Je veux savoir, montre-les moi [PV Iku]

“Oh non c’est pas…”

Elle tendit sa main libre, tenta d’intercepter Lucy avant qu’elle ne parte, mais trop tard. La cadette Oxton avait déjà disparu derrière la porte. Alors le bras d’Iku retomba contre la chaise.

“... Grave.”

Elle soupira et reprit une gorgée. C’était pour ça qu’elle avait du mal à se faire des amis. Non seulement elle ne mentait pas, ce qui était mieux pour tout le monde, mais elle ne pensait pas non plus à y mettre les formes. Le thé n’était pas mauvais, loin de là. Il était… Bien. Elle n’aurait pas deviné que c’était du thé si on ne lui avait rien dit, le goût était assez loin du thé vert dont elle avait l’habitude. Elle continua donc de siroter en silence, de peur de dire une autre bêtise et d’aggraver les choses, en laissant Léo expliquer.

Ainsi donc la réputation de gros buveurs de thé des Anglais était méritée. Rigolo de se dire que deux pays aussi éloignés que le Japon et l’Angleterre avaient ça en commun. Même si les pays étaient à deux bouts du globe et n’avaient que peu en commun niveau culture.

“C’est pour ça que…”

Elle fut interrompue par le retour de Lucy, qui apportait cette fois du sucre et du lait. Pourquoi du lait ? Des gens mettaient du lait dans leur thé ? Ca semblait… pas si bizarre, en fait, comme idée. Enfin si, un peu, mais il y avait bien des trucs de lait au thé dans les cafés, alors pourquoi pas l’inverse. Iku posa sa tasse et se pencha.

“Merci ! Mais tu sais, c’était pas grave. Le thé est bon quand même, même sans sucre. J’ai juste pas l’habitude.”

Et elle en profita pour piocher deux cubes dans le pot et les verser dans sa tasse. Avec la chaleur du liquide, ils commencèrent tout de suite à se dissoudre et à répandre des genres de nuages troubles dans le thé. Sans cuillère pour mélanger, la brune secoua juste sa tasse d’un coup sec puis but à nouveau. Oui, c’était effectivement mieux comme ça. Son palais d’adolescente préférait toujours quand il y avait du sucre. Elle adressa donc un hochement de tête et un sourire à Lucy, et attendit que Léo termine pour ne pas l’interrompre.

“C’est pour ça que vous êtes venus vous installer au Japon ? Pour être certains de toujours avoir du thé ?”

L’explication pouvait sembler triviale, mais peut-être que le thé était vraiment important à ce point pour des anglais.

Elle avait donc dit une connerie. Oups. Au lieu d’en rajouter, elle se cacha derrière sa tasse et sirota pour justifier son silence, les deux mains fermées dessus. Entre la chaleur du thé et la gêne, elle avait les joues complètement rouges.

Elle le savait, en plus. Elle l’avait vu en cours. L’héroïsme japonais, un modèle qui rayonne à travers le monde grâce à sa faculté de mêler des influences internationales d’une façon unique, mais aussi et surtout par des figures fortes et inégalables. All-might en tête. C’était peut-être pour ça qu’elle n’y avait pas pensé, en fait. Parce qu’elle savait que le Japon était un modèle de l’héroïsme. Elle ne s’était pas trop intéressée au sujet avant d’être inscrite à Shiketsu, et elle n’avait jamais vu comment c’était ailleurs. Elle n’avait pas vécu cette influence, elle avait baigné dedans si fort qu’elle ne la voyait pas, comme on ne voit pas l’air qu’on respire.

Sa dernière affirmation, par contre, la fit sourire. Parti à l’autre bout du monde, il avait trouvé… Quelque chose qu’il ne pouvait pas avoir chez lui. Des amis dont il ne voulait pas se séparer, plus importants que ceux qu’il avait laissé derrière lui. A moins que ce soit juste la culture ou la nourriture, c’était possible aussi. Mais moins probable. Et moins glamour. Elle termina sa tasse et la reposa finalement.

