Un accident ? (PV Meng Zhihao) [ RP Fini]

« Arrête de t’enfuir ! »

Ignorant l’injonction délivrée par la voix déformée de la criminelle, Zhihao se déporta sur le côté juste à temps pour éviter d’être empalée par un bras qui pénétra jusqu’au coude dans le béton derrière elle. Plutôt que d’en profiter pour riposter, elle continua de battre en retraite ; bien lui en prit, car plutôt que de libérer normalement l’appendice chitineux, son adversaire aux allures de fourmi géante humanoïde se remit immédiatement à lui courir après, pulvérisant au passage le mur où son bras était toujours enfoncé sur toute sa longueur. Comme on pouvait s’attendre de quelqu’un d’assez fort pour soulever une voiture d’une main ou balancer une benne à ordures pleine à dix mètres.

« RAAAAAAAAAAAAAAH !!! »

Dans un hurlement de rage inarticulé, l’entomomorphe libéra enfin son bras tout en expédiant une volée de débris en direction de la chinoise. Son armure aurait pu encaisser les shrapnels, mais elle esquiva tout de même en se propulsant en hauteur avec son magnétisme, puis d’une façade de bâtiment à une autre. Sa poursuivante bondit à sa suite, se servant de sa force surhumaine et de ses griffes puissantes pour ne pas être distancée.

« Allez, j’y suis presque... » pensa l’électrokinésiste en s’efforçant de garder une longueur d’avance dans cette course tridimensionnelle. Son électricité n’avait pas été d’une très grande utilité jusqu’ici – la faute aux propriétés isolantes de la chitine –, ses projectiles accélérés par magnétisme non plus… et puisqu’elle était démunie de l’équipement spécialisé qui lui aurait permis de vaincre aisément son adversaire, exosquelette naturel ou non, la priorité était de l’attirer dans un endroit le plus désert possible afin de minimiser le risque de faire des victimes collatérales avant de procéder à sa neutralisation.

Elle y était presque arrivée… sauf que même sous l’effet du Trigger décuplant la puissance de son Alter au détriment de son self-control, la criminelle n’était pas stupide. Ayant sans doute compris que quelque chose n’allait pas, cette dernière changea brusquement de direction, et Zhihao eut tout juste le temps de comprendre ce qu’elle comptait faire avant qu’elle ne frappe de toutes ses forces l’immeuble le plus proche, puis saute à nouveau pour s’éloigner du trou qu’elle venait d’y faire, une fraction de seconde avant qu’une explosion n’ébranle tout l’édifice. S’était-elle servie de son odorat pour cibler une conduite de gaz ?!

« Bats-toi, ou je recommence ! » menaça l’insectoïde en balayant l’espace de ses quatre bras pour désigner tous les bâtiments alentour.

N’ayant d’autre choix que d’obéir, Zhihao inversa sa propre course pour s’élancer vers son adversaire, qui sauta elle-même à sa rencontre, la façade de l’immeuble sur lequel elle s’était appuyée se fissurant sous l’énergie de son envol. Alors qu’elles se dirigeaient l’une vers l’autre à toute vitesse et à plus de quinze mètres du sol, quatre mains griffues visèrent l’héroïne comme autant de lances et une paire de mandibules comparables à des kukris s’ouvrirent en grand, un quintuple assaut que la militaire ne pouvait espérer bloquer. Heureusement qu’elle n’avait pas l’intention d’essayer : au tout dernier instant avant qu’elles n’entrent en collision, elle aveugla son adversaire grâce à l’éclat d’une décharge, tout en se servant de son magnétisme pour infléchir sa trajectoire, prenant juste assez de hauteur pour passer au-dessus d’elle et éviter de finir embrochée et décapitée.

Mais elle ne comptait pas s’arrêter là : en pleine acrobatie, elle s’agrippa fermement aux antennes de l’entomomorphe, imprima un mouvement de torsion à son corps de façon à emmêler les deux appendices sensoriels tout en lui permettant de passer derrière elle pour appuyer ses pieds contre son dos… puis elle bondit en y mettant toute sa force physique additionnée à celle de son magnétisme, avant de se raccrocher par le même biais à la façade la plus proche. Les antennes de la criminelle furent arrachées d’un coup. Toujours aveugle, cette dernier fut emportée par l’élan supplémentaire donné par l’héroïne et s’écrasa la tête la première contre le bâtiment faisant face à son point de départ. Une humaine normalement constituée serait morte sur le coup, la nuque brisée et le crâne réduit en miettes ; si cela n’avait pas suffi, la chute de cinq étages qu’elle fit ensuite l’aurait certainement achevée.

