T'es bien loin de chez toi [PV Satoru]

Il a décroché rapidement. Je m’attendais à ce qu’il me fasse un signe, ou me demande d’en faire un, mais il a préféfé me dire où le trouver.

"Attendez, il…"

N’y avait qu’un terrain à droite, par rapport au groupe de tai-chi. Et rien derrière, ils étaient déjà la ligne la plus éloignée. Est-ce que j’avais mal compris ? Ou est-ce qu’il regardait dans l’autre sens, plutôt. Si on se retournait, les instructions faisaient beaucoup plus de sens. Et il y avait justement un type tout seul sur le terrain en question, qui avait l’air de regarder autour de lui. Aucun moyen de savoir que c’était lui avec certitude, mais il fallait bien y aller. J’ai traversé le parc d’un pas rapide.

Il portait la même casquette et les mêmes lunettes rouges que lors de notre première rencontre. Pas de doute, c’était lui. Il n’avait pas mis le masque cette fois, c’était l’occasion de voir un peu son visage. Peau claire, barbe courte mal rasée, et une grosse cicatrice, il n’avait pas l’air commode. Mais il n’avait pas non plus l’air énervé, ou impatient, sa bouche était détendue en une moue plutôt neutre. C’était, quelque part rassurant. S’il était calme, il y avait moins de chances qu’il soit en train de planifier quelque chose de suspect. Et de toute façon, nous étions en plein lieu publique.

"Bonjour !"

Je l’ai apostrophé dès que j’ai été à portée de voix, en accompagnant la parole d’un geste de la main. Si ce n’était finalement pas lui, il m’enverrait chier et tant pis. Peut-être même que le vrai me remarquerait et viendrait.

"C’est bien vous, euh…"

Mes pas ont ralenti alors que je m’approchais et ma main s’est baissée. Merde, il ne s’était jamais présenté, et il n’y avait pas de nom sur sa carte. Je ne m’étais pas présentée non plus. Pas même de faux noms ou de pseudos.

"Comment vous voulez que je vous appelle ?"

C'était bien lui. Et maintenant que j'avais l'occasion d'échanger quelques mots avec l'esprit un peu plus clair, je réalisais qu'il était un peu perché, ou un sacré plaisantin. Ou les deux. Je me méfiais déjà donc rien de nouveau, mais cela ne contribuait pas à me rassurer. J'ai remis mon sac en place sur mon épaule comme si ça changeait la moindre chose avant de finalement m'immobiliser devant lui, à trois mètres. Plutôt un rigolo, à croire ce qu'il racontait. Je pouvais aussi bien sourire ou grimacer, avec le masque il ne verrait rien, alors je n'ai rien fait pour cacher mon sourire gêné.

"Enchantée…"

Je n'ai pas pu me résoudre à prononcer son nom. C'était clairement un faux nom, ce avec quoi je n'avais pas de problème ; mais quitte à se choisir un pseudonyme, il aurait pu en choisir un plus classe. Il n'y avait vraiment pas de quoi être fier comme il l'était. M'enfin, j'allais pas le juger pour ça, c'était peut-être de l'impro. Ou ça avait un sens particulier. On sait jamais avec les alias. Et celui qu'il m'a choisie était pas si mal. Miss Yokohama. Bon, c'est nul, mais au moins ça veut dire quelque chose en japonais. C'est pas fascinant mais ça se retient bien. Comme Toto… Donc c'était tout aussi nul, en fait.

Mais peu importe, il était temps de passer aux choses sérieuses. J'ai pris mon sac à la main et commencé à l'ouvrir, ce qui veut aussi dire que j'ai brisé le contact visuel un moment. Si il me regardait. Difficile de savoir avec ses grosses lunettes noires.

"Ça arrive. Je…"

Quoi lui dire ? Que j'étais reporter, et que m'exposer au risque faisait partie du travail ? Que je connaissais des gens dangereux, et que les situations tendues me suivraient quoi qu'il arrive ? Ou que j'avais juste la poisse ? Les trois étaient vrais, mais soit ils en disaient trop sur moi, soit ils sonnaient un peu ridicule. Finalement je me suis redressée, avec désormais un sabre en mousse dans les mains. C'était une arme d'entraînement pour enfants, parfaitement inoffensive, mais elle serait parfaite pour apprendre à me défendre.

"Il y a des choses que je dois absolument faire, et ça ne plaît pas à tout le monde."

Oulah, ça sonnait très sinistre, ça. Je me suis empressée de corriger.

"Je ne veux blesser personne, attention. Mais je ne veux pas non plus que les autres profitent de leur force pour essayer de me contrôler."

Voilà, c'était mieux.

