre les pieds dans quelque chose de bien sombre et il n'avait aucun moyen de s'en rendre compte.

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Mindfeel, les dents serrées autour de son mégot, regardait le chantier qui se présentait devant elle comme un vieux général devant sa dernière bataille. Il pleuvait, beaucoup, et la cigarette s'était éteinte depuis longtemps. Bien évidemment, histoire de respecter les cliché stupides, les nuages avaient décidés de se pointer pile poil au moment ou elle et inspecteur-bouche-qui-tombe allaient se mettre à traquer un meurtrier. Elle ne savait pas si elle devait en rire ou en pleurer, mais ça faisait chier. La pluie avait tendance à rendre l'odeur de la poudre insupportable.

"Votre pays c'est de la merde Kyanseru."

L'averse ne semblait pas décourager les ouvriers qui continuaient leur travail en grommelant. La jeune femme ne pût s’empêcher de remarquer le nombre de mutant dans la foule. Comme pour confirmer sa théorie un gigantesque homme éléphant la dépassa en grognant, une énorme tripotée de caisse entre les bras. Elle espérait sincèrement que l'industrie du bâtiment Japonaise n'était pas aussi corrompue que celle de ses chère Amériques ou elle ne retrouverait jamais leur prisonnier en cavale. Une simple activation de son Alter lui démontra qu'il y avait beaucoup de monde dans la zone, beaucoup de profils psychiques différents. Il était difficile de pointer une direction du doigt : c'était un chantier. Tout le monde sentait la testostérone et la force, et la petite histoire de son partenaire ne l'aidait pas plus que ça. Un homme qui massacrait à la chaine tout les témoins de son crime pouvait se révéler d'un grand sang froid et posséder un excellent sens du stress, mais il pouvait aussi être un psychotique capable de péter un câble dans les endroits les plus calmes. Mindfeel cracha son mégot par terre en grognant : elle ne savait pas quoi chercher.

"Évitons de nous séparer, je n'ai pas envie de jouer à la blondasse de film d'horreur."

Il pleuvait ! Hourra ! Il pleuvait ! Pile au moment où lui et l’héroïne-rabat-joie allaient se mettre à traquer un meurtrier ! L’excitation de Noah était à son summum, mais il parvenait à la contenir sur son visage. Personne, jamais bien personne, n’exultait sous la pluie. Même lors de réunions émouvantes, s’il pleuvait alors elles étaient douces, sans effusions. Tandis que Sarah regardait au loin en grognant et en observant le chantier, Noah, lui, prenait l’attitude qui convenait dans ce genre de situations.

Il regardait tout droit en l’air, laissant l’eau frapper à grosses gouttes son visage, formant un torrent coulant sur ses joues, puis le long de sa nuque. Son regard était sombre et mystérieux et ses bras ballants, épaules baissées.

Il avait vraiment l’air d’un crétin.

Je dois vraiment avoir l’air très très cool.

Une fois sa méditation à grand risque de rhume finie, il se recentra et se mit à progresser, accompagné par Mindfeel. L’eau dans les yeux n’aidait pas vraiment l’enquête, mais il savait toutefois rester alerte. Les mutants de chantier… À la fois techniquement une infraction aux lois de contrôle des Alters, et une preuve vivante que beaucoup d’aspects de cette loi ne fonctionnaient absolument pas en pratique. Mais Noah s’en fichait, à vrai dire. Tant qu’il avait des criminels à arrêter, tant que les mauvais se retrouvaient derrière les barreaux, alors peu importait leur raison de commettre des crimes. L’oppression systémique lui était quelque peu indifférente et ce pour une raison bien simple, bien qu’inconnue de sa personne : il y était complètement étranger.

Son regard se portait sur les individus. Se concentrer sur le sol était une perte de temps vu la pluie diluvienne qui tombait. Quelques sections du chantier étaient couvertes par les futurs plafonds de l’immeuble. Deux étages seulement à couvrir. Heureusement, et, paradoxalement, l’absence totale d’Alter de leur cible le rendrait plus suspect au milieu du véritable zoo qu’étaient les lieux. L’industrie du bâtiment était autrefois un véritable paradis pour les Yakuza, mais le modèle criminel de ces derniers avait été quasiment éradiqué lorsque le surnaturel s’était invité dans la vie de chacun. S’ils s’avéraient grincheux, les ouvriers n’allaient toutefois pas faire preuve de résistance ou tenter de leur mettre des bâtons dans les roues. Preuve s’il en était, aucun d’entre eux ne s’était mis à protester à voix haute. Ils comprenaient bien qu’un policier et une héroïne ne s’étaient pas pointés par pur plaisir pour les emmerder.