Hélas, il en fallait davantage pour se débarrasser de quelqu’un comme elle, comme le prouvait le fait que dans la rue en bas, l’insectoïde était déjà en train de se relever, et qu’elle avait l’air encore plus énervée qu’avant.

Cela faisait bien dix minutes que Zhihao avait demandé du renfort, et ce n’était que maintenant qu’une autre héroïne arrivait à la rescousse ? Elle n’avait même pas l’air d’être en costume, était-ce seulement une véritable professionnelle ou n’était-elle encore qu’une étudiante ? Enfin, c’était toujours mieux que rien, et son assistance était appréciée : la militaire ne pouvait pas secourir les occupants du bâtiment en flammes avant d’avoir mis la criminelle hors d’état de nuire, pas plus qu’elle ne pouvait disperser l’attroupement qui était en train de se constituer à mesure que les badauds affluaient. Une fois de plus, elle se demanda quel était le problème des civils japonais : ils n’étaient pas à un spectacle, pourquoi insistaient-ils pour réduire à néant tous les efforts qu’elle avait fait pour limiter le nombre de victimes potentielles ?! Son adversaire n'hésiterait pas à les prendre pour cible si les choses tournaient mal pour elle !

« Tu vas regretter ça ! »

En parlant de l’entomomorphe, cette dernière se servit de trois de ses bras pour attraper de gros morceaux de béton tombés de l’immeuble éventré et les lancer en direction de la chinoise, l’empêchant de se rapprocher pour mettre fin au combat. Mais le plus inquiétant c’était ce qu’elle faisait de sa main libre, une action à laquelle Zhihao ne put qu’assister avec impuissance, une fois de plus. Ce fut tout juste si elle fut capable de se joindre à l’avertissement de la fille-araignée :

« Ne restez pas là ! »

Elle n’eut pas l’occasion de vérifier si la foule était en train de s’exécuter avant que son adversaire n’actionne le dispositif à sa ceinture et ne se mette à tressaillir lorsque la pompe à Trigger lui injecta une deuxième dose de la substance.

La criminelle se recroquevilla brièvement sur elle-même, puis se redressa de toute sa taille en poussant un cri bestial ; ses vêtements explosèrent lorsque son corps grandit brusquement, gagnant trente centimètres de hauteur et au moins une quarantaine de kilos, mais sa nudité n’avait rien d’affriolant. Zhihao avait à peine eu le temps de voir à quoi elle ressemblait sous sa forme d’origine, toutefois son apparence de base était relativement ordinaire, on pouvait à peine y distinguer une ou deux caractéristiques d’insecte ; avec cette seconde métamorphose, elle n’avait plus grand-chose d’humain à part la taille et la posture bipède, la fourmi ayant complètement pris le dessus. Elle était plus massive, ses proportions avaient été altérées, ses griffes et mandibules s’étaient faites plus cruelles encore, sa carapace était maintenant hérissée d’épines par endroits, ses antennes avaient repoussé, deux paires d’ailes couplées étaient sorties de son dos, et son abdomen était à présent muni d’un aiguillon acéré. Et pour couronner le tout, le cri se mua en une série de cliquetis et vrombissements ; elle n’avait sans doute même plus de cordes vocales.