"Oh, euh…"

C'était vraiment à ça que ça ressemblait ? Enfin, je veux dire, oui, le sabre en mousse ressemble à un sabre, mais j'avais vraiment l'air d'une yakuza prête à se trimbaler avec une arme blanche en pleine rue ? On ne connaît jamais vraiment les gens, mais il y a peut-être des limites.

Mes bras se sont détendus un peu involontairement alors qu'il se levait. Il me charriait, c'était évident avec ce qu'il avait ajouté, mais je me sentais quand même affectée. Pour qu'il se moque comme ça, et je veux bien dire de cette façon précise, alors que j'essayais sérieusement de reprendre le contrôle de ma vie, c'est qu'il ne me prenait pas trop au sérieux. Et difficile de lui donner tord, d'ailleurs.

"Non, mais j'ai…"

Une épée énergétique, ou un sabre-laser, je ne sais pas. Une arme capable de couper à travers le métal sans grande résistance, quelque chose de dangereux et meurtrier, plus terrifiant que tes petits tours de lancer de casque. Mais je ne pouvais pas vraiment le dire, ça. Je l'avais pris à ma sœur, c'était donc complètement illégal. Et je ne voulais pas risquer que quelqu'un sache que je l'ai et tente de me le voler à son tour. Ma voix s'est faite un peu plus faible et j'ai commencé à regarder le sol. Avec de la chance, il prendrait ça pour un genre de gêne.

"… Une matraque télescopique. Mais je voulais pas la sortir, et pas non plus risquer de blesser quelqu'un par accident, alors j'ai pris ce que j'ai trouvé de plus proche."

J'ai finalement baissé le sabre en mousse complètement. Il n'avait pas exactement l'air de se mettre en position de combat, et je sais d'expérience que les sabres, même faux, peuvent être lourds si on les tient à bout de bras comme ça trop longtemps. Enfin non, mais ça pesait à peu près comme un appareil photo, et j'avais l'expérience de ça.

Ses lunettes le rendait vraiment difficile à lire, c'était épuisant ça aussi. Impossible de savoir vraiment à quel point les railleries étaient moqueuses. Il était prévenu à l'avance, je lui avais clairement dit ce que je voulais, et il m'avait vue à l’œuvre. Il devait se douter de ce qui se passerait en acceptant de me revoir. Ce n'était donc pas la déception qui le poussait à ne faire preuve d'aucun enthousiasme. Au-delà de ça, impossible de savoir. Mais quoi qu'il pense réellement, je me sentais obligée de me justifier.

"Même en ne sachant pas vraiment m'en servir, c'est plus efficace que mes poings nus. Alors oui, je voudrais apprendre à m'en servir."

J’avais beau craindre qu’il se débine, et perdre en enthousiasme face à son manque d’énergie, lui semblait tout de même déterminé à aller jusqu’au bout. Ou résigné. En tout cas, il commença lentement à m’expliquer les bases et à me donner des conseils utiles. Je ne m’y attendais pas, et quand il a saisi le simulateur en mousse j’ai redressé le regard d’un coup.

De là, il m’a expliqué quelques notions importantes concernant l’auto-défense avec une matraque. Comment optimiser les dégâts avec une arme qui n’avait pas de tranchant, comment éviter qu’un adversaire ne saisisse mon arme en plein affrontement, et comment contourner les bras d’un adversaire en posture défensive. Trois problèmes qui ne se poseraient pas avec la lame énergétique. Surtout les coups vers les points sensibles, viser la tempe ou le visage avec l’arme de Nastia c’était le meilleur moyen de tuer mon agresseur sur place. Or, je n’avais pas la moindre envie de tuer qui que ce soit, je préférais encore y aller à l’intimidation et les faire fuir après un coup au bras ou deux. Quoique, même un coup au bras pouvait bien couper la main et handicaper gravement. Donc intimider et faire fuir directement restait la meilleure solution, et pour ça il fallait que je donne l’impression de savoir ce que je faisais.

C’est quand il a parlé de saisir la matraque que j’ai compris à quel point la différence entre l’arme que je prétendais posséder et celle dont je voulais vraiment apprendre à me servir allait poser problème. Je ne pouvais rien lui dire, bien sûr, mais il faudrait que je fasse le tri dans ma tête après, que je réfléchisse à tout ce qu’il disait pour décider si c’était pertinent ou non. Ou que je suives ses conseils, quitte à être inutilement prudente. Parce que je n’y connaissais rien en combat à l’arme blanche, ou en combat tout court, j’ai opté pour cette dernière option.

“Et…”

Quand il s’est éloigné, j’ai repris ce que je pensais être une posture de garde correcte. S’il prenait cet exercice sérieusement, le mieux que je pouvais faire c’était de lui rendre la pareil.

“... Et s’ils veulent vraiment se rendre ? Je n’ai pas vraiment envie de frapper quelqu’un qui est prêt à s’enfuir et me laisser tranquille.”