Noah trouvait que l’envie de sa partenaire de ne pas se séparer manquait de dramatisme mais était toutefois pertinente d’un point de vue tactique. Tant qu’ils prêtaient attention aux ouvriers qui empruntaient les escaliers, ils pouvaient se permettre d’avancer en duo.

"Alors, des employés-surprise récemment ?"

Un fugitif qui se réfugiait dans ce genre d’endroits était rarement dénoncé. Souvent par peur des représailles, par impossibilité matérielle… Ou parce que c’était une paire de bras en plus l’espace d’un temps, après tout. Le chef de chantier pointa du doigt le plafond au-dessus de lui. Leur gaillard se trouvait au sommet, visiblement. L’inspecteur sourit.

"On vous l’emprunte le temps d’analyser la validité de son contrat."

"Rien à foutre."

Noah avait déjà fait demi-tour pour se diriger vers le sommet de l’établissement. Alors qu’il arrivait au sommet, gravissant des escaliers jonchés de papiers et cannettes de bière vides, il manqua de se faire percuter par un homme plutôt maigre par rapport aux gros gabarits des lieux. Il portait un sac de ciment péniblement à bouts de bras, et son visage était partiellement dissimulé par le sac en question et son casque.

"Oh ! Pardon m’sieur."

"C’est rien."

L’homme s’engagea dans les escaliers descendants. L’inspecteur continua comme si de rien n’était au sommet, frappé par la pluie, faisant signe à Sarah de le suivre. Lorsque cette dernière eut atteint son niveau, il se pencha vers elle.

"Nez cassé."

L’inspecteur fit un demi-tour express avant de se ruer en direction de l’escalier. Il avait laissé de la marge au suspect afin de ne pas générer de réaction paniquée de sa part, au vu de son profil. Malheureusement, il avait surestimé la stabilité de l’individu.

"Pol..."

La bouteille brisée arriva en plein dans son abdomen. L’inspecteur fut projeté à terre. Au tournant de l’escalier, Kaaso Usoh l’avait attendu de pied ferme. Le goût du sang se propagea dans sa bouche et l’odeur sur sa chemise. Annulation. La plaie se referma… Mais le criminel aux yeux injectés de sang avait déjà bondi sur lui. Et il visait la gorge. Noah était trop lent.

Mindfeel aurait voulu hurler à Noah de ne pas tourner dans les escaliers mais c'était déjà trop tard.

Kaaso Usoh, tout sans Alter qu'il était, n'avait pas envie de retourner en prison. Quoi de plus logique ? Il venait de s'évader... Son premier coup de couteau - ou de bouteille, tout dépendait de ce que vous considérez comme un couteau - ouvrit le torse de Noah sans aucunes difficultés. Le sang gicla, et la psyché de l'inspecteur commença à hurler des suppliques en allemand. Il venait de se faire baiser comme un débutant : courir après le suspect d'une manière aussi précipitée n'était JAMAIS une bonne idée, surtout lorsque le type était incarcéré pour une série de meurtres particulièrement graphiques. Le criminel n'avait eu qu'à attendre quelques secondes pour que l'imbécile de service tombe dans le panneau. Kyanseru avait eu de la chance. Si l'évadé avait réussi à mettre la main sur une arme à feu il serait mort. Certes son Alter était impressionnant, mais on ne revenait pas en quelques secondes d'une balle qui vous explosait le crâne.

L'américaine fit le vide dans sa tête, dégaina une de ses armes et tira.

Le crâne de Kaaso explosa littéralement sur le visage de Kyanseru.

La jeune femme baissa son arme à feu : plus aucune menace ne se dressait entre elle et le roi de la douche à ciel ouvert. Le sol de l'immeuble en construction était couvert de sang, celui de Kyanseru comme de son agresseur. La balle avait touchée le pire endroit du crâne humain : le suspect s'était effondré instantanément, et sa cervelle tachait désormais le béton tout neuf installé par les ouvriers. Restait que, dans cet ensemble plus que glamour, les habits de son collègue gagnaient le pompon gore de la journée. Une déchirure, du sang, des bouts de peau... Il ressemblait à un mauvais costume d'halloween.  

"Central, ici Mindfeel, j'ai abattu un suspect que je présume être Kaaso Usoh. Il était sur le point d'égorger l'inspecteur Kyanseru. Inutile d'envoyer une ambulance, l'inspecteur va bien et le crâne du suspect est en morceau sur le sol."