La femme-fourmi s’élança dans les airs au moyen de ses nouvelles ailes, et l’électrokinésiste bondit immédiatement de son perchoir pour lui échapper, avant de se propulser encore et encore d’un immeuble à l’autre à chaque changement de direction de sa poursuivante. En temps normal, face à un Alter dopé par une double dose de Trigger, elle aurait fait tout son possible pour trouver une cachette ou faire perdre son temps à l’ennemi en attendant que la drogue cesse de faire effet, sauf que là ce n’était pas possible : la monstruosité qui lui collait aux basques s’en prendrait de nouveau aux civils si elle essayait de jouer la montre. Elle ne pouvait cependant pas l’affronter au corps-à-corps, ce serait du suicide : l’insectoïde avait huit appendices différents pour massacrer ses proies, était assez forte pour la mettre en pièces à mains nues, et ses griffes pouvaient déchirer la tôle comme si c’était du papier ; la moindre attaque réussie de sa part serait fatale pour l’héroïne. Oh, et apparemment la transformation la rendait même capable de projeter de l’acide par son abdomen, à en juger par les jets de liquide qui forcèrent l’électrokinésiste à manœuvrer en catastrophe et qui se mirent à bouillonner furieusement au contact du béton.

Alors qu’elle esquivait de justesse un énième assaut, Zhihao regretta une fois de plus l’absence de son équipement habituel. Pas besoin de poinçon ou de charge creuse, son pistolet ou son couteau auraient suffi !

Tant pis, rien ne servait de s’apitoyer là-dessus, elle allait devoir improviser. Elle se laissa tomber vers l’amas de décombres où la criminelle avait puisé ses projectiles, amortissant sa chute au dernier moment d’un coup de répulsion magnétique, puis inversant son Alter pour attirer une partie des gravats vers elle grâce à leur armature métallique. Elle eut à peine le temps de vérifier qu’aucun civil ne se trouvait dans sa ligne de mire avant que la myrmécomorphe ne déboule, volant en rase-mottes, toutes griffes dehors.

Répulsion à nouveau ; répétant la technique qu’elle avait utilisé il n’y a pas si longtemps contre un autre ennemi à la force et à la résistance surhumaines, elle expédia l’un après l’autre les débris qu’elle avait collectés vers la criminelle. Celle-ci ne prit même pas la peine de les éviter, se contentant de les fracasser d’un revers de la main ; Zhihao plia les jambes juste avant qu’elle ne lui rentre dedans, comme si elle se préparait à sauter, puis émit un second flash éblouissant. S’attendant à une redite de sa précédente manœuvre, l’insectoïde attaqua vers le haut, espérant l’empaler au vol, mais il s’agissait d’une feinte : la militaire fit une roulade pour passer sous son adversaire, écopant au passage d’une griffure à l’arrière de son plastron quand cette dernière se rendit compte de la tromperie et tenta de l’atteindre avec ses jambes – une simple éraflure, heureusement.

Attraction ; tout en se relevant, la chinoise fit venir à elle les fragments métalliques dégagés par la destruction des débris, et dans le même mouvement, se tourna vers sa cible avant que celle-ci, toujours aveuglée, ne puisse en faire de même.

Répulsion ; cette fois, ce fut la fourmi qui eut droit à une volée de shrapnels et, si sa carapace dorsale les encaissa sans mal, ses ailes vulnérables furent elles déchiquetées par l’attaque.

« Presque, presque… oh non, les civils sont toujours là ?! » pesta la militaire tout en s’apprêtant à exécuter la phase suivante de son plan. Non, elle devait se concentrer, elle n’avait pas le temps de se préoccuper d’eux ; il n’y avait plus qu’à espérer que l’autre héroïne – ou apprentie – réussirait à les évacuer au cas où son prochain assaut échouerait.

Incapable de se maintenir en l’air avec ses ailes ruinées, la myrmécomorphe tenta maladroitement de retomber sur ses pieds. Ce faisant, elle se pencha en avant, donnant à l’électrokinésiste l’opportunité qu’elle attendait ; avant de jouer les canons à mitraille, cette dernière avait mis de côté les fragments de métal les plus longs et les plus droits qu’elle ait pu trouver, et il était maintenant temps de les utiliser. Profitant du fait que la posture de son adversaire exposait ses points faibles, elle fit de nouveau feu, traitant cette fois chacun de ses projectiles à la manière d’un carreau d’arbalète. Deux fragments rebondirent sur l’exosquelette, mais le troisième s’enfonça avec succès dans les tissus plus mous de l’articulation entre deux plaques de chitine, et lorsque la criminelle furieuse se retourna vers elle, elle visa la pompe à Trigger pour faire bonne mesure, l’arrachant de son support. Hélas, le mal était fait : la mutante avait derechef pressé le bouton pendant sa chute, et la machine lui avait déjà injecté une troisième dose.