"Ça ne va pas te manquer, l’Angleterre ? Et… Et ta famille ? L’Europe, c’est loin, et il y a un gros décalage horaire. Pour vous voir, ça sera compliqué.”

En tout cas elle supposait. Elle-même n’avait jamais eu trop de mal avec les séparations, et sa famille… n’avait absolument rien à voir avec les Oxton. Des parents admirables et aimants, qui prenaient soin de leurs enfants ; et le frère et la soeur qui s’entendaient bien et s’amusaient ensemble, ou se soutenaient en cas de besoin. Elle aurait été jalouse si ça n’était pas si étranger à sa vie. Et si elle n’avait pas, à force, composé sa propre pseudo-famille d’adoption. Machinalement, elle chercha la théière du regard avant de se rappeler que Lucie avait apporté les tasses déjà servies. Ce qui lui fit, étrangement penser à autre chose.

“Mais du coup, avec tout ce qui s’est passé ces derniers temps. La défaite d’All-Might, et tous les vilains qui sortent de leur trou, l’héroïsme japonais va vachement moins briller, non ?”

C’était… Une perspective… Une perspective. Dont elle était parfaitement infoutue d’estimer les conséquences ou la gravité. La géographie, la politique internationale, tout ça c’était pas son truc.

Le petit échange entre Léo et Lucie la fit sourire. Est-ce que Lucie aussi finirait par rester ? Elle aurait passé une encore plus grande partie de son enfance au Japon, par rapport à Léo. Et elle avait moins de souvenirs de l’Angleterre, donc moins de raisons de rentrer. Il n’y avait pas que l’héroïsme, ou le travail de façon générale, qui pouvaient les retenir ici. Et puis, leur présence ferait du bien. En ces temps difficiles, leur positivité était réconfortante. Pour Iku et ses idées sombres, mais sans doute aussi pour d’autres personnes autour.

Parce que, malgré l’optimisme de Léo, la situation était compliquée. Il parlait du pays qui avait formé All-Might, mais est-ce qu’All-Might ne s’était pas formé tout seul, au final ? Une force aussi supérieure à tout le reste, ce n’était pas une question d'entraînement mais d’Alter. Et si c’était une question de mutation et de génétique, alors All-Might aurait pû naitre n’importe où. S’il avait été russe, la situation mondiale serait bien différente, par exemple. La japonaise ne trouvait pas cet argument très convaincant. Restait que…

“A nous.”

Elle leva sa tasse vide vers son ami, comme pour trinquer. Ils n’étaient pas encore des All-Might, aucun d’entre eux ne le serait jamais. Peut-être ne se hisseraient-ils même jamais vers les sommets de l’héroïsme. Mais tant qu’il y aurait des gens pour se battre, pour aider les victimes et défendre les gens sans défense, alors le pays tiendrait. Grâce à eux, grâce à leurs camarades, puis à ceux qui suivraient.

Iku se surprit à être excitée à cette idée. Ce n’était pas son genre, pourtant. Avant d’entrer à Shiketsu, elle n’en aurait pas eu grand chose à faire. Mais elle avait changé. Elle en avait pris plein la gueule, elle avait songé à tout plaquer et se barrer, mais à chaque fois on l’avait aidée à encaisser. A se redresser. Elle porta la tasse à ses lèvres et se souvint, encore, qu’elle était vide. Et à force d’être entourée d’amis qui la soutenaient, elle avait absorbé un peu de leurs idéaux. De leur détermination. Ce n’était pas une idée désagréable…

“Ah mais du coup.”

Plongée dans ses pensées, elle avait mis du temps à vraiment comprendre ce qu’elle entendait. A tout comprendre, du moins.

“Tu lis des journaux anglais ? Ça ressemble à quoi, par rapport aux nôtres ?”