Sarah eut à peine le temps de terminer son annonce qu'un gigantesque mutant déboula à leur étage. L'homme, un grand rhinocéros tatoué et dangereux, baissa les yeux vers Noah, puis vers Mindfeel, avant de remarquer le cadavre sur le sol. Il tenta de dire quelque chose mais un petit détail attira son attention : sur la jambe gauche de l'américaine, une arme de poing fumait toujours. C'était à peine perceptible, mais c'était bien là.

Il n'eut même pas le temps d'ouvrir la bouche pour demander ce qu'il venait de se passer que la jeune femme ressortait son badge d’héroïne.

"Police, cet endroit est une scène de crime. Sortez."

L'ouvrier ne se le fit pas dire deux fois. Il descendit les marches, non sans avoir produit un juron de circonstance, et partit prévenir son patron de la suite des évènements. Si il y avait un cadavre et des policiers ça voulait dire que d'autres flics allaient venir, qu'ils allaient poser des questions, et que le chantier allait encore prendre du retard. En plus, si les flics avaient dût abattre un des ouvriers, et que leurs raisons étaient valide, ça risquait de mettre le reste de l'entreprise dans l'embarra. Sarah, de son coté, se dirigea vers sa patate de collègue et lui tendit une main ferme. Elle allait le gifler, parce qu'il le méritait, avant de le réconforter comme un petit enfant.

"Ne bougez pas trop brusquement. Comment va votre ventre ?"

Une bruine rouge tomba sur le visage de l’inspecteur. Ce dernier n’eut pas à se retenir de vomir, il avait déjà vu et vécu bien pire. Mais cela ne l’empêcha pas de ressentir un grand poids dans sa poitrine alors que Kaaso s’effondra contre son corps. Noah le repoussa doucement tout en utilisant son Alter sur le pauvre bougre. C’était inutile, il savait très bien qu’il ne pouvait pas ramener les morts à la vie… Mais il estimait qu’une cervelle humaine n’avait pas à se trouver sur le sol, si possible.

Kaaso était désormais une figurine sinistre, pâle comme la mort mais dépourvu de toutes blessures apparentes. Seules les éclaboussures légères de sang sur son visage permettaient de deviner ce qui lui était arrivé.

Noah était assis au sol pendant que Sarah gérait les témoins indésirables. Il ne ressentait ni colère ni tristesse, juste de la frustration pure. Il avait voulu faire le malin devant une jolie fille et, résultat des courses, il s’était montré imprudent et s’en était pris plein la gueule, au sens propre comme au sens figuré. Et en plus, c’était plus ou moins la troisième fois que ça lui arrivait ce mois-ci.

"Ne bougez pas trop brusquement. Comment va votre ventre ?"

Noah leva les yeux sur la blonde avec un air d’une neutralité absolue. Il cligna des yeux.

Et disparut.

"Bien, j’ai complètement annulé le coup."

Il avait rembobiné sa position dans l’espace, de sorte à se retrouver dans l’embrasure de l’escalier, là où il s’était pris l’attaque, dans le dos de Mindfeel.

"Merci, vous m’avez sauvé la vie."

Il descendit l’escalier, prêt à expulser du bâtiment des ouvriers mécontents et à accueillir les nouvelles équipes sur le terrain afin de procéder à l’évacuation du corps. L'inspecteur avait désespérément besoin de se changer les idées après cet évènement qui n'était pas sans lui rappeler une vieille blessure. La différence majeure, c'était que cette fois, ce n'était pas lui qui avait dû appuyer sur la gâchette. C'était probablement pour cela qu'il s'en sortait relativement bien, niveau psychologique... Pour quelqu'un qui venait d'être poignardé avant d'avoir une cervelle lui explosant au visage à bout portant.

Une minute. En seulement une minute, l'inspecteur Noah Kyanseru venait de baiser la scène de crime. Un record à n'en point douter.

Le cadavre de Kaaso était désormais dangereusement intact : plus de bouts de cervelle sur les murs, plus de sang sur le sol, plus de point de chute impeccable et tracé. Plus de moyen de déterminer la trajectoire de la balle de Mindfeel aussi, ce qui posait problème pour tout rapport sérieux. Le projectile, de son coté, devait avoir complètement disparu. Tout ce qu'il restait c'était la douille sur le sol mais la jeune femme venait de perdre la preuve que sa balle était rentrée dans le suspect et non pas dans le mur d'un immeuble du voisinage.

Il pouvait paraitre hypocrite pour une héroïne aussi barbouze que l'américaine de se préoccuper d'une scène de crime, mais c'était justement cette manière de faire qui poussait la jeune femme à pleurer intérieurement. On ne touchait JAMAIS une scène de crime sans réfléchir PRÉCISÉMENT au scénario que l'on voulait créer. Les gens allaient lire le rapport. Les gens allaient poser des questions. Les gens pouvaient douter. Sarah détestait lorsque quelqu'un permettait aux autres de douter d'elle, de son agence, de son travail. La crédibilité, c'était le gagne pain du héros.