Zhihao ne perdit pas de temps et se déporta immédiatement sur le côté, de toute la force de ses jambes et de son Alter. La charge de l’insectoïde traversa l’espace qu’elle occupait précédemment moins d’une demi-seconde plus tard, et celle-ci ne s’arrêta qu’après avoir traversé un mur. Ce bref passage avait cependant suffi pour que la chinoise se rende compte que les quelques dommages qu’elle était parvenue à infliger s’étaient de nouveau résorbés et que la femme-fourmi était en train de devenir encore plus massive, encore plus monstrueuse ; elle grimaça de dégoût lorsqu’elle entendit les craquements de son exosquelette en plein changement de forme et que son sixième sens l’informa de la façon dont la substance était en train de réarranger ses organes internes. Tout n’était cependant pas perdu : si sa physiologie s’éloignait toujours plus de celle d’un humain, son système nerveux central restait localisé dans la partie dorsale de son anatomie, et non ventrale comme chez un insecte. La tige métallique toujours logée dans sa chair – et devenue encore plus difficile à retirer maintenant que ladite chair avait cicatrisé autour – pouvait encore accomplir son office.

Il faudrait toutefois que Zhihao survive aux prochaines minutes pour cela, et ce n’était pas gagné : elle dut faire une nouvelle série de déplacements rapides assistés par magnétisme pour éviter plusieurs jets d’acide successifs, dont un ou deux retombèrent dangereusement près des civils – et les auraient sans doute éclaboussés si l’autre héroïne n’avait pas dressé une barrière de soie pour les protéger. L’électrokinésiste sentait son endurance diminuer à chaque utilisation de son pouvoir, après avoir déjà été mise à rude épreuve par son numéro de haute voltige. Un flash lumineux lui fit gagner un répit momentané, la femme-fourmi de nouveau éblouie se mettant à griffer au hasard dans toutes les directions pour se prémunir d’une troisième attaque en traître, qui ne vint jamais puisque la militaire s’était servie de la diversion pour reprendre ses distances.

« Est-ce que je peux l’empêtrer dans la toile ? » songea-t-elle. « Sans doute pas, elle n’aurait qu’à la dissoudre pour se libérer, et elle risquerait de s’en prendre aux autres alors qu’elle les ignore pour l’instant. »

Elle fut soudain alertée par un bourdonnement passé jusque-là inaperçu sous le tumulte de la bataille, mais qui allait en s’amplifiant. En effet, des insectes volants étaient en train de faire leur apparition, et ils étaient toujours plus nombreux, arrivant d’abord seuls, puis par paires, puis par dizaines, jusqu’à ce que la criminelle se retrouve entourée d’un véritable essaim d’hyménoptères en tout genre : abeilles, guêpes, bourdons, et bien sûr le redouté frelon géant japonais. Ce fut à ce moment que Zhihao remarqua qu’avec l’achèvement de sa troisième métamorphose, la carapace de l’insectoïde se parait maintenant de motifs rappelant ceux ornant le corps d’une guêpe. Merveilleux : non content de puiser dans les capacités d’une fourmi, voilà que la drogue poussait son Alter à emprunter les traits d’autres familles d’hyménoptères.

« Foutu Trigger. » jura la chinoise, un mantra bien connu de ses compatriotes. Elle n’eut pas le temps de s’attarder davantage là-dessus avant de finir enfouie sous une masse d’insectes faisant tout leur possible pour la piquer au travers de sa combinaison, mais ce n’était que la première partie de la manœuvre : maintenant qu’elle lui avait rendu la pareille pour toutes ces fois où elle l’avait privée de la vue, la criminelle s’élança à l’assaut, bien déterminée à en finir. Elle ignorait néanmoins que l’électrokinésiste n’avait pas besoin de ses yeux pour se repérer, et cette offensive fut esquivée comme les autres, le coup qui aurait dû la couper en deux éventrant l’asphalte à la place.