C’était sans doute le plus sûr pour moi, oui. Frapper les adversaires à terre jusqu’à être certaine qu’ils soient inconscient. Mais avec une arme énergétique, je préférais au contraire ne pas avoir à en arriver là. Et de toute façon, être méfiante et voir venir le bluff et les coups en traître, je pouvais sans doute gérer. J’avais l’habitude de confronter des menteurs et des escrocs, après tout. Ce qui me manquait, c’était plus la technique. Les gestes, les réflexes, tout ça.

Il marquait un point, bien sûr. Même en étant habituée à essayer de déchiffrer les gens, je n’étais pas médium et je pouvais me tromper. Surtout dans l’urgence et la panique. Et puis, deux personnes pouvaient réagir différemment à une même situation, à une même émotion. Comment savoir si le type terrifié allait plutôt bondir en avant ou plutôt détaler en courant ? Le réflexe Fight or Flight est difficile à maîtriser et tout autant à anticiper. Quant aux calmes, ceux qui ont l’habitude du stress, ils peuvent cacher beaucoup de choses sous leur self-control.

Comme mon mentor était justement en train de le faire. Alors qu’il se triturait les molaires avec nonchalance, je m’étais laissée hypnotiser par ses paroles et ma vigilance s’était engourdie. Ou je n’étais pas très réactive de base, c’était aussi une possibilité. Je ne m’étais jamais battue, et j’avais encore moins eu d’occasions de rendre les coups jusqu’ici, alors que lui était un pugiliste confirmé. Le temps que je réagisse à son mouvement, il avait déjà la main sur la base de ma matraque.

“IH !"

Ma première réaction a été un mouvement de recul spontané, viscéral. Mais avant de bouger les pieds, mon sang-froid a pris le dessus. Plus vite que chez une personne ordinaire, en tout cas je pense. J’étais là pour apprendre à me battre, donc c’est que j’étais supposée me battre ! Une pensée qui ne me disait pas quoi faire précisément, malheureusement. Et dans l’urgence, je n’avais pas beaucoup mieux.

Alors au lieu de reculer, j’ai fait basculer mon poids en avant. Campé mes talons dans la terre molle. Et balancé mes deux mains, jointes, vers le haut. Elles tenaient toujours le simulateur, mais cette fois au lieu d’essayer de l’arracher des mains du vigilant, j’ai… tenté de tordre sa prise… Bizarrement… Pour lui envoyer mon poing au visage. Plus ou moins. C’était un mouvement brouillon, improvisé sans réflexion, et sans doute très nul. Mais sur le moment, je n’avais pas beaucoup mieux.

Sans grande surprise, mes mains se sont perdues dans le vide. L’urgence m’empêcha cependant de m’attarder sur l’inutilité de ma tentative. Quelque chose me poussait en arrière, et je ne voulais pas tomber. Le geste évident était de reculer mon pied et me stabiliser ; mais quelque chose agrippa mon talon. Il a bloqué mon pied. Et ses putains de lunettes masquaient toujours ses yeux. Je ne pouvais même pas savoir s' il jubilait ou s' il me trouvait pathétique.

Moi je me trouvais nulle, au point de m’insulter intérieurement. Mais m’énerver n’allait pas m’aider, et je continuais à tomber. Alors ma main droite a lâché le sabre et battu l’air. Il me fallait quelque chose à choper, n’importe quoi, juste pour pas m'étaler. Mais il n’y avait rien. Sans réfléchir j’ai balancé le simulateur vers le vigilant, comme si c’était un crochet capable de me sauver, mais c’était bien sûr pas le cas. Je n’ai même pas senti si je touchais ou non. Tout ça s’est soudainement estompé quand mon dos a percuté la terre meuble.

“Oof !”

L’impact a vidé l’air de mes poumons. Mes bras tendus ont perdu leur force et se sont étalés au sol, eux aussi. Ma tête s’est mise à tourner, tout était noir… Puis plus rien. Ça n'a sans doute duré que quelque secondes avant que je reprenne mes esprits. J’étais un peu sonnée, et mon bassin me faisait un peu mal, mais à part ça je n’avais rien.

Au lieu de me redresser tout de suite, j’ai laissé mon regard se promener sur les alentours. D’en bas, comme ça, c’était un peu comme voir le monde à l’envers. Etrange sensation. Mes yeux se sont finalement arrêtés sur un groupe de passants qui nous dévisageaient tous les deux. J’ai fait un vague geste dans leur direction pour les rassurer, et aussi un peu les faire dégager.

"Tout va bien, ne vous en faites pas !”

Puis j’ai cherché mon professeur et tendu ma main libre dans sa direction.

“Vous m’aidez à me relever ?”