Elle n'allait certainement pas laisser inspecteur j'aime la pluie s'en tirer comme ça.

"Non mais c'est pas possible..."

Noah se trouvait à peine à la moitié de l'escalier que la jeune femme lui sauta dessus en hurlant. Elle l'entraina au sol aussi vite que possible, et les deux roulèrent violemment vers l'étage du dessous pour atterrir devant deux ouvriers plus que perplexe qui discutait de la tendance des flics à poser des problèmes dans leurs chantiers. Mindfeel, qui avait prit garde à rester conserver le dessus, stoppa leurs pirouettes avec un mouvement sec du bassin et plaqua ses bras tatoués contre le cou de l'inspecteur qu'elle coinça le plus rapidement possible. Elle grogna, littéralement, sur le visage de Noah avant de tourner sa tête vers les deux casses pieds. L'un avait sorti son smartphone, et la première chose qu'il filma fut un gros plan du regard de l'américaine, tandis que l'autre avait reculé en remarquant l'insigne héroïque sur l'épaule de la gaijin. Il n'avait visiblement pas envi de s'impliquer.

Sarah compris ça comme une possibilité de les envoyer se faire foutre.

"Police, cassez vous."

La jeune femme pivota son regard vers son partenaire du jour avec une vitesse toute droit sortie d'un film d'horreur. Les civils ne demandèrent pas leurs restes et évacuèrent les lieux aussi rapidement que possible. Les deux témoins venaient à peine de mettre le pied sur une marche que la jeune femme gifla son collègue, sans doute un peu trop fort. Son visage se figea et elle se mit à parler lentement, très lentement, sans jamais relâcher sa poigne autour de la gorge du japonais.  

"Écoutez moi bien inspecteur Kyanseru, vous êtes en état de choc, vous faites n'importe quoi. Vous n'allez pas descendre voir vos collègues, vous n'allez pas parler aux civils, et vous n'allez pas m'endommager la scène de crime plus longtemps. Vous allez vous ASSOIR, vous allez REPRENDRE VOS ESPRITS et vous allez vous CALMER. Si vous refusez de COOPÉRER je vous ASSOMME. Est ce que vous avez COMPRIS ?"

Sans perdre une seule seconde, la jeune femme termina sa tirade par une question plutôt simple.

"Et sinon, à part ça, qu'est ce que vous faites ce soir ?"

Alors qu’il bouffait le ciment en écoutant la tirade inutile de Mindfeel, Noah ne pouvait s’empêcher de bouillonner de rage, dents serrées, poings grattant le sol vainement.

Pour qui se prenait-elle ? Elle lui donnait des ordres, le menaçait, l’insultait… Et c’était elle qui osait lui dire qu’il avait un problème ? Cette excitée de la gâchette, cette maniaque hyper-violente, venue d’un autre pays pour lui dire à lui, inspecteur au palmarès sans pareil pour son âge, comment faire son travail et gérer sa vie ? Comment il devait vivre ses soucis, alors qu’elle venait d’abattre un homme comme on commandait une pizza ?

Alors qu’il avait mené toute ces opérations, qu’il s’était soigné, qu’il s’était occupé de toutes les formalités administratives, qu’il s’était dévoué pour commander les renforts qui arrivaient ? Elle osait lui faire un diagnostic ? Il mourait d’envie de dire le fond de sa pensée à cette truie. Cette harpie, hystérique, cinglée, absurde, dérangée, bourrine, chauffarde, malpolie, coincée, héroïne, infecte, Américaine, barbare, bête, sadique, obscène…

"Et sinon, à part ça, qu'est ce que vous faites ce soir ?"  

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L’héroïne et le flic étaient assis face-à-face dans un petit resto discret tenu par des immigrants basques, l’un des plus classe que Noah connaissait, et par là il entendait qu’il n’y servaient pas de sandwichs.

"Bon ben bon appétit hein."

Leurs assiettes venaient d’arriver. Un gigantesque os à moelle accompagné d’une souris d’agneau grosse comme un petit chien, avec une ratatouille et une purée fut déposé dans un grand plateau devant l’inspecteur. Ce dernier se saisit du piment posé au coin du plateau et en croqua un grand bout avant de le presser au-dessus du reste du plat, répandant son jus horriblement piquant sur toute sa nourriture.

Il coupa un petit bout de viande qu’il trempa dans sa purée avant de le manger. Délicieux.

"Et donc, cha fait combien de temps que t’es héroïne ? Aegis prend des gosses vachement cheunes de che que j’ai cru comprendre."