Une décharge lui suffit à tuer toutes les bestioles qui la recouvraient des pieds à la tête, mais l’entomomorphe ne se découragea pas pour autant : d’un signal invisible et inaudible, elle intima l’ordre au reste de ses créatures de changer de cibles, ce qu’elles firent immédiatement, abandonnant leurs tentatives futiles de percer la protection de la chinoise ou d’obstruer son champ de vision pour se précipiter vers les civils. Il aurait été inexact de dire que la vue de cette nuée réussit là où les deux héroïnes avaient échoué : c’était une retraite organisée qu’elles voulaient, pas un mouvement de panique où les gens se bousculaient et se piétinaient les uns les autres pour échapper aux aiguillons !

C’était une distraction. La criminelle tentait de la pousser à faire une erreur, mais Zhihao n’avait aucune intention de tomber dans le panneau ; l’arachnide allait devoir prendre cette situation en main. Voyant que la chinoise ne réagissait pas à la provocation, l’entomomorphe émit un crissement cauchemardesque dont la cadence rappelait celle d’un rire, à défaut sans doute de pouvoir se moquer de façon plus éloquente d’une héroïne qui refusait de se porter au secours de civils en danger. Ceci fait, elle changea de posture, et la militaire comprit qu’elle était sur le point d’avoir de gros problèmes. Elle avait survécu jusqu’ici en exploitant chacun des points faibles de son adversaire : ses grands yeux composés dépourvus de paupières pour les protéger d’une lumière trop intense, son corps chitineux plus rigide et plus lourd que celui d’un humain, ce qui l’empêchait de se mouvoir avec autant de fluidité et de changer de direction aussi rapidement, et son inexpérience manifeste quand il s’agissait de se battre sous cette forme. Sauf que l’insectoïde venait de comprendre comment un être doté d’une force amplifiée devait bouger pour traduire toute cette puissance physique en vitesse.

L’hybride se pencha vers l’avant, abaissant du même coup son centre de gravité, puis s’élança à la manière d’un sprinteur quittant son starting-block… mais sans se relever, restant le plus près possible du sol, se servant de ses ailes pour se donner encore plus d’élan et prenant occasionnellement appui avec l’une de ses paires de bras. Son accélération fut beaucoup plus rapide, et lorsque Zhihao voulut l’éviter comme elle l’avait fait jusqu’ici, elle planta ses deux bras gauches dans le sol pour s’en servir de pivot, poussa de l’autre côté avec ses bras droits et battit frénétiquement des ailes pour tourner encore plus vite.

Sa technique n’était cependant pas tout à fait au point, aussi le coup de poing visant à transpercer l’héroïne de part en part l’envoya-t-il « seulement » voler à l’autre bout de la rue, le souffle coupé et les côtes endolories. Seule une utilisation précipitée de son Alter permit à cette dernière de se poser relativement en douceur plutôt que de finir encastrée dans un mur ; elle en profita au passage pour attirer à elle les tiges métalliques qu’elle avait tirées plus tôt et qui étaient retombées non loin.

« Bordel. À ce train, je ne vais pas avoir le choix... » pensa-t-elle en avisant la pompe à Trigger qui se trouvait également à proximité. Elle ne voulait pas en arriver là mais parfois, il fallait combattre le feu par le feu… Alors qu’elle s’apprêtait à bondir vers le dispositif, en tenant compte cette fois de la mobilité nouvelle de la criminelle, elle se rendit compte que celle-ci était distraite, car la fille-araignée venait de lui envoyer une toile à la figure. L’hybride vit arriver le projectile grâce à son large champ de vision, l’attaqua par réflexe, se retrouva avec une main prisonnière d’une masse de fils collants, et se retourna vers la responsable avec un sifflement strident.

Hors de question de laisser passer ces quelques précieuses secondes où l’insectoïde lui tournait le dos ; une telle occasion ne se représenterait pas, mais elle avait déjà repéré ce dont elle avait besoin pour l’exploiter. Zhihao se projeta pour parcourir le plus rapidement possible les quelques mètres la séparant de la plaque d’égout la plus proche, qu’elle fit sortir de son emplacement par magnétisme – les muscles artificiels de sa combinaison protestant lorsque le poids de cinquante kilos de fonte se répercuta soudain sur eux – avant de s’ancrer au sol à l’aide du mécanisme intégré à ses bottes et de propulser le lourd disque de métal vers son adversaire, en ciblant l’arrière de ses genoux. L’entomomorphe fut frappée de plein fouet, ses jambes se dérobant sous elle, mais la chinoise n’avait pas attendu de confirmer l’impact avant de désengager le mécanisme et de reprendre sa course.