Mouis, se dit-elle, donc la plus grosse différence c’était le contenu au final. Un journal japonais allait plus parler des nouvelles nationales, et même chose pour un journal britannique. Sauf qu’il parlait des nouvelles britanniques. Elle hocha la tête et se pencha en avant pour lire les articles au fur et à mesure qu’ils défilaient sur l’écran. Le texte était plus petit que les grandes images que Léo lui montrait avant, donc plus difficile à lire. Même les gros titres, elle avait du mal à saisir ce qu’ils disaient avant qu’ils ne disparaissent et soient remplacés par un autre. Mais ça, c’était plus lié à son niveau en anglais qui était loin d’être excellent. Il faudrait vraiment qu’elle s’y mette un peu plus, c’était la dernière de ses priorités jusqu’ici mais elle ne pouvait pas non plus continuer d’ignorer qu’Aslinn et Léo revenaient tout le temps à leur langue natale.

Elle marqua une pause dans ses tentatives de lecture quand Lucie revint et reporta son attention vers la théière. Un instant, elle eut l’impression de voir flou et crut que trop d’écran lui avaient détruit les yeux, puis elle réalisa qu’à force de se concentrer, elle avait les paupières complètement plissées.

“Ah, euh, oui, merci Lucie !”

La honte, elle devait avoir l’air ridicule. Elle ferma les yeux et se dépêcha de se resservir, convaincue qu’elle était maintenant rouge comme une écrevisse. Heureusement, avec ses antennes, elle arrivait à peu près à suivre où était sa tasse et où était la théière. Elle put les attraper sans difficulté, même sans les voir, donc sans faire face aux inévitables regards amusés des adelphes Oxton.

Par contre, pour resservir Léo, elle avait besoin de voir ce qui se passait. Elle se fit donc violence et rouvrit les yeux, pour réaliser que son ami lui tournait en fait le dos. Accaparé par les articles qui défilaient, il n’avait sans doute rien remarqué. Elle étouffa un petit soupir soulagé puis se décala un peu de côté, la théière en avant.

“Je te ressers ?”

Pour ce qui était des articles même, et du sport, elle avait un peu décroché. Tout ça ne lui évoquait rien, et l’image seul d’un homme capable de lancer des troncs, eh bien, ce n’était pas si impressionnant. Des héros capables de faire ça, il y en avait beaucoup désormais. Par contre, le TFW, ça lui parlait. Quand Léo mentionna le tournoi d’arts martiaux, cela replongea l’étudiante dans la conversation.

“D’ailleurs, tu ne regrettes pas de ne pas avoir participé au TFW ? Tu sais te défendre, je suis sûre que tu aurais pu bien te classer.”

Elle ne l’avait jamais vu se battre sans Alter, mais il avait les même cours que le reste de la classe. Leur éducation sportive dépassait largement ce que recevait un lycéen ordinaire, et ils avaient plus l’habitude de se battre, de se battre pour de vrai, que la plupart des gens qui avaient participé au tournoi. En plus, petit et souple comme il était - il devait être super agile pour réussir tout ce qu’il faisait avec sa planche - c’était un adversaire presque insaisissable.

Elle prit donc la tasse de son ami et la remplit avant de la reposer sur un coin de bureau. Mine de rien, ce petit changement de sujet vers quelque chose de plus personnel était bienvenu. Léo faisait défiler les articles plus lentement pendant qu’il pensait à autre chose, elle avait plus de temps pour regarder ce qui se passait. Et à l’inverse, elle faisait moins attention. Parler de quelque chose qu’elle maitrisait l’aida à vraiment se détacher de l’écran, prendre une pause, puis se reconcentrer pour repartir. De quoi ça parlait, maintenant…

Bien sûr, elle écoutait toujours la discussion. Mais entre le rythme de défilement plus lent et le sujet plus facile, faire les deux en même temps était plus facile. Elle hocha la tête aux explications de Léo. C’était déjà un peu ce qu’il avait dit avant, pour expliquer qu’il ne participerait pas. Mais il y avait peut-être un peu de regret dans sa voix maintenant. Il avait laissé passer l’occasion et elle ne se représenterait pas avant un an. Peut-être. Mais la discussion ne partait pas dans cette direction et elle ne forcerait pas son ami à se confier à ce sujet. A la place, elle se tourna en souriant vers Lucie, qui ne s’intéressait pas du tout à l’écran.