Il n’y avait plus d’affaire d’évasion qui tenait. L’inspecteur tenait à parler d’autre chose. Tant pis si il avait la bouche pleine. Il avait rangé son gilet pare-balle et son deuxième pistolet à l’armurerie, mis sa paperasse de côté et pris sa soirée.

Est-ce qu'il était vraiment tombé désespérément amoureux au cours de l'après-midi ? Juste en misère sexuelle ? Ou peut-être préférait-il entretenir des relations cordiales avec cette femme visiblement capable de caler des balles dans la caboche sans sourciller. Toujours était-il qu'il ne dégageait plus d'hostilité ouverte.

Pendant que l'inspecteur j'aime le gras balbutiait la bouche pleine, Mindfeel découpait ses trois poivrons farcis avec une précision implacable. L'objectif était le suivant : pouvoir planter sa fourchette sans problème histoire de pouvoir remonter une bouchée sans faire tomber la farce en dehors du légume ; tout ça pour pouvoir manger à un rythme raisonnable tout en continuant à parler.

Alors comme ça Aegis préférait les recrues très jeunes hein ?

Sarah se retint de faire un blague aussi grasse que l'os à moelle de l'inspecteur et se rappela que, en vérité, Kyanseru avait parfois de la crotte dans la tête. L'un des point commun à l’héroïsme dans tout les pays du monde était l'existence des enfants soldats. On formait les gens jeunes, très jeunes, parce que sur le terrain ils mourraient vite. Ce n'était pas de tout repos de jouer le rôle de poing armé de l’État lorsque le civil moyen avait le potentiel de faire sauter un immeuble. Le Japon avait beau être relativement calme, il n'échappait pas à la règle. L'élève héroïque Léo Oxton, biologiquement le plus jeune du Japon, avait douze ans et ses camarades commençaient leur cursus avec un corps et un cerveau plus aux alentours de quatorze ans. Si on avait fourni ces chiffres à n'importe service de police lambda avant l'apparition des Alters, il aurait traité le monde contemporain d’aberration éthique. Vu le monde dans lequel Sarah vivait quatorze ans, en vérité, c'était une moyenne d'âge élevé. Tout le monde savait que l'éducation martiale des futurs héros commençait bien plus tôt dans de nombreux pays, et ceux quoi qu'en dise la Loi.

Une mauvaise langue affirmerait sans problème que, en vérité, l'apparition des Alters avait exporté le principe des janissaires ottoman au monde entier mais Sarah n'était pas une mauvaise langue. Elle était une femme qui mangeait des légumes farcies.

"De droit je suis devenu héroïne à Aegis le jour ou j'ai terminé mes études. De fait je suis juste née comme ça."

La jeune femme, qui se versait un verre de vin avec son Alter sans vraiment s'en rendre compte, appuya sur un petit bouton au rebord de sa montre. L'objet s'ouvrit, laissant entrevoir deux gélules qu'elle avala sans vraiment réfléchir. L'une d'entre elle était un contraceptif bien connu, l'autre un mélange antipsychotique fait main inconnu du grand public. Il était fait pour Sarah, dans le sens ou son Alter passait son temps à dérégler les effets des médicaments plus communs. L’héroïne, qui suivait ce mélange de manière régulière, referma sa montre avec une petite pichenette de la main et but une petite gorgée de vin sans rien dire. Elle avait besoin de reprendre sa respiration.

Plus Noah baissait sa garde, plus sa collègue le voyait comme un homme difficile à gérer mais facilement manipulable.  

"Aegis est une agence héroïque à part, elle a tendance à remplir tout les aspects de votre vie parce que, une fois que vous rentrez dedans, c'est assez difficile de décider d'en sortir. C'est plus une armée qu'une entreprise en vérité, quoi qu'en dise nos papiers légaux. C'est souvent un métier familial en plus donc on a tendance à rester entre nous, en petit cercle fermé."

La jeune femme goba un bout de légume farci. C'était pas mal, mais elle avait définitivement mangé mieux en Bulgarie.

"En ce sens, on ressemble un peu aux flics."

Il était temps de retourner l'offensive.

"Quand à toi, est-ce que tu pourrais m'expliquer pourquoi un homme avec un Alter de regénération à choisi de laisser gloire et fortune sur le bord de la route pour devenir inspecteur de police à Tokyo ?"

Quelle espèce d’énergumène prenait ses cachets en plein milieu d’un restaurant à même pas 21h ? Et surtout quand les cachets en question étaient des contraceptifs et… Quelque chose que Noah ne reconnaissait pas, mais qu’il estimait ne pas être une drogue dure, au moins.