La criminelle s’était rattrapée comme elle avait pu en tombant, et la main couverte de soie était maintenant collée au sol, la forçant à adopter une position qui neutralisait également l’autre bras situé du même côté. Ça ne la maintiendrait pas en place bien longtemps, mais cela devrait suffire : Zhihao fit mine de préparer un nouveau flash lumineux, ce qui poussa la fourmi à utiliser l’un de ses deux derniers bras libres pour protéger ses yeux. L’espace d’un instant, la militaire n’eut plus à se préoccuper que d’un membre ; elle saisit l’opportunité de contourner son adversaire, écopa tout de même d’une vilaine estafilade à la jambe, mais elle avait atteint son but. Elle plaça sa main sur la tige de métal incrustée dans le dos de l’hybride, et y déversa la décharge la plus puissante qu’elle soit capable de générer.

L’abomination retomba à terre de tout son long, le corps agité de spasmes fébriles alors que le courant empruntait le chemin conducteur à travers sa carapace isolante pour se répandre dans son organisme. L’attaque toucha en premier lieu la chaîne de ganglions qui avait remplacé sa moelle épinière, la privant du contrôle de ses muscles, qui se déchirèrent sous leur propre force ; les fluides corporels autour du point d’entrée de l’électricité furent portés à ébullition, et elle fit de son mieux pour pousser un hurlement de douleur malgré l’absence de poumons ou de cordes vocales. Un bon début : Zhihao continua de se servir de son pouvoir à son intensité maximale pendant de longues secondes, continua d’électriser sa cible bien au-delà du point où le système nerveux d’un être humain normal aurait subi des dommages irréparables, et ne s’arrêta que lorsque son propre Alter menaça de la faire cuire de l’intérieur.

À un cheveu de la surchauffe, elle recula en titubant et observa prudemment le corps fumant de la criminelle, prête à récupérer la plaque d’égout pour la délester de ses membres surnuméraires et à viser les articulations avec les flèches improvisées qu’il lui restait si elle faisait mine de se remettre à bouger. Mais non, elle avait sombré dans l’inconscience, et les seuls mouvements étaient les tics involontaires dus à l’action de l’électricité résiduelle sur un système nerveux malmené.

« Toujours vivante… et le pire c’est qu’elle s’en remettra. » confirma la militaire en s’appuyant sur son sixième sens, alors qu’elle enlevait son casque pour respirer avec bonheur l’air de l’extérieur, plus frais que celui de sa combinaison dont le système de refroidissement était à bout. Elle ne savait pas si elle devait se réjouir ou se désoler que les hétéromorphes possédant des traits d’arthropodes soient aussi robustes. Et en parlant d’arthropode, il y en avait une autre à laquelle elle devrait s’intéresser… mais elle avait quelque chose d’important à faire avant cela.

Zhihao rebroussa chemin pour ramasser la satanée machine qui avait rendu son ennemie si difficile à vaincre, s’empara de l’une des ampoules contenues à l’intérieur, puis revint vers l’araignée tout en se servant de son communicateur pour annoncer qu’elle avait réussi à neutraliser la cible et qu’il vaudrait mieux qu’un panier à salade, une ambulance et des renforts arrivent dans les deux prochaines minutes. Ce qu’elle ne dit pas – mais pensa tout de même très fort – c’était que si l’aberration se réveillait et qu’il n’y avait toujours pas d’autre héros pour prendre le relais, elle n’aurait d’autre choix que de s’injecter à son tour une dose de Trigger pour la neutraliser derechef.

En repassant à côté de la criminelle, elle lui administra de nouveau un bref électrochoc pour s’assurer qu’elle reste paralysée, puis arriva enfin au niveau de l’arachnide. Elle se pencha difficilement vers elle, la fatigue et la douleur lui tombant dessus de tout leur poids maintenant que l’adrénaline du combat s’était dissipée, et lui secoua légèrement l’épaule.