“Merci ! J’avoue que je n’étais pas confiante au départ, mais je ne reg- Attends !”

Elle se déplia d’un coup. Son bras se déplia en un instant, son doigt fusa vers l’écran comme une balle de fusil, et sa pince frôla la tasse de Léo avec assez de force pour la faire trembler. Ce n’était pas très sympa de sa part de poser un doigt comme ça sur l’écran ; et sa réaction était un peu exagérée par rapport à l’importance de ce qu’elle avait vu ; mais pour une fois qu’elle avait repéré quelque chose dans le défilement des nouvelles britanniques, elle n’allait pas laisser passer l’occasion.

En effet, dans un petit carré à côté d’un titre trop difficile à lire, une photo mettait en avant un couple très visiblement caucasien. Un homme et une femme d’un âge difficile à discerner, assis sur un canapé dans des postures très dignes. Elle avait les mains croisées sur son giron, tandis que lui reposait ses doigts sur le dessus du crâne d’un chien haut et élancé. Mais plus que leur attitude précieuse et princière, leurs tenues avaient tapé dans l’oeil de l’étudiante. Ils portaient en effet des habits riches, lourdement décorés de volutes et de dorures, comme tout droit sortis d’un manga sur la renaissance. Ou sur… la période historique qui était venue avant. Ou après. Quelque chose de si cliché que la brune n’aurait jamais pensé voir de vraies personnes porter ça.

“Il y a vraiment des gens qui s’habillent comme ça en Angleterre ?”

Elle avait toujours pensé que c’était des exagérations, mais… Peut-être qu’elle avait une vision très faussée de la mode britannique ?

Son bras se leva, la pince esquiva les obstacles, puis elle se laissa retomber lentement sur sa chaise.

“Oh, okay. C’est logique.”

Elle n’avait pas vraiment cru que des gens s’habillaient comme ça, du moins pas dans la vie de tous les jours. Cela lui avait plutôt fait penser… à des mangas, déjà. Pas mal de séries s’inspiraient de l’occident à diverses époques, et certains mettaient en scène des personnages habillés comme ça. Tout comme les séries sur le Japon féodal ou plus ancien avaient leur part de costumes complètement dépassés ou délirants. Elle avait aussi pensé à l’Empereur et à tout le protocole qui l’entourait. Lui portait encore, parfois, des tenues de cérémonie vraiment extravagantes et sorties d’un autre temps. Même si la plupart du temps, il était plus proche d’un homme d’affaires ordinaire, comme les membres de la Diète ou le premier ministre.

Mais non, Léo décrivait plus ça comme les kimonos. Elle se prit le menton entre deux doigts alors qu’elle réfléchissait. Quelque chose que n’importe qui pouvait mettre, mais seulement pour les occasions. Elle essaya de s’imaginer son ami habillé comme ça et le vit aussitôt disparaître sous les froufrous et ornements, ce qui lui tira un ricanement étouffé. Elle tenta ensuite avec Aslinn, rougit un peu, et abandonna l’exercice. Demeurait que l’Angleterre avait donc ce point commun avec le Japon, ils avaient leurs propres tenues traditionnelles pour les fêtes, du genre…

“Noël, c’est une fête occidentale à la base, non ? A quoi ça ressemble, chez vous ?”

Au Japon, c’était une fête principalement romantique. On allait en couple voir les sapins, s’échanger des cadeaux, et se faire un restaurant ou quelque chose du genre. C’était très commercial, aussi. Un peu comme la Saint-Valentin, où il fallait offrir des chocolats puis en offrir en retour au White Day. Beaucoup de fêtes avaient une origine occidentale, en fait.

“Je ne sais même pas d’où ça vient, à l’origine. Et pareil pour les autres fêtes qui viennent de là-bas. Et je ne sais pas trop comment elles sont arrivées jusqu’à chez nous non plus.”

Elle se tourna vers Lucie en disant ça. Cela faisait des années que les Oxton étaient au Japon, ils avaient dû toutes les voir.