Elle cherchait à le lui montrer ? C’était une entourloupe psychologique ? Il n’y comprenait décidément rien à cette femme. Et aux femmes en général, bien qu’il ne le réalisait pas.

Naître à Aegis… Voilà qui expliquait bien des choses, mine de rien. Même les adolescents d’ici qui devenaient apprentis héros étaient exposés d’une manière moins précoce à la violence. En particulier au Japon. Quoique, de ce qu’il avait compris, la génération de héros de cette année en avait dans le ventre et une poignée d’entre eux s’étaient retrouvés propulsés dans les faits divers avant même leur période de stage, et bien avant l’obtention de leur licence provisoire. Mais cela ne changeait rien au fait que Sarah avait probablement appris à se battre bien plus tôt que quiconque à Yuei et Shiketsu.

Comme les flics ? Il comprenait l’offensive, mais avait des choses à dire à ce sujet.

"Je t’accorde que c’est dur d’en sortir et que les flics se marient souvent entre eux. Par contre, on commence l’entraînement au plus tôt vers 16 ans, c’est plus vieux que les jeunots héroïques."

Elle l’interrogeait à présent sur ses motivations. Récemment, il lui semblait que chaque femme un peu coriace lui posait les mêmes questions. Et que ces mêmes femmes semblaient déterminées à mal comprendre son Alter.

"Alors, décha, che n’est pas de la régénérachion, chest un retour arrière temporel. Ou une négachion de la réalité, comme tu veux. Mais che peux l’utilijer pour blecher, en annulant une régénératchion par egjemple. Donc chest un peu plus cochtaud que cha."

Il fit passer un bout de viande coincé dans sa gorge avec une grande gorgée d’eau avant de reprendre.

"Et sinon, pour répondre à ta question, c’est parce que pour moi la gloire c’est d’être inspecteur de police et la fortune c’est d’élucider des crimes."

Il s’empara de sa serviette, qu’il avait déjà chiffonné avant même que la nourriture ait le temps d’arriver jusqu’à eux, et s’essuya rapidement sa bouche dégoulinante de jus de viande.

"Franchement les héros ça m’ennuie au plus profond de moi. Je suis bon en baston, mais j’aime pas particulièrement ça, surtout contre les mutants. Et cumuler les casquettes de pompier, combattant, détective, agent de sécurité et égérie publicitaire… Bwaaaaarf."

L’inspecteur produisit un son fort gracieux en tirant la langue, joues gonflées, et en expirant bruyamment.

"Non, vraiment, héros ça manque de classe selon moi. Et puis, il faut bien des gens compétents dans la police, sinon l’organisation va s’effondrer."

Sans relever un instant l’énormité et la prétention de ce qu’il venait de dire, le sauveur absolu de la police japonaise s’enfila un piment entier en un croc, ne laissant derrière qu’une petite tige. Bien évidemment, il rembobinait l’état de son corps afin de ne pas subir l’horrible piquant et pleurer devant Mindfeel, mais c’était absolument invisible.

"Tiens, tu veux savoir un truc marrant ? 25 ans que je vis à Tokyo. Je n’ai jamais vu All Might en vrai. Même de loin. C’est dire à quel point les héros sont peu présents dans ma vie."

Intérieurement, il se disait que, lorsqu’un héros se pointait finalement, il s’agissait de cette paramilitaire glorifiée. Il disait la vérité quand au fait de n’avoir jamais vu All Might autrement qu’en photo et que sur des produits dérivés. C’était, pour ainsi dire, une étrangeté statistique absolue. L’écrasante majorité des Tokyoïtes avaient eu la chance de l’apercevoir au moins une fois, bondir entre deux buildings d’un saut, de loin. Pas Noah.

"J’l’ai jamais vu mais je sais qu’il est gay par contre."

Il en était convaincu, mais n’avait pas envie de déballer ses « preuves » spontanément devant Sarah. Elle demanderait gentiment, où elle n’aurait rien. Peut-être qu’elle s’en foutait, remarque.

"Gay..."

Sarah dût se retenir pour ne pas éclater de rire.

"All Might ne matte pas les parties érogènes des hommes, même inconsciemment. Je ne le suppose pas, je le sais. Mon esprit n'a pas pût s'empêcher d'aller regarder."

Noah était quand même quelqu'un de particulier : All Might et l'homosexualité, voilà deux choses qui étaient aussi éloignées que la Terre et Mars dans le champs des idées. Maintenant qu'elle y pensait, c'était bien la première fois que la jeune femme entendait un Japonais exprimer une hypothèse pareille. Peut-être qu'ils en étaient tous persuadés en secret et qu'ils évitaient d'en parler aux étrangers. Peut-être que ça venait juste du fait que l'inspecteur était un sacré morceau. Peut-être que c'était de fait un test à deux francs et que Noah, mauvais dragueur par nature, ne croyait absolument pas à ce qu'il disait.