« Vous allez bien ? Est-ce que vous m’entendez ? »

L’autre héroïne – ou apprentie, difficile à dire – était indemne et, à en juger par l’absence de cadavre ensanglanté ou boursouflé, personne n’était mort piétiné ou des suites d’un choc anaphylactique. L’incendie faisait toujours rage mais n’avait pas l’air d’être sur le point de se propager aux immeubles environnants, et les occupants du bâtiment en flammes avaient été évacués avec succès ; la suite était entre les mains des pompiers, qui ne devraient plus tarder à arriver. L’un dans l’autre, l’arachnide s’était montrée particulièrement efficace.

« Merci d’avoir protégé les civils et de m’avoir aidée, je ne sais pas si j’aurais réussi sans vous. » fit la militaire en inclinant la tête. « Reposez-vous, vous l’avez bien mérité. Moi, j’ai encore une chose à faire avant. »

Elle joignit le geste à la parole en se retournant vers la fourmi, qui essayait péniblement de se relever pendant que personne ne la regardait. Se sachant repérée, celle-ci envoya les quelques hyménoptères toujours sous son contrôle en direction de la militaire, pensant sans doute qu’elle était vulnérable sans son casque. Cet espoir ne dura pas longtemps, chaque insecte mourant instantanément au contact de la peau électrifiée de la chinoise, sans même avoir le temps de piquer.

Attraction ; Zhihao reprit possession de la plaque d’égout dont elle s’était servie plus tôt et, surplombant la criminelle toujours à moitié paralysée, éleva le disque de métal le plus haut possible avant de le laisser retomber. Répulsion ; l’effet de son Alter s’additionna à celui de la gravité, et le demi-quintal de fonte s’abattit à la base des ailes de la criminelle comme la hache d’un bourreau. Puis Zhihao réactiva son magnétisme et recommença l’opération une fois, deux fois, trois fois. Jugeant que le quatrième impact avait suffisamment estourbi l’insectoïde – et de nouveau ruiné ses ailes –, elle la gratifia d’une dernière décharge qui acheva de la remettre au tapis.

« Reste à terre. Si tu recommences, j’arrache ton aiguillon et nous verrons si tu résistes à ton propre venin, compris ? » la menaça-t-elle à voix basse, de façon à ce que l’autre héroïne ne puisse pas l’entendre. L’avertissement sembla avoir l’effet désiré, la fourmi s’immobilisant complètement et essayant d’avoir l’air la plus inoffensive possible. Comme en écho à la disparition de son esprit combatif, son corps commença lentement à rétrécir et ses monstrueuses mutations à se résorber. La première dose de Trigger était en train de cesser de faire effet ; il faudrait encore attendre pour la deuxième et la troisième, mais les effets secondaires de l’abus de la substance devraient la neutraliser tout aussi efficacement que les dégâts infligés par l’électrokinésiste. Ce n’était pas pour rien qu’il était fortement déconseillé de s’injecter plus d’une dose dans un intervalle aussi bref.

Satisfaite de son estimation, Zhihao revint auprès de la fille-araignée, s’adossant au même mur qu’elle puis se mit à enlever la partie supérieure de sa cuirasse – en gardant tout de même une ampoule de Trigger à la main au cas où, on ne savait jamais. Bientôt, elle sentit le contact bienvenu de l’air libre – même si l’air en question sentait le brûlé, venant à la fois de l’incendie et de l’ichor carbonisé des insectes et de son adversaire – et elle poussa un soupir de soulagement alors que sa température corporelle dangereusement élevée commençait à baisser. Le répit fut cependant de courte durée, car elle devait évaluer les dommages qu’elle avait elle-même subis : il faudrait qu’elle s’occupe de cette lacération à la jambe, un hématome spectaculaire était en train de se développer au niveau de son torse, et ses bras avaient leurs propres stigmates sous la forme de multiples figures de Lichtenberg. Oh, et sa protection avait souffert aussi.

« Dire que je viens à peine de sortir de convalescence et de réparer mon équipement... » songea-t-elle en traçant du doigt les déformations de son plastron. À voix haute, elle s’adressa à sa voisine tandis qu’un camion de pompiers faisait enfin son apparition et que ses passagers s’activaient aussitôt pour combattre le feu. « Excellent travail, encore une fois. Puis-je savoir à qui ai-je l’honneur ? »

La fille-araignée était modeste, serviable et avait apparemment le sens du devoir, autant d’éléments résultant en une première impression positive. Zhihao dut cependant décliner son offre d’assistance concernant l’immobilisation de la criminelle ; elle avait peut-être menacé cette dernière de lui faire subir un sort similaire, mais elle ne mettrait ses paroles à exécution qu’en dernier recours.