Une chose était certaine : si All Might était un amateur de viande rouge il le cachait très bien. Un peu trop bien pour que l'hypothèse soit acceptable en vérité.

"J'ai croisé All Might deux fois dans ma vie. La première fois c'était assez insignifiant, je l'ai rencontré pour mes études, la seconde c'était sur le terrain et tu sais quoi ?"

Sarah profita de sa question rhétorique pour se désaltérer la gorge. Elle allait en avoir besoin.  

"Je n'ai jamais, de toute ma vie, croisé quelqu'un d'aussi terrifiant que cette montagne de muscle."

Le regard de la jeune femme passait de quelque chose de joueur à une émotion sérieuse, mais toute aussi ironique.

En temps que jeune psychiatre, All Might et ses effets sur la scène mondiale était l'un de ses sujet de prédiction.

"All Might est monstrueux. Son esprit est le mélange d'une volonté incassable, d'une tendance à la conquête, d'une pure folie et de quelque chose de tellement puissant que ça me fait mal au crâne rien d'y penser. Cet espèce de fanatique impose sa volonté aux autres sans même s'en rendre compte, il se contente d'exister et soudainement le monde entier tourne autour de lui. Pour te donner une idée de la teneur de la chose, sa simple présence me faisait saigner du nez à l'époque. All Might terrorise littéralement mon Alter : mon corps comprend instinctivement qu'il pourrait me tuer avec son petit doigt. Personne ne m'a fait ressentir quelque chose d'aussi désagréable depuis, pas même Monsieur Aegis."

Noah pensait certainement que la jeune femme mentait : c'était faux. Lorsque la route de Sarah croisait celle d'All Might les choses finissaient toujours par déraper. La présence du numéro un était telle, son phare psychique si visible, que l'américaine avait bien du mal à dévier son Alter de sa personne. Il était possible de contourner le problème lorsque le géant était entouré d'autres héros, mais lorsqu'ils se retrouvaient en face à face Psionic passait son temps à paniquer. Mindfeel, aussi Darwiniste qu'elle était, avait rencontré All Might deux fois durant sa courte existence et elle n'avait rien tentée : aucune manipulation, aucune séduction, aucune tentative d'utiliser le colosse à son profit. Il était juste trop terrifiant pour elle, et son inconscient détruisait ce genre de pensée au moment même ou elles commençaient à se former. All Might n'était pas un homme, c'était de fait quelque chose au dessus. Sarah n'avait aucune intention de mettre en danger son Humanité de cette manière.

En terme de partenaire, quelqu'un comme Noah lui allait beaucoup mieux.

"J'ai compris assez vite qu'All Might ne couche plus, avec personne. Son esprit a dépassé ce stade depuis longtemps. Tout ce qu'il veut maintenant c'est dominer, imposer, transcender. Il ne fantasme plus, il se contente d'exister."

La jeune femme sortit de son monologue pour engloutir une nouvelle portion de son légume farcit. Son maintien de bouche, quoi que basique, ne démontrait pas la même sauvagerie et le même barbarisme que ce que les canines de Noah révélaient à tous. Dans le fond de la pièce un serveur dévisageait l'inspecteur avec un dégout visible. Peut être que sa tendance à absorber la viande comme si il était un espèce d'alien n'était pas la plus japonaise de ses qualités.

Avec son indépendance d'esprit Noah n'avait pas grand chose de Japonais de toute façon. Il aimait penser librement, ce qui le mettait dans un espèce de trou entre son peuple et l’Amérique. Ce qu'il avait de plus Japonais, en définitive, c'était sa tendance à la bizarrerie. Voilà ce qui, entre autre, le rendait intéressant.  

"Autant dire que si tout les humains étaient comme lui notre vie serait terriblement ennuyeuse."

Sarah Lincoln était visiblement très marquée par All Might. Pas marquée comme l’étaient ses nombreux fans obsessionnels. Non, marquée, comme un rat ayant subi un choc électrique à chaque son de sonnette.

À l’entendre, elle parlait d’un vrai monstre mythique, une créature pas tout à fait humaine. Elle qui semblait tirer une certaine fierté de son Alter, ce dernier lui avait joué un mauvais tour, sur ce coup. Alors oui, peut-être que All Might était un être de lumière asexué. Mais ce dont Noah était sûr à 100 %, c’était que depuis que Tsukauchi était devenu le flic attitré du plus grand des super-héros, il recevait une quantité surprenante de cadeaux à chaque fois qu’il se rendait à la Might Tower, et sentait toujours la rose.