« J’apprécie votre proposition, mais il vaut mieux éviter. Les effets indésirables de sa transformation ne vont pas tarder à se manifester, et ils seront sévères ; je vais déjà devoir la surveiller jusqu’à ce que les médecins arrivent pour m’assurer que ses organes reviennent bien à la normale et éviter qu’elle ne s’étouffe en vomissant. Si nous rajoutons votre venin par-dessus, il y a de fortes chances qu’elle fasse un arrêt cardiaque. » expliqua-t-elle, de nouveau à voix basse pour que la fourmi ne se rende pas compte qu’elle bluffait à moitié. Décidément, elle faisait beaucoup de cachotteries aujourd’hui…

Bref : à cause du Trigger, l’arachnide aurait énormément de mal à calculer la bonne dose de toxine à administrer. Trop faible, et la morsure serait inefficace ; trop élevée, et leur prisonnière pourrait y rester. Zhihao pourrait toujours la maintenir en vie avec son Alter – ce ne serait pas la première fois qu’elle forçait un cœur à battre et des poumons à respirer à grand renfort d’électrochocs – mais l’opération était suprêmement désagréable pour ceux qui la subissaient et le fait d’y avoir recours donnerait l’impression aux autorités locales qu’elle était incompétente, négligente ou même sadique. Elle s’attendait déjà à être réprimandée pour s’être « acharnée » sur son adversaire et même si elle ne regrettait absolument pas de l’avoir fait, elle n’avait aucune envie d’aggraver son cas.

« Si vous voulez aider, vous pouvez toujours engluer ses autres membres, mais rappelez-vous qu’il faudra la libérer ensuite pour la faire rentrer dans l’ambulance. »

Une autre façon dont la jeune fille pouvait aider lui vint à l’esprit lorsqu’elle la vit produire un bandage de soie, avant d’hésiter à le lui donner, sans doute à cause de la présence des pompiers. La militaire l’accepta néanmoins – elle l’avait déjà fabriqué, autant s’en servir – ; elle l’appliquerait plus tard, après avoir retiré sa jambière endommagée.

« Merci encore, mademoiselle Bakeryu. » fit-elle après que son interlocutrice se soit présentée, confirmant par là-même son intuition. « Êtes-vous en stage ? Je m’étonne de ne pas voir votre tuteur, si c’est le cas. »

La question était quelque peu malhonnête : Zhihao se doutait que cela ne devait pas être le cas, puisque la jeune fille n’était pas en costume et qu’elle n’avait reçu aucune communication l’informant de son arrivée. Elle ne pressa cependant pas la chose tout de suite, levant un sourcil interrogateur lorsque cette dernière lui dit l’avoir trouvée impressionnante. Ce n’était certainement pas ainsi que la chinoise aurait qualifié sa propre performance : elle se remémorait l’affrontement, la peur qu’elle avait ressenti tout du long en sachant que la moindre erreur pourrait aboutir à son éviscération, le sentiment d’impuissance en réalisant qu’aucune de ses attaques ne faisait quoi que ce soit, la frustration en imaginant toutes les manières dont elle aurait instantanément pu mettre fin au combat si seulement on l’avait laissée s’équiper des bonnes armes… Non, « impressionnante » n’était définitivement pas le bon terme.

« Moi c’est Lodestone. C’est normal que vous n’ayez pas entendu parler de moi, et pour être franche, vous me surestimez beaucoup. Sinon, pour en revenir à notre prisonnière, pouvez-vous lui tisser une couverture ? Elle va se retrouver nue quand elle aura repris forme humaine, autrement. »

Elle n’avait aucune sympathie pour la criminelle, mais elle n’allait pas non plus l’abandonner à l’humiliation gratuite à laquelle elle aurait droit d’ici quelques minutes si rien n’était fait pour y remédier, ce serait inutilement mesquin.