Enfin, c’était théoriquement de l’ordre du secret national, ça. Toute mention de la paperasse d’All Might était tenue sous secret, et même Noah n’avait pu y jeter un œil qu’en fouillant le bureau de son collègue. Ses statistiques officielles n’étaient jamais rendues publiques, à l’inverse de celles d’Endeavor, qui brandissait avec orgueil sa quantité absurde d’affaires résolues par son agence/usine à gaz. Le classement des héros était établi en fonction d’un sondage de popularité ainsi que du nombre d’intervention à succès, mais la formule précise était tenue secrète. C’était d’autant plus vrai pour ce qui avait trait aux résultats du héros n°1. Pour un être aussi puissant, se disait Noah, il est sacrément couvé. Le nom de son Alter et sa nature précise, son identité civile… Il effectuait un jeu de funambule parfait entre une accessibilité parfaite et une distance absolue avec le monde citoyen. Même un individu aussi peu intéressé par le monde héroïque que l’inspecteur Kyanseru ne pouvait qu’être impressionné.

Noah synthétisa les sentiments complexes de Sarah et de la nation après que l’héroïne ait fini son monologue.

"Ah ouais, sacré type."

L’inspecteur enfourna un bout de viande désespérément gros dans sa bouche, le mâcha et l’avala en 3 secondes chrono. Il avait fini son plat, et Mindfeel n’était pas loin. C’était désormais à son tour de prendre l’initiative, tout comme la blonde l’avait fait après leurs arrestations.

"Tu veux faire quelque chose, après ça ?"

L'américaine jeta à Noah un regard plus qu'explicite.

L'inspecteur de police était vraiment bien trop naïf pour survivre seul en ce bas monde.

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Le chambre de Sarah n'était éclairée que par une faible lampe de chevet. C'était juste assez pour que Kyanseru et la propriètaire des lieux puissent y voir quelque chose, une grande partie de la pièce étant plongée dans l'obscurité. Le radio réveil indiquait une heure trente. Il était tard. Ce qui aurait dût être une simple journée de travail avec un policier "un peu plus spécial que les autres" s'était transformée en quelque chose de bien différent. Il fallait dire que Sarah l'avait trouvé plutôt attirant ce policer avec son physique de métis et son intelligence aussi pertinente que mal placée. Elle n'avait pas eu beaucoup d'occasions de s'amuser depuis son arrivée au Japon : peut être que, avec Kyanseru, elle venait de résoudre ce problème pour un moment.

Enfin pour ça fallait-il encore qu'il se débloque l'épaule.    

"Tu n'as vraiment aucune idée de comment tu as terminé ici, non ?"

Noah maugréa une réponse pendant que l'américaine lui massait l'épaule gauche. Elle se tenait bien accroché sur son dos, à cheval dans le plus simple des appareil. Le gentil flic s'était montré vaillant après sa longue journée d'effort : son corps avait-eu du mal à supporter la soirée que la jeune femme lui avait réservée et Undo, complétement vidé après leur petite séance de jeux pour adultes, n'avait plus de quoi le soulager en réserve. C'était un peu la même chose pour Sarah : elle se payait un léger mal de crâne. La psyché de Noah c'était tout de même quelque chose ! Elle évitait les contacts trop prolongés avec les gens en règle générale mais, dans cette situation, elle n'avait pas trop le choix. Il fallait bien avouer que, dans les moments intimes, sa capacité à "rentrer" dans l'esprit des autres était on ne peut plus agréable.

Quel dommage que ce soit l'exact inverse le reste du temps...  

"Pauvre pauvre garçon..."

L'inspecteur cachait bien son jeu niveau physique. Il portait des habits trop amples et son manteau ne le mettait pas en valeur. C'était volontaire bien entendu, mais ça cachait un peu trop son corps de combattant au gout de l'américaine. Son dos était agréable à regarder. C'était dommage qu'il n'en joue pas comme certains de ses collègues plus costard-cravates, avec leurs bretelles et leurs holsters sur le coté. Dans le style 1980 - 90, Noah avait piqué le pire. Si ce petit flirt nocturne devenait plus sérieux elle s'attarderait à régler ce problème.

La jeune femme se retint de claquer une certaine zone érogène de sa conquête avant de relâcher doucement la pression qu'elle faisait peser sur son épaule. Il était tard, et ils travaillaient tout les deux demain. Mieux valait rester raisonnable.

"Tu passes le reste de la nuit avec moi ou tu préfères t’enfuir comme un voleur